Le Voyage dans la Lune/2
ACTE DEUXIÈME
À gauche une construction qui doit s’écrouler à un moment donné.
Scène PREMIÈRE
Oh !
Ah !
C’est un point noir,
Et pour le voir
Il n’est pas besoin de lunettes.
Ah ! ce point noir,
De désespoir
Va nous faire perdre la tête !
C’est inouï !
Le mal a encore fait des progrès depuis hier.
Je crois bien ; ce n’était d’abord qu’un tout petit point noir et maintenant c’est une montagne qui va tomber sur nous et nous réduire en poussière.
Nous sommes perdus !
C’est la fin de la lune !
C’est la fin de la lune !
Scène II
Vous êtes tous des imbéciles !…
Le roi !…
Oui, votre roi Cosmos qui n’est pas content de vous.
Pas content du tout.
Comment ! parce qu’un petit point se montre à l’horizon, la lune entière est à l’envers ! Depuis hier, dans cette ville seulement, il y a eu trois cent neuf cas de folie et sept cent quarante-neuf suicides… Est-ce que c’est une vie je vous le demande ?… une pareille pusillanimité me navre. Elle me navre, moi et mon excellent conseiller intime et ami, Cactus. (À Cactus.) Réponds franchement, est-ce que tu n’es pas navré ?
Navré.
Vous voyez, je n’ai pas opéré de pression.
Pourtant il y a bien de quoi avoir peur.
Je crois bien !
Et dire que c’est à ces gueux d’habitants de la terre que nous devons ça.
Comment ?
Dame, je me suis laissé dire que ce point noir que nous voyons à l’horizon est tout simplement un fragment de la boule terrestre qu’ils ont détaché dans le but de nous exterminer tous.
Oh !
Quand je vous le disais que vous êtes tous des imbéciles. Comme s’il était permis d’ignorer que la terre n’a pas d’habitants. Et cela, pour une raison bien simple… (Cherchant dans ses poches.) Où est ma carte de la terre ? Il faut vous dire que depuis plusieurs jours, j’ai étudié tout ce que nos savants les plus illustres ont écrit sur la terre… (Cherchant toujours.) J’ai compulsé, comparé. (À Cactus.) Où diable ai-je fourré ma carte ? (Cactus qui la porte sous son bras, la lui tend gravement.) Ah ! merci ! (Il déploie la carte. Les cinq parties du monde y sont représentées sous des formes étranges et fausses.) La voilà, la terre… Je la connais à présent comme si j’y avais été. Eh bien, il suffit d’y jeter un coup d’œil pour se faire une conviction, qui est maintenant celle de tous les hommes de science : c’est que la terre est complètement inhabitable.
Pourquoi cela ?
Pourquoi cela ? pour une raison bien simple, c’est qu’elle est totalement dénuée d’atmosphère. La science a décidé et je suis certain que tel est aussi l’avis de mon excellent conseiller intime et ami Cactus. (À Cactus.) Cactus, réponds franchement, est-ce ton avis ?
C’est mon avis !
Vous voyez je n’ai pas opéré de pression…
À ce moment on entend un sifflement épouvantable. Le ciel s’obscurcit.
Ah !
Qu’est-ce que c’est que ça ?
CHŒUR.
Ah ! grand Dieu ! COSMOS, à la foule.
Quel est ce tintamarre ? CACTUS, même jeu.
Ah ! pourquoi trembler ainsi ? COSMOS, à part.
La peur de moi s’empare CACTUS, même jeu.
J’en suis transi ! COSMOS, à la foule.
Un danger vous menace, CACTUS, même jeu.
Nous voulons notre part ! COSMOS, avec énergie
Eh bien, vidons la place, CACTUS, même jeu.
Beaucoup plus tard. REPRISE
Ah ! grand dieu ! |
Scène III
puis COSMOS, CACTUS et Les Habitants.
Je crois que nous y sommes.
Nous y sommes ?…
Oui !… la lune !… tous les voyageurs descendent de voiture ! (Appelant.) Caprice !
Père !…
Descends !… nous y sommes…
Comment !… Nous sommes dans la lune ! Eh bien ! par exemple, c’est assez curieux.
As-tu le parapluie ?
Oui !…
Alors nous sommes au complet. Ah ! mes enfants, quel voyage !
Quel charmant voyage !
Dans un obus qui fend l’air, TOUS TROIS.
Ah ! comme cela va faire CAPRICE.
Plus de gare Plus de guichets TOUS TROIS.
Ah ! comme cela va faire CAPRICE.
Dans l’espace, TOUS TROIS.
Dans l’espace CAPRICE.
Cela supprime ENSEMBLE.
Ah ! comme cela va faire |
Voyons, il s’agit maintenant de nous orienter.
Ah ! voici le hic.
Ça je m’en charge.
Vraiment ?
Oh ! je ne suis pas embarrassé… Voyons… où est ma carte de la lune ? Vous comprenez bien que depuis que nous sommes en route, je n’ai pas perdu mon temps, j’ai lu tout ce que les savants les plus illustres ont écrit sur la planète que nous allons visiter. J’ai comparé, compulsé, et tel que vous me voyez, je connais la lune comme ma poche.
Toi, papa ?
Oui, moi.
Eh bien, dans quel quartier sommes-nous ?
Ici ?… Attends… (Ouvrant sa carte.) Nous devons être dans la partie australe de la lune.
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire dans le large espace que circonscrivent au nord la mer des Nuées, au sud l’océan des Tempêtes et le lac de la Mort.
Diable !
Ah ! dame, mes enfants, il ne faut pas nous attendre à quelque chose de bien gai. N’oublions pas que nous foulons aux pieds une planète désolée et refroidie.
Mais alors, comment ferons-nous pour nous nourrir ?
Eh bien, nous avons des provisions.
Des provisions ! Ah ça ! est-ce que nous n’avons pas mangé en route ? D’abord, plus de viande.
Eh bien, nous mangerons des légumes.
Oh ! les légumes… il ne reste qu’un sac de haricots secs.
Eh bien, nous mangerons des fruits.
Oh ! les fruits, il ne faut pas y compter.
Comment ? Les oranges ?
Mangées !
Les prunes ?
Mangées également… nous n’avons plus que des pommes.
Eh bien ! nous voilà gentils !… c’est la famine… Nous n’avons qu’à nous dévorer les uns les autres… on commencera par toi.
Ah ! permettez…
Mais, papa, ça n’a pas l’air si désolé que tu le disais, ici… nous sommes dans une ville.
Une ville !… impossible ! La lune n’est pas habitée. Et cela pour une raison bien simple, c’est qu’elle est totalement dénuée d’atmosphère. La science a décidé et quand je vous dis qu’il n’y a pas d’habitants dans la lune, c’est qu’il ne peut pas y en avoir !
Ah !
Oh !
Quoi ? (Apercevant les Sélénites.) Il y en a !
Ils ont de mauvaises figures. (Cosmos fait un pas vers lui. Microscope recule en poussant un cri.) Ah !
Qu’est-ce que ces gens-là ?
Connais pas !
Il s’agit de leur parler.
Je vais les aborder.
Habitants de la lune…
Silence !
Il n’a pas l’air commode.
Savez-vous bien devant qui vous êtes ?
Non.
Vous êtes devant le souverain du royaume lunaire, le grand, l’illustre, le majestueux Cosmos, et on ne fait pas de phrases avec lui.
Bravo ! Bravo !
Quelle est cette singulière façon d’entrer dans un pays ? Vous avez démoli deux maisons qui n’étaient pas encore expropriées. Répondez, pourquoi ?
Oui, pourquoi ?
Écoutez donc, quand on vient de si loin on ne regarde pas trop où on met le pied.
Et d’où venez-vous, s’il vous plait ?
Puissant monarque, nous arrivons d’un petit endroit dont vous avez peut-être entendu parler, et qui s’appelle la terre.
La terre !…
Nous produisons notre effet.
Tu as entendu !… (Cactus sourit dédaigneusement. Cosmos revient à Vlan.) Il me semble pourtant que je n’ai pas l’air d’un imbécile ?
Je n’ai jamais dit le contraire.
Alors pourquoi me racontez-vous des histoires à dormir debout ?… comme si nous ne savions pas aussi bien que vous que la terre n’est pas habitée ?
Ah ! bien, elle est bonne, celle-là ! Puisqu’on vous dit que nous en venons, mon brave homme.
Vous en venez… laissez-moi donc tranquille. Et comment ?
Comment ?… en canon.
En canon !
Oui, en canon… l’invention est de moi… (Montrant l’obus.) Tenez, voilà la voiture.
Ah ! c’est curieux… Alors ce petit point noir que nous apercevions depuis quatre jours dans le ciel, c’était vous…
Parfaitement.
Ah ! ah !
Ça va bien.
Dis donc, le petit point noir, c’était eux.
C’était eux.
Très bien, très bien !
Ah ! vous croyez à présent ?
Parfaitement.
Ah !
Qu’on empoigne ces gens-là !
Bravo ! bravo !
Comment, nous empoigner ?
Qu’est-ce que cela veut dire ?
Ah ! c’est vous mes gaillards, qui nous avez causé cette jolie émotion.
Nous…
C’est vous qui vous permettez de venir de la terre quand la science a décidé que la terre ne devait pas être habitée… Eh bien, mes bons amis vous allez voir !… Allons, mon bon peuple ! allons, mes braves, avançons.
Tout le monde s’arrête.
La Reine.
Scène IV.
suite composée de Six Pages et Six Suivantes.
Eh bien ! eh bien ! quel est ce tintamarre ?
Qu’y a-t-il donc ?
Des femmes, nous sommes sauvés, je vais leur parler.
Non, pas toi… Caprice…
Mademoiselle !… (La regardant avec un grand cri et portant subitement la main à son cœur comme frappé par un choc.) Ah !
Oh !
La princesse ! qu’elle est jolie !…
Et la reine ! qu’elle est belle !
Qu’est-ce que c’est que ces gens-là ?
Oh ! les bonnes têtes !
Ne faites pas attention… ce n’est rien, ce sont des vagabonds, des gens sans aveu, qui viennent de la terre.
De la terre !
Ah ! mon Dieu ! est-ce qu’ils mordent ?
Je ne crois pas, mais il ne faut pas s’y fier.
Comment !
C’est vrai, ils n’ont pas l’air bon.
Pourtant, le petit ne paraît pas méchant.
Oh ! non, mademoiselle, je ne suis pas méchant.
Et qu’est-ce que vous allez en faire ?
Les enfermer d’abord… ensuite…
Ensuite… (Avec un cri féroce.) Ah ! ah ! ah !
Celui-là ne parle pas souvent, mais il trouve le moyen de vous dire des choses bien désagréables.
Oh ! les pauvres gens !
Elle s’intéresse à nous.
Ne vas-tu pas les plaindre, à présent ?
Mais certainement.
Tu devais, le jour de ma fête, II
Jusqu’à présent, jamais ta fille |
Oh ! qu’elle est gentille !
Eh bien, papa ?
Leur faire grâce, qu’en dis-tu, Cactus ?
Dame ! tout de même.
Ah ! sauvés ! sauvés !
Sauvés et grâce à elle !
Ô Vlan ! ô mon roi !
Son roi !… qu’est-ce que vous dites ?
Je dis : Ô Vlan ! ô mon roi !
Vous êtes roi, vous ?
Certainement… je n’en ai peut-être pas l’air, mais je le suis. Et voilà mon fils Caprice avec mon grand savant Microscope.
J’ai bien l’honneur.
Allons donc… vous êtes roi… Prouvez-le.
À l’instant !… Microscope, passe-moi le parapluie. (Microscope le lui passe.) Tenez, voici mon sceptre monté sur soie… En voyage, c’est très commode quand il pleut…
Un collègue… Pourquoi ne le disiez-vous pas ?
Vous ne me laissiez pas placer un mot.
Touchez là.
Avec plaisir.
Voulez-vous permettre.
Comment donc !… (Ils se serrent la main.) Mais vous parlez bien peu.
Je réfléchis.
Dites donc, maintenant que la glace est rompue, voulez-vous une prise de tabac ?
Une prise de tabac. (À part.) Je ne sais pas ce que c’est, mais n’ayons pas l’air. (Haut.) Volontiers. (Il prend une prise de tabac et la met dans sa bouche. — Poussant un cri.) Ah !
Qu’est-ce que vous faites ? Il renverse tout mon tabac. Mais ça ne se mange pas !
Dame ! je croyais.
Sont-ils arriérés dans la lune ! (Pendant ce temps un pied de tabac est sorti du sol et pousse à vue d’œil.) Ah ! qu’est-ce que c’est que cela ?
C’est votre tabac qui pousse.
Comment, mon tabac ?
Eh bien ! oui. Votre tabac qui vient de tomber, il pousse, c’est l’effet de la végétation.
Comment, si vite ?
Mais certainement. Tout pousse instantanément.
À la minute !
Vraiment ? Alors on sème…
Et on récolte tout de suite après.
Étrange !
Inouï !
Mais voyez donc : la plante, la fleur. (Tirant un cigare de la plante.) et le fruit… (À caprice.) Qu’est-ce que tu dis de ça ?…
Moi, je trouve ça très curieux, très… (À part.) Qu’elle est gentille !
La splendide créature !
Qu’est-ce qu’il a donc à m’examiner comme ça, le petit étranger ?
Eh bien ! et le vieux !… Il me fait des yeux…
Et maintenant, mon cher collègue, il faut que je rentre, les affaires me réclament. Il va sans dire que vous venez avec moi. Tant que vous serez ici, vous serez mes hôtes.
Quelle chance ! je pourrai la voir, lui parler…
Vous savez, quand vous viendrez sur terre, à charge de revanche…
Holà ! qu’on m’amène ma monture.
On amène un dromadaire sur lequel monte Cosmos. — Cortège. — Sortie.
Salut à notre bon roi,
Au grand Cosmos notre père,
Qui tient sous sa puissante loi
La lune toute entière !
Scène PREMIÈRE
Scène II
Donnez-vous la peine d’entrer. C’est ici la grande salle du conseil.
Il me semble que la reine et la princesse Fantasia nous ont quittés ?
Oh ! certainement ! les femmes ne mettent jamais les pieds ici.
Ça ne m’étonne pas alors que Caprice ne soit pas avec nous.
Cette salle est réservée aux affaires sérieuses.
Et embêtantes.
Tout à l’heure, mon cher collègue, vous allez assister à mon conseil. Mais comme nous avons encore quelques instants devant nous, si vous voulez bien, nous allons causer un peu (Cactus leur offre des sièges. Ils s’assoient.) Alors vous êtes roi ? Ça doit bien vous ennuyer.
Mais non, c’est très amusant.
Alors ce n’est donc pas un mauvais métier chez vous ?
Mais pas mauvais du tout.
Eh bien, vous avez de la chance. Ici, c’est bien ennuyeux.
C’est d’un dur !
Alors, pourquoi l’êtes-vous ?
J’ai été forcé.
Comment forcé ?
Oui, quand le trône est vacant, comme personne n’en voudrait, on choisit au hasard, parmi les habitants dix des plus riches et des plus lourds.
Alors vous avez été élu au poids ?
Oui, je pesais deux cent quatre-vingts, j’ai été pincé.
Je l’ai échappé de trente-cinq grammes.
L’emploi est donc bien mauvais ?
C’est-à-dire que je ne connais rien de plus pénible… jamais un instant de liberté, je pioche du matin au soir. Impossible de prendre un instant de repos… Voyez les murs de mon palais.
Ah ! mais !… ils sont en verre !
Bonté du ciel ! je n’avais pas remarqué.
Ça doit être gênant.
Parbleu ! à tout instant, les passants s’arrêtent pour me surveiller et s’assurer que je ne perds pas mon temps. Tenez.
En effet, j’en aperçois quelques-uns.
Et en voilà d’autres.
Hein ?
Oui, vous entendez ?… ils grognent parce qu’ils trouvent que je flâne.
C’est l’opposition.
Il parait qu’il y en a partout.
Vite, Cactus, il faut nous mettre au travail… Qu’on fasse entrer mes conseillers !
Mouvement de satisfaction dans la foule.
Scène III
Allons, messieurs mes conseillers, vite à la besogne. (Ils se sont assis autour de leurs tables.) Expédions d’abord les affaires du jour. (Ils ont tous pris des plumes et écrivent fiévreusement, Cosmos feuillette une liasse de papiers.) Ah ! voici quelque chose de très pressé.
Que faites-vous donc là ?
Une expédition, je copie en double un arrêté d’hier.
Comment vous copiez !… Mais alors que font vos employés.
Nos employés… Nous n’en avons pas.
Ils n’ont pas d’employés !
Eh bien, ce n’est pas comme chez nous. Pour une place, il y a toujours au moins un titulaire et un suppléant.
Le titulaire qui n’a généralement rien à faire.
Et le suppléant qui est chargé de l’aider.
Là ! les entendez-vous ? ils grognent encore… (Il se remet fiévreusement au travail, puis se lève, un papier à la main.) Que vois-je ? (Avec sévérité.) Monsieur l’intendant chargé de mes finances, approchez, s’il vous plait ? Le conseiller se lève tout confus et vient à lui.
Je parie qu’il n’est pas en règle, celui-là.
Le compte que vous me présentez est inexact, monsieur…
Là ! qu’est-ce que je disais ?
Mais…
Je vous dis que ce compte-là n’est pas exact ! Comment se fait-il que vous ayez en caisse plus d’argent que vous n’en avez reçu ?
Hein ?
Dame, je…
Dame, je… dame, je… je vois ce que c’est ; malheureux que vous êtes ! Vous aurez encore remis de l’argent de votre poche dans mes coffres.
Mais…
C’est scandaleux !
Oui, c’est scandaleux ! un homme qui a de la famille !… Vous finirez par mettre tous les vôtres sur la paille. (Murmures.) Le peuple murmure et il a raison… Mais un pareil scandale ne peut durer… Monsieur Capultos, approchez. (À l’intendant.) Rendez-moi la clef de ma caisse, vous n’en êtes plus digne. (À Capultos.) Prenez-la, vous, et ne suivez pas l’exemple de votre prédécesseur, ne remettez jamais d’argent dans mes coffres.
Oh ! je crois qu’avec celui-là il peut être tranquille. Il a une figure rassurante…
Allez !
Il ne l’a pas volé.
Hein ?
Renversant ! il faut venir dans la lune pour voir ça.
Ah ! après cette exécution pénible, il est doux d’avoir à décerner une récompense… Qu’on fasse entrer le lauréat du dernier concours de poésie.
Oh ! Ce plastron !
Si jeune !
J’ai lu vos vers, jeune homme… ils m’ont fait plaisir… Venez recevoir la juste récompense de votre beau talent.
Oh ! merci, grand roi !
Jeune homme !
Oh !
Vous appelez ça le récompenser ?
Certainement.
Mais vous venez de lui ôter…
Eh bien, oui.
Je ne comprends pas.
C’est pourtant bien simple. Ici, en naissant, on a toutes les décorations de la lune. À mesure qu’on fait une action d’éclat, on vous enlève une décoration. Quand comme moi on arrive à ne plus en avoir du tout, cela vous distingue des autres et on jouit de la considération générale.
Moi, j’en ai plus qu’une et je la cache.
Oh ! ça, par exemple !
Ça ne réussirait pas sur terre.
Et pourtant, ce n’est pas déjà si bête, mais ça ne réussirait pas. (On entend une sonnerie.) Oh !…
Ah ! voilà le signal de la récréation.
Mais non, c’est…
Quoi ?
Rien, rien ! vous avez raison. (À part.) C’est mon appareil électrique ; la réponse à ma dépêche… motus !
La séance est levée, nous pouvons nous retirer. Allons messieurs.
Scène PREMIÈRE
Voilà une heure que je me promène inutilement dans le palais. Ah ! si je pouvais retrouver cette délicieuse petite princesse que je n’ai entrevue qu’un moment et que j’aime déjà comme un fou… Voyons…
Enfin seul !… je suis seul… je vais pouvoir prendre connaissance de la réponse de Cascadine. Cher ange !… où l’ai-je fourrée ? (Il cherche dans ses poches.) Ah ! la voici… Lisons… (À ce moment, Caprice le heurte.) Le prince !
Microscope !
Quel ennui !
Quelle contrariété !
Je vous dérange ?
Du tout, c’est moi, au contraire… Tu lisais quelque chose… continue donc.
Comment, vous permettez ?
Fais donc, fais donc… (À part.) Pendant ce temps je vais faire le guet.
Tant pis, je grille de lire. (Lisant.) « Mon bon lapin » Ah ! « T’aime plus encore qu’avant » — Comment alors ? « Tante malade. » Ça, ça m’est égal. « Envoie argent. » Déjà !… ah ! elle m’ennuie ! Enfin, je vais télégraphier à mon banquier.
Scène II
Fantasia !
Tiens, le jeune homme de la terre.
Enfin, me voilà seul avec elle… (Il s’approche et la regarde.) Dieu ! qu’elle est jolie !…
Mais, monsieur, qu’avez-vous donc à me considérer ainsi ?
Vous voulez le savoir ?
Mais certainement.
Eh bien !…
Je regarde vos jolis yeux, II
Je regarde ce pied coquet |
Il est gentil.
Ah ! mademoiselle !
Quoi donc ?
Vous me promettez de m’écouter ?
Mais certainement… est-il drôle !… Quand on me parle, j’écoute toujours.
Et vous ne vous fâcherez pas ?
Mais non !
Elle n’a pas l’air de s’effaroucher… Je me risque.
Allez donc, qu’est-ce que vous voulez me dire ?
Eh bien ! je voulais vous dire que vous êtes si jolie, si charmante, que je n’ai pas pu vous apercevoir sans me sentir attiré vers vous de toutes les forces de mon âme.
Ah ! mon Dieu !
Depuis ce temps, je n’ai plus soif, je n’ai plus faim.
Pauvre jeune homme !
Elle me plaint !… achevons (Haut.) Enfin, charmante Fantasia, que pourrais-je vous dire ? Je vous adore, vous m’avez charmé et je dépose mon amour à vos petits pieds.
Votre amour ?
Oui, mon amour. On dirait que vous ne comprenez pas.
Mais non, monsieur, je ne vous comprends pas.
Comment ! vous n’avez jamais entendu parler d’amour ?
Jamais.
Mais ce n’est pas possible !
Je vous assure.
Allons donc ! mais l’amour est partout. Quand on ne vous en parle pas on le devine…
Eh bien, monsieur, je ne l’ai pas deviné du tout. Si vous voulez me dire ce que c’est…
Mais certainement que je vais vous le dire, ce que c’est l’amour !… Mais l’amour, c’est… attendez, il y a mille manières de l’expliquer… Ainsi, par exemple, vous me suivez bien ? L’amour, c’est…
C’est ?
C’est l’amour.
Ah ! ah ! ah ! vous voyez, vous ne pouvez pas me le dire vous-même. (Riant.) Mais c’est vous qui ne savez rien, mon petit ami !… Et c’est pour ça que vous me faites perdre mon temps ! On n’est pas fort sur la terre !
Scène III
Ah ça ! voyons… voyons… qu’est-ce qu’elle dit ? Est-ce que vraiment dans la lune ?… Oh ! ce serait trop fort !
Ah ! te voilà, enfin !… Il y a une heure que je te cherche !
Ah ! papa, si tu savais !
Eh bien, qu’as-tu ? Qu’est-il donc encore arrivé ?
Ah ! Papa, la petite princesse ?
Eh bien ?
Je l’aime ! je la veux !…
Tu la veux !… tu m’ennuies… cela ne me regarde pas… Certainement, la bêtise d’un père est immense, mais elle a des limites… J’ai tout fait pour toi : tout ce que tu as voulu, je te l’ai donné. Tu m’as fait quitter mon royaume, mes sujets. Tu as voulu la lune, je t’ai donné la lune !… en voilà assez. Fais-lui la cour à ta princesse.
Mais elle ne peut pas m’aimer !… L’amour n’existe pas dans la lune.
Qu’est-ce que tu dis ? Tu entends, Microscope, il dit que l’amour n’existe pas.
Patron, je me roule !
Nous nous roulons !
Vous riez ! vous riez ! quand vous me voyez furieux.
Aussi ce que tu nous dis est si invraisemblable.
C’est plus fort que nous !
Ah ! c’est comme cela ! ah ! vous vous moquez de moi ! Eh bien ! vous avez tort, parce que c’est sérieux, très sérieux.
Mais…
La première femme que j’aime !… Ah ! vous verrez ce que je vais faire.
Caprice !
Vous verrez ! laissez-moi !
Scène IV
Où va-t-il ?… (Courant après lui.) Caprice !
Il est loin !
Pauvre gamin ! il n’était pas content !… Aussi c’est une absurdité que la raison humaine se refuse à admettre, et je ne l’admets pas.
Moi non plus !…
Qu’est-ce que vous n’admettez pas ?
Savez-vous ce que mon fils vient de me dire ? — Que dans la lune on ne sait pas ce que c’est que l’amour ?
Chut !
Silence !
C’est parfaitement exact, heureusement…
Comment ?…
J’en ai entendu parler par des savants. Il parait que c’est un mal horrible.
Épouvantable !
Oh !
On en a observé dans le pays un ou deux cas, il y a très longtemps. Des gens qui s’étaient mis dans un courant d’air, à ce qu’on m’a dit… mais comme on s’en est débarrassé séance tenante, le mal n’a pas eu le temps de se répandre, et jamais il n’a reparu depuis…
Jamais !
Ils veulent nous faire poser.
Ils tombent mal ! (Haut.) Eh bien ! Et la population ?
Comment ?
La lune est peuplée, n’est-ce pas ?
Évidemment.
Je le tiens (À Cosmos.) Ainsi, vous, vous avez eu un père ?
Oui !
Et moi aussi.
Une mère aussi peut-être ?
Oui.
Et moi aussi.
Ah ! Eh bien ?
Eh bien ! qu’est-ce que ça prouve ?
Ça prouve tout.
Comment ça ?… On m’a fait venir de là-bas comme les autres.
De là-bas ?
Oui, du pays des enfants.
Du pays des enfants ! qu’est-ce que c’est que ça ?
C’est un pays qui se trouve très loin, très loin, au-delà des mers et où viennent au monde tous les futurs habitants de la lune.
Tous ?
Tous !
Alors, vous autres…
Nous autres, nous ne nous en occupons pas autrement. Il y a là-bas de pauvres gens dont c’est la spécialité.
Alors, quand vous désirez avoir un fils ou une fille, vous n’avez qu’à faire ce voyage ?
Pas même… nous ne nous dérangeons pas… Deux fois par an, on nous amène les moutards ici, sur de grands vaisseaux. Chacun se rend sur le port, on fait son choix et, le lendemain, on donne aux parents et amis un grand dîner de réjouissance.
Et voilà tout ?
Oui.
Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ?
Rien… C’est très ingénieux. (À Microscope, bas.) Mais c’est égal, on aura beau dire, pour ma part, j’aime encore mieux notre vieille routine…
Eh bien alors, les femmes ? Si l’amour n’existe pas, pourquoi y en a-t-il dans la lune ?
Pourquoi ? Mais elles nous sont indispensables. Les unes s’occupent des soins du ménage : elles cousent, raccommodent, et cætera… ce sont des femmes utiles. Les autres sont des objets d’art qui ornent notre maison de leur jeunesse et de leur beauté… Ainsi, par exemple, la reine Popotte, que vous avez vue, femme utile ; la princesse Fantasia, femme de luxe !
Et c’est tout ?
Mais oui.
Il y a donc autre chose ?…
Non ! non !… (Bas à Microscope.) Eh bien ils sont d’un arriéré…
Scène V
Me voici, mon ami.
Qu’elle est belle, la reine ! Ah ! si elle avait pu me comprendre ! (La lutinant.) si vous aviez pu me comprendre !…
Monsieur !…
J’aurais résilié avec Cascadine.
Le dîner est prêt ?
Oui… et tous vos invités sont là.
Vos invités, c’est donc un grand dîner ?
Mais certainement… en votre honneur… Et il y aura après une petite fête dans le parc.
Ah ! très bien !
Pour le dîner, nous avons une purée d’araignées et un plat de mouches rôties.
Oh !
Des mouches !…
C’est délicieux !
C’est ça qui nous engraisse.
Eh bien, si ça vous est égal, je vous demanderai la permission d’apporter mon plat ?
Ne vous gênez pas… (Éclats de rire dans la coulisse.) Tenez, qu’est-ce que je vous disais ? Voici toutes les dames du palais. Êtes-vous connaisseur ?
Je crois bien.
Connaisseur et amateur !
Eh bien, vous m’en direz des nouvelles.
Ne jamais rien faire TOUTES.
Ne jamais rien faire, FLAMMA.
À notre toilette Sourire avec grâce, ADJA.
Sur notre visage REPRISE
Ne jamais rien faire |
Voyez donc, voyez comme on rit, comme on danse, POPOTTE.
Tous les jours, oui, ça recommence, MICROSCOPE.
Ça vous picote dans les jambes, VLAN.
Les vieilles deviennent ingambes LES FEMMES.
En avant joyeux quadrilles ! D’AUTRES.
Les bras autour des belles filles TOUS.
En avant ! REPRISE GÉNÉRALE
Ne jamais rien faire COSMOS.
Allons, à table, mes amis, CHŒUR.
À table ! à table ! |
Scène PREMIÈRE
Eh bien ! il va joliment être attrapé, papa… Ah ! il s’est moqué de moi !… Eh bien, je lui prouverai que j’ai du caractère ! je vais me tuer, là !… Et puis, après tout, j’en ai assez de la vie… Ça n’est pas si drôle !… Rien ne me réussit !… Pour une fois que je suis amoureux, il faut que je tombe sur une femme incapable de m’aimer… Allons, allons, finissons-en !… oui, mais comment vais-je me tuer ? me brûler la cervelle ?… oui… mais ça me défigurerait ! Me noyer ?… Brrr… Et puis, il faudrait une rivière… Je crois que ce qu’il y a de mieux, c’est de me pendre… Ça me portera peut-être bonheur ! (Il fait un nœud à son mouchoir, et s’arrête subitement.) Tiens ! oh ! c’est singulier… J’ai faim ! Ça ne m’étonne pas, je n’ai rien pris depuis ce matin… Ah ! mais c’est grave ! Faut-il me pendre avant de manger ? Ou manger avant de me pendre ?… Bah ! mangeons d’abord, c’est plus sûr… il doit rester quelques provisions dans mon sac de voyage. (Il l’ouvre.) Du pain et des pommes… c’est maigre… Bah ! quand on a de l’appétit !
Scène II
Ah ! le voilà !
Ciel ! Fantasia !
Eh bien ! monsieur, mais on vous cherche partout. Pourquoi n’êtes-vous pas venu dîner ?
Oh ! je souffre trop pour pouvoir manger.
Ça se voit. — Tiens, qu’est-ce que vous tenez donc là ?…
Ça ?
Oui !
C’est une pomme.
Une pomme ? Qu’est-ce que c’est que ça, une pomme ?
Allons, bon ! vous ne savez pas ce que c’est qu’une pomme, à présent ?
Mais non !
Mais vous ne savez donc rien de rien ! C’est un fruit qui vient de la terre.
Un fruit qui se mange ?
Vous voyez.
Tiens c’est gentil… ça doit être bon ! oh ! je meurs d’envie d’y goûter.
Dame ! si le cœur vous en dit.
Oh ! oui… c’est bon ! c’est bon ! c’est bon !
Elle y prend goût.
Ah !
Quoi donc ?
Mon Dieu, qu’ai-je ressenti-là ? CAPRICE.
Votre cœur… FANTASIA.
Comme il bat. CAPRICE.
Il bat ! FANTASIA.
Il bat ! Il se trémousse. CAPRICE.
Il se trémousse ! |
C’est votre vilain fruit !
Ô ciel ! est-il possible !
Mon cœur devient sensible ! CAPRICE, à part.
Eh quoi ! Se pourrait-il donc faire FANTASIA.
Ô l’étrange mystère CAPRICE.
De l’amour ! FANTASIA.
CAPRICE.
Curieuse ! FANTASIA.
Pourquoi ? Pourquoi cela ? CAPRICE.
Vous venez de mordre à la pomme ! FANTASIA.
À la pomme ! CAPRICE.
Vous venez de mordre à la pomme ! FANTASIA.
Ah ! parle, car je puis t’entendre, CAPRICE.
Oui ! tu peux enfin m’entendre FANTASIA.
Je connais l’amour ! |
Tu connais l’amour ! ENSEMBLE.
La pomme, la pomme, CAPRICE.
Ô doux fruit de la terre ! FANTASIA.
Ô divine lumière ! CAPRICE.
Adorable mystère ! FANTASIA.
Délicieux tourment ! ENSEMBLE.
Ah ! ah ! |
Voici la nuit ! CAPRICE.
Nuit pleine de mystère ! FANTASIA.
Ne faisons pas de bruit, CAPRICE
Vous le voulez ? FANTASIA.
Oui ! je le veux ! CAPRICE.
Soit ! taisons-nous, que vos cheveux |
Est-ce bien comme cela ! CAPRICE.
Plus près encore ! FANTASIA.
Plus près, plus près, m’y voilà ! CAPRICE.
Je t’aime ! FANTASIA.
Je t’adore ! |
Enfin, mes yeux s’ouvrent au jour ! CAPRICE.
Elle sait m’aimer à son tour ! ENSEMBLE.
Ah ! ah ! |
Scène III
Vous savez, mon cher Cosmos, votre dîner… Enfin je compte me rattraper sur la fête…
Un instant… D’abord, je veux savoir ce qu’est devenue la princesse Fantasia.
C’est vrai… je ne la vois pas… Eh bien, et Caprice ? Il a disparu aussi ?
Votre fils n’est pas là… ô mon Dieu ! je tremble ! Où peuvent-ils bien être ?
Ah ! si vous saviez ce que je viens de voir !… La princesse et le prince, je les ai rencontrés se souriant !… s’embrassant !
Miséricorde ! à tout prix il faut les rattraper ! Courons.
Mais la fête ?
Il s’agit bien de cela ! je veux rattraper ma fille, entendez-vous ? Allons, venez avec nous !… courons, courons !
En voilà une fête !