Le Volontaire
monologue comique en vers
P. Ollendorff.


A Léon Landau.


Excusez ! C’est moi… L’on prétend

Que le ministre de la guerre

Est ici ? — C’est vrai ? — Justement

J’ai plus d’une plainte à lui faire…

Depuis trois jours, de mon état,

Monsieur, si parmi nous vous êtes,

Apprenez que je suis soldat…

Quel métier ! Mille baïonnettes !

Vous dire à quel point j’en suis las !

… Comme ministre de la guerre,

Vous ne savez peut-être pas

Bien ce que c’est qu’un militaire ?

Affreux ! — J’ai pincé dans trois jours

Vingt jours de salle de police ;

Si cela doit durer toujours,

J’en aurai dix fois mon service.

… Lundi j’arrive ; un vieux sergent

Me dit : « Holà ! cré mill’tonnerre,

» C’qu’on salu’donc plus maintenant ?

— Pardon, monsieur le militaire

» Fais-je alors, mais je ne crois pas

» Avoir l’honneur de vous connaître ;

» Et je vous vois du haut en bas

» Sans parvenir à vous remettre.

— F’rez deux jours sall’polic’ crebleu !

» C’est qu’ça donc ? Vot’nom un peu vite ? »

Tout abasourdi, voyant bleu,

Je tends ma carte de visite :

« C’qui m’a donné pareil crétin ?

» F’rez deux jours ! m’entendez ? tonnerre !

» … Crétin ! Oui… t-a-i-n tin ! »

Et j’ai mes quatre jours à faire.

Non, c’est révoltant, quoi qu’on dise,

De s’entendre à tous les moments

Punir à la moindre bêtise

Par de vulgaires ignorants ;

Par des gens qui, soir et matin,

Dans un style de télégraphe

Viennent vous traiter de « crétin ! »

Sans même y mettre l’orthographe.

… Enfin avant-hier, c’est plus fort !

L’on nous commande à l’exercice :

— Vous allez voir si j’avais tort. -

« Portez arme ! » Belle malice !

Moi qui ne suis pas un gogo,

Tout seul je reste l’arme à terre.

« Eh bien ! hurle-t-on, grand nigaud

» Pour quand ? — Oui, bernick ! petit père !

» Je n’aurai pas porté plus tôt

»L’arme, que, la chose est certaine,

»Il me faudra tout aussitôt

»La reposer ! C’est pas la peine. »

Bien v’lan ! Autre punition.

Oui ! — Tenez, on nous crie en face

Plus tard : « droite conversion ! »

Et chacun de tourner sur place.

Quant à moi, je ne bronche pas.

Honte ! est-ce ainsi que l’on débauche,

Que l’on débauche des soldats !

Mon père est député de gauche,

Honneur à son opinion !

A son parti je me rallie.

« Qui ? moi ! faire conversion

A droite ? Jamais de la vie ! »

Ça m’a valu ni plus ni moins,

Deux jours de salle de police !

Je les ferai ! Mais néanmoins,

Je crierai haut à l’injustice…

Avant d’entrer au régiment

Je m’étais fait, plein de prudence,

Au colonel sournoisement

Recommander avec instance.

Sitôt l’exercice fini,

Couvant dans mon cœur ma colère,

Je demande à monter chez lui

Pour lui détailler mon affaire.

Il me reçoit d’un air grognon :

— D’ailleurs c’est toujours de la sorte, -

« C’est vous qu’on nomme Potiron ?

— Pruneau ! mon colonel. — N’importe !

»Pruneau, Potiron, c’est tout un.

» C’est toujours chose qui se mange,

» Et faut pas faire le malin

» Savez, cré nom ! ou je vous range !

» Vous m’êtes recommandé vous !…

» Par chose !… Que je me rappelle !

» Un de vos parents ?… Vertuchoux !

» Ce crétin !… comment qu’on l’appelle ?

» Un nom en « off » ? Ah ! oui : « Trucard » -

— Non, mon colonel : « La Rusée ».

— Là-dessus le voilà qui part,

Qui monte comme une fusée :

« Cré nom ! « La Rusée » ou « Trucard »

» C’est peut-être pas même chose ?

» Me prenez donc pour un jobard ?

» Faut pas nous la faire à la pose !

» Quand vous m’aurez bien regardé ?

» Coucherez ce soir à la caisse !

» Allez !… m’êtes recommandé,

» Vous !… Soignerai ! Faut que ça cesse !

Moi j’écumais : « Ah ! c’est cela ?

» J’irai me plaindre ! » Il devient bistre :

« Cré nom !… prison ! ce crétin-là !…

» Et pouvez vous plaindre au ministre !… »

— Mais certainement que j’irai !

» Ah ! bien, si vous croyez me faire

» Peur ! » et sans plus hésiter, j’ai

Couru bien vite au ministère

Et me voilà ! — Vous savez tout

Monsieur, et voyez mes supplices,

Comprenez-vous qu’on soit à bout

Devant toutes ces injustices.

Bien non ! c’est trop d’obsession !

Assez du métier militaire,

Acceptez ma démission…

Et ramenez-moi chez ma mère.