Le Vigneron dans sa vigne/La Cruche

Le Vigneron dans sa vigneMercure de France. (p. 198-199).



LA CRUCHE


Voilà Jérôme dans sa quatre-vingtième année.

Comme il a le pain assuré, il ne sort guère que pour prendre l’air. Une heure ou deux par jour, il traîne dehors son pied inguérissable. Il n’est utile que pour aller, quand le puits du jardin manque d’eau, jusqu’à la source du bois.

Il porte la cruche par l’anse de corde, à la main et non sur l’épaule comme les Samaritaines.

Arrivé à la source, il se désaltère d’abord lui-même : il boit frais et pour sa journée, afin de laisser à sa famille la cruche tout entière. Il la remplit et revient à la maison. Il marche avec une lenteur telle, aidé d’un bâton, qu’il ne répand jamais rien de la cruche.

Quand il la remet aux siens qui l’attendaient la gorge sèche, il pourrait se vanter de n’avoir pas perdu une goutte d’eau.

Elle a seulement, bien que la source ne soit pas loin, un peu tiédi en route.