Le Vigneron dans sa vigne/L’Épingle

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Le Vigneron dans sa vigneMercure de France. (p. 217-218).



L’ÉPINGLE


Lorsque son fiancé partit pour la guerre, Blanche lui fit cadeau d’une épingle qu’il jura de garder précieusement.

— Vous me la donnez, dit Pierre, sans doute pour que je pense à vous.

— Non, dit-elle, je sais que vous ne m’oublierez jamais.

— Vous me la donnez peut-être pour qu’elle me porte bonheur ?

— Non, je ne suis pas superstitieuse.

— Je ne cherche plus à comprendre, dit Pierre, il suffit qu’elle me vienne de vous et que vous m’aimiez.

— Je vous aime, dit Blanche, mais mon épingle vous servira.

Or il arriva qu’au feu Pierre reçut une balle dans le bras gauche et qu’il fallut le lui couper.

— Je connais Blanche, dit-il, par délicatesse elle hâtera notre mariage.

Il revint et sa première visite fut pour elle. Comme il marchait sur la route, fier d’être au monde, d’un pas pressé, il observa sa manche vide.

Elle pendait, inerte, toute plate, ou se balançait de droite et de gauche, sans mesure, ou sautillait comme un tronçon de bête.

— Cette tenue négligée, dit Pierre, me ridiculise un peu.

De la main qui lui restait, il releva sa manche et, l’ayant pliée en deux, il la fixa proprement à son épaule, avec l’épingle.