Le Vicomte de Bragelonne/Chapitre CXIV

Michel Lévy frères (p. 343-348).
◄  CXIII
CXV  ►


CXIV

LES NYMPHES DU PARC DE FONTAINEBLEAU


Le roi demeura un instant à jouir de son triomphe, qui, nous l’avons dit, était aussi complet que possible.

Puis il se retourna vers Madame pour l’admirer aussi un peu à son tour.

Les jeunes gens aiment peut-être avec plus de vivacité, plus d’ardeur, plus de passion que les gens d’un âge mûr ; mais ils ont en même temps tous les autres sentiments développés dans la proportion de leur jeunesse et de leur vigueur, en sorte que l’amour-propre étant presque toujours, chez eux, l’équivalent de l’amour, ce dernier sentiment, combattu par les lois de la pondération, n’atteint jamais le degré de perfection qu’il acquiert chez les hommes et les femmes de trente à trente-cinq ans.

Louis pensait donc à Madame, mais seulement après avoir bien pensé à lui-même, et Madame pensait beaucoup à elle-même, peut-être sans penser le moins du monde au roi.

Mais la victime, au milieu de tous ces amours et amours-propres royaux, c’était de Guiche.

Aussi tout le monde put-il remarquer à la fois l’agitation et la prostration du pauvre gentilhomme, et cette prostration, surtout, était d’autant plus remarquable que l’on n’avait pas l’habitude de voir ses bras tomber, sa tête s’alourdir, ses yeux perdre leur flamme. On n’était pas d’ordinaire inquiet sur son compte quand il s’agissait d’une question d’élégance et de goût.

Aussi la défaite de Guiche fut-elle attribuée, par le plus grand nombre, à son habileté de courtisan.

Mais d’autres aussi, les yeux sont clairvoyants à la cour, mais d’autres aussi remarquèrent sa pâleur et son atonie, pâleur et atonie qu’il ne pouvait ni feindre ni cacher, et ils en conclurent, avec raison, que de Guiche ne jouait pas une comédie d’adulation.

Ces souffrances, ces succès, ces commentaires furent enveloppés, confondus, perdus dans le bruit des applaudissements.

Mais, quand les reines eurent témoigné leur satisfaction, les spectateurs leur enthousiasme ; quand le roi se fut rendu à sa loge pour changer de costume, tandis que Monsieur, habillé en femme, selon son habitude, dansait à son tour, de Guiche, rendu à lui-même, s’approcha de Madame, qui, assise au fond du théâtre, attendait la deuxième entrée, et s’était fait une solitude au milieu de la foule, comme pour méditer à l’avance ses effets chorégraphiques.

On comprend que, absorbée par cette grave méditation, elle ne vît point ou fît semblant de ne pas voir ce qui se passait autour d’elle.

De Guiche, la trouvant donc seule auprès d’un buisson de toile peinte, s’approcha de Madame.

Deux de ses demoiselles d’honneur, vêtues en Hamadryades, voyant de Guiche s’approcher, se reculèrent par respect.

De Guiche s’avança donc au milieu du cercle et salua Son Altesse Royale.

Mais Son Altesse Royale, qu’elle eût remarqué ou non le salut, ne tourna même point la tête.

Un frisson passa dans les veines du malheureux ; il ne s’attendait point à une aussi complète indifférence, lui qui n’avait rien vu, lui qui n’avait rien appris, lui qui, par conséquent, ne pouvait rien deviner.

Donc, voyant que son salut n’obtenait aucune réponse, il fit un pas de plus, et, d’une voix qu’il s’efforçait, mais inutilement, de rendre calme :

— J’ai l’honneur, dit-il, de présenter mes bien humbles respects à Madame.

Cette fois Son Altesse Royale daigna tourner ses yeux languissants vers le comte.

— Ah ! monsieur de Guiche, dit-elle, c’est vous ; bonjour !

Et elle se retourna.

La patience faillit manquer au comte.

— Votre Altesse Royale a dansé à ravir tout à l’heure, dit-il.

— Vous trouvez ? fit négligemment Madame.

— Oui, le personnage est tout à fait celui qui convient au caractère de Son Altesse Royale.

Madame se retourna tout à fait, et, regardant de Guiche avec son œil clair et fixe :

— Comment cela ? dit-elle.

— Sans doute.

— Expliquez-vous ?

— Vous représentez une divinité belle, dédaigneuse et légère, fit-il.

— Vous voulez parler de Pomone, monsieur le comte ?

— Je parle de la déesse que représente Votre Altesse Royale.

Madame demeura un instant les lèvres crispées.

— Mais vous-même, monsieur, dit-elle, n’êtes-vous pas aussi un danseur parfait ?

— Oh ! moi, Madame, je suis de ceux qu’on ne distingue point, et qu’on oublie si par hasard on les a distingués.

Et sur ces paroles, accompagnées d’un de ces soupirs profonds qui font tressaillir les dernières fibres de l’être, le cœur plein d’angoisses et de palpitations, la tête en feu, l’œil vacillant, il salua, haletant, et se retira derrière le buisson de toile.

Madame, pour toute réponse, haussa légèrement les épaules.

Et comme ses dames d’honneur s’étaient, ainsi que nous l’avons dit, retirées par discrétion durant le colloque, elle les rappela du regard.

C’étaient mesdemoiselles de Tonnay-Charente et de Montalais.

Toutes deux, à ce signe de Madame, s’approchèrent avec empressement.

— Avez-vous entendu, Mesdemoiselles ? demanda la princesse.

— Quoi, Madame ?

— Ce que M. le comte de Guiche a dit.

— Non.

— En vérité, c’est une chose remarquable, continua la princesse avec l’accent de la compassion, combien l’exil a fatigué l’esprit de ce pauvre M. de Guiche.

Et plus haut encore, de peur que le malheureux ne perdît une parole :

— Il a mal dansé d’abord, continua-t-elle ; puis, ensuite, il n’a dit que des pauvretés.

Puis elle se leva, fredonnant l’air sur lequel elle allait danser.

Guiche avait tout entendu. Le trait pénétra au plus profond de son cœur et le déchira.
Voyez-vous cette belle arriérée qui va seule, tête baissée ? — Page 340

Alors, au risque d’interrompre tout l’ordre de la fête par son dépit, il s’enfuit, mettant en lambeaux son bel habit de Vertumne, et semant sur son chemin les pampres, les mûres, les feuilles d’amandier et tous les petits attributs artificiels de sa divinité.

Un quart d’heure après, il était de retour sur le théâtre. Mais il était facile de comprendre qu’il n’y avait qu’un puissant effort de la raison sur la folie qui avait pu le ramener, ou peut-être, le cœur est ainsi fait, l’impossibilité même de rester plus longtemps éloigné de celle qui lui brisait le cœur.

Madame achevait son pas.

Elle le vit, mais ne le regarda point ; et lui, irrité, furieux, lui tourna le dos à son tour lorsqu’elle passa escortée de ses nymphes et suivie de cent flatteurs.

Pendant ce temps, à l’autre bout du théâtre, près de l’étang, une femme était assise, les yeux fixés sur une des fenêtres du théâtre.

De cette fenêtre s’échappaient des flots de lumière.

Cette fenêtre, c’était celle de la loge royale.

De Guiche en quittant le théâtre, de Guiche en allant chercher l’air dont il avait si grand besoin, de Guiche passa près de cette femme et la salua.

Elle, de son côté, en apercevant le jeune homme, s’était levée comme une femme surprise au milieu d’idées qu’elle voudrait se cacher à elle-même.

Guiche la reconnut. Il s’arrêta.

— Bonsoir, Mademoiselle ! dit-il vivement.

— Bonsoir, monsieur le comte !

— Ah ! mademoiselle de La Vallière, continua de Guiche, que je suis heureux de vous rencontrer !

— Et moi aussi, monsieur le comte, je suis heureuse de ce hasard, dit la jeune fille en faisant un mouvement pour se retirer.

— Oh ! non ! non ! ne me quittez pas, dit de Guiche en étendant la main vers elle ; car vous démentiriez ainsi les bonnes paroles que vous venez de dire. Restez, je vous en supplie ; il fait la plus belle soirée du monde. Vous fuyez le bruit, vous ! Vous aimez votre société à vous seule, vous ! Eh bien, oui, je comprends cela ; toutes les femmes qui ont du cœur sont ainsi. Jamais on n’en verra une s’ennuyer loin du tourbillon de tous ces plaisirs bruyants ! Oh ! Mademoiselle ! Mademoiselle !

— Mais qu’avez-vous donc, monsieur le comte ? demanda La Vallière avec un certain effroi. Vous semblez agité.

— Moi ? Non pas ; non.

— Alors, monsieur de Guiche, permettez-moi de vous faire ici le remerciement que je me proposais de vous faire à la première occasion. C’est à votre protection, je le sais, que je dois d’avoir été admise parmi les filles d’honneur de Madame.

— Ah ! oui, vraiment, je m’en, souviens et je m’en félicite, Mademoiselle. Aimez-vous quelqu’un, vous ?

— Moi ?

— Oh ! pardon, je ne sais ce que je dis ; pardon mille fois. Madame avait raison, bien raison ; cet exil brutal a complètement bouleversé mon esprit.

— Mais le roi vous a bien reçu, ce me semble, monsieur le comte ?

— Trouvez-vous ?… Bien reçu… peut-être… oui…

— Sans doute, bien reçu ; car, enfin, vous revenez sans congé de lui ?

— C’est vrai, et je crois que vous avez raison, Mademoiselle. Mais n’avez vous point vu par ici M. le vicomte de Bragelonne ?

La Vallière tressaillit à ce nom.

— Pourquoi cette question ? demanda-t-elle.

— Oh ! mon Dieu ! vous blesserais-je encore ? fit de Guiche. En ce cas, je suis bien malheureux, bien à plaindre !

— Oui, bien malheureux, bien à plaindre, monsieur de Guiche, car vous paraissez horriblement souffrir.

— Oh ! Mademoiselle, que n’ai-je une sœur dévouée, une amie véritable !

— Vous avez des amis, monsieur de Guiche, et M. le vicomte de Bragelonne, dont vous parliez tout à l’heure, est, il me semble, un de ces bons amis.

— Oui, oui, en effet, c’est un de mes bons amis. Adieu, Mademoiselle, adieu ! recevez tous mes respects.

Et il s’enfuit comme un fou du côté de l’étang.

Son ombre noire glissait grandissante parmi les ifs lumineux et les larges moires resplendissantes de l’eau.

La Vallière le regarda quelque temps avec compassion.

— Oh ! oui, oui, dit-elle, il souffre et je commence à comprendre pourquoi.

Elle achevait à peine, lorsque ses compagnes, mesdemoiselles de Montalais et de Tonnay-Charente, accoururent.

Elles avaient fini leur service, dépouillé leurs habits de nymphes, et, joyeuses de cette belle nuit, du succès de la soirée, elles revenaient trouver leur compagne.

— Eh quoi, déjà ! lui dirent-elles. Nous croyions arriver les premières au rendez-vous.

— J’y suis depuis un quart d’heure, répondit La Vallière.

— Est-ce que la danse ne vous a point amusée ?

— Non.

— Et tout le spectacle.

— Non plus. En fait de spectacle, j’aime bien mieux celui de ces bois noirs au fond desquels brille çà et là une lumière qui passe comme un œil rouge, tantôt ouvert, tantôt fermé.

— Elle est poëte, cette La Vallière, dit Tonnay-Charente.

— C’est-à-dire insupportable, fit Montalais. Toutes les fois qu’il s’agit de rire un peu ou de s’amuser de quelque chose, La Vallière pleure ; toutes les fois qu’il s’agit de pleurer, pour nous autres femmes, chiffons perdus, amour-propre piqué, parure sans effet, La Vallière rit.

— Oh ! quant à moi, je ne puis être de ce caractère, dit mademoiselle de Tonnay-Charente. Je suis femme, et femme comme on ne l’est pas ; qui m’aime me flatte, qui me flatte me plaît par sa flatterie, et qui me plaît…

— Eh bien ! tu n’achèves pas ? dit Montalais.

— C’est trop difficile, répliqua mademoiselle de Tonnay-Charente en riant aux éclats. Achève pour moi, toi qui as tant d’esprit.

— Et vous, Louise, dit Montalais, vous plaît-on ?

— Cela ne regarde personne, dit la jeune fille en se levant du banc de mousse où elle était restée étendue pendant tout le temps qu’avait duré le ballet. Maintenant, Mesdemoiselles, nous avons formé le projet de nous divertir cette nuit sans surveillants et sans escorte. Nous sommes trois, nous nous plaisons l’une à l’autre, il fait un temps superbe ; regardez là-bas, voyez la lune qui monte doucement au ciel et argente les cimes des marronniers et des chênes. Oh ! la belle promenade ! oh ! la belle liberté ! la belle herbe fine des bois, la belle faveur que me fait votre amitié ; prenons-nous par le bras et gagnons les grands arbres. Ils sont tous, en ce moment, attablés et actifs là-bas, occupés à se parer pour une promenade d’apparat ; on selle les chevaux, on attelle les voitures, les mules de la reine ou les quatre cavales blanches de Madame. Nous, gagnons vite un endroit où nul œil ne vous devine, où nul pas ne marche dans notre pas. Vous rappelez-vous, Montalais, les bois de Cheverny et de Chambord, les peupliers sans fin de Blois ? Nous avons échangé là-bas bien des espérances.

— Bien des confidences aussi.

— Oui.

— Moi, dit mademoiselle de Tonnay-Charente, je pense beaucoup aussi ; mais prenez garde…

— Elle ne dit rien, fit Montalais, de sorte que ce que pense mademoiselle de Tonnay-Charente, Athénaïs seule le sait.

— Chut ! s’écria mademoiselle de La Vallière, j’entends des pas qui viennent de ce côté.

— Eh ! vite ! vite ! dans les roseaux, dit Montalais ; baissez-vous, Athénaïs, vous qui êtes si grande.

Mademoiselle de Tonnay-Charente se baissa effectivement.

Presque aussitôt on vit, en effet, deux gentilshommes s’avancer, la tête inclinée, les bras entrelacés, et marchant sur le sable fin de l’allée parallèle au rivage.

Les femmes se firent petites, imperceptibles.

— C’est M. de Guiche, dit Montalais à l’oreille de mademoiselle de Tonnay-Charente.

— C’est M. de Bragelonne, dit celle-ci à l’oreille de La Vallière.

Les deux jeunes gens continuaient de s’approcher en causant d’une voix animée.

— C’est par ici qu’elle était tout à l’heure, dit le comte. Si je n’avais fait que la voir, je dirais que c’est une apparition ; mais je lui ai parlé.

— Ainsi, vous êtes sûr ?

— Oui ; mais peut-être aussi lui ai-je fait peur.

— Comment cela ?

— Eh ! mon Dieu ! j’étais encore fou de ce que vous savez, de sorte qu’elle n’aura rien compris à mes discours et aura pris peur.

— Oh ! dit Bragelonne, ne vous inquiétez pas, mon ami. Elle est bonne, elle excusera ; elle a de l’esprit, elle comprendra.

— Oui ; mais, si elle a compris, trop bien compris.

— Après ?

— Et qu’elle parle.

— Oh ! vous ne connaissez pas Louise, comte, dit Raoul. Louise a toutes les vertus, et n’a pas un seul défaut.

Et les jeunes gens passèrent là-dessus, et, comme ils s’éloignaient, leurs voix se perdirent peu à peu.

— Comment ! La Vallière, dit mademoiselle de Tonnay-Charente, M. le vicomte de Bragelonne a dit Louise en parlant de vous. Comment cela se fait-il ?

— Nous avons été élevés ensemble, répondit mademoiselle de La Vallière ; tout enfants, nous nous connaissions.

— Et puis M. de Bragelonne est ton fiancé, chacun sait cela.

— Oh ! je ne le savais pas, moi. Est-ce vrai, Mademoiselle ?

— C’est-à-dire, répondit Louise en rougissant, c’est-à-dire que M. de Bragelonne m’a fait l’honneur de me demander ma main… mais…

— Mais quoi ?

— Mais il paraît que le roi…

— Eh bien ?

— Que le roi ne veut pas consentir à ce mariage.

— Eh ! pourquoi le roi ? et qu’est-ce que le roi ? s’écria Aure avec aigreur. Le roi a-t-il donc le droit de se mêler de ces choses-là, bon Dieu ?… « La poulitique est la poulitique, comme disait M. de Mazarin ; ma l’amor, il est l’amor. » Si donc tu aimes M. de Bragelonne, et, s’il t’aime, épousez-vous. Je vous donne mon consentement, moi.

Athénaïs se mit à rire.

— Oh ! je parle sérieusement, répondit Montalais, et mon avis en ce cas vaut bien l’avis du roi, je suppose. N’est-ce pas, Louise ?

— Voyons, voyons, ces messieurs sont passés, dit La Vallière ; profitons donc de la solitude pour traverser la prairie et nous jeter dans le bois.

— D’autant mieux, dit Athénaïs, que voilà des lumières qui partent du château et du théâtre, et qui me font l’effet de précéder quelque illustre compagnie.

— Courons, dirent-elles toutes trois.

Et relevant gracieusement les longs plis de leurs robes de soie, elles franchirent lestement l’espace qui s’étendait entre l’étang et la partie la plus ombragée du parc.

Montalais, légère comme une biche ; Athénaïs, ardente comme une jeune louve, bondissaient dans l’herbe sèche, et parfois un Actéon téméraire eût pu apercevoir dans la pénombre leur jambe pure et hardie se dessinant sous l’épais contour des jupes de satin.

La Vallière, plus délicate et plus pudique, laissa flotter ses robes ; retardée ainsi par la faiblesse de son pied, elle ne tarda point à demander sa grâce.

Et, demeurée en arrière, elle força ses deux compagnes à l’attendre.

En ce moment, un homme, caché dans un fossé plein de jeunes pousses de saules, remonta vivement sur le talus de ce fossé et se mit à courir dans la direction du château.

Les trois femmes, de leur côté, atteignirent les lisières du parc, dont toutes les allées leur étaient connues.

De grandes allées fleuries s’élevaient autour des fossés ; des barrières fermées protégeaient de ce côté les promeneurs contre l’envahissement des chevaux et des calèches.

En effet, on entendait rouler dans le lointain, sur le sol ferme des chemins, les carrosses des reines et de Madame. Plusieurs cavaliers les suivaient avec le bruit si bien imité par les vers cadencés de Virgile.

Quelques musiques lointaines répondaient au bruit, et, quand les harmonies cessaient, le rossignol, chanteur plein d’orgueil, envoyait à la compagnie qu’il sentait rassemblée sous les ombrages, les chants les plus compliqués, les plus suaves et les plus savants.

Autour du chanteur, brillaient, dans le fond noir des gros arbres, les yeux de quelque chat-huant sensible à l’harmonie.

De sorte que cette fête de toute la cour était aussi la fête des hôtes mystérieux des bois ; car assurément la biche écoutait dans sa fougère, le faisan sur sa branche, le renard dans son terrier.

On devinait la vie de toute cette population nocturne et invisible, aux brusques mouvements qui s’opéraient tout à coup dans les feuilles.

Alors les nymphes des bois poussaient un petit cri ; puis, rassurées à l’instant même, riaient et reprenaient leur marche.

Et elles arrivèrent ainsi au chêne royal, vénérable reste d’un chêne qui, dans sa jeunesse, avait entendu les soupirs de Henri II pour la belle Diane de Poitiers, et plus tard ceux de Henri IV pour la belle Gabrielle d’Estrées.

Sous ce chêne, les jardiniers avaient accumulé la mousse et le gazon, de telle sorte que jamais siège circulaire n’avait mieux reposé les membres fatigués d’un roi.

Le tronc de l’arbre formait un dossier rugueux, mais suffisamment large pour quatre personnes.

Sous les rameaux qui obliquaient vers le tronc, les voix se perdaient en filtrant vers les cieux.