Le Vicomte de Bragelonne/Chapitre CLXXVII

Michel Lévy frères (p. 547-550).
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CLXXVII

LE COURRIER DE MADAME.

Charles II était entrain de prouver ou d’essayer de prouver à miss Stewart qu’il ne s’occupait que d’elle ; en conséquence, il lui promettait un amour pareil à celui que son aïeul Henri IV avait eu pour Gabrielle.

Malheureusement pour Charles II, il était tombé sur un mauvais jour, sur un jour où miss Stewart s’était mis en tête de le rendre jaloux.

Aussi, à cette promesse, au lieu de s’attendrir comme l’espérait Charles II, se mit-elle à éclater de rire.

— Oh ! sire, sire, s’écria-t-elle tout en riant, si j’avais le malheur de vous demander une preuve de cet amour, combien serait-il facile de voir que vous mentez.

— Écoutez, lui dit Charles, vous connaissez mes cartons de Raphaël ; vous savez si j’y tiens ; le monde me les envie. Vous savez encore cela : mon père les fit acheter par Van Dyck. Voulez-vous que je les fasse porter aujourd’hui même chez vous ?

— Oh ! non, répondit la jeune fille ; gardez-vous-en bien, sire, je suis trop à l’étroit pour loger de pareils hôtes.

— Alors je vous donnerai Hampton-Court pour mettre les cartons.

— Soyez moins généreux, sire, et aimez plus longtemps, voilà tout ce que je vous demande.

— Je vous aimerai toujours ; n’est-ce pas assez ?

— Vous riez, sire.

— Voulez-vous que je pleure ?

— Non ; mais je voudrais vous voir un peu plus mélancolique.

— Merci Dieu ! ma belle, je l’ai été assez longtemps : quatorze ans d’exil, de pauvreté, de misère ; il me semblait que c’était une dette payée ; et puis la mélancolie enlaidit.

— Non pas, voyez plutôt le jeune Français.

— Oh ! le vicomte de Bragelonne, vous aussi ! Dieu me damne ! elles en deviendront toutes folles les unes après les autres ; d’ailleurs, lui, il a raison d’être mélancolique.

— Et pourquoi cela ?

— Ah bien ! il faut que je vous livre les secrets d’État.

— Il le faut si je le veux, puisque vous avez dit que vous étiez prêt à faire tout ce que je voudrais.

— Eh bien, il s’ennuie de son pays, là ! Êtes-vous contente ?

— Il s’ennuie ?

— Oui, preuve qu’il est un niais.

— Comment, un niais ?

— Sans doute. Comprenez-vous cela ? Je lui permets d’aimer Miss Mary Graffton, et il s’ennuie !

— Bon ! il paraît que si vous n’étiez pas aimé de miss Lucy Stewart, vous vous consoleriez, vous, en aimant Miss Mary Graffton ?

— Je ne dis pas cela : d’abord, vous savez bien que Mary Graffton ne m’aime pas ; or, on ne se console d’un amour perdu que par un amour trouvé. Mais, encore une fois, ce n’est pas de moi qu’il est question, c’est de ce jeune homme. Ne dirait-on pas que celle qu’il laisse derrière lui est une Hélène, une Hélène avant Paris, bien entendu.

— Mais il laisse donc quelqu’un, ce gentilhomme ?

— C’est-à-dire qu’on le laisse.

— Pauvre garçon ! Au fait, tant pis ?

— Comment, tant pis ?

— Oui, pourquoi s’en va-t-il ?

— Croyez-vous que ce soit de son gré qu’il s’en aille ?

— Il est donc forcé ?

— Par ordre, ma chère Stewart, il a quitté Paris par ordre.

— Et par quel ordre ?

— Devinez.

— Du roi ?

— Juste.

— Ah ! vous m’ouvrez les yeux.

— N’en dites rien, au moins.

— Vous savez bien que, pour la discrétion, je vaux un homme. Ainsi le roi le renvoie ?

— Oui.

— Et, pendant son absence, il lui prend sa maîtresse.

— Oui, et, comprenez-vous, le pauvre enfant, au lieu de remercier le roi, il se lamente !

— Remercier le roi de ce qu’il lui enlève sa maîtresse. Ah ça ! mais ce n’est pas galant le moins du monde, pour les femmes en général et pour les maîtresses en particulier, ce que vous dites là, sire.

— Mais comprenez donc, parbleu ! Si celle que le roi lui enlève était une miss Graffton ou une miss Stewart, je serais de son avis, et je ne le trouverais même pas assez désespéré ; mais c’est une petite fille maigre et boiteuse… Au diable soit de la fidélité ! comme on dit en France. Refuser celle qui est riche pour celle qui est pauvre, celle qui l’aime pour celle qui le trompe, a-t-on jamais vu cela ?

— Croyez-vous que Mary ait sérieusement envie de plaire au vicomte, sire ?

— Oui, je le crois.

— Eh bien, le vicomte s’habituera à l’Angleterre. Mary a bonne tête, et, quand elle veut, elle veut bien.

— Ma chère miss Stewart, prenez garde, si le vicomte s’acclimate à notre pays : il n’y a pas longtemps, avant-hier encore, il m’est venu demander la permission de le quitter.

— Et vous la lui avez refusée ?

— Je le crois bien ! le roi mon frère a trop à cœur qu’il soit absent, et, quant à moi, j’y mets de l’amour-propre : il ne sera pas dit que j’aurai tendu à ce youngman le plus noble et le plus doux appât de l’Angleterre…

— Vous êtes galant, sire, dit miss Stewart avec une charmante moue.

— Je ne compte pas miss Stewart, dit le roi, celle-là est un appât royal, et, puisque je m’y suis pris, un autre, j’espère, ne s’y prendra point ; je dis donc, enfin, que je n’aurai pas fait inutilement les doux yeux à ce jeune homme ; il restera chez nous, il se mariera chez nous, ou, Dieu me damne !…

— Et j’espère bien qu’une fois marié, au lieu d’en vouloir à Votre Majesté, il lui en sera reconnaissant ; car tout le monde s’empresse à lui plaire, jusqu’à M. de Buckingham qui, chose incroyable, s’efface devant lui.

— Et jusqu’à miss Stewart, qui l’appelle un charmant cavalier.

— Écoutez, sire, vous m’avez assez vanté miss Graffton, passez-moi à mon tour un peu de Bragelonne. Mais, à propos, sire, vous êtes depuis quelque temps d’une bonté qui me surprend ; vous songez aux absents, vous pardonnez les offenses, vous êtes presque parfait. D’où vient ?…

Charles II se mit à rire.

— C’est parce que vous vous laissez aimer, dit-il.

— Oh ! il doit y avoir une autre raison.

— Dame ! j’oblige mon frère Louis XIV.

— Donnez-m’en une autre encore.

— Eh bien, le vrai motif, c’est que Buckingham m’a recommandé ce jeune homme, et m’a dit : « Sire, je commence par renoncer, en faveur du vicomte de Bragelonne, à miss Graffton ; faites comme moi. »

— Oh ! c’est un digne gentilhomme, en vérité, que le duc.

— Allons, bien ; échauffez-vous maintenant la tête pour Buckingham. Il paraît que vous voulez me faire damner aujourd’hui.

En ce moment, on gratta à la porte.

— Qui se permet de nous déranger ? s’écria Charles avec impatience.

— En vérité, sire, dit Stewart, voilà un qui se permet de la plus suprême fatuité, et, pour vous en punir…

Elle alla elle-même ouvrir la porte.

— Ah ! c’est un messager de France, dit miss Stewart.

— Un messager de France ! s’écria Charles ; de ma sœur peut-être ?

— Oui, sire, dit l’huissier, et messager extraordinaire.

— Entrez, entrez, dit Charles.

Le courrier entra.

— Vous avez une lettre de madame la duchesse d’Orléans ? demanda le roi.

— Oui, sire, répondit le courrier, et tellement pressée, que j’ai mis vingt-six heures seulement pour l’apporter à Votre Majesté, et encore ai-je perdu trois quarts d’heure à Calais.

— On reconnaîtra ce zèle, dit le roi.

Et il ouvrit la lettre.

Puis, se prenant à rire aux éclats :

— En vérité, s’écria-t-il, je n’y comprends plus rien.

Et il relut la lettre une seconde fois.

Miss Stewart affectait un maintien plein de réserve, et contenait son ardente curiosité.

— Francis, dit le roi à son valet, que l’on fasse rafraîchir et coucher ce brave garçon, et que, demain, en se réveillant, il trouve à son chevet un petit sac de cinquante louis.

— Sire !

— Va, mon ami, va ! Ma sœur avait bien raison de te recommander la diligence ; c’est pressé.

Et il se remit à rire plus fort que jamais.

Le messager, le valet de chambre et miss Stewart elle-même ne savaient quelle contenance garder.

— Ah ! fit le roi en se renversant sur son fauteuil, et quand je pense que tu as crevé… combien de chevaux ?

— Deux.

— Deux chevaux pour apporter cette nouvelle ! C’est bien ; va, mon ami, va.

Le courrier sortit avec le valet de chambre.

Charles II alla à la fenêtre qu’il ouvrit, et, se penchant au-dehors :

— Duc, cria-t-il, duc de Buckingham, mon cher Buckingham, venez.

Le duc se hâta d’accourir ; mais, arrivé au seuil de la porte, et apercevant miss Stewart, il hésita à entrer.

— Viens donc, et ferme la porte, duc.

Le duc obéit, et, voyant le roi de si joyeuse humeur, s’approcha en souriant.

— Eh bien, mon cher duc, où en es-tu avec ton Français ?

— Mais j’en suis, de son côté, au plus pur désespoir, sire.

— Et pourquoi ?

— Parce que cette adorable miss Graffton veut l’épouser, et qu’il ne veut pas.

— Mais ce Français n’est donc qu’un Béotien ! s’écria miss Stewart ; qu’il dise oui, ou qu’il dise non, et que cela finisse.

— Mais, dit gravement Buckingham, vous savez, ou vous devez savoir, Madame, que M. de Bragelonne aime ailleurs.

— Alors, dit le roi venant au secours de miss Stewart, rien de plus simple ; qu’il dise non.

— Oh ! c’est que je lui ai prouvé qu’il avait tort de ne pas dire oui !

— Tu lui as donc avoué que sa La Valliere le trompait ?

— Ma foi ! oui, tout net.

— Et qu’a-t-il fait ?

— Il a fait un bond comme pour franchir le détroit.

— Enfin, dit miss Stewart, il a fait quelque chose  : c’est ma foi ! bien heureux.

— Mais, continua Buckingham, je l’ai arrêté : je l’ai mis aux prises avec miss Mary, et j’espère bien que, maintenant, il ne partira point, comme il en avait manifesté l’intention.

— Il manifestait l’intention de partir ? s’écria le roi.

— Un instant, j’ai douté qu’aucune puissance humaine fut capable de l’arrêter  ; mais les yeux de miss Mary sont braqués sur lui : il restera.

— Eh bien, voilà ce qui te trompe, Buckingham, dit le roi en éclatant de rire  ; ce malheureux est prédestiné.

— Prédestiné à quoi ?

— À être trompé, ce qui n’est rien ; mais à le voir, ce qui est beaucoup.

— À distance, et, avec l’aide de miss Graffton, le coup sera paré.

— Eh bien, pas du tout ; il n’y aura ni distance, ni aide de miss Graffton. Bragelonne partira pour Paris dans une heure.

Buckingham tressaillit, miss Stewart ouvrit de grands yeux.

— Mais, sire, Votre Majesté sait bien que c’est impossible, dit le duc.

— C’est-à-dire, mon cher Buckingham, qu’il est impossible, maintenant, que le contraire arrive.

— Sire, figurez-vous que ce jeune homme est un lion.

— Je le veux bien, Villiers.

— Et que sa colère est terrible.

— Je ne dis pas non, cher ami.

— S’il voit son malheur de près, tant pis pour l’auteur de son malheur.

— Soit ; mais que veux-tu que j’y fasse ?

— Fût-ce le roi, s’écria Buckingham, je ne répondrais pas de lui !

— Oh ! le roi a des mousquetaires pour le garder, dit Charles tranquillement ; je sais cela, moi, qui ai fait antichambre chez lui à Blois. Il a M. d’Artagnan. Peste ! voilà un gardien ! Je m’accommoderais, vois-tu de vingt colères comme celles de ton Bragelonne, si j’avais quatre gardiens comme M. d’Artagnan.

— Oh ! mais que Votre Majesté, qui est si bonne, réfléchisse, dit Buckingham.

— Tiens, dit Charles II en présentant la lettre au duc, lis, et réponds toi-même. À ma place, que ferais-tu ?

Buckingham prit lentement la lettre de Madame, et lut ces mots en tremblant d’émotion  :


« Pour vous, pour moi, pour l’honneur et le salut de tous, renvoyez immédiatement en France M. de Bragelonne.

« Votre sœur dévouée,

« Henriette. »


— Qu’en dis-tu, Villiers ?

— Ma foi ! sire, je n’en dis rien, répondit le duc stupéfait.

— Est-ce toi, voyons, dit le roi avec affectation, qui me conseillerais de ne pas obéir à ma sœur quand elle me parle avec cette insistance ?

— Oh ! non, non, sire, et cependant…

— Tu n’as pas lu le post-scriptum, Villiers  ; il est sous le pli, et m’avait échappé d’abord à moi-même : lis.

Le duc leva, en effet, un pli qui cachait cette ligne.

« Mille souvenirs a ceux qui m’aiment. »

Le front palissant du duc s’abaissa vers la terre ; la feuille trembla dans ses doigts, comme si le papier se fut changé en un plomb épais.

Le roi attendit un instant, et, voyant que Buckingham restait muet :

— Qu’il suive donc sa destinée, comme nous la nôtre, continua le roi ; chacun souffre sa passion en ce monde : j’ai eu la mienne, j’ai eu celle des miens, j’ai porté double croix. Au diable les soucis, maintenant ! Va, Villiers, va me quérir ce gentilhomme.

Le duc ouvrit la porte treillissée du cabinet, et, montrant au roi Raoul et Mary qui marchaient à côté l’un de l’autre :

— Oh ! sire, dit-il, quelle cruauté pour cette pauvre miss Graffton !

— Allons, allons, appelle, dit Charles II en fronçant ses sourcils noirs ; tout le monde est donc sentimental ici ? Bon : voilà miss Stewart qui s’essuie les yeux, à présent. Maudit Français, va !

Le duc appela Raoul, et, allant prendre la main de miss Graffton, il l’amena devant le cabinet du roi.

— Monsieur de Bragelonne, dit Charles II, ne me demandiez-vous pas, avant-hier, la permission de retourner à Paris ?

— Oui, sire, répondit Raoul, que ce début étourdit tout d’abord.

— Eh bien, mon cher vicomte, j’avais refusé, je crois ?

— Oui, sire.

— Et vous m’en avez voulu ?

— Non, sire ; car Votre Majesté refusait, certainement, pour d’excellents motifs ; Votre Majesté est trop sage et trop bonne pour ne pas bien faire tout ce qu’elle fait.

— Je vous alléguai, je crois, cette raison, que le roi de France ne vous avait pas rappelé ?

— Oui, sire, vous m’avez, en effet, répondu cela.

— Eh bien, j’ai réfléchi, monsieur de Bragelonne ; si le roi, en effet, ne vous a pas fixé le retour, il m’a recommandé de vous rendre agréable le séjour de l’Angleterre ; or, puisque vous me demandiez à partir, c’est que le séjour de l’Angleterre ne vous était pas agréable ?

— Je n’ai pas dit cela, sire.

— Non ; mais votre demande signifiait au moins, dit le roi, qu’un autre séjour vous serait plus agréable que celui-ci.

En ce moment, Raoul se tourna vers la porte contre le chambranle de laquelle miss Graffton était appuyée pâle et défaite.

Son autre bras était posé sur le bras de Buckingham.

— Vous ne répondez pas, poursuivit Charles ; le proverbe français est positif  : « Qui ne dit mot consent. » Eh bien, monsieur de Bragelonne, je me vois en mesure de vous satisfaire ; vous pouvez, quand vous voudrez, partir pour la France, je vous y autorise.

— Sire !… s’écria Raoul.

— Oh ! murmura Mary en étreignant le bras de Buckingham.

— Vous pouvez être ce soir à Douvres, continua le roi ; la marée monte à deux heures du matin.

Raoul, stupéfait, balbutia quelques mots qui tenaient le milieu entre le remercîment et l’excuse.

— Je vous dis donc adieu, monsieur de Bragelonne, et vous souhaite toutes sortes de prospérités, dit le roi en se levant ; vous me ferez le plaisir de garder, en souvenir de moi, ce diamant, que je destinais à une corbeille de noces.

Miss Graffton semblait près de défaillir.

Raoul reçut le diamant ; en le recevant, il sentait ses genoux trembler.

Il adressa quelques compliments au roi, quelques compliments à miss Stewart, et chercha Buckingham pour lui dire adieu.

Le roi profita de ce moment pour disparaître.

Raoul trouva le duc occupé à relever le courage de miss Graffton.

— Dites-lui de rester, Mademoiselle, je vous en supplie, murmurait Buckingham.

— Je lui dis de partir, répondit miss Graffton en se ranimant ; je ne suis pas de ces femmes qui ont plus d’orgueil que de cœur ; si on l’aime en France, qu’il retourne en France, et qu’il me bénisse, moi qui lui aurai conseillé d’aller trouver son bonheur. Si, au contraire, on ne l’aime plus, qu’il revienne, je l’aimerai encore, et son infortune ne l’aura point amoindri à mes yeux. Il y a dans les armes de ma maison ce que Dieu a gravé dans mon cœur  :

Habenti parum, egenti cuncta.

« Aux riches peu, aux pauvres tout. »

— Je doute, ami, dit Buckingham, que vous trouviez là-bas l’équivalent de ce que vous laissez ici.

— Je crois ou du moins j’espère, dit Raoul d’un air sombre, que ce que j’aime est digne de moi ; mais, s’il est vrai que j’ai un indigne amour, comme vous avez essayé de me le faire entendre, monsieur le duc, je l’arracherai de mon cœur, dussé-je arracher mon cœur avec l’amour.

Mary Graffton leva les yeux sur lui avec une expression d’indéfinissable pitié.

Raoul sourit tristement.

— Mademoiselle, dit-il, le diamant que le roi me donne était destiné à vous, laissez-moi vous l’offrir ; si je me marie en France, vous me le renverrez ; si je ne me marie pas, gardez-le.

Et, saluant, il s’éloigna.

— Que veut-il dire ? pensa Buckingham, tandis que Raoul serrait respectueusement la main glacée de miss Mary.

Miss Mary comprit le regard que Buckingham fixait sur elle.

— Si c’était une bague de fiançailles, dit-elle, je ne l’accepterais point.

— Vous lui offrez cependant de revenir à vous.

— Oh ! duc, s’écria la jeune fille avec des sanglots, une femme comme moi n’est jamais prise pour consolation par un homme comme lui.

— Alors, vous pensez qu’il ne reviendra pas ?

— Jamais, dit miss Graffton d’une voix étranglée.

— Eh bien, je vous dis, moi, qu’il trouvera là-bas son bonheur détruit, sa fiancée perdue… son honneur même entamé… Que lui restera-t-il donc qui vaille votre amour ? Oh ! dites, Mary, vous qui vous connaissez vous-même !

Miss Graffton posa sa blanche main sur le bras de Buckingham, et, tandis que Raoul fuyait dans l’allée des tilleuls avec une rapidité vertigineuse, elle chanta d’une voix mourante ces vers de Roméo et Juliette.

Il faut partir et vivre,
Ou rester et mourir.

Lorsqu’elle acheva le dernier mot, Raoul avait disparu.

Miss Graffton rentra chez elle, plus pâle et plus silencieuse qu’une ombre.

Buckingham profita du courrier qui était venu apporter la lettre au roi pour écrire à Madame et au comte de Guiche.

Le roi avait parlé juste. À deux heures du matin, la marée était haute, et Raoul s’embarquait pour la France.