Le Verger de l’Aurore

Le Verger de l’Aurore
Revue des Deux Mondes4e période, tome 129 (p. 673-677).
POESIE

LE VERGER DE L'AURORE


LE VERGER DE L’AURORE


L’Espoir qui plane encore au fond du ciel vernal,
De son vol immortel frôle les fronts moroses
Et fait tinter l’or clair du rire matinal
Dans l’éblouissement des rayons et des roses ;
Des arbres printaniers ne vois-tu pas neiger
En l’herbe haute les pétales blancs et roses ?
Sens-tu dans tes cheveux frémir le vent léger
Imprégné de l’ivresse unanime des choses,
Et l’heure resplendir dans l’auroral verger ?

Le hautbois chante au loin un chant irrésistible
Et tendre, qu’il alterne ou confond tour à tour
Avec les sons vibrant sous l’archet invisible,
Voluptueux et long, des violes d’amour ;
Dans l’air harmonieux passent en vols de rêve
Les ramiers roucoulans dont voici le retour.
Savoure la douceur de l’instant qui s’achève,
L’allégresse infinie et l’extase du jour ;
L’heure délicieuse est l’heure qu’on sait brève.

Les lumineux parfums, les odorans rayons
Montent vers le ciel rose où vibre leur lumière
Dans un palpitement d'ailes de papillons.
Sois la divine sœur de la rose trémière !
Fais rire aux gais échos tes rires puérils,
Et loin de la tristesse à ton cœur coutumière
Laisse, oublieuse enfin de ses futurs périls,
S'ouvrir comme une fleur ton âme printanière,
Et refleurir en toi tous les anciens avrils !


BLANCHE COURONNE


Vénérables gardiens du toit hospitalier,
Voici du haut portail les cèdres séculaires
Couvrant l'antique seuil d'un abri familier ;
Du fond de l'avenue on les voit éployer
Leur frondaison plus sombre aux cieux crépusculaires.

Voici la porte, la glycine et, brusquement,
Le mystère odorant et paisible du cloître,
Le préau tout en fleur et l’enguirlandement
Embaumé des piliers, dont on voit lentement,
Selon l'heure du jour, l'ombre croître ou décroître.

Le verger rayonnant et rose, le jardin,
Le vieux puits et les toits des basses métairies
D'où le vol des pigeons se disperse soudain,
Le perron dont les fleurs couvrent chaque gradin
Et les doux clairs de lune argentant les prairies.

O fleurs d'hortensias, de lys et de jasmins,
Clématites, glaïeuls, roses, roses trémières !
Guirlande merveilleuse effeuillée en mes mains.
Parfumez à jamais les tristes lendemains
Epanouissement des floraisons premières !

O bosquet ! ô charmille ! ô grand bois enchanté !
Pour avoir respiré l’harmonieux arôme
Des pins éoliens où vibre un vent d’été,
Au fond du cœur joyeux ou du cœur attristé
Chante éternellement votre voix qui l’embaume.

Vous pouvez vous flétrir, fleurs de l’aube et du soir,
Et l’ombre des jours morts peut errer sous les ombres
Des bois abandonnés et muets ; on peut voir
Le grand vol destructeur irrésistible et noir
Planer sinistrement sur les mornes décombres ;

J’ai bâti dans mon âme un cloître hospitalier,
Et pour qu’aux jours futurs l’heureux passé sourie,
De ses divines mains mon rêve familier
Suspend pieusement à son premier pilier
Une blanche couronne à tout jamais fleurie !


LE VENT PLUS TRISTE…


Le vent plus triste encor de défleurir les tombes,
A dispersé le vol des candides colombes
Dont l’essor tournoyant n’argente plus l’azur.
Comme la nuit fut longue ! et que l’air fut obscur
Sans le palpitement des invisibles ailes !
Comme mon jeune cœur se sentit seul sans elles !
Ah ! sur les grands rosiers du jardin matinal,
Reverrai-je posé leur blanc vol virginal ?
De mon âme d’enfant les trop mornes pensées
Seront-elles par l’aube à jamais effacées,
Et d’avoir effleuré les fleurs d’un heureux jour
Le vent sera-t-il pur tel qu’un parfum d’amour ?
Doux oiseaux de jadis, reviendrez-vous encore ?…
Mais je vois dans le ciel empourpré par l’aurore,
Au lieu du cher retour de mes légers espoirs,
Planer, assombrissant les fleurs, des cygnes noirs !



HALTE AU CRÉPUSCULE


LA PREMIÈRE SŒUR.


Obscur est le chemin, arides sont les landes
Et sombres les forêts ; Sœurs, ne sentez-vous pas
En vos doigts alanguis s’alourdir les guirlandes
Qui tombent sur la route où s’éloignent nos pas ?

LA DEUXIÈME SŒUR.


A l’aube de jadis nous vous avons cueillie,
Gerbe de fleurs d’amour ! gerbe de fleurs d’espoir
Qu’un frêle doigt d’enfant d’un fil fragile lie
Et qu’un vent automnal disperse en l’air du soir !

LA TROISIÈME SŒUR.


O jeunes fronts pâlis par d’anciennes années,
Portez-vous le fardeau de printemps ignorés ?
Etes-vous lourds d’un poids de floraisons fanées
Pour vous pencher ainsi, las et désespérés ?

LA PREMIÈRE SŒUR.


Le lys intérieur qui parfumait ma vie
Effeuille la candeur d’un calice argenté ;
Sa corolle ineffable en moi s’est défleurie
Et fa fleur sombre s’ouvre en mon cœur attristé.

LA DEUXIÈME SŒUR.


Combien d’avrils sont morts dans nos âmes moroses
Et d’oiseaux envolés que nous avons aimés !
Du funèbre parfum des expirantes roses
Nos cœurs sont pour toujours tristement embaumés.



LA TROISIÈME SŒUR.


Le sentier parcouru dans l’ombre se recule ;
De nos bouquets flétris nos bras sont allégés.
Arrêtons-nous, mes Sœurs. Voici le crépuscule
A jamais indulgent pour les cœurs affligés.

Puisque lointaine encore est la vieille demeure,
Reposons-nous. Les fleurs du soir vont s’entr’ouvrir,
Et, parmi la tendresse et le calme de l’heure,
Oublions un moment que nous devons mourir.


SUR LE FLEUVE


Ivre des frais parfums qui flottaient dans le vent,
Tu partis à l’aurore eu barque sur le fleuve ;
Debout près du rameur qui chantait à l’avant,
Joyeuse dans les plis clairs de ta robe neuve.

Et tout avait, — ta joie et tes rires épars,
La barque, les roseaux et, les fuyantes rives
Et les flots purs fleuris de pilles nénuphars, —
L’attrait mystérieux des choses fugitives.

Puis la barque a vogué sur le fleuve du soir ;
Un vent plus froid frôla tes cheveux et ta joue.
Près du rameur muet, grave, tu vins t’asseoir
A la silencieuse et taciturne proue.

La berge tout en fleur se prolonge et te fuit ;
La barque erre à jamais sur l’eau nocturne et sombre
Et, morne, en les longs plis de ton manteau de nuit
Tu la vois s’enfoncer dans la terreur de l’ombre.

Le noir reflet du ciel redouble ton tourment
Quand tu penches vers l’eau ta tête douloureuse
Et que tu vois, aux tiens fixés obstinément,
Les yeux, les tristes yeux de ta Sœur ténébreuse.