Adolphe Delahays, éditeur (p. 45-47).

III.

Deux Pistolets.

Il y a des maladies épouvantables. Quand un homme est sous la menace d’un de ces maux que la science n’a pu vaincre encore, son moral le tue. Il n’ose avancer, car l’incertitude est devant lui, paralysant tout l’avenir, éteignant toutes ses espérances.

Horatio Mackinguss, doué d’une intelligence active et grande, s’était créé une existence laborieuse qui réclamait sans cesse la tension de son esprit. Pour marcher avec fermeté et succès dans cette voie peut-être difficile, il lui fallait un corps sain, une tête libre. Or, une pensée toujours présente, impossible à rejeter, lassante, était à son cerveau. À tout instant un mal affreux pouvait le prendre, anéantir les moyens d’un drame dont les détails le possédaient peut-être plus que la soif du résultat. — La morsure de son chien menaçait d’être pour lui le gravier de Cromwell. Aussi, jugeant que le moral était en ceci le plus à craindre, il résolut de guérir son moral.

Je vais dire ici, en une seule page, un fait. Beaucoup, je le sais, auraient étendu cette scène en un long chapitre. Comme il me reste assez de choses à écrire, je me contente d’une réduction plus sommaire.

Horatio était Écossais. Les hommes de cette contrée ressemblent un peu aux femmes de nos provinces : ils sont superstitieux. Mackinguss croyait à une prédestinée. Le doute l’incommodant, il voulut jouer son destin, interroger Dieu.

Un jour il était seul dans son salon, à Paris.

Il sonna ; son domestique parut.

— William, vous connaissez l’armurier Lepage ?

— Oui, monsieur.

— Vous allez vous rendre chez lui. Là, vous achèterez deux pistolets semblables, entendez-vous, tout à fait semblables, que rien ne distingue l’un d’avec l’autre. Vous les placerez dans leur boite et vous reviendrez.

Une demi-heure après le valet, une boîte de pistolets à la main, rentrait dans la salle où se trouvait Horatio.

— Sont-ils semblables ? répondez, mais ne les montrez pas.

— Absolument semblables, monsieur.

— C’est bien. Portez cette boite dans mon cabinet ; vous ne verrez rien, car les volets sont hermétiquement fermés. Quand vous serez dans la chambre vous sortirez les pistolets de leur boite et les placerez sur la table. Allez.

Le domestique passa dans le cabinet, convaincu que que son maitre était fou. Une minute écoulée, il revenait dans le salon.

— Vous avez placé les deux pistolets ?…

— Sur la table, monsieur.

— Maintenant, approchez. Voici une charge de poudre, une balle et une amorce. Rentrez dans le cabinet et chargez un pistolet.

— Un seul ?…

— Vous êtes un imbécile !… Dépêchez-vous, je vous attends.

William eut bientôt exécuté l’ordre.

— Un des pistolets est chargé.

— C’est bien, laissez-moi.

Horatio, le visage calme, pénétra dans la chambre où régnait une obscurité complète. Quand il eut refermé la porte, il prit un des pistolets, appuya le bout du canon sur son front et lâcha la détente.