J.-M. Coustillier, éditeur (p. 416-418).

CHAPITRE VIII

Coup de foudre.

Le bandit se rendait chez la Sauvage qui, on ne l’a pas oublié, avait élu domicile au lupanar de son amie madame Paulia, l’ex-mère Poivre-et-Sel, que nous avons trouvée dans un bouge de barrière au début de ce drame.

Quand il se présenta, on le prit d’emblée pour un client et on l’introduisit dans un salon où se tenait la patronne.

Celle-ci entamait déjà une profonde révérence, mais Caudirol l’arrêta d’un geste.

— Ne vous dérangez pas outre mesure pour moi. Je viens voir votre pensionnaire la Sauvage.

— Ah ! vous êtes le chef… Elle m’a bien parlé de vous. Venez donc.

Une minute après Caudirol était dans les bras de sa maîtresse.

Les premières effusions échangées ? Caudirol raconta succinctement son voyage.

Il se garda de parler de son intimité avec madame Le Mordeley.

La Sauvage voulut montrer la maison à son amant.

— Écoute, lui dit-elle, il y a ici une femme qui est une vraie poule aux œufs d’or. Je voulais tout d’abord te la cacher. Mais je veux que tu la voies. J’ai confiance en toi.

— Et tu as raison, fit Caudirol, car il faudrait que cette créature fût bien extraordinaire pour éveiller seulement mon attention. Tu remplis mon cœur tout entier. Il n’y a point de place pour une autre.

La Sauvage baisa passionnément le bandit sur la bouche.

— Mon beau mâle ! fit-elle avec amour.

Et elle lui fit parcourir le lupanar.

— Tu vas voir Démone, dit-elle enfin.

— Démone ?

— Oui, c’est le nom ou le surnom de l’étoile dont je t’ai parlé. Je te l’ai gardée pour la bonne bouche.

La vue de toutes les femmes du lieu, nues et à demi-nues, les parfums, les tableaux lascifs, tous ces excitants avaient bouleversé les sens du bandit.

La Sauvage qui s’en aperçut sourit malicieusement.

— Va, dit-elle, pauvre ami. Je suis là.


Le soir même il prenait le train pour Paris.
Ses yeux lançaient des flammes.

Caudirol la tordit sous une caresse.

— Oui, dit-il, je suis fou de toi.

La Sauvage fit comme madame Paulia lors de sa première visite.

Elle introduisit son amant jusqu’à la chambre de la belle Démone et elle lui désigna le judas par où l’on pouvait regarder sans être vu.

Il y colla son œil et regarda curieusement.

Brusquement il se recula.

— Qu’as-tu ? demanda la Sauvage.

— Rien, répondit Caudirol tout pâle,

En lui-même il murmura :

— La baronne de Cénac, ici, vivante !

En effet la superbe créature qu’il avait entrevue n’était autre que la ressuscitée.

On sait par ce qui précède comment elle était tombée dans ce lieu de débauches après avoir échappé à Jean-Baptiste Flack…

Quand Caudirol quitta le lupanar, absorbé et inquiet, il ne remarqua point dans la cour une vieille femme qui eut une secousse nerveuse en l’apercevant.

— Lui ! le prêtre ! l’assassin de ma Pitchounette.

Il venait lui aussi d’être reconnu.

Son regard distrait était tombé sur l’italienne, recueillie par la Sauvage, mais elle était si changée par ses malheurs et sa folie qu’elle ne lui rappelait rien.

Le hasard semblait tourner tout à coup contre le bandit.

Foudroyé par la rencontre de madame de Cénac ou de son portrait vivant, il tombait sous le coup de la vengeance de la malheureuse mère.

Il s’en alla écrasé.