J.-M. Coustillier, éditeur (p. 272-277).

CHAPITRE VII

Le Magistrat à la maison.

Après avoir dîné comme à son ordinaire, M. Isidore Bartier rentra dans son hôtel de la cité Malesherbes et il s’enferma dans son cabinet de travail…

Il tira de sa poche le journal qu’il venait d’écraser sous de multiples condamnations et il le relut avec un plaisir ardent.

Le président souriait en savourant les histoires égrillardes et décolletées qu’il avait flétries dans son jugement du titre de pornographies…

La soirée était avancée.

Le juge ne détournait point ses yeux de la feuille condamnée…

Il relisait avec un plaisir d’amateur les passages incriminés par le ministère public.

Une vapeur de volupté enveloppait son cerveau en fermentation et l’enivrait.

Il froissa le journal…

— C’est très bien écrit, pensait-il. Mais il n’est pas bon que ces sortes de choses soient mises en circulation. Il faut une morale comme il faut une religion pour le peuple.

Et ses yeux troublés se reposaient sur le Succès Parisien.

C’était le titre de la publication.

Un bruit léger qui se produisit dans la chambre située à l’étage supérieur attira son attention.

C’était là qu’habitait Julie, la dernière enfant qui lui restait.

Le président rejeta le journal.

Son infernale préoccupation de tous les instants le reprenait plus violemment.

Il se souleva de dessus son fauteuil.

Le cerveau en feu, la chair énervée et vibrante sous les titillations de son immonde désir, Isidore Cartier sortit de son cabinet à pas de loup.

Rien ne troublait le silence de la maison.

Henri, le valet, devait être couché…

Le président, indécis et troublé, se dirigea vers le grand escalier et gravit un étage.

Le tapis étouffait le bruit de ses pas…

La chambre de sa fille était devant lui. Il s’arrêta…

Il vit filtrer une lueur à travers la porte.

Une curiosité malsaine lui fit coller son œil à la serrure.

Il aperçut sa fille installée devant un guéridon.

Mlle Bartier était assise et lisait, sa tête mollement appuyée sur son bras replié.

Une lampe, dont le verre était garni d’un globe dépoli, éclairait faiblement la chambre à coucher de la jeune fille.

Le président la regardait d’un œil luisant.

Il fut sur te point d’entrer, mais une crainte te retenait : Jamais il n’oserais lui proposer d’accéder à son infâme désir.

Julie lui inspirait un respect involontaire.

Elle n’avait pour elle aucune qualité brillante. Son esprit était médiocre. Mais sa mère l’avait élevée dans des sentiments nobles et généreux.

Le juge sentait en elle la supériorité de l’honnêteté.

Ses sens en rage eussent faibli à la première parole de la jeune fille.

Il préférait la lutte. Une envie sourde le prenait de s’élancer dans la pièce et de se repaître de sa victime.

Sa gorge brûlante laissait échapper un sifflement saccadé.

La fille du président entendit-elle cette respiration stridente qui bruissait de l’autre côté de la porte ? Toujours est-il qu’elle se leva et sortit de sa chambre…

Le magistrat se cachait derrière une tenture.

Julie marcha, la lampe à la main, jusqu’au grand escalier.

Isidore Bartier se glissa comme une ombre dans la chambre à coucher de sa fille.

L’obscurité le favorisait…

Il tâtonna quelques instants, cherchant une cachette.

Sa main rencontra le bouton d’une porte…

Il pénétra dans une pièce exiguë où se trouvait un porte-manteau.

À l’odeur fraîche et acide que le frappa en entrant, il reconnut qu’il se trouvait dans le cabinet de toilette.

Il se blottit derrière des robes appendues et attendit.

Mlle Bartier, après avoir parcouru le corridor, se renferma dans sa chambre.

Elle commença à se déshabiller.

Dissimulé dans le cabinet de toilette, le président ne la perdait point de vue. Il la dévorait du regard à travers entre-bâillement de la cloison.

Julie retira son porte-bonheur en argent et le posa sur une chiffonnière.

Puis elle disposa son lit pour la nuit. Elle rejeta l’édredon en arrière et déplia les couvertures.

Elle arrangea l’oreiller et cela fait, elle continua de se dévêtir.

La vue du drap blanc entrouvert fit éprouver un vertige au satyre qui la considérait…

Mlle Bartier venait d’ôter son corsage. Sa gorge et ses bras nus sortaient de sa fine chemisette garnie de dentelles.

Elle éleva les mains pour retirer le peigne d’écaille placé dans ses cheveux, et le président entrevit sous ses bras une ombre noire qui estompait vigoureusement sa chair blanche.

Un tressaillement désespéré le secoua.

Il était près de s’élancer.

Par un dernier effort de volonté, il comprima le besoin fou qui le tourmentait.

Ses mains se crispaient dans une crise d’impatience et ses ongles lui entraient dans la peau.

Julie s’était agenouillée devant un crucifix, et, d’un air distrait, elle récitait sa prière.

Son regard flottait sur une image coloriée représentant Jésus, le cœur flamboyant, enveloppé d’une robe rouge.

Cet homme mystique avec ses cheveux bouclés et sa barbe blonde parlait à son imagination.

En elle-même et sans oser s’avouer cette pensée franchement, elle rêvait un époux beau et doux comme le Jésus de son tableau.

Une larme mouilla ses paupières.

La tristesse de sa vie l’accablait…

Son frère aîné était disparu un jour… Qu’était-il devenu ?… Sa mère si bonne et si aimante était morte… Georges s’était sauvé… Elle restait seule au monde avec son père.

Elle frissonnait d’une peur vague et sa prière s’embrouillait dans son esprit… Elle s’aperçut qu’elle avait mêlé le Pater et l’Ave.

Pour se punir de sa distraction, elle commença à dite un Credo fervent…

Elle se releva et, après être restée immobile quelques instants, elle alla vers le cabinet de toilette.

Le président sentait bouillir son sang dans ses veines.

Il se dissimula avec peine dans un coin.

Une idée incroyable, hideuse, s’emparait de son esprit.

Il éprouvait avec une telle intensité le besoin d’assouvir le désir enragé qui le secouait que sa raison s’en allait.

Un tourbillon de pensées folles le transportait dans un autre monde.

Pour lui l’inceste devenait une poésie… Le père et la fille unis lui semblaient un but dans la vie.

Et, disons-nous, il croyait que Julie devait, en cet instant même, partager les ardeurs épouvantables qui le plongeaient dans le délire de la passion.

Elle aussi, pensait-il, devait ressentir un grand besoin de se donner,

Ce monomane attribuait à la pauvre fille à peine nubile des idées qui ne peuvent naître que chez une nature blasée et corrompue à l’excès.

Julie entra dans son cabinet de toilette et prit une cuvette qu’elle déposa à terre après l’avoir remplie d’eau.

Son père, affolé, en nage, horrible, saoûl de volupté contenue, se cramponnait au rideau qui recouvrait les robes de sa fille…

Celle-ci s’était baissée.

À travers l’étoile légère, il la voyait se livrer à sa toilette de nuit.

Il ferma les yeux convulsivement.

Son visage se collait sur les vêtements imprégnés de l’odeur de la jeune fille. Il buvait à longs traits les émanations capiteuses qui s’en dégageaient.

Il flairait avec une ivresse sans pareille les corsages, cherchant les endroits que la sueur avait brûlés.

Julie quitta le cabinet.

Il était temps !

L’effroyable satyre sentait ses oreilles bourdonner… Il allait se jeter sur sa proie.

À peine la jeune fille eut-elle quitté le réduit que le juge reprit son poste d’observation contre la cloison.

Elle dégrafait son corset. Ses jupes étaient retombées sous elle. Elle n’avait plus pour vêtement que sa chemise de toile fine.

Isidore Bartier savourait ce spectacle.

Il jouissait des moindres détails de ce tableau charmant. Les poses pleines de pudeur de sa fille, son air calme et honnête, tout cela, au lieu d’apaiser sa sensualité, exaspérait sa fureur.

La cloison pliait sous la poussée du satyre.

À un moment donné, le président sembla vouloir bondir dans la chambre.

Sa fille s’était assise sur le rebord d’une chaise et les Jambes l’une sur l’autre, elle déboutonnait ses bottines…

L’ignoble personnage épiait les nudités furtives qui se dessinaient à chaque mouvement de la pauvre enfant.

Il regardait avec une sorte de frénésie les bas blancs, bien tirés et retenus au-dessus du genou par des jarretières bleues…

La jeune fille songeuse et tranquille montrait de face ses jambes rondes et pleines à son père caché dans l’ombre.

Le misérable suait à grosses gouttes.

— Elle se couche enfin, fit-il d’une voix étranglée.

Julie venait de baisser la lumière de la lampe et s’était coulée dans son lit…

Quelques minutes s’écoulèrent.

La porte du cabinet de toilette cria dans l’obscurité.

Un pas furtif foula le parquet, tapissé… Un souffle rauque déchirait l’air sourdement.

Du lit s’échappait à intervalles réguliers la respiration calme de la jeune fille endormie…

Tout à coup le lit gémit sous une violente pression. Une plainte apeurée se fit entendre, suivie d’un cri impossible à rendre, dans lequel éclatait la honte impuissante et la douleur la plus cruelle.

— Tais-toi, Julie, murmura une voix entrecoupée. C’est moi, c’est ton père…

Le déchaînement d’un souffle enfiévré, déchirant l’air… Le bruit d’une lutte courte, désespérée, se terminant dans un écrasement… et ce fut tout.

L’inceste était consommé…

Une heure s’écoula.

La porte de la chambre se rouvrit et fut refermée par une main tremblante.

Une ombre se glissa le long des murs, descendit l’escalier et se perdit dans un couloir.

Le président Bartier rentrait chez lui.

Son idée fixe était réalisée !