Le Val de Brix (1880)
Fleurs de FranceAlfred Mame et fils (p. 83-85).
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XIII

AUXILIUM CHRISTIANORUM


La prairie était déserte, Guillaume la traversa très vite et arriva près de la ferme. Les domestiques de Colette, joints à quelques-uns de ceux du château, battaient le blé dans la grange, et Colette, debout sur le seuil de la maison, regardait au loin d’un air inquiet. Elle entendit venir Guillaume et fit une exclamation.

« Ô Messire ! dit-elle, je vous attendais. Marie m’avait dit que vous viendriez, et c’est à cause de vous que je n’ai pas suivi notre pauvre demoiselle. Elle a eu la fantaisie de se promener sur le chemin de Brix. Marie est avec elle, et je suis inquiète. Elles ont disparu là-bas derrière les arbres. Venez avec moi, je vous prie. Allons les rejoindre. »

Guillaume la suivit avec empressement. À quelque distance de la ferme, ils virent un valet de Colette qui étoupait une haie rompue avec des branches épineuses.

« Hé ! Jeannot, lui cria Colette, as-tu vu passer notre demoiselle ?

– Je crois bien que oui, dit le valet. Elle était tout près d’ici il y a une heure, et elle disait à Marie : « Allons au château, ma sœur, je t’en prie. » Et Marie lui disait comme ça : « Espérez jusqu’à demain, ma bonne demoiselle. » Mais voilà que maître Pierre est arrivé, venant du côté de Brix et habillé en pèlerin, si bien que je ne le reconnaissais point.

– Maître Pierre, dit Colette, mon fils ! il est donc revenu ?

– Vous ne le saviez pas ? dit Jeannot. Eh bien ! ni moi non plus, de sorte que je suis demeuré tout surpris.

– Et après ? dit Guillaume, parle donc vite. Mademoiselle l’a-t-elle reconnu ?

– Je n’en sais rien, Messire ; mais, en la voyant, maître Pierre s’est mis à pleurer comme la Madeleine, et il a dit à Marie que le saint prêtre de Biville était à Brix, chez dom Benoît, et qu’il fallait lui conduire tout de suite mademoiselle. Et mademoiselle a dit que oui, et qu’elle irait toute seule si on ne l’y menait pas, et ils sont partis comme une volée de mouettes. Mais, avant, maître Pierre m’avait commandé d’aller vous dire, not’ maîtresse, qu’il fallait venir à Brix, à l’église, avec maître Charlot et maître Georget.

– Et pourquoi ne le dis-tu pas d’abord, imbécile ? s’écria Guillaume en s’élançant sur le chemin de Brix.

– Dame, dit Jeannot, j’étoupais la haie d’abord, les bêtes y passent et vont chez le voisin.

– Cours à la ferme, dit Colette ; dis à mes fils de venir à la paroisse. »

Et elle se mit en chemin pour aller à Brix.

Guillaume y arriva bien avant elle et trouva tout le village en mouvement. En le voyant, les vassaux de Brix firent des acclamations de joie. « Vive le connétable ! s’écrièrent-ils. Vive messire Guillaume ! Ah ! tous nos malheurs seront, réparés, puisque le voilà. – Savez-vous qui est au presbytère depuis hier soir ? lui dirent quelques bonnes femmes. C’est le saint, c’est Thomas Hélie. Il vient de la part du roi avec des hommes d’armes. On va rebâtir le château, bien sûr ; mais avez-vous vu notre demoiselle ? Elle est au presbytère. On va aller chercher en procession la sainte Vierge au château. Le feu l’a respectée. »

Mme du Hommet, avertie par un messager de dom Benoît, arrivait à cheval, suivie de presque tous ses gens. Le père Hélier et Alain la reçurent et la conduisirent vers l’église, où Thomas de Biville disait la messe. La petite église regorgeait d’une foule accourue de tous les environs pour voir le bienheureux. Guillaume, debout près de la porte, regardait Luce de Brix agenouillée devant l’autel. Il ne pouvait voir son visage ; mais, à la fin de la messe, le bienheureux, étant descendu de l’autel, sortit de l’église et y rentra bientôt après, tenant une bannière blanche semée de fleurs de lis d’or. Il la remit à Luce de Brix, et lui parla à voix basse ; puis il la bénit et donna l’ordre de former la procession. La croix et le clergé sortirent d’abord, puis Luce s’avança portant la bannière et suivie par toutes les jeunes filles de Brix. Mme du Hommet et Gauthier de Poissy précédant, l’une les femmes, l’autre les hommes, se rangèrent ensuite, et, au chant de l’Ave, maris stella, la procession sortit de l’église et suivit lentement le chemin du château. À la vue de ces ruines encore fumantes, au souvenir du bon seigneur qu’ils avaient perdu, les pauvres vassaux de Brix pleuraient tous.

« Sainte Vierge ! disait la bonne Colette, c’est pour tuer notre demoiselle un spectacle pareil ! »

Mais Luce se tenait ferme et passa sans faiblir sur le pont à demi brûlé. On traversa la cour du château, jonchée de débris noircis par les flammes, et, arrivé aux ruines de la chapelle, le bienheureux enleva respectueusement du milieu des décombres la statue de la sainte Vierge restée intacte. Dès qu’il l’eut posée sur le petit brancard orné de fleurs qu’on avait préparé pour l’emporter, Luce remit sa bannière à Marie, et, s’avançant vers Thomas de Biville, lui demanda la permission de prendre place parmi les jeunes filles qui portaient le brancard. Le cortège se remit en marche, les chants recommencèrent, et, quand la procession fut rentrée à l’église et la statue placée au-dessus de l’autel, le bienheureux fit signe à Guillaume de venir s’agenouiller à côté de sa fiancée. Luce le regarda, lui sourit, et, lui montrant la statue miraculeuse, pria quelques instants, puis elle se releva, et s’alla jeter dans les bras de la mère de son fiancé en lui disant :

« Il est revenu, Madame, remercions la sainte Vierge. »

Et le bienheureux Thomas Hélie entonna le Magnificat.