Le Trombinoscope1 (p. 71-74).

ROUHER, eugène, homme politique franchais, anchien chénateur, né à Riom, le 30 novembre 1814, s’était fait connaître avant 1848 comme avocat distingué par quelques procès de presse dans lesquels il défendit la cause libérale qui crut à son amour comme une vraie imbécile et lui rendit ses baisers. En 1848, le Puy-de-Dôme l’envoya à la Constituante, puis à la législative où il vota tout le temps avec la droite ; il n’avait pas caché longtemps son jeu. Cette remarquable élasticité de conscience ne tarda pas à attirer l’attention du président de la République, Louis-Napoléon, qui l’appela au ministère de la justice. Une fois au pouvoir, M. Rouher convertit hardiment en… mouchoirs de poche son mandat démocratique et déclara en pleine tribune que la révolution de Février était « une catastrophe. » Musset a dit qu’épouser sa maîtresse, c’est cracher dans son verre avant de boire ; M. Rouher, plus malin, crachait dans son verre, mais après avoir bu. M. Rouher fut un des défenseurs de la loi du 31 mai qui restreignait le suffrage universel auquel il devait tout. Cette fois, il ne se contentait pas de cracher dans le verre ; il le brisait. Il est vrai que la haute situation qu’il avait conquise lui permettait désormais de boire à même la bouteille. De juillet à décembre 1851, M. Rouher quitta et reprit son portefeuille une demi-douzaine de fois ; le 22 janvier 1852, il donna sa démission à l’occasion de la confiscation des biens de la famille d’Orléans. Ce décret à la tire répugnait à ses sentiments élevés ; plutôt que de s’en rendre complice, il préféra renoncer à son portefeuille… après s être assuré que l’empereur lui donnerait de lavancement. En effet, Napoléon III, touché de tant de délicatesse, posa sur les scrupules encore saignants de son ex-ministre le cataplasme adoucissant de la vice-présidence du conseil d’État. De 1855 à 1863, M. Rouher fut ministre du commerce et des travaux publics. Pendant cette période, il conclut des traités de commerce avec l’Angleterre, la Belgique et l’Italie. Les opinions sont encore très partagées relativement aux bienfaits de ces conventions que beaucoup d’économistes, entre autres MM. Thiers et Pouyer-Quertier, ont jugées assez favorables à la France pour que l’Angleterre et la Belgique s’en tordent les côtes de rire. Quant au traité avec l’Italie, c’est autre chose. La France ne tarda pas à en ressentir les bienfaisants effets ; à peine était-il signé que M. Rouher recevait le grand cordon des Saints-Maurice-et-Lazare ; cette nomination plongea le commerce dans une joie folle ; messieurs Maurice et Lazare eurent assez d’empire sur eux-mêmes pour conserver leur sang-froid. En octobre 1863, M. Rouher fut nommé ministre d’État après la mort de M. Billault, cet autre homme politique de tous les écots qui, pour la première fois de sa vie, quittait une place sans être appelé à d’autres fonctions. On doit à M. Rouher la liberté de la boulangerie ; il ne conserva que celle du pétrin. De 1863 à 1868, M. Rouher eut pour mission de prouver au Corps législatif que tous les actes de l’empire étaient des chefs-d’oeuvre ; il y parvint sans peine, appuyé par une majorité moutonnière auprès de laquelle il remplissait l’office de chien de berger impérial. Il fut le général en chef d’une armée de couteaux à papier soumis et disciplinés au point d’étouffer sous le bruit de leurs roulements ineptes jusqu’à celui des craquements de l’édifice qui devait s’écrouler sur eux. Il présenta l’expédition du Mexique comme « la plus grande pensée du règne » et la défendit avec tant de véhémence que les députés de la droite en furent touchés ; les dividendes des obligations mexicaines en crevèrent de jalousie. Après avoir prouvé à la France que l’empereur avait eu un trait de génie en allant à huit cents lieues se mêler de ce qui ne le regardait pas, M. Rouher dut la convaincre que son maître avait été un aigle en ne s’occupant pas des attaques de grand chemin que M. de Bismark exécutait presque à nos portes (le Danemark, les duchés, Sadowa, etc., etc.) M. Rouher prouva tout cela au côté salsifiste de la Chambre avec autant de facilité qu’il lui eût au besoin prouvé le contraire. Ils crièrent tous : M’sieu Rouher, vous avez raison !… comme d’excellents Pandores qu’ils étaient. Quelques voix s’élevèrent à gauche pour protester : une entre autres, celle de M. Thiers, qui s’écria : vous n’avez plus de faute à commettre !… C’était vrai ; mais c’était justement en cela que M. Rouher était encore supérieur à M. Thiers. Depuis… Dame ! depuis M. Thiers s’est déjà pas mal rattrapé. — Le ministre à tout faire de Napoléon III était voué aux mots à sensation ; après avoir appelé la révolution du 1848 une catastrophe et l’expédition du Mexique, la plus grande pensée du règne, il obtint un assez joli succès de ministre-chabannais en déclarant solennellement que la France ne permettrait jamais que l’Italie s’emparât de Rome, jamais… jamais… jamais !… Ce jour-là, Pie IX dut passer une bien bonne nuit et voir en un doux songe, l’archange auvergnat terrassant Garibaldi. L’avenir devait d’ailleurs prouver une fois de plus à Sa Sainteté l’éternelle actualité du dicton : Ah ! le bon billet qu’a Lachâtre !… — En 1869, M. Rouher dut défendre la comptabilité… humoristique de M. Haussmann ; mais déjà sa majorité était devenue un peu moins docile et il fut obligé de convenir que quelques 6 et quelques 9 du préfet de la Seine avaient eu la queue raccommodée. — La fameuse lettre du 19 janvier par laquelle l’Empereur promettait un flot de libertés nouvelles, fournit M. Rouher l’occasion de placer un nouveau mot qui obtint le plus grand succès. Il déclara que le pays avait autant et plus de libertés qu’il n’en demandait et n’en pouvait porter, procédé qui rappelle dans un autre genre ce monsieur qui après avoir attaché son chien, place une écuelle pleine de soupe hors de sa portée et dit aux gens qui viennent le voir : vous voyez ce gaillard-là… il est tellement bien nourri qu’il laisse perdre sa patée. — M. Rouher fut nommé président du Sénat le 26 juillet 1869, où il prononça l’éloge funèbre de Sainte-Beuve à qui il reprocha la suprême témérité d’avoir mangé du saucisson le vendredi saint — en juillet 1867 M. Rouher a reçu des mains de l’Empereur les insignes en diamant de l’ordre de la légion d’honneur… et de profit. — Depuis le 4 septembre M. Rouher a disparu de l’horizon politique ; cependant il a été question dernièrement de son élection comme député de la Corse. Tant qu’on n’aura pas assaini ce pays-là il faut s’attendre à tout de sa part.

Au physique M. Rouher est un porteur d’eau avec du beau linge, sa physionomie est calme et satisfaite ; il est content de lui, et rappelle en cela le cœur de Jenny l’ouvrière. Le front paraît vaste, mais il n’est que dévasté. Il ramène sans cesse ses mèches à ses tempes et ses convictions à ses intérêts. Son éloquence a été surfaite et ses succès de ministre d’État ont été dûs moins à son talent qu’à la bonne volonté moutonnière d’une majorité toujours prête à n’écouter qu’une cloche afin de n’entendre qu’un son. — Louis Ulbach accorde à M. Rouher une grande facilité d’assimilation, et prétend qu’une affaire dont le premier mot lui serait inconnu à onze heures pourrait être plaidée à fond par lui à midi. Nous croyons, nous, que comme le plus vulgaire des avocats de justice de paix dont le bagout vide est le principal talent, M. Rouher serait même capable de plaider à fond des le matin une cause qu’il ne devrait étudier que le soir. Livré à lui-même, il n’eût pas gagné un procès de mur mitoyen ; son seul mérite est d’avoir pendant dix ans fait voir tout en bleu à des gens qui se fourraient complaisamment des verres azurés sur le nez. — Pendant son séjour au pouvoir M. Rouher a donné des places à tous ses parents. Beaucoup y sont encore ; ce n’en est pas pour cela plus malin de notre part.

Janvier 1872.

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

M. Rouher se présente aux élections de la Corse le... 18... — il échoue le... 18... — et se retire près de son maître à Chislehurst le... 18... pour y collaborer aux menées de ce dernier. — Les trente journaux bonapartistes entretenus en France par Napoléon III ayant mis à sec la cassette impériale, M. Rouher prête toutes ses économies à son souverain le... 18... en s’écriant : tout sur la rouge !… — Le magot y passe, et le... 18... M. Rouher-Macaire se trouve littéralement à sec, — le... 18... il dit à don Bertrand : Sire !… je vais mettre au Mont-de-Piété la grand’croix de diamant que vous m’avez donnée, et meurt d’apoplexie à cette réponse que lui fait l’empereur en rougissant : Je n’osais pas te l’avouer…, c’est du stras.