Le Trombinoscope1 (p. 87-90).

LITTRÉ, maximilien-paul-émile, publiciste et philosophe français, né à Paris le 1er février 1801. On cacha sa naissance à monseigneur Dupanloup, qui ne devait naître qu’au mois de janvier de l’année suivante, dans la crainte que l’honorable prélat, pour ne pas être exposé à se rencontrer avec lui, refusât de venir au monde. — Tout jeune, M. Littré fit de très brillantes études et embrassa la médecine. Il fut reçu interne des hôpitaux ; mais ne tarda pas à se dégoûter du métier, un matin qu’ayant été chargé d’administrer un lavement à une vieille abonnée de l’Union, celle-ci avait refusé de le prendre avant midi, sous prétexte que c’était jour de jeûne. — Il se mit à l’étude approfondie de toutes les langues, ce qui lui fut plus facile qu’à un autre, tous les malades qu’il avait soignés lui ayant déjà montré la leur. Il apprit entr’autres le grec, le sanscrit et l’arabe ; mais il n’abusa pas de ces dernières lorsqu’il dînait en ville et qu’il voulait redemander du potage. — En même temps, il collaborait à plusieurs publications littéraires et traduisait Hippocrate… à la barre de l’humanité pour homicides par imprudence. Ce dernier travail lui ouvrit des horizons nouveaux et les portes de l’Académie des inscriptions. — M. Littré ne tarda pas à se faire le défenseur de l’opinion démocratique. Il se battit pour la liberté en juillet 1830, pendant que M. Dupanloup faisait communier madame la Dauphine dont il était l’aumônier ; et entra à la rédaction du National pendant que le futur évêque d’Orléans ouvrait les conférences de Notre-Dame. Ces deux hommes faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour ne pas se rencontrer. M. Dupanloup surtout était enragé. On raconte qu’un jour, étant entré précipitamment dans un établissement du passage Jouffroy et ayant aperçu à une patère du vestibule le chapeau de M. Littré, il partit aussitôt et eut le courage de contenir… sa colère à la porte, en faisant semblant d’examiner les estampes du magasin qui est à côté. Quand M. Littré sortit, il y avait juste deux secondes que M. Dupanloup venait de… perdre patience. Et le lendemain, on lisait dans l’Univers en tête d’une souscription pour le denier de saint Pierre : Les économies d’un anonyme qui exècre les libres penseurs, quinze centimes. — Jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Napoléon, M. Littré resta attaché au National ; mais le futur homme de Sedan ne laissant plus aux écrivains que le choix d’être attachés à sa personne avec des saucisses, ou aux pontons avec des carcans, M. Littré abandonna le journalisme. — Précédemment, M. Littré avait été séduit par la nouvelle doctrine philosophique et sociale d’Auguste Comte, et l’avait adoptée avec l’ardeur d’un homme qui se dit : Depuis que l’humanité vit sur un tas de rengaines auxquelles elle ne croit plus, mais qu’elle conserve uniquement parce qu’elle n’a rien à mettre à la place, il serait bien temps de s’occuper de trouver autre chose !… — M. Littré se toqua de ce projet et consacra une partie de ses nuits à chercher à se rendre compte en quoi l’utilité d’un évêque à qui l’on donne vingt mille francs par an est plus grande que celle d’un instituteur que l’on ne paye que onze cents. Il y attrapa des migraines horribles et il ne trouva pas. — Loin de se rebuter de cet échec, il creusa de nouveau sa philosophie positive et continua à se poser un tas de questions religieuses qui mettaient Mgr Dupanloup hors de lui. M. Littré, sans aucun ménagement pour les saintes traditions, les empoignait toutes l’une après l’autre, avec le sans-gêne d’un ouvrier peintre qui arrache du mur un vieux papier pour le remplacer par un neuf. Aux miracles dont personne n’a jamais vu la queue d’un, il opposait la science qui est chez elle pour tout le monde et à toute heure. À ceux qui voudraient que l’on n’enseignât rien aux hommes pour les faire plus facilement croire à tout, il opposait l’instruction qui leur défend de croire que l’on ait pu rassasier vingt mille pauvres avec un pain de deux livres et revendre encore trente mille kilog. de croûtes après l’opération. — Chaque fois que M. Littré se mettait à démolir une de ces légendes, il était reçu par Mgr Dupanloup comme un fâcheux qui entre avec une lampe allumée dans une chambre noire où l’on est en train de montrer la lanterne magique. — M. Littré accueillit avec joie la révolution de 1848 qui lui semblait préparer le triomphe de ses idées ; mais il ne tarda pas à s’apercevoir qu’il y avait encore trop de sucre dans cette république-là, et se retira de la politique en octobre 1848. Il n’avait voulu accepter qu’une fonction non salariée, celle de conseiller municipal, et avait même précédemment refusé la croix de la légion d’honneur ; on prétend que cette croix fut mise de côté pour servir plus tard à décorer Adrien Marx un jour qu’il ferait un article à sensation sur les suivez-moi jeune homme de l’impératrice ; mais les événements ne le permirent pas. — Rentré dans la vie privée, M. Littré se remit avec ardeur à ses travaux littéraires. Il commença la publication de son grand Dictionnaire de la langue française, œuvre savante et laborieuse, le seul peut-être de ces engins dans lequel on ne trouve pas ce genre idiot de renseignements : NOCTAMBULE, voir somnanbule. SOMNANBULE, voir noctambule. Le dictionnaire de Littré contient les étymologies précises des mots, les exemples de leur emploi, etc., etc. C’est, après celui de Pierre Larousse, dont la lettre B pèse à elle seule Dumaine et Suzanne Lagier réunis, l’œuvre la plus complète en ce genre. En 1863, la réputation de M. Littré était immense ; il ne lui manquait plus qu’une chose pour la compléter ; cette chose lui arriva : il fut refusé à l’Académie ; Mgr Dupanloup avait réussi à démontrer aux quarante ronds de cuir vert qui composaient cet établissement, qu’ils devaient repousser de leur sein un impie qui ne croyait pas qu’une femme eût pu avoir un enfant d’un ange qu’elle n’avait aperçu qu’au travers des carreaux de sa fenêtre. M. Littré continua ses travaux, et en 1872, l’Académie, malgré une nouvelle tentative de débinage faite par Mgr Dupanloup, ouvrit ses portes à l’illustre philosophe. Heureusement, cette fois, l’accident ne pouvait plus avoir de conséquences pour M. Littré ; sa réputation était faite. — Mgr Dupanloup donna sa démission pour ne pas se rencontrer avec son ennemi ; mais l’Académie la refusa. L’affaire est pendante ; cependant, on croit que ce n’est pas cela qui empêche le commerce de reprendre. — En février 1871, M. Littré a été élu député à Paris par 88 000 voix, ce qui prouve qu’il y a encore quelques personnes qui, si elles croient au passage de la mer Rouge à pied sec, tiennent à ne pas trop le laisser voir.

Au physique, M. Littré n’est pas superbe ; n’ayant aucun motif pour faire de la peine aux singes, nous nous abstenons de toute comparaison ; — il a la lèvre inférieure et les opinions politiques très-avancées, les sourcils sont larges et épais ; les gens qui ont besoin de bourrelets pour le dessous de leurs portes les contemplent avec envie. — Il est de petite taille ; mais quand il est à côte de Jules Ferry, qui a cinq pieds six pouces, il paraît presque aussi grand que lui, tant ce dernier lui fait hausser les épaules.

Janvier 1872.

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

M. Littré prononce son discours de réception à l’Académie le... 18... il le bourre d’hérésies. — Mgr Dupanloup l’ayant lu le... 18... à l’Officiel, veut se mortifier pour racheter les crimes de M. Littré et décide un jour de jeûne… pour tous ses domestiques — M. Littré publie ensuite plusieurs ouvrages 1o le... 18... Préceptes, évangéliques de dupanloup de saint-mousse-a-mort. — 2o une brochure humoristique qui paraît d’abord dans le Tintamarre sous le titre : Mortelle inquiétude du canon du Palais-Royal qui attend le soleil arrêté à cinq lieues de là par Josué. — 3o et enfin un volume où il prouve l’utilité de canoniser Louis Veuillot sous le nom de saint granulé. — M. Littré meurt le... 19... le même jour que Mgr Dupanloup, qui refuse d’entrer au Père-Lachaise en même temps que lui…