Le Trombinoscope1 (p. 115-118).

GRÉVY, françois-paul-jules, homme politique français, né à Mont-sous-Vandrez (Jura), le 15 août 1813. Depuis l’âge de quarante ans, il a défendu à ses enfants de lui broder des pantoufles pour le jour de son anniversaire, dans la crainte que l’on pût croire qu’il fêtait la Saint-Napoléon. — Né de parents cultivateurs, il vint faire son droit à Paris, et en juillet 1830, il se battit sur les barricades et contribua à la prise de la caserne de Babylone. — Il n’est peut-être pas déplacé de faire remarquer en passant que presque tous nos hommes politiques conservateurs, qui n’ont d’ailleurs rien conservé de leur première manière de voir, ont commencé par se battre comme des chiffonniers pour renverser Charles X, ce qui tendrait à prouver, ou peu s’en faut, que les gens qui ont fait une révolution pour obtenir ce qui leur manquait, prétendent à tort que les autres ne doivent pas en faire une seconde pour revendiquer à leur tour ce qu’ils désirent. C’est comme si un monsieur qui est entré s’abriter quelque part, parce qu’il se trouvait mal dehors, disait à ceux qui le suivent : Maintenant que je suis dedans, je ne veux plus qu’on ouvre la porte ; ça me ferait arriver de l’air dans le cou. Nous ne nous dissimulons pas que ce raisonnement nous conduit tout droit à approuver ce mot célèbre : l’insurrection est le plus saint des devoirs ; mais nous ne voyons aucun inconvénient à admettre en principe que les peuples sur le dos desquels on s’entête à mettre un tas de harnais plus ou moins gênants, ont bien le droit de se secouer de temps en temps pour s’en débarrasser. — Reçu avocat, M. Grévy se fit bientôt remarquer au barreau de Paris dans plusieurs causes où il défendit les écrivains du parti radical, et plaida dans le procès du 13 mai pour deux compagnons de Barbès. — En 1848, M. Grévy, que ses opinions avancées désignaient comme l’un des défenseurs de la République, fut nommé commissaire du gouvernement provisoire dans son département. Il s’y distingua par l’excessive modération qui est la vertu des gens que leur tempérament porte bien un peu à faire des omelettes, mais beaucoup plus à ne pas casser d’œufs. — Il poussa la prudence jusqu’à ses dernières limites et, presqu’à l’unanimité des suffrages, il fut envoyé à l’Assemblée constituante par le Jura. Ce triomphe suffit à donner la mesure du radicalisme de M. Grévy ; un homme qui a le talent de contenter tout le monde et son père, peut être un ange de mansuétude ; mais, comme il n’est pas admissible que l’on puisse donner à la fois satisfaction à 65 000 électeurs, dont une moitié veut la république et l’autre la monarchie, on est forcé de supposer que M. Grévy n’avait pas positivement à cette époque l’aspect ni la réputation d’un irréconciliable. — Toujours, grâce à cette attitude du juste-milieu qui distingue les républicains platoniques, M. Grévy fut choisi par l’Assemblée comme vice-président. — Il monta souvent à la tribune pour y défendre les opinions démocratiques ; mais, quoiqu’il votât généralement avec la gauche, il se tint toujours loin du parti socialiste. C’était son droit de le faire, comme c’est le nôtre de le dire, afin que nos lecteurs n’accordent à M. Grévy ni plus ni moins d’admiration qu’il n’en mérite. — M. Grévy s’est surtout signalé à propos de la question de la présidence. Il s’opposa de toutes ses forces à ce que l’on ressuscitât de fait la monarchie constitutionnelle, même temporaire, en donnant à un monsieur quelconque des pouvoirs dont il serait, sans aucun doute, tenté de faire un mauvais usage la nuit. M. Grévy flairait le 2 décembre ; ce n’était déja pas si bête. — Il proposa de nommer un président du conseil des ministres pour un temps illimité et conséquemment révocable toutes les demi-heures. Avec la meilleure volonté du monde d’être désagréable à M. Grévy, nous sommes forcé de déclarer que ce projet fut la plus belle inspiration de sa vie. Faire un bail, ne fût-il que de quatre ans, avec un homme à qui l’on donne la facilité de semer des croix d’honneur dans l’armée, c’est s’exposer presque à coup sûr à ce qu’il le renouvelle de force sans vous demander si cela vous convient. On tombe une fois par hasard sur un Cavaignac et vingt fois sur un Bonaparte. — D’ailleurs, si nous pouvions douter un seul instant de la sagesse du projet de M. Grévy, nous serions confirmé dans notre opinion par ce fait, qu’il fut repoussé à la majorité de 653 voix contre 158. — Après l’élection du 10 décembre, M. Grévy continua de prêter son concours à la cause libérale, et, à propos de l’expédition de Rome, ne cacha pas qu’il lui semblait aussi étrange de voir la République française s’opposer à la constitution d’une République romaine qu’il lui paraîtrait amusant de voir un asthmatique, qui se trouverait bien d’un remède, empêcher un autre asthmatique de prendre le pareil. — Depuis le 10 décembre jusqu’au coup d’État, M. Grévy fut fidèle à la cause démocratique, sans toutefois se compromettre, et fit constamment de l’opposition à Louis-Napoléon, pas assez pourtant pour être compris dans les persécutions qui suivirent ce virement à main armée. Si nous insistons avec tant de persévérance sur le peu de désagrément que les opinions politiques de M. Grévy lui attirèrent, ce n’est pas par cet « esprit de dénigrement systématique » que M. le substitut de la République a dernièrement invoqué pour nous faire condamner par la neuvième chambre correctionnelle ; non… c’est que nous avons pour principe absolu de mesurer la valeur des républicains aux disgrâces dont ils sont l’objet. Nous ne connaissons pas de meilleur moyen de nous rendre un compte exact de leur mérite que de le peser avec cet instrument de précision que nous rendrons la licence d’appeler le persécutomètre, au risque de froisser l’ingénieur Chevalier. Vers 1867, M. Grévy venant d’être nommé bâtonnier de l’Ordre, rentra dans la vie politique et fut élu député de l’opinion démocratique par la deuxième circonscription du Jura. Il l’avait emporté avec tant d’avantage sur le candidat officiel, que l’année suivante, aux élections générales, le gouvernement impérial n’osa pas lui en opposer un autre, dans la crainte que son candidat breveté n’eût même pas la voix de tous les gardes-champêtres. Depuis cette époque jusqu’à l’Assemblée nationale de Bordeaux, M. Grévy a peu fait parler de lui, ce qui est peut-être le devoir d’une honnête femme, mais pas tout à fait celui d’un député. M. Grévy a été de nouveau élu président de l’Assemblée nationale de Versailles, qu’il préside avec une honnêteté dont les Gavardie ne sont pas toujours satisfaits. On a parlé éventuellement de M. Grévy pour remplacer M. Thiers à la présidence de la République. Dire que c’est là notre idéal… nous ne l’oserions pas ; mais pour des gens menacés du duc d’Aumale, avoir M. Grévy, c’est être amputé du petit doigt alors que l’on a craint de perdre le bras tout entier.

Au physique, M. Grévy a ce qu’on appelle une bonne figure, l’expression est honnête et franche quoique un peu dure ; la bouche est presque aussi large que la conscience d’Émile Ollivier, il porte la barbe en collier et sur les nerfs des députés de la droite qu’il rappelle impitoyablement au respect du règlement. En somme, M. Grévy est un de ces bons républicains qui, sur la machine du progrès, ont la main plus près du serre-frein que de l’appareil moteur. — Avec des chauffeurs de ce calibre-là on va ; mais on ne va pas vite. — M. Grévy appartient à cette catégorie de républicains qui sont surtout l’appui des républiques qui marchent toutes seules ; mais il ne faudrait pas qu’elles comptassent trop dessus pour les empêcher de tomber. — Notre avis est que les Grévy ne font pas mal dans une République, à la condition de laisser faire mieux par d’autres. — De même que l’on peut faire un très-bon déjeûner avec presque rien en y ajoutant un fort beefsteack, nous croyons que l’on peut faire tout de même une bonne République avec un Grévy… en y ajoutant des Gambetta.

Mars 1872.

NOTICE COMPLÉMENTAIRE

DATES À REMPLIR
PAR LES COLLECTIONNEURS DU TROMBINOSCOPE

M. Grévy est de nouveau nommé président de l’Assemblée Constituante le... 18..., les assemblées qui suivent le choisissent pour cet emploi auquel il semble rivé. Dans le cours de ses fonctions il rappelle à l’ordre quinze monarchistes enragés qui s’entêtent à imiter le cri du coq chaque fois qu’un orateur républicain monte à la tribune, et pendant une séance mémorable le... 18... il se couvre pour faire cesser le tumulte qu’a occasionné M. Baragnon en lançant des balles de terre glaise à la gauche avec une sarbacane. — Enfin, il meurt le... 19... en demandant que l’on écive sur sa tombe : À Grévy, la République reconnaissante. Il lui sacrifia sa vie et en mourut de vieillesse.