Le Triomphe du Sexe/Chapitre VIII

CHAPITRE VIII.

Le commerce des femmes eſt-il außi dangereux qu’on le penſe ? Peut-il être permis indifféremment à tous les hommes ? on répond à quelques paſſages de l’Écriture qui ſemblent en donner une idée peu favorable.



Toute créature raiſonnable eſt née pour la ſociété. Elle exige naturellement le commerce de ſon ſemblable. Vouloir exclure les femmes de cette régle, c’eſt nous priver de la portion la plus aimable de l’humanité dont elles font les délices. Rien de plus propre à former l’eſprit & le cœur, à inſpirer des ſentimens, à apprendre l’uſage du monde, que la converſation d’un Sexe le plus ingénieux & le plus délicat. Combien de perſonnes doivent à leur commerce, leur éducation, leur fortune, leur mérite & les talens qui les diſtinguent dans le monde ! Que d’agréables momens ne paſſe-t-on pas avec elles ? Que de plaiſirs ſolides ne goûte-t-on pas dans les compagnies dont elles font l’ame ? Tout languiroit ſans elles dans la nature, & l’homme privé de leur commerce, ne ſeroit qu’un animal brûte & ſauvage. La Religion n’a jamais défendu ce commerce ; mais elle preſcrit des régles qui le rendent ſage & vertueux : Elle ne le défend pas même à ſes Miniſtres, elle leur ordonne feulement d’y être plus réſervés & plus diſcrets. S. Jérome ſur Saint Math. 27.
Luc 8. 1. 2. 3.
S. Pierre. 1. Lett. aux Cor. 9. 5.
Les Apôtres avoient des femmes qui les accompagnoient dans leurs voyages, & qui pourvoïoient à leurs beſoins. Comme cet uſage étoit ordinaire parmi les Juifs, Dom. Calmet. Hist. de l’anc. test. tom. i. p. 367. & 326.perfonne ne s’en scandalisoit. Les veuves même dans l’Église participoient au Ministere. C’étoient des femmes pieuses & dévotes, dira quelqu’un ; je le sçai, & leurs Disciples à leur exemple, n’en devroient jamais connoître d’autres. Les Apôtres étoient des Saints, fortifiés dans la grace, ajoûtera quelqu’autre : Je le veux ; mais enfin, c’étoient des femmes, & ils étoient hommes. Preuve suffisante pour croire que le commerce des femmes sçavantes & vertueuses ne fût jamais interdit aux Ministres mêmes. S’il y a des gens foibles, c’eſt à eux à ſe connoître & à ne pas s’expoſer : S’il falloit condamner tout ce dont on abuſe, on proſcriroit chaque jour, tout ce qu’il y a de plus ſaint dans la Religion. La ſociété des hommes & des femmes en général, fut toujours permiſe, quoique par accident & par rapport aux particuliers, elle puiſſe être pernicieuſe. C’eſt à chacun de nous à conſulter ſon cœur & ſon tempérament, & à éviter ce qu’il connoît lui être pernicieux. Condamnons l’abus, mais ne proſcrivons pas l’uſage de ce qui eſt utile & avantageux. S. Jerome qui a relevé avec tant de chaleur les déſordres qui règnoient dans ſon temps dans le commerce des femmes ; lui qui connoiſſoit par expérience, la force de la paſſion qui nous domine, étoit cependant en relation avec des Dames Romaines qui le viſitoient, & qu’il conduiſoit par ſes conſeils & par ſes lettres.

Ecclefi. 42. 14.Comme le vers s’engendre dans les vêtemens, ainſi l’iniquité de l’homme vient de la femme. Un homme qui vous fait du mal, vaut mieux qu’une femme qui vous fait du bien, dit l’Écriture.

Le S. Eſprit prétend-t-il par ſes paroles, condamner la femme comme une créature mauvaiſe ? C’eſt ſans raiſon que faute d’en comprendre le ſens, on s’en ſert contre elle. La méchanceté d’un homme qui nous afflige, nous eſt un ſujet de patience, au lieu la ſeule vuë d’une femme ſage & bienfaiſante à notre égard, nous peut devenir un ſujet de chûte par l’eſtime que nous concevons naturellement pour elle, quand elle nous oblige. Voilà le vrai ſens de ce texte qui fait ſi peu d’honneur à l’homme, qu’il devroit le paſſer ſous ſilence. Il montre la corruption des hommes, le penchant qu’ils ont pour le mal ; ils ne ſçauroient être ſouvent au milieu des femmes, ſans danger. Leur beauté les ſéduit. Peu maîtres d’eux-mêmes, ils ne peuvent voir ſans trouble & ſans amour, des femmes qui ſe trouvent ſi ſouvent au milieu d’eux ſans trouble, ſans paſſion, & quelquefois même ſans les aimer. L’homme aime naturellement la femme ; mais comme cet amour innocent dans ſon principe, peut devenir dangereux dans ſes ſuites, le S. Eſprit l’avertit par ces paroles, de ſe défier de ſon propre cœur, & de connoître ſa foibleſſe pour éviter le danger. Je trouve mille paſſages dans l’Écriture, où Dieu avertit les hommes, d’éviter le commerce des femmes, où il en expoſe le danger ; mais je n’en trouve preſque pas, où il ordonne aux femmes de fuir le commerce des hommes, comme leur étant également pernicieux. Preuves certaines que l’homme eſt le plus foible, & l’animal le plus dangereux pour la femme.

Tout ce que les Peres ont dit de plus fort ſur ce ſujet, ne prouve rien contr’elles. Ils n’ont pas prétendu interdire leur commerce, par les invectives : qui leur font échapées ; ils n’ont voulu que nous précautionner. Les plus grands hommes d’entr’eux, ſe ſont toujours fait gloire de les connoître, & d’entretenir avec elles, un commerce ſage & ſpirituel, que nous devons imiter. Les déclamations qu’on lit dans les Écrivains ſacrés, contre les femmes, ſont adreſſées à celles qui ſont déréglées, dit Dom Feijoo : Mais quand elles regarderoient tout le Sexe en général, on ne prouveroit rien de là. Les Medecins des ames déclament contre les femmes, comme les Medecins des corps, contre les fruits, qui deviennent nuiſibles par l’abus, quoiqu’ils ſoient bons, utiles & beaux par eux-mêmes.

En vain m’objecteroit-on cette multitude d’écrits ſcandaleux, que tant d’Auteurs laſcifs ont compoſé contre les femmes. Qu’on rapporte l’autorité d’Ariſtote, qui ſe plaît à dévoiler avec tant d’art, leurs défauts phyſiques & moraux. Plaiſante autorité contre le Sexe ! que celle d’un Philoſophe qui avoit deux femmes, & qui pouſſa l’extravagance, juſqu’à offrir de l’encens, comme à une Divinité, à celle qu’il aimoit avec plus d’ardeur ; lui qui ne ſe plaiſoit que trop à égayer ſa philoſophie avec ſa ſervante. Euripide qui parle ſi mal des femmes, dans ſes ouvrages de théatre : Bocace, Pétrone, &c. qui écrivirent ſi inſolemment contr’elles, étoient deux impudiques de profeſſion. Que d’hommes écrivent & parlent encore aujourd’hui contr’elles ! pour déguiſer le penchant qui les domine. Tant il eſt vrai de dire, que ceux qui parlent le plus ſouvent contre les défauts des femmes, ſont ordinairement ceux qui en ſont les plus amoureux dans le particulier.