Le Triomphe du Sexe/Chapitre III

CHAPITRE III.

L’homme a été plus criminel que la femme dans ſa deſobéiſſance. Sa punition eſt außi plus grande dans ſa durée ; c’eſt ſans raiſon qu’on accuſe celle-ci d’être la cauſe de la chûte du genre humain.



Dieu crée l’homme & la femme dans le Paradis terreſtre ; il leur donne la liberté de manger de tous les fruits, à l’exception d’un ſeul qu’il leur déſigne ; il veut qu’en obéiſſant à cette défenſe, ils reconnoiſſent le ſouverain domaine qu’il a ſur eux. Il fait à Adam ce commandement avant la création d’Ève, qui doit également y obéir : l’Écriture nous le montre quand elle nous dit, que Dieu mit l’homme dans le Paradis terreſtre ; qu’il lui défendit de manger du fruit de vie ; & par une eſpece de réflexion qu’elle ſuppoſe, elle lui fait prononcer ces paroles : Il n’eſt pas bon que l’homme ſoit ſeul, faiſons lui un aide qui lui ſoit ſemblable. Nos Théologiens ſont divisés ſur l’explication de ce point. Les uns ſuppoſent que Dieu a fait en particulier, le même commandement à la femme, auſſi-tôt qu’elle fut formée. D’autres diſent gravement, que ſi cet ordre a été imposé à Adam ſeul avant la création de ſon épouſe, c’eſt qu’il étoit le chef, & qu’Ève en répondant à Dieu, avoit pu dire que cet ordre lui avoit été preſcrit, parce qu’il avoit été intimé à ſon chef qui devoit le lui communiquer. Pures conjectures qui ne prouvent rien contre ce que j’avance. Ridicule conséquence pour avilir le Sexe, que d’en conclure que la femme eſt la cauſe de la chûte de l’homme. Qui eſt le plus excuſable ou le plus foible ? Ou d’Adam qui reçoit un ordre de Dieu même, qui lui déſobéit ſur une ſeule parole ; ou d’Ève, qui ſelon les apparences, connoît cette défenſe, que ſur le rapport de ſon mari : S’il eſt le chef, il doit avoir plus de force & de vertu. Que ne montre-t-il donc ſa ſupériorité par ſa ſageſſe ? Que ne donne-t-il des leçons d’obéiſſance à ſa femme ? Que ne l’abandonne-t-il dans ſa révolte ? Le force-t-elle d’y conſentir ? Cherche-t-elle à le séduire par ſes faveurs ? Elle ne fait que lui propoſer, & il mange auſſi-tôt. Lâche complaiſance & qui deshonore la prétendue ſupériorité de l’homme.

Le démon qui veut ſurprendre nos premiers parens, anime les organes du ſerpent pour le faire parler, ſans que cet animal ſçut ce qu’il diſoit. Ève venoit d’être produite ; elle voyoit les animaux qui leur étoient parfaitement ſoumis. Ne pouvoit-elle pas douter, s’il n’y en avoit pas parmi eux quelques uns doués du don de la parole ; ou ſi ce n’étoit pas un Ange, qui par une permiſſion ſpéciale, lui parloit par l’organe de cet animal, pour éprouver ſa vertu ? Elle n’avoit certainement pas alors plus d’idée d’un Ange, que d’un démon. Peut-être même, ni l’exiſtence, ni la chûte de ces eſprits, ne lui étoient-elles pas connuës, pour pouvoir ſe défier de leur malice ? Cette inſinuation de la part d’un ſerpent, devoit à la vérité, la rendre circonſpecte ſur ce qu’elle devoit faire. Adam connoiſſoit la nature des animaux, il leur avoit impoſé des noms. Ève n’avoit peut-être pas été témoin de cette nomination. Le ſerpent s’adreſſe à elle ; Geneſ. 3.pourquoi Dieu, lui dit-il, vous a-t-il défendu de manger du fruit de tous les arbres ? Cette demande eſt équivoque ; elle peut ſignifier, ou que Dieu avoit défendu de manger d’un certain fruit, ou en général de tous les fruits : Il veut lui persuader que tous les fruits étant également bons, l’usage lui doit en être également permis. Que répond Ève ? Rien de plus juste. Ibid.Nous mangeons du fruit des arbres ; mais pour le fruit de l’arbre qui est au milieu, Dieu nous défend d’en user, de crainte que nous mourions. Vous ne mourerez pas, répond le serpent, vous serez comme des Dieux, connoissans le bien & le mal. Ève regarde ce fruit qui lui paroît beau ; flatée par cette promesse, elle en mange. Elle croît si peu être trompée, qu’elle ne dit pas à Adam, un ſerpent m’a parlé, il m’a dit que ce fruit étoit excellent ; elle le lui préſente, & l’imprudent en mange, ſans s’informer ſi Dieu lui a parlé pour lever ſa défenſe. Dira-t-on pour le juſtifier, que c’eſt Ève qui lui préſente le fruit ? Eh ! qui ſçait ſi le ſerpent lui eût parlé le premier, s’il n’eut pas fait envers Ève, ce qu’elle fit à ſon égard ? Si le démon lui parle la premiere, ce n’eſt pas qu’elle ſoit plus foible, plus facile à ſéduire ; c’eſt qu’il veut par elle tenter ſon mari. Voulez-vous une preuve encore plus ſenſible, qu’Adam eſt le plus coupable ? C’eſt la conduite que Dieu tient envers lui après ſa deſobéiſſance. C’eſt à lui qu’il s’adreſſe le premier, Ibid. 3.Adam, où êtes-vous ? Il ne dit pas Ève, parce que vous avez mangé du fruit que je vous avois défendu, que vous avez ſéduit votre mari, que vous l’avez fait tomber, que vous avez écouté la voix du ſerpent, je vous affligerai de pluſieurs maux ; il n’apporte pas pour la condamner, ces différentes raiſons. Sa deſobéiſſance ſeule fait ſon crime & ſa condamnation. Adam eſt le plus criminel, & c’eſt à lui qu’il dit : Parce que vous Ibid.avez écouté la voix de votre épouſe, que vous avez mangé du fruit défendu… Que nous montrent ces paroles ? Que la défenſe fut intimée à Adam par la bouche de Dieu même, qui lui reproche de l’avoir violée ; & que ſa complaiſance pour ſon épouſe, fait ſon péché. Complaiſance d’autant plus lâche, qu’elle n’avoit employé ni ruſes, ni artifices ; mais qu’elle lui avoit dit ſeulement, que le fruit lui paroiſſoit bon. La tentation à laquelle l’expoſoit une propoſition auſſi ingénue, & à laquelle il ſuccombe, ne marque-t-elle pas bien ſa foibleſſe ? Ève fut trompée, dit Cajètan, par une créature d’une intelligence & d’une ſagacité très-élevée ; circonſtance qui ne ſe trouvant pas à l’égard d’Adam, diminuë beaucoup le crime d’Ève, pendant qu’il aggrave le ſien. Dieu le marque dans toutes ſes paroles. Il ne dit pas, voici Adam & Ève, Ibid. 2. 2.comme l’un de nous. Cette eſpèce d’ironie eſt pour Adam ſeul. Il le fait ſortir du Paradis terreſtre, Ève en ſort auſſi ; mais c’eſt Adam ſeul qui en eſt chaſſé, ſelon l’expreſſion de l’Écriture. Expreſſion qui déſigne comme le plus criminel, celui auquel elle eſt appliquée. Adam veut-il s’excuſer ? Il fait connoître qu’il comprend les ſuites de ſa faute par ſon excuſe ; mais ſon orgueil lui fait rejetter ſur ſon épouſe, la faute qu’il a commiſe par foibleſſe. Il conçut alors contre elle une averſion ſecrette, qu’il ſemble nous avoir tranſmiſe ; inclination mauvaiſe qui nous fait accuſer les femmes d’être la cauſe de toutes nos foibleſſes, qui nous porte à plaiſanter malicieuſement ſur leur chapitre, & à humilier un Sexe qui nous eſt ſi cher.

La punition d’Ève paroît plus rigoureuſe que celle d’Adam, & un Dieu juſte puniroit-il plus ſévérement le moins coupable ? Les douleurs de l’enfantement ſont à la vérité bien ſenſibles ; mais je trouve que Dieu les tempère par des conſolations qui les rendent plus ſupportables que le châtiment de l’homme. La grace du Sacrement, la conſolation de donner des créatures à la Religion & à l’État, le plaiſir de renaître dans des enfans que la nature nous rend ſi chers, en adouciſſent l’amertume, & compenſent bien ces douleurs qui ſont paſſageres, & peu violentes même dans la plupart des femmes. Elles ne les expoſent que par accident au péril de la mort, puiſqu’il en eſt ſi peu qui en ſoient la victime. La providence, dans ce cas, diſpenſe même du devoir du mariage, celles qui ne peuvent enfanter qu’au danger de leur vie. L’homme, au contraire, eſt condamné à un travail opiniâtre pendant tout le temps de ſa vie, il doit manger ſon pain à la ſueur de ſon front, travailler pour ſa famille : Le gouvernement, le ſoin des affaires, la défenſe des Royaumes & des Villes ſont ſon partage & ſon occupation pénible : Une vie ſi laborieuſe, n’eſt elle pas un martyre continuel, beaucoup plus ſenſible par ſa durée, que la douleur paſſagère de l’enfantement.