Librairie Hachette (p. 80-83).
ARTHUR FAIT ENCORE DES SIENNES



Charles et Arthur prirent leurs bicyclettes et filèrent sur Polignac, Paul avait décidé d’explorer en automobile le pays du côté de Fay-le-Froid. Comme il eût été incorrect de prévenir brusquement Mlle Marlvin qu’elle avait à garder les enfants, Élisabeth renonça à l’accompagner. Colette et elle s’assirent sur des chaises basses prés de la table à ouvrage, à côté d’une grande corbeille remplie de bas, de chaussettes de toutes couleurs. Comme Colette ne savait pas raccommoder les bas, Élisabeth commença à lui apprendre à faire une reprise ; tout en travaillant, les deux fillettes bavardaient et se racontaient leurs vies, combien différentes ! Et, pourtant, Élisabeth ne se plaignait pas ! Colette l’écoutait avec stupeur et admiration. Le reprisage terminé, Colette aida Élisabeth à préparer des confitures.

Charles et Arthur avaient pris la grande route qui mène à Saint-Paulien. Puis, ils s’engagèrent sur une autre route qui se dirige vers Polignac. Le trajet sur la grande route n’avait pas été très agréable, mais maintenant, bien que le chemin montât, on ne respirait plus de poussière et le soleil ne tombait pas en plein sur les épaules des voyageurs. Une rangée d’arbres, dont le vent agitait légèrement les feuilles, donnait un peu de fraîcheur.


arthur avait mangé les gâteaux avec appétit.

Charles descendit de sa bicyclette et, adossé à un arbre, il regarda la carte. Arthur, lui, s’assit par terre.

« Là ! là ! que j’ai chaud… après un déjeuner pareil… et cette farceuse de Colette qui nous abandonne… »

Mais Charles ne l’écoutait pas.

« Oh ! mais curieux, ça ! Je vois qu’il y a un lac dans la région, le lac du Bouchet…

— Tu as besoin d’un lac ? demanda négligemment Arthur en mâchonnant un brin d’herbe.

— Je t’en prie, pense un peu au concours, mon ami.

— Mais je ne fais que ça.

— Pense surtout au point 4 : « En un endroit d’où la vue s’étend sur un lac, etc… » C’est à déjeuner que l’idée de ce lac m’est revenue à l’esprit ; je l’avais complètement oublié.

— Tu vois, on oublie toujours quelque chose,

— Ce que tu deviens philosophe ! s’écria Charles un peu moqueur.

— Oh ! tu sais, je suis résigné maintenant ; je pense que nous ne trouverons pas le trésor… parce que tout le monde nous lâche peu à peu… et puis, vraiment, il fait trop chaud !

— Eh bien ! moi, au contraire, je suis rempli d’espoir et je file…

— Hé là ! Hé là ! Attends un peu, » cria Arthur en remontant sur sa machine et en essayant de rattraper son camarade.

Ils furent bientôt sur le plateau de Polignac d’où la vue s’étend au loin sur la ville du Puy d’un côté et sur les monts d’Auvergne de l’autre. Les deux pics rocheux qui se dressent au milieu du Puy se détachaient nettement au-dessus des maisons.

« C’est beau ici ! Est-ce que tu aimes mieux la Bretagne ? demanda Arthur.

— Ce n’est pas la même chose.

— Moi, je pense qu’en Bretagne notre voyage n’a pas été aussi amusant que dans les Pyrénées où ici… »

Charles se mit à rire :

« Peut-être bien ; mais en Bretagne nous avons fait la connaissance de Procope… que nous reverrons peut-être… »

Les deux amis atteignaient les ruines du château de Polignac, dont, il ne reste que des murailles ébréchées et un énorme donjon carré. Ils se penchèrent sur le puits, fameux dans le pays, creusé au milieu des ruines, l’Abîme, profond de quatre-vingts mètres, et y jetèrent une pierre qui mit de longues secondes avant de faire : plouf ! dans l’eau. Puis ils s’assirent à l’ombre et regardèrent autour d’eux.

« Nous sommes en face de la cathédrale du Puy, dit Charles… Non loin d’un château en ruines.

— Nous sommes assis dessus.

— Nous voyons des rochers, une rivière, deux même, la Borme et le Dolézon, mais pas de lac ! Donc, ce n’est pas ici la cachette du trésor. Mais nous allons poursuivre notre exploration. Je voudrais aller du côté de ce lac du Bouchet que j’ai remarqué sur la carte ; de là, nous reviendrons au Puy.

— Oh ! moi qui croyais que nous prendrions le même chemin pour le retour ! s’écria Arthur consterné. Alors j’ai laissé dans un trou, sous une touffe d’herbe, un petit paquet de gâteaux que Colette m’a remis au moment de partir… Tu comprends, j’avais assez de me trimballer moi-même…

— Mon Dieu ! que tu es contrariant avec tes inventions ! s’écria Charles mécontent. Voilà une excursion incomplète et manquée. Nous n’arriverons jamais à aucun résultat.

— Ne te fâche pas, je t’en prie mon vieux. En effet, j’embrouille toujours tes plans… Mais c’est très simple : je vais revenir tout seul et toi tu feras ton exploration comme tu l’as projetée.

— Ça, non ! pour que je passe la nuit à te rechercher !

— Tu me froisses, mon cher, par ton manque de confiance. Écoute, je vais te prouver que tu as tort. Je te promets d’être à sept heures au Puy ; je te jure de ne pas me laisser entraîner par qui que ce soit… Tu entends ; donc pars tranquille. Je n’ai qu’un regret : c’est que tu ne mangeras pas de gâteaux.

— Cela n’a aucune importance, s’écria Charles en riant ; mange ma part, mais sois à l’heure. »

Les deux chercheurs de trésor descendirent un chemin rocailleux en tenant leurs bicyclettes à la main. Puis Arthur, qui rebroussait chemin, se sépara de Charles. Arrivé sur le chemin ombragé, il agita son mouchoir. Charles, qui s’était lui aussi retourné, lui répondit par un geste d’adieu, avant de s’éloigner rapidement, un peu préoccupé pourtant de laisser son ami partir seul.

Quelques instants après, Charles contournait le plateau de Polignac. Un chemin de traverse lui fit rejoindre la route du Puy à Saint-Paulien. Puis il la quitta, descendit par de petits sentiers dans la vallée de la Borme, franchit à un passage à niveau la ligne de chemin de fer qui la suit. Un pont enjambait la Borme, il s’y engagea et fut bientôt à Espaly, bâti dans un site des plus pittoresques. Le village est dominé par un énorme rocher sombre, taillé à pic, d’origine volcanique. De l’autre côté de la Borme se dressent, au flanc d’un gros massif basaltique, les curieuses « orgues » d’Espaly.

Après avoir consulté sa carte, Charles prit la route de Ceyssac. Son regard fut attiré par le vieux château en ruines qui se dresse au-dessus du village sur un rocher escarpé étrangement creusé d’excavations. Il se hâtait ; il faisait moins chaud et il était ravi de tout ce qu’il découvrait.

IL arriva, à travers un pays très accidenté, sur la route qui va du Puy à Langogne. Pousserait-il jusqu’à Cayres et plus loin, jusqu’au lac du Bouchet ? Ce dernier se trouve à dix-neuf kilomètres du Puy et à une altitude de douze cents mètres. C’était une sérieuse grimpée et il commençait à être fatigué. D’ailleurs, la journée s’avançait. De loin, il aperçut un petit village juché au-dessus d’un rocher abrupt et qui dominait une profonde vallée dans le creux de laquelle coulait le Dolézon. Il regarda sa carte ; ce village devait être Roques.


« devinez qui je viens de rencontrer ? »
s’écria arthur.

Charles aurait bien voulu se hisser jusque-là, car l’endroit était saisissant. Mais, vraiment, il se faisait tard. Il réussit à vaincre sa curiosité avide, tout en se promettant de revenir le lendemain. Ce soir, il fallait rentrer. Avant de partir,
charles, appuyé contre un arbre, consultait la carte.
il jeta des regards autour de lui. Comme ce lieu était paisible ! Comme la vue était belle !

Après quelques instants de contemplation, Charles remonta sur sa bicyclette et commença de descendre vers le Puy.

Les routes étaient bonnes : il eut vite franchi la distance qui le séparait de la ville.

Il se rendit à l’hôtel. Ni Arthur, ni les Dambert ne s’y trouvaient. Il s’habilla avec soin, car Mme Saint-Paul, l’amie des Tourneur, l’avait invité à dîner avec ses compagnons de route. Quand Charles arriva chez Mme Saint-Paul, rue Pannesac, tous les invités étaient déjà présents ; seul, Arthur manquait au rendez-vous !

Charles expliqua pourquoi il s’était séparé de son ami : tout le monde se mit à rire, sauf Colette qui pensa qu’Arthur avait dû s’égarer.

« Il a sûrement pris une mauvaise route.

— Oh ! je n’aurais pas dû le quitter ! s’écria Charles.

— Tranquillisez-vous, mon jeune ami, dit alors Mme Saint-Paul, qui n’avait jusqu’ici pu placer un mot. Le jeune Arthur à douze ans, il est assez grand pour trouver son chemin tout seul, soyez-en convaincu.

« Nous allons nous mettre à table, cela le fera arriver. »

Tout le monde passa dans une belle salle à manger ornée de tapisseries anciennes, et les convives prirent place autour de la table, mais ni Charles ni Colette, très inquiets, ne purent avaler une cuillerée de potage.

Tout à coup, un coup de sonnette retentit.

« C’est lui ! dit Charles.

— Le voilà ! » s’écrièrent tous les invités.

En effet, c’était Arthur, la figure rouge, les cheveux ébouriffés, la cravate dénouée, les chaussures couvertes de poussière.

« Madame ! madame ! pardonnez-moi ; mais si vous saviez mon aventure !…

— Tu as trouvé le trésor ? s’écria Charles.

— Vous savez où il est ? » demanda Colette.