Le Tour de la France par deux enfants/113


CXIII. — Les Halles et l’approvisionnement de Paris. — Le travail de Paris.

Villes et champs ont besoin les uns des autres. L’ouvrier des villes nous donne nos vêtements et une foule d’objets nécessaires à notre entretien ; le travailleur des champs nous donne notre nourriture.

On se trouvait tout près des Halles centrales, l’oncle Frantz y conduisit les enfants. Il était neuf heures du matin, c’est-à-dire le moment de la plus grande animation. Julien n’en pouvait croire ses yeux ni ses oreilles. — Oh ! oh ! s’écria-t-il, c’est bien sûr une des grandes foires de l’année ! Que de monde et que de choses il y a à vendre !

L’oncle se mit à rire de la naïveté de Julien.

— Une foire ! s’écria-t-il ; mais, mon ami, il n’y en a jamais aux Halles ; le bruit et le mouvement que tu vois aujourd’hui sont le bruit et l’animation de chaque jour.

— Quoi ! c’est tous les jours comme cela !

— Tous les jours. Il faut bien que ce grand Paris mange. Songe qu’il renferme plus de deux millions d’habitants, dont un demi-million d’ouvriers qui travaillent avec courage depuis l’aube jusqu’au soir. Tous ces habitants, en revenant du travail, de leurs affaires, de leurs plaisirs, ont bon appétit et espèrent trouver à dîner.

LES HALLES CENTRALES A PARIS. — Les halles centrales de Paris forment un vrai monument dont le faîte s’élève à 25 mètres au-dessus du sol. Il est construit presque tout en fonte ou en zinc. De nombreux vitraux en cristal dépoli et des persiennes laissent partout entrer la lumière sans le soleil. Les Halles centrales sont un établissement unique en son genre dans le monde.

— Oh ! dit le petit Julien, ils auront certes de quoi le faire. Jamais depuis que je suis au monde je n’ai vu en un seul jour tant de provisions. Regarde, André, ce sont des montagnes de choux, de salades ; il y en a des tas hauts comme des maisons ! Et des mottes de beurre empilées par centaines et par mille !

— Sais-tu, dit André, ce qu’il faut à peu près de bœufs et de vaches pour nourrir Paris pendant un an ? J’ai vu cela dans un livre, moi ; il faut deux cent mille bœufs ou vaches, cent mille veaux, un million de moutons et cent mille porcs, sans compter la volaille, le poisson et le gibier.

— Mais, dit l’enfant, ce Paris est un Gargantua, comme on dit ; où trouve-t-on tous ces troupeaux ?

— Julien, dit l’oncle Frantz, ces armées de troupeaux arrivent à Paris de tous les points de la France : Paris a sept gares de chemins de fer ; il a aussi la navigation de la Seine à laquelle aboutissent les réseaux des canaux français. Par toutes les voies les provisions lui arrivent. Tiens, regarde par exemple cet étalage de légumes : il y a là des choses qui ont passé la mer pour arriver à Paris ; voici des artichauts, penses-tu qu’il puisse en pousser un seul en ce moment de l’année dans les campagnes voisines de Paris ?

— Non, il fait encore trop froid.

— Eh bien, Alger où il fait chaud envoie les siens à Paris, qui les lui paie très cher. Ces fromages viennent du Jura, de l’Auvergne, du Mont-d’Or, que tu te rappelles bien ; ces montagnes de beurre, ces paniers d’œufs viennent de la grasse Normandie et de la Bretagne : Paris mange chaque année pour plus de vingt millions de francs d’œufs, ce qui suppose près de trois cents millions d’œufs.

— Mon Dieu, dit Julien, que de monde est occupé en France à nourrir Paris !

— Petit Julien, dit André, pendant que les agriculteurs sèment et moissonnent pour Paris, Paris ne reste pas à rien faire, lui, car c’est la ville la plus industrieuse du monde. Ses ouvriers travaillent pour la France à leur tour, et leur travail est d’un fini, d’un goût tels qu’ils n’ont guère de rivaux en Europe. Et les savants de Paris, donc ! ils pensent et cherchent de leur côté ; leurs livres et leurs découvertes nous arrivent en province.

— Oui, ajouta l’oncle Frantz, ils nous enseignent à cultiver notre intelligence, à chercher le mieux sans cesse, pour faire de la patrie une réunion d’hommes instruits et généreux, pour lui conserver sa place parmi les premières nations du monde.