Le Tour de la France par deux enfants/104
Le paquebot arriva rapidement à Dunkerque. Ce port, le plus fréquenté du département du Nord, tire son nom des dunes de sable près desquelles la ville est bâtie. C’est, avec Boulogne et Calais, un centre important pour la pêche des harengs et des sardines.
Frantz désirait se rendre au plus vite en Alsace-Lorraine avec ses neveux sans rien dépenser ; il songea à se procurer de l’occupation sur un des bateaux qui font le service des canaux du Nord et qui, regagnant le canal de la Marne au Rhin, passent tout près de Phalsbourg.
On parcourut la ville animée de Dunkerque ; on passa devant la statue de Jean Bart que David a sculptée, et Julien admira l’air résolu du célèbre marin.
L’oncle Frantz ne trouva pas du premier coup ce qu’il désirait. Ce fut seulement après deux jours de recherches, bien des peines et bien des tracas, qu’il obtint de l’ouvrage à bord d’un bateau. Encore ne lui promit-on d’autre salaire que leur nourriture à tous les trois.
Nos amis s’en revenaient donc la tête basse, le front soucieux, songeant qu’il allait falloir entamer leur petite réserve d’argent pour s’acheter des vêtements de rechange ; et ils étaient si tristes qu’ils marchaient sans rien se dire, préoccupés de leurs réflexions.
— Eh bien, s’écria Guillaume qui les attendait sur le seuil de la porte, arrivez donc : il y a du nouveau qui vous attend.
Julien, en voyant la figure radieuse du brave pilote, devina vite que les nouvelles étaient bonnes ; il s’élança à sa suite de toutes ses petites jambes, et on monta quatre à quatre l’escalier de la mansarde qu’on avait louée en arrivant.
Quand la porte fut ouverte, Julien demeura bien surpris. Il aperçut au beau milieu de la mansarde quatre caisses de voyage portant chacune le nom de l’un de nos quatre voyageurs. Julien, naturellement, s’empressa d’ouvrir celle qui portait son nom, et il fit un saut d’admiration en voyant dans le tiroir de la caisse de bonnes chemises à sa taille, des bas, des souliers neufs, un chapeau en toile cirée et une paire de pantalons en bon drap.
— Mais, père Guillaume, dit l’enfant en déployant toutes ces richesses, est-ce que c’est possible que ce soit pour moi, tout cela ! D’où vient cette belle caisse ? Et André qui en a autant ! et mon oncle aussi, et vous aussi ! Qu’est-ce que cela veut dire ?
— Petit Julien, répondit le père Guillaume, ravi de la bonne surprise qui épanouissait tous les visages, c’est le cadeau d’adieu de notre capitaine. Il a fait dresser avec moi, comme la loi l’y obligeait, le procès-verbal du naufrage du navire : le Poitou était assuré avec toute sa cargaison et le capitaine ne perdra rien : il a trouvé juste que nous ne perdions rien aussi, et il nous envoie ces vêtements en échange de ceux qui ont coulé avec le navire. En même temps, il a ajouté le paiement promis à chacun de nous pour la traversée. Volden, voici tes cinquante francs ; André, en voici trente, et toi, Julien, voici un carton d’écolier tout neuf pour te récompenser d’avoir été courageux en mer comme un petit homme.
Julien ne se possédait pas d’aise. Cette caisse à son adresse, c’était le premier meuble qu’il eût possédé :
— Mon oncle, disait-il en sautant de plaisir, voyez donc, nous avons maintenant un mobilier : c’est comme si nous possédions chacun une armoire !
Tout d’un coup, il s’interrompit pour pousser une nouvelle exclamation de surprise :
— Ah ! mon Dieu ! dit-il, jusqu’à mon joli parapluie que M. Gertal m’avait donné et que j’avais tant de regret d’avoir perdu ! Eh bien, le capitaine en a mis un au fond de la caisse, et il est tout pareil, regarde, André.
— Je m’imagine, dit l’oncle Frantz en tendant la main avec émotion à Guillaume, qu’il y a quelqu’un qui a sans doute aidé la mémoire du capitaine.
— Mon vieil ami, dit Guillaume, j’étais chargé de faire l’inventaire complet ; j’ai tâché de ne rien oublier.
Ce soir-là, nos quatre amis dînèrent bien contents. Après dîner on alla remercier le capitaine, et chemin faisant Julien ne put s’empêcher de dire qu’il trouvait que les assurances sont une bien bonne chose.
— Oui certes, petit Julien, répondit Guillaume. En donnant aux compagnies d’assurances une faible somme chaque année, on se trouve protégé autant que faire se peut contre les malheurs de toute sorte. Je me suis déjà dit qu’en arrivant chez moi la première chose que je vais faire, ce sera d’assurer contre l’incendie le petit bien dont nous avons hérité et d’assurer contre la grêle mes récoltes de chaque année.
Et le vieux pilote ajouta sentencieusement :
— L’homme sage n’attend point que le malheur ait frappé à sa porte pour lui chercher un remède.