Le Tour de la France par deux enfants/063


LXIII. — Les fatigues de Julien. — La position de Lyon et son importance. — Les tisserands et les soieries.

L’industrie des habitants fait la prospérité des villes.

— Oh ! monsieur Gertal, quelle grande ville que ce Lyon ! s’écria le petit Julien, qui n’en pouvait plus de fatigue un matin qu’il revenait de porter un paquet chez un client. J’ai cru que je marcherais tout le jour sans arriver, tant il y a de rues à suivre et de ponts à passer !

— Allons, assieds-toi et dîne avec moi, dit M. Gertal ; cela te reposera. André gardera l’étalage pendant ce temps. Quand nous aurons mangé, nous irons le remplacer au travail et il viendra dîner à son tour ; car, dans le commerce, il faut savoir bien disposer son temps.

Julien s’assit, et pendant que le patron lui servait le potage, il s’écria encore :

— Mon Dieu ! que c’est grand, cette ville de Lyon !

— Mais, dit le patron, tu sais bien que c’est la seconde ville de France, petit Julien.

— Tiens, c’est vrai, cela. Mais, monsieur Gertal, qu’est-ce qui fait donc que certaines villes deviennent de si grandes villes, tandis que les autres ne le deviennent point ?

LE LYONNAIS est une petite province dont l’intelligence des habitants a fait une des plus importantes de France. Outre les grandes villes industrieuses de Lyon et de Saint-Étienne, d’autres, comme Tarare, Roanne, Montbrison, filent le coton et fabriquent la mousseline. Givors et Rive-de-Gier sont de grands entrepôts de charbons ; Villefranche et Beaujeu font le commerce des vins.


— Cela tient presque toujours à l’industrie des habitants et à la place que les villes occupent, petit Julien. Tu as une carte de France dans le livre qu’on t’a donné à Mâcon, et puisque tu as toujours ce cher livre dans ta poche, ouvre-le et regarde la position de Lyon sur ta carte ! Vois, Lyon est situé à la fois sur la Saône et sur le Rhône. Par la Saône il communique avec la Bourgogne et l’Alsace ; par le Rhône, avec la Suisse d’un côté et avec la Méditerranée de l’autre. Par le canal de Bourgogne et les autres canaux, il communique avec Paris et la plupart des grandes villes de France. Six lignes de chemins de fer aboutissent à Lyon, et ses deux grandes gares sont sans cesse chargées de marchandises. N’est-ce pas là une magnifique position pour le commerce d’une ville, Julien ?

— Oui, dit Julien, dont le petit doigt avait suivi sur la carte les chemins indiqués par M. Gertal ; je connais déjà une partie de ces pays-là. Je comprends très bien maintenant ce que vous me dites, monsieur Gertal : pour qu’une ville prospère, il faut qu’elle soit bien placée et qu’il y ait bien des chemins qui y aboutissent.

— Justement ; mais ce n’est pas le tout : il faut encore que la ville où toutes ces routes aboutissent soit industrieuse et que ses habitants sachent travailler. C’est là la gloire de Lyon, cité active et intelligente entre toutes, cité de travail qui a su, depuis plusieurs siècles, maintenir au premier rang dans le monde une de nos plus grandes industries nationales : la soierie. Il y a à Lyon 120,000 ouvriers qui travaillent la soie, petit Julien, et dans les campagnes environnantes 120,000 y travaillent aussi : en tout 240,000.

— 240,000 ! fit Julien, mais, monsieur Gertal, cela fait comme s’il y avait douze villes d’Épinal occupées tout entières à la soie !

OUVRIER DE LYON TISSANT LA SOIE A L’AIDE DU MÉTIER JACQUARD. — La plupart des ouvriers de Lyon travaillent chez eux avec des métiers qu’ils possèdent ou qu’on leur prête. D’autres travaillent dans de grands ateliers où les métiers sont mus par la vapeur. Du haut des métiers on voit se dérouler toutes faites les pièces de soieries ou de rubans.

— Oui, Julien. As-tu vu, en passant dans les faubourgs de la ville, ces hautes maisons d’aspect pauvre, d’où l’on entend sortir le bruit actif des métiers ? C’est là qu’habite la nombreuse population ouvrière. Chacun a là son petit logement ou son atelier, souvent perché au cinquième ou sixième étage, souvent aussi enfoncé sous le sol, et il y travaille toute la journée à lancer la navette entre les fils de soie. De ces obscurs logements sortent les étoffes brillantes, aux couleurs et aux dessins de toute sorte, qui se répandent ensuite dans le monde entier. Il s’est vendu cette année à Lyon pour plus de 500 millions de francs de soieries. Du reste, le travail de la soie n’est pas le seul à occuper les Lyonnais. Ils tiennent encore un beau rang dans cent autres industries.

— Monsieur Gertal, j’ai vu sur une place, en faisant ma commission, la statue d’un grand homme, et on m’a dit que c’était celle de Jacquard, un ouvrier de Lyon. Je vais ouvrir encore mon livre pour voir si on y a mis ce grand homme-là.

Julien feuilleta son livre et ne tarda pas à voir la vie de Jacquard. — Le voilà tout justement ! Eh bien, je la lirai quand nous aurons quitté Lyon et que nous serons en voiture sans avoir rien à faire ; car à présent nous avons trop à travailler pour y songer.

— Tu as raison, Julien, il faut que chaque occupation vienne à sa place. L’ordre dans les occupations et dans le travail est encore plus beau que l’ordre dans nos vêtements et dans notre extérieur.

M. Gertal se leva de table, car tout en causant on avait bien dîné. — Il faut se remettre au travail, dit-il ; il est l’heure. Retournons à notre étalage et venons retrouver André.