Le Tigre de Tanger (Duplessis)/II/IX

et Albert Longin
L. de Potter (2p. 235-268).

IX

Le vieux puritain.

Deux mois se sont écoulés depuis la mort de Charles II. Le duc d’York, son frère, règne sous le nom de Jacques II, et l’Angleterre commence déjà à pressentir les maux que lui réserve l’avenir !

L’opposition, que la Restauration avait à peu près anéantie, relève la tête et prélude, par des pamphlets anonymes et par des réunions clandestines, aux grandes luttes parlementaires : les whigs serrent leurs rangs, comptent leurs forces et se préparent en silence au combat.

Toutefois, avant de pénétrer dans la vie intime des partis politiques et religieux qui vont bientôt changer l’Angleterre en une vaste arène et inonder son sol de sang, nous devons franchir la mer et conduire le lecteur, pour une seule nuit, sur une terre libre, en Suisse.

Dans une modeste maison de campagne, située à une lieue environ de Lausanne, va se passer une scène dont le dénouement se rattache intimement à notre récit.

Le 5 avril 1685, vers les six heures du soir, deux vieillards, l’un debout, l’autre assis, se tenaient devant un feu clair et gai de bois de sapin, dans le salon de la petite habitation.

Le premier des deux hommes, celui qui était assis, paraissait avoir soixante ans. Son front vaste, son regard profond et pensif, indiquaient une intelligence peu ordinaire ; les lignes sévères de son visage permettaient de supposer que depuis bien longtemps ses lèvres n’avaient point donné passage à un sourire : l’expression habituelle et intime de sa physionomie était celle d’une inflexible austérité. Néanmoins, l’éclair qui de temps à autre illuminait son œil gris, prouvait que ce vieillard cachait sous son masque de marbre une âme encore ardente. La figure de l’autre vieillard, du même âge à peu près que le premier, présentait peu de difficultés à l’étude ; on y lisait comme dans un livre ouvert ; elle disait la loyauté, la bonté et le dévoûment poussés à leurs dernières limites, mais elle manquait complètement de distinction. Il s’appelait William, et était attaché depuis quarante ans, en qualité de domestique, au vieillard à l’air rigide et austère, qui n’était autre que le fameux lord Lisle, l’un des plus braves officiers et des plus dévoués partisans du protecteur Cromwell.

Au moment où commence notre récit, lord Lisle, assis devant une table encombrée de papiers épars et de lettres décachetées, tenait entre ses mains une miniature de forme ovale, qu’il considérait avec une extrême attention. William, placé debout derrière son maître, regardait par-dessus l’épaule du lord, et semblait trouver un singulier plaisir dans cet examen.

Bientôt, soit que l’attention du vieux serviteur fût devenue trop vive pour qu’il pût la concentrer plus longtemps, soit que le silence prolongé de son maître commençât à lui peser, toujours est-il que William, usant du privilége de familiarité acquis par de longs et fidèles services, entama la conversation :

— Mon Dieu ! mylord, s’écria-t-il en joignant les mains avec admiration, que miss Lucy Murray est donc belle !

Cette exclamation amena sur le visage de lord Lisle un air de satisfaction qui, pour lui, équivalait à un joyeux sourire.

— N’est-ce pas, William ? Eh bien, s’il faut croire ce que m’écrit mon vieil ami Murray, cette peinture est de beaucoup inférieure encore au modèle. Or, on peut ajouter une foi entière à son témoignage, car Murray attache une fort mince importance aux dons de la nature, et dans tout le cours de sa vie, je ne dirai pas un mensonge, mais une simple exagération n’est sortie de ses lèvres. Oui, Lucy est une adorable créature ! Je n’ai jamais connu les emportements de l’amour, moi, et pourtant il me semble que si j’étais jeune et libre, je deviendrais éperdûment épris d’une perfection si idéale ! N’est-il point vrai, William, qu’il faudrait qu’un jeune homme n’eût point de sang dans les veines pour rester indifférent à tant de grâces, de séductions et de beauté ?

— Je suis persuadé, mylord, que votre honoré fils, mon maître, sir Henry, partage votre opinion.

— Je l’espère sans oser y croire…

— Je ne vous comprends pas, mylord…

— Quoi ! s’écria le vieillard avec une animation qui ne lui était pas habituelle, tu ne comprends pas que si mon fils aimait Lucy, il serait sauvé !…

— Qu’entend Votre Seigneurie par ces mots : « Il serait sauvé ! » Un danger menace donc sir Henry ?

— Le plus grand de tous les dangers, celui de perdre son âme ! Tiens, mon bon et vieux William, poursuivit lord Lisle, assieds-toi là, près de moi… pas de refus… je te l’ordonne !… Mon cœur est plein, il faut qu’il déborde… Depuis bien des années, habitué à voir la fatalité s’acharner après moi, je ne sais plus supporter le bonheur, la joie… La joie me fait mal…

— Et vous êtes heureux aujourd’hui, mylord ? demanda le vieux serviteur avec un élan qui prouvait un profond et tendre attachement à son maître.

— Oui, oui, William, Dieu semble avoir pris enfin en pitié ma résignation et mes souffrances… De tous les côtés m’arrivent de bonnes, d’heureuses nouvelles… Tout à l’heure, William, nous reviendrons à ces bonnes nouvelles, car elles t’intéressent aussi personnellement… Maintenant, parlons de mon fils. Personne ne sait mieux que toi, William, la tendresse inquiète et jalouse que je porte à ce cher enfant, l’unique rejeton de ma race. De toutes les douleurs qui suivent l’exilé sur la terre étrangère, une surtout a eu prise sur moi : la pensée que mon fils, livré sans défense à la fatale tendresse de sa mère, avait renié ma religion — la vraie religion ! — qu’il était devenu papiste. Que de nuits d’une fiévreuse et cruelle insomnie n’ai-je point passées ! que de larmes amères n’ai-je point versées, en songeant à cet affreux malheur !… Au reste, il ne pouvait en être autrement ; lady Lisle était trop noble, trop sincère, trop convaincue dans son erreur pour ne pas la faire partager à son fils ! La grande vertu de la mère devait perdre l’enfant… Ce fut en vain que Murray, mon fidèle et dévoué ami, essaya de combattre l’influence de lady Lisle, de sauver mon pauvre Henri ; entre un étranger et sa mère, Henry ne devait pas hésiter ! Eh bien, aujourd’hui encore, je n’ai pas perdu tout espoir. Pourquoi mon fils, devenu maintenant un homme, c’est dire capable de voir les choses par lui-même, de les étudier, de les comparer, de réfléchir ; pourquoi mon fils, s’apercevant enfin dans quelle voie inique et déplorable il s’est engagé, n’abjurerait-il pas les coupables croyances imposées à l’inexpérience de sa jeunesse ?

— Hélas ! mylord, dit le vieux William, qui lui-même était un zélé et ardent puritain, l’influence que lady Lisle a sur sir Henry est si grande, que je n’ose partager votre espoir… À moins d’un miracle, je ne vois pas trop comment ?

— Et qui t’assure, pécheur endurci, toi qui oses mettre en doute le pouvoir du Dieu tout-puissant, qui t’assure que ce miracle n’aura pas lieu ?… interrompit vivement l’exilé. Il se prépare déjà, et la Providence semble l’avoir résolu… Ces lettres de Murray font naître en moi des espérances qui se réaliseront certainement. Henry et Lucy s’aiment, tu le sais, depuis leur enfance… Leur union, de mon consentement et de celui de sir Charles Murray, était arrêtée. Lady Lisle, elle, avant de consentir au mariage, avait voulu voir la reine et soumettre le projet à l’approbation de cette princesse et à celle de son époux, Charles Stuart… Murray fut mandé avec sa fille à White-Hall. Il y alla… Le vieux Shakespeare a dit : « Fragilité, ton nom est femme ! » On pourrait dire aussi : « Concession, ton père c’est notre amour pour nos enfants ! » Mais, le soir même de l’entrevue, le Stuart fut frappé de la maladie qui l’emporta cinq jours après. Or, sous son règne on pouvait, à la rigueur, unir la fille d’un puritain à un jeune officier papiste. Alors, il n’était pas probable que le lendemain peut-être de la consécration d’un tel mariage, l’époux fut appelé à tirer l’épée contre le père de sa femme….

Mais les temps sont bien changés !… Depuis l’avènement de Jacques d’York au trône de notre pauvre Angleterre, tous ces dangers éloignés sont devenus imminents, et Murray ne veut donner sa fille à Henri que s’il abjure la religion catholique… Il m’écrit qu’il saisira la première occasion favorable pour frapper un grand coup. Puisse-t-il réussir ! Et combien je bénirai Lucy si sa vertu et sa beauté opèrent un pareil miracle !… L’influence de lady Lisle sur mon fils est extrême, j’en conviens, mais Dieu n’a-t-il pas dit à l’homme : « Tu quitteras ta mère pour suivre ta femme ? »

— Que Dieu exauce les désirs de Votre Seigneurie, dit William, et le plus cher de mes souhaits sera accompli !… Voir mon jeune maître sir Henry revenu dans la bonne voie et l’époux de miss Lucy, ce serait du bonheur pour le reste de mes jours.

— D’ailleurs, Murray et Lucy ne seront pas seuls à combattre ! poursuivit lord Lisle avec feu. Je serai là aussi, moi, nous y serons tous les deux, mon bon William !… Oui, oui, notre exil de vingt-cinq ans touche à sa fin. Bientôt, dans un mois, dans quelques jours peut-être, nos pieds, fatigués de se traîner sur la terre étrangère, fouleront enfin le sol natal !

— Mylord, mylord, mon bien-aimé maître ! s’écria le vieillard avec une émotion indicible, si vous n’êtes pas bien assuré de cet heureux changement dans notre position, de grâce ne poursuivez pas… Ne faites point luire à mes yeux un si enivrant espoir… À mon âge, mylord, on sait se résigner à un malheur certain, mais on est sans force contre une déception cruelle… car on n’a pas le temps d’attendre. Mylord, je vous en conjure à mains jointes, je vous en supplie à deux genoux, la vérité, la vérité tout entière !… Puis-je espérer, quand je serai mort, que je reposerai auprès des miens, dans le modeste et paisible cimetière de mon obscur village ?

— William, dit lord Lisle avec une solennité de ton mêlée de tendresse, Dieu t’a fait mon égal, et ton dévoûment, mon ami !… Lorsque le créateur de toutes choses daignera te rappeler à lui, ta dépouille mortelle prendra place dans le caveau de ma famille !… Mais ne parlons point de mort, de séparation, nous avons acheté par assez de souffrances et de désespoir le droit de nous réjouir à la pensée de notre prochain triomphe…

— Notre triomphe, mylord ?

— Oui, William, notre triomphe et celui de l’Angleterre ! L’heure va sonner où notre glorieuse et fière patrie cessera de se traîner honteusement à la remorque de la France et de mendier les honteux subsides de Louis XIV ! Bientôt nous reprendrons notre rang dans la grande famille des nations, bientôt notre drapeau, aujourd’hui avili et déshonoré par la trahison et la lâcheté des Stuarts, brillera du même éclat qu’aux beaux jours du protectorat de Cromwell !

— De grâce, mylord, achevez ! Quel doit être le sauveur de l’Angleterre ?

— J’ai dit tout ce qu’il m’était possible de dire, répondit l’exilé ; malgré la confiance illimitée que j’ai en toi, mon bon William, il ne m’est pas permis de compléter cette confidence. Au reste, j’attends d’un moment à l’autre des lettres d’une excessive importance !… Je m’étonne même qu’elles ne soient point encore arrivées, Je tremble à l’idée que l’une d’elles ait pu être égarée. Mon bon William, il faut absolument que tu retournes encore une fois aujourd’hui à Lausanne, que tu t’assures de nouveau qu’aucun pli ne se trouve à la poste à mon adresse !… Te sens-tu la force d’accomplir ce trajet ? Si je ne souffrais pas autant depuis ce matin de mes anciennes blessures, je t’éviterais bien volontiers cette fatigue…

Lord Lisle parlait encore, quand une violente rafale de vent et de pluie ébranla toute la maison.

— Ah ! continua le vieillard, voici le mauvais temps !… Quelle contrariété ! N’importe, mon pauvre William, du courage ! Mets un bon manteau, et pars au plus vite.

— Mylord, dit le serviteur, sans bouger du fauteuil, où, sur l’ordre de son maître, il avait pris place, je ne sais comment remercier Votre Seigneurie des preuves de bonté dont elle m’accable. Quoique je comprenne parfaitement l’importance que vous attachez à ce que vos lettres ne séjournent pas longtemps à la poste, je vous demanderai néanmoins humblement la permission de ne pas me rendre ce soir à Lausanne.

À cette réponse, lord Lisle regarda William avec un étonnement qui approchait de la stupéfaction. En effet, c’était la première fois depuis quarante ans que le dévoué serviteur discutait un ordre de son maître.

Toutefois, prenant en considération l’inaltérable dévoûment et l’âge avancé de William, ce fut avec une grande douceur qu’il lui dit :

— Peux-tu craindre la pluie, la neige et le vent, mon vieil ami, quand il s’agit peut-être des destinées de l’Angleterre ?

— Oh ! mylord, s’écria William d’une voix émue, est-il possible qu’une pareille pensée vous soit venue à l’esprit !… Moi, redouter un peu de fatigue et d’ennui lorsqu’il s’agit de vous être utile, de vous obéir ! Vous devriez savoir depuis longtemps, mylord, que je suis toujours prêt, sur un simple signe de Votre Seigneurie, à jouer et à sacrifier ma vie.

— Alors, qui te retient, William, de partir tout de suite pour Lausanne, ainsi que je t’en ai prié ?

Le vieux serviteur hésita un instant, puis, surmontant enfin la répugnance qu’il semblait éprouver à répondre à cette question :

— La peur, mylord, dit-il d’une voix sourde.

— Peur, toi, William !… Et quels sont les dangers qui t’effraient ?… à quels périls doit donc t’exposer ton obéissance ?…

— Personnellement… à aucun… Seulement, mylord, si je me mets ce soir en route…

— Eh bien ! achève. Tu disais : « Si je me mets ce soir en route… » Après ?

— Il peut survenir tel accident qui me retienne le reste de la nuit.

— Où serait le mal ? Je me passerai aisément jusqu’à demain de tes services.

— Oui, mylord, mais cette nuit ?

— Eh bien, cette nuit je dormirai en rêvant à notre prochain retour en Angleterre ; ce sera, William, un doux sommeil.

Lord Lisle, tout en prononçant ces paroles, examinait attentivement son serviteur.

— William, continua-t-il après une légère pause et en hochant la tête, il est évident qu’il se passe en toi quelque chose d’étrange, d’insolite, que tu ne veux pas avouer. William, je veux savoir, mieux encore je te prie de me dire la vérité entière.

— Pardonnez-moi mon hésitation, mylord, je voulais éviter un ennui, une préoccupation à Votre Seigneurie, mais du moment qu’elle daigne me prier de partir je dois lui obéir…

— Explique-toi sans crainte, William, je suis trop façonné au malheur pour qu’une simple contrariété ait prise sur moi. Qu’y a-t-il ?

— Il y a, mylord, que l’excellent M. Muller, le bourgmestre de Lausanne, est venu m’avertir que j’eusse à me tenir sur mes gardes et à veiller avec plus de soin que jamais sur les jours de Votre Seigneurie. Il m’a appris que l’on a vu rôder hier au soir autour de votre demeure, deux voyageurs étrangers et d’allure suspecte. M. Muller les fait rechercher en vain depuis ce matin. Je vous en conjure, mon maître, ne m’éloignez pas en ce moment de votre personne.

La révélation de William parut ne causer aucune impression sur l’exilé ; un sourire presque imperceptible de dédain effleura ses lèvres.

— J’irai remercier dès-demain ce brave Muller des soins qu’il prend de ma sûreté, dit-il d’une voix parfaitement calme. En attendant, William, mets-toi en route et ne t’inquiète de rien…

— Veuillez m’excuser, mylord, si j’insiste. Un pressentiment me dit que vous êtes à la veille d’un malheur !…

— Je n’ajoute aucune foi aux pressentiments, William. Ce mot est fils de l’orgueil humain ; nous ne l’avons inventé que pour cacher nos faiblesses. Du reste, que puis-je craindre ? Personne, excepté le bourgmestre Muller, ne me connaît dans le pays sous mon véritable nom. Pour tout le monde, je suis M. Burton, vieux savant anglais, qui vit fort retiré, ne s’occupe en rien des affaires d’ici-bas, ne fait de tort à personne, et attend tranquillement, en vrai philosophe, que la mort vienne enfin mettre un terme à sa longue carrière. Que puis-je donc craindre ? D’avides malfaiteurs ? Chacun sait la médiocrité de ma fortune.

— Mais, mylord, s’écria William en interrompant son maître, n’avez-vous pas entendu dire que plusieurs de vos anciens collègues du Parlement ont été dernièrement assassinés dans leur exil, sans l’on ait jamais pu découvrir leurs meurtriers !… Pourtant eux aussi devaient se tenir sur leurs gardes ; de plus ils n’avaient pas stigmatisé publiquement, comme vous l’avez fait dans un pamphlet devenu européen, l’infâme conduite du grand juge au banc du roi !… On prétend, mylord, que Jefferies, ce tigre à face humaine, ainsi que vous l’appelez vous-même, n’oublie et ne pardonne jamais une injure. Pour la seconde fois, mon maître, je vous en conjure à genoux, tant qu’on n’aura pas découvert et interrogé ces deux étrangers suspects qui rôdaient hier aux alentours de la maison, permettez que je veille à votre sûreté, que je me fasse pour ainsi dire votre ombre !

— Sais-tu bien, William, répondit lord Lisle avec un commencement d’impatience, que si tu persistais à ne pas le rendre à ma prière, je finirais, malgré moi, par douter s’il n’y a pas dans ton obstination autant de paresse que de dévoûment.

À ce reproche indirect, le pauvre vieux serviteur pâlit et rougit coup sur coup, puis, saluant humblement son maître, il s’éloigna sans répondre.

Trois minutes ne s’étaient pas écoulées, que William, les pieds chaussés de fortes bottes, la tête recouverte d’un large chapeau, et portant in long et solide bâton à la main, se représentait devant son maître.

— Mylord, lui dit-il, j’attends vos ordres. Seulement que Votre Seigneurie me permette de la supplier de n’ouvrir à personne pendant mon absence. Votre maison est si solitaire, si éloignée de toute habitation que nul, si vous en aviez besoin, ne viendrait à votre secours.

— Tu oublies, William, que ces étrangers fussent-ils animés de mauvaises intentions envers moi, ne sont, après tout que deux. Or, quand on est sur ses gardes, qu’on dispose d’une excellente paire de pistolets à double canon, et que l’on ne marque pas précisément de courage, aucun danger ne saurait exister.

— Mais la trahison, mylord ?

— Ne suis-je point, je te le répète, prévenu et sur mes gardes ? Au revoir, William ; voici une embellie : hâte-toi de te mettre en route… Sois persuadé, mon pauvre ami, que s’il ne s’agissait pas des intérêts de notre belle Angleterre, pour rien au monde je ne consentirais à t’exposer dans de telles conditions, à une course longue et fatigante. À bientôt, William, à bientôt.

Le serviteur voulut répondre, mais sentant des larmes lui monter aux yeux, et craignant de laisser voir son émotion, il baissa la tête et s’éloigna en silence. Il était alors huit heures du soir, et la nuit était close depuis longtemps.