Le Théâtre pendant les jours du Siège et de la Commune/II

II


De la déclaration de guerre à la défaite de Wœrth. — Les spectacles comme la presse théâtrale donnent l’impression d’une confiance absolue dans le succès de nos armées.

À partir de cette mémorable soirée, ce furent chaque soir, dans tous les théâtres, les mêmes manifestations, les mêmes enthousiasmes.

À la Comédie-Française, pendant les quarante-quatre représentations qui précédèrent la fermeture officielle des théâtres, Agar provoqua chaque soir la même effervescence patriotique.

À l’Opéra, tantôt Faure, tantôt Marie Sasse chantaient l’hymne national ; à l’Opéra-Comique, c’étaient Galli-Marié, Montjauze ; et à la Gaîté, Thérésa, à l’Alcazar, Mme Bordas.

Non seulement au café-concert mais au théâtre, on entend le Chant du Départ, la Parisienne[1], le Bataillon de la Moselle, Guerre aux Prussiens, et surtout le Rhin Allemand. Il y eut une éclosion extraordinaire de compositions sur les paroles d’Alfred de Musset : Rhin Allemand de Poise, Rhin Allemand de Félicien David, Rhin Allemand de Vaucorbeil, Rhin Allemand de G. Lefort chanté par l’auteur à une représentation des Variétés, Rhin Allemand qu’Obin a composé et qu’il interprète également lui-même, musique de scène de J. Cohen pour la récitation des vers de Musset.

La confiance dans de prochaines victoires se fait sentir dans les programmes des théâtres et des concerts comme dans les articles de journaux. Dès le 6 août on joue au Gymnase un à-propos de Détournelle, Après la Guerre ! L’orchestre Besselièvre fait applaudir une marche, écho des manifestations de la rue, l’Entrée à Berlin ! Albéric Second écrit dans l’Entr’acte : « Tous les théâtres de Paris seront ouverts sous peu de jours, tous les théâtres de Berlin sont fermés depuis une semaine. »

À l’Opéra, un monsieur proteste contre l’exécution du Rhin Allemand. Il a payé sa place pour entendre la Muette et non des chants patriotiques. Un voisin se lève aussitôt, jette un louis dans son chapeau, pièces et sous sont jetés de tous côtés : « Tenez, monsieur ! voilà le prix de votre place », crie-t-on au spectateur grincheux qui doit quitter la salle sous les invectives.

Cinq théâtres, l’Ambigu en tête, montent les Prussiens en Lorraine. Auber et Mme Scribe abandonnent leurs droits d’auteur de la Muette au profit de la souscription de la presse, tant que la Marseillaise accompagnera la représentation. Meilhac, Halévy et Offenbach suivent aussitôt l’exemple et laissent aussi leurs droits d’auteur à la souscription.

Au Caveau, Saint-Germain chante une chanson de sa composition, que nous qualifierions de bien venue, si les souvenirs de nos défaites n’en faisaient amèrement ressortir la naïve illusion :

La chanson d’aujourd’hui

Quoi ! La Prusse, cette caserne,
À l’Europe ferait la loi !
Guillaume, ce porte-giberne,
Voudrait devenir notre roi !
Et les arts et la poésie
Quitteraient Paris pour Berlin !
Jamais !… Amis, à la Patrie !
Je suis chauvin !

Notre pays n’a rien à craindre
Des revers et des insuccès.
Loin de chercher à nous contraindre,
Les vainqueurs deviendraient Français I
Nous projetons une lumière
Que l’on voudrait éteindre en vain !
Amis, au passé !… Haut le verre !
Je suis chauvin !

Ils voudraient bien, par gentillesse,
Chez nous apprendre le français !
Nous irons chez eux, par tendresse,
Leur en faciliter l’accès.

S’ils trouvent la leçon trop chère,
Ils l’auront bonne, c’est certain !
À l’avenir !… Et haut le verre !
Je suis chauvin !

Le Palais-Royal lui-même ne veut pas rester en dehors du mouvement. Il affiche les Tribulations prussiennes du Palais-Royal, où, sur l’air du final de Charles VI, Hyacinthe et Mme Thierret entonnent des couplets où la note patriotique prend une allure burlesque :

Reins allemands, vous aurez de la chance,
Si les zouzous parisiens
Ne défoncent pas vos Prussiens,
Car, guerre au Prussiens !
Tel est le cri des Parisiens !

La pauvreté de l’invention nous dispenserait d’une telle citation, mais cette fanfaronnade vaudevillesque de mauvais goût n’achève-t-elle pas de dépeindre l’insouciant optimisme de Paris et de la France en juillet 1870 ? Chants patriotiques, compositions pseudo-littéraires ou musicales dont l’à-propos suffirait à garantir le succès, scènes d’enthousiasme provoquées ainsi dans des théâtres, tout ne montrait-il pas l’illusion, l’assurance absolue de prochaines victoires, d’une rentrée triomphale des troupes rappelant bientôt le retour de la campagne d’Italie ?… et c’est au milieu de cette aveugle confiance qu’éclata la terrible nouvelle de la bataille de Wœrth.


  1. La musique, composée sur la poésie de Casimir Delavigne, est plus que médiocre. Adolphe Nourrit provoqua néanmoins un enthousiasme indescriptible en la chantant, en 1831, à une cérémonie anniversaire des journées de Juillet, au Panthéon, en présence de Louis-Philippe.
    Au dernier couplet :

    Tambours, du convoi de nos frères
    Roulez le funèbre signal,

    l’émotion fut, paraît-il, indescriptible.