Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Préface

Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. i-iii).


PRÉFACE.


L’ouvrage, que je présente aujourd’hui au public, est un de ceux, que tout le monde connaît, mais que personne n’a lu, ou, si ce mot est considéré comme un peu trop exclusif, qui ont eu moins de lecteurs encore que n’en compte la fameuse Messiade de Klopstock, — ce qui n’est pas peu dire, il me semble.

Et cependant j’ose présager au Testament du Curé Meslier un avenir d’immense durée. Les siècles se succèderont, la Messiade sera oubliée, son héros sera relégué dans quelque coin du Panthéon parmi les grandes figures mythiques des siècles passés, à l’ombre du puissant Buddha peut-être, et l’œuvre du vénérable curé d’Estrepigny sera encore consultée et étudiée, ne fut-ce que comme une curiosité dans les annales de la libre pensée.

Cette conviction est toute personnelle, j’en conviens ; aussi ne veux-je la poser que comme telle ; mais j’avais besoin de la mettre en avant, ainsi que je le fais, par ce que je me crois obligé de dire à quelle considération le public doit surtout la préface que voici.

Il existe en Hollande depuis quelques années un parti rationaliste, qui grandit de jour en jour. Ce parti ne proclame aucun système, puisqu’il les résume tous ; il n’exclut personne puisqu’il ne demande de ses membres que l’amour de la vérité et de la justice, que le désir d’être utile au progrès intellectuel et moral de l’homme et de la société.

Je veux que l’œuvre de ce parti fasse époque dans l’histoire ; c’est pour cela surtout que j’attache au livre de l’éminent penseur, la préface qu’on va lire.

Que le lecteur ne s’imagine donc pas qu’en l’écrivant, j’aie été guidé par le vain désir de me voir imprimé ; je n’ai eu d’autre motif que de dire ce que j’ai à dire, de le dire à un public infiniment plus nombreux que celui auquel j’ai l’habitude de m’adresser dans ma langue maternelle, et de le dire à l’époque qu’il est, époque que je considère comme éminemment propice pour la transition de la foi et de son exclusivisme, à la science et à son universalité.

Ma préface n’a aucunement la prétention d’être une œuvre d’art ou d’avoir aucun mérite littéraire. Le style en manque complètement de cette élégance et de ce raffinement, qui caractérisent la littérature française contemporaine. Je connais parfaitement ma faiblesse sur ce point ; je suis persuadé même que, tout en m’efforçant d’être clair et logique, j’aurai souvent de la peine à faire comprendre distinctement ce que je veux dire. Aussi n’ai-je pris la plume que parce que d’autres, qui seraient plus compétents, ne le faisaient pas.

Le sentiment de l’utilité et de la nécessité du présent manifeste a été pour moi un stimulant plus actif pour parler à cette heure, que ne le serait en toute autre occasion mon défaut de mérite littéraire — pour garder le silence.

Je prie donc le lecteur, sans fatuité aucune et sans la modestie habituelle, mais ordinairement hypocrite, de la plupart des auteurs, — modestie qui d’ailleurs serait très déplacée dans l’oeuvre d’un homme de conviction et de coeur, — je prie le lecteur de lire attentivement ce que j’ai à lui dire, tout en lui promettant de ne pas abuser de sa patience.

La préface que j’ai à lui soumettre, sera divisée en quatre chapitres, dont voici le contenu :

a. Histoire du mouvement rationaliste en Hollande en dehors de l’église.

b. Quelques mots sur la Théologie protestante, dite moderne.

c. Jean Meslier et son oeuvre.

d. Lettres de Voltaire, où il est fait mention du fameux Testament.