Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 4

Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 33-38).
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IV.
Première preuve de la vanité et de la fausseté des religions, qu’elles ne sont que des inventions humaines.

Il est clair et évident, que c’est abus, erreur, illusion, mensonge et imposture, que de vouloir faire passer des loix pûrement humaines, pour des loix et des institutions toutes surnaturelles et divines ; or il est certain que toutes les religions, qui sont dans le monde, ne sont, comme j’ai dit, que des inventions et des institutions pûrement humaines ; et il est certain que ceux, qui les ont premièrement inventées, ne se sont servi du nom et de l’autorité de Dieu, que pour faire d’autant mieux et plus facilement recevoir les loix et les ordonnances, qu’ils vouloient établir. Que cela soit au moins à l’égard de la plupart des religions, il faut nécessairement en convenir, ou il faut reconnoître que la plupart des religions sont véritablement instituées de Dieu. On ne peut pas dire que la plupart des religions soient véritablement d’institution divine, car comme toutes ces différentes religions sont contraires et oposées les unes aux autres, et qu’elles se condamnent même les unes les autres, il est évident qu’étant contraires dans leurs principes et dans leurs maximes, elles ne peuvent être en même tems véritables, ni par conséquent venir d’un même principe de vérité, qui seroit divine. C’est pourquoi aussi nos christicoles romains reconnoissent et sont même obligés de reconnoître, qu’il ne peut y avoir au plus qu’une seule véritable religion, qu’ils prétendent être la leur ; en conséquence de quoi ils tiennent pour maxime fondamentale de leur doctrine et de leur croïance, qu’il n’y a qu’un seul Seigneur, qu’une seule foi, qu’un seul batême, qu’un seul Dieu, et qu’une seule église, qui est la catholique, apostolique et romaine, hors de laquelle ils prétendent qu’il n’y a point de salut. D’où je tire évidemment cette conséquence, qu’il est donc certain, qu’au moins la plupart des religions du monde, ne sont purement, comme j’ai dit, que des inventions humaines, et que ceux, qui les ont premièrement inventées, ne se sont servis du nom et de l’autorité de Dieu, que pour mieux faire recevoir les loix et les ordonnances, qu’ils vouloient établir, et pour se faire en même tems eux-mêmes plus honorer, plus craindre et plus respecter des peuples, qu’ils avoient à conduire et auxquels ils vouloient en imposer par cette ruse.

Voïez comme un auteur judicieux parle à ce sujet[1]. « Quand je vois, dit-il, le genre humain divisé en tant de religions, qui se contrarient et se condamnent les unes les autres ; quand je vois, dit-il, que chacun travaille vigoureusement à la propagation de la sienne, et qu’il y emploïe ou l’artifice ou la violence, et que cependant il y a si peu de gens, pour ne pas dire personne, qui fassent connoître par leur pratique, qu’ils croïent et qu’ils professent avec tant d’ardeur, peu s’en faut, dit-il, que je ne croïe que tant de cultes différens ont été d’abord inventées par les politiques ; chacun accommodant son modèle à l’inclination des peuples, qu’il avoit dessein de tromper. Mais lorsque je considère, ajoute-t-il, d’un autre côté, qu’il paroit quelque chose de si naturel et de si peu fardé, dans le zèle furieux, et dans l’opinion insurmontable de la plupart des gens ; je suis prêt, dit-il, de conclure après Cardan, que toute cette variété de religions dépend de la différente influence des astres… et il y a, dit-il, dans chaque religion une si égale aparence de vérité et de fausseté, qu’il ne sauroit, selon la raison humaine, en faveur de laquelle il pouroit se déterminer. » On sait que ç’a été par cet artifice et par cette ruse, que Numa Pompilius, roi des Romains, adoucit les mœurs rudes et farouches de ce peuple, amolissant peu à peu, dit un auteur, la dureté et la férocité de leur cœur, par de doux et pieux exercices de religion, auxquels il les accoutumoit par fêtes, danses, chansons, processions et autres semblables exercices de religion, qu’il leur faisoit faire et qu’il faisoit aussi lui-même, sous prétexte d’honorer leurs Dieux. Il leur enseigna aussi la manière de sacrifier ; il institua pour cela des cérémonies toutes particulières, qu’il apella saintes et sacrées, et établit des prêtres, pour vaquer à tout ce qui regardoit l’honneur et le service des Dieux, leur faisant accroire que tout ce qu’il faisoit, et que tout ce qu’il commandoit, venoit de la part des Dieux, et que c’étoit sa nymphe ou sa déesse Egerie, qui les lui révéloit. Pareillement on sait que Sertorius, faux chef des armées d’Espagne, se servoit d’un semblable artifice pour disposer de ses troupes à sa volonté ; ce qu’il fit facilement en leur persuadant que la biche blanche, qu’il tenoit toujours auprès de lui, lui aportoit de la part des Dieux tous les conseils qu’il prenoit. Zoroastre, roi des Bactriens, pratiqua la même chose à l’égard de ses peuples, en leur persuadant que les loix, qu’il leur donnoit, venoient du Dieu Oromazis. Trismegiste, roi des Égyptiens, leur donna pareillement ses loix sous le nom et l’autorité du dieu Mercure. Zamolxis, roi des Scithes, publia les siennes à ses peuples, sous le nom de la déesse Vesta. Minos, roi de Candie, publia les siennes sous le nom du dieu Jupiter. Charandas, législateur de Cholcides, publia aussi ses loix sous le nom du dieu Saturne. Licurgue, législateur des Lacedemoniens, publia les siennes sous le nom du dieu Apollon. Dracon et Solon, législateurs des Atheniens, publièrent aussi leurs loix sous le nom de la déesse Minerve, etc. Car il n’y avoit presque point de nation en ce tems-là, qui n’eût ses dieux à sa fantaisie. Moise, législateur des Juifs, publia aussi ses loix sous le nom d’un dieu, qui lui étoit, disoit-il, aparu dans un buisson ardent. Jésus, fils de Marie, surnommé le Christ et le chef de la secte et religion chrétienne, dont nous faisons profession, assuroit pareillement les siens, c’est-à-dire ses disciples, qu’il n’étoit point venu de lui-même, mais qu’il avoit été envoïé de Dieu, son Père Ego ex Deo processi et veni, neque a me ipso veni, sed ille me misit. Joan. VIII : 42, et qu’il ne faisoit que dire et faire que ce que son Père lui avoit ordonné de dire ou de faire, sicut dixit mihi Pater sic loquor. Joan. XII : 50. Et sicut mandatum dedit mihi Pater sic facio, disoit-il, Joan, XIV : 31. Simon surnommé le magicien abusa longtems les peuples de Samarie en leur persuadant, tant par ses paroles, que par ses artifices et enchantemens, qu’il étoit quelque chose de grand, de sorte que tous ceux, qui l’entendoient depuis le premier jusqu’au dernier, l’apelloient la grande vertu de Dieu Hic est virtus Dei quæ vocatur magna, Act. 8, 9, 10, disoient-ils. Ménandre, son disciple, se disoit être le sauveur envoïé du ciel pour le salut des hommes. Enfin sans parler de plusieurs autres, ç’a été aussi par ce même artifice de tromperie et d’imposture, que ce renommé faux prophète Mahomet a établi ses loix et sa religion par tout l’Orient, faisant accroire à ses gens, qu’elle lui avoit été envoïée du ciel par l’ange Gabriël, etc. Tous ces exemples et plusieurs autres semblables, que l’on pouroit raporter, montrent assez clairement que toutes ces différentes sortes de religions, que l’on voit ou que l’on a vu dans le monde, ne sont véritablement que des inventions humaines, pleines d’erreurs, de mensonges, d’illusions et d’impostures : ce qui a donné lieu au judicieux Montagne[2] de dire : » Que ce moïen a été pratiqué par tous les législateurs et n’est police, où n’y ait quelque mélange ou de vanité cérémonieuse, ou d’opinion mensongère, qui serve de bride à tenir le peuple en office. Que c’est pour cela que la plupart ont leur origine et commencement fabuleux et enrichis de mistères supernaturels ; et que c’est cela même, qui les a fait adopter aux gens d’entendemens. »


  1. Esp. Turc, T. III. Lett. 78. Édit. de 1715.
  2. Essai de Montagne, Livr. II, Ch. 16. pag. 601.