Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 37

Le Testament
Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 2p. 77-85).
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XXXVII.


Il y a une étrange bizarrerie dans le Christianisme, car les peuples y font profession de manger dévotement leurs Dieux[1], et ils se mangent et se déchirent inhumainement les uns les autres, cela est bien barbare ! Comment a-t’-on pu persuader à des hommes, qui ont tant soit peu de bon sens, des choses si étranges et si absurdes ! Comment a-t’-on pu leur persuader que tout le corps et tout le sang, l’âme et la divinité d’un Homme-Dieu seroient véritablement et réellement sous la forme et la figure d’une vaine, petite image de pâte, et sous la forme et la figure d’une fort petite goûte de vin, et que tout ce corps et tout ce sang seroient non seulement dans toute la figure de l’image de pâte et de la goûte de vin, mais qu’ils seroient en même tems tout entier sous chacune partie de cette petite image et sous chaque partie de cette goûte de vin ? Comment a-t-’on pû persuader, que toute la substance de cette image de pâte et que toute la substance de ce vin seroient entièrement changées au corps et au sang de cet Homme-Dieu, et que ce changement se feroit en un instant par la vertu et puissance de 4 paroles seulement, qu’un Prêtre prononceroit sur les dites petites images et sur le dit vin ! Et qu’autant de fois que les Prêtres voudroient prononcer les sus-dites paroles sur différentes images de semblable nature, ou sur différentes quantités de vin, autant de fois ils changeroient leurs substances en celle du corps et du sang de cet Homme-Dieu, qui se trouveroit par ce moïen en même tems en mille et mille milliers et millions de différens endroits et cela sans aucune multiplication de son Etre et sans aucune division de lui-même ? Il n’y a certainement rien de si ridicule, et de si absurde, dans toutes les Religions des Païens. Comment donc a-t’-on pu persuader à des hommes raisonnables et judicieux des choses si étranges et si absurdes ? Je ne suis pas fort surpris que des peuples ignorans et grossiers se soient laissés persuader telles choses : car on fait assez facilement accroire tout ce que l’on veut aux ignorans et aux simples d’esprit. Mais que des personnes sages et éclairées, et que des hommes doctes et savans, et que des gens d’esprit, et même d’un esprit éminent en vivacité et en pénétration, se soient laissés aller, aussi bien que les ignorans, à des erreurs si grossières et si absurdes, qu’ils s’en soient rendus et qu’ils s’en rendent encore tous les jours les protecteurs et les défenseurs, pour les apuïer et les maintenir par de laches motifs d’intérêts temporels et de respect humain, ou par de ridicules entêtemens de vouloir soutenir un mauvais parti, plutôt que de se faire un plaisir, de désabuser de bonne foi les peuples, en leur faisant clairement voir la vanité et la fausseté de tout ce qu’on leur fait si sotement accroire ; c’est ce qui m’a toujours paru fort étrange. Quoi ! des Docteurs et de fameux docteurs, qui savent si bien blâmer et condamner les erreurs de l’idolatrie dans des Païens, n’ont pas honte de se prosterner eux-mêmes devant des idoles muettes et devant de foibles petites images de pâte, comme feroient les plus ignorans du peuple ? Ils ne rougissent pas de prêcher publiquement et hautement parmi eux, ce qu’ils condamnent si ouvertement dans les Païens ? N’est ce pas un abus et une manifeste prévarication de leur ministère ? Pensent-ils que la vaine et ridicule consécration, qu’ils font de leurs foibles idoles de pâte, a plus de force et plus d’effèt que la vaine consécration, que les Païens font de leurs idoles de bois ou de pierre, d’or ou d’argent ? Pensent-ils que les 4 paroles de leur prétendue consécration auroient plus de force et plus de vertu que cette fameuse, pompeuse, magnifique prétendue consécration, qui se fit par exemple en Babylone, de cette fameuse et prodigieuse statue d’or que le Roi Nabucadenazar fit dresser dans la plaine de Dura, dans son Roïaume ? Cette statue, qui était toute d’or, étoit de 60 coudées de hauteur et de six coudées de largeur. Le Roi, l’aïant fait dresser dans le champ que je viens de nommer, voulut en faire la dédicace et la consécration, de la manière la plus solemnelle qu’il lui fut possible. Pour cet effèt il commanda à tous les grands Seigneurs, à tous les Princes, à tous les Gouverneurs, à tous les Magistrats et à tous les Officiers de son Roïaume, de venir et de se rendre à tel jour qu’il leur marqua, devant cette statue pour en faire solemnellement la dédicace et la consécration, et fit en même tems commandement à tous les peuples, que du moment qu’ils entendoient le son des trompettes, des hautsbois et de tous les autres instrumens de musique, qui commenceroient à jouer aussitôt après la consécration de la statue, ils aïent tous à se prosterner devant elle et à l’adorer comme un Dieu, menaçant de faire sévèrement punir tous ceux, qui ne l’adoreroient point. Ce que le Roi commanda, fut ponctuellement exécuté, tous les grands Seigneurs, tous les Princes, tous les Gouverneurs, tous les Magistrats et tous les Officiers de son Roïaume se rendirent au jour marqué devant cette statue, avec une multitude infinie de peuples, qui se rendirent de tous côtés, pour voir cette prodigieuse statue et pour voir la magnificence de cette consécration, qui se fit effectivement devant tout ce peuple, de la manière la plus solemnelle, qui se peut faire. Aussitôt que cette consécration prétendue fut faite, les trompettes et les hautsbois et tous les autres instrumens de musique commencèrent à sonner, et en même tems chacun se prosterna, pour adorer cette statue, comme un Dieu nouvellement fait. Voilà peut-être la consécration la plus solemnelle et la plus magnifique, qui s’est jamais faite. Nos Christicoles penseroient-ils, qu’une telle consécration auroit pû avoir la force ou la vertu de faire de cette statue d’or un véritable Dieu, soit en changeant toute la substance de l’or de cette statue en Dieu, soit en attirant ou en arrêtant la Divinité même dans cette statue ? Non, sans doute, ils ne voudroient pas le penser, et ils auroient même honte de le dire ! Pourquoi donc pensent-ils, que leur vaine et frivole prétendue consécration de quatre paroles seulement, qu’ils disent sur de foibles petites images de pâte et sur quelques goûtes de vin, auroit la vertu de changer du pain et du vin au corps et au sang de leur Dieu-Christ ? D’où tireroit-elle cette prétendue force et puissance, de faire ainsi d’une petite image de pâte et de quelques goûtes de vin un Dieu tout-puissant, et de changer, comme ils disent, en un moment toute la substance du pain et du vin, au corps et au sang d’un Homme-Dieu ? ô les insensés Docteurs ! Comment osent-ils soutenir, ou même seulement avancer et proposer publiquement des choses si ridicules et si absurdes ? Il faut que la prévention, que l’habitude, que la naissance et que l’éducation fassent d’étranges effèts dans l’esprit des hommes, puisqu’elles les aveugle jusqu’à ce point. Car il n’y a que la prévention, que l’habitude, que la naissance et que l’éducation, qui puisse maintenant faire recevoir aveuglement des choses si ridicules et si absurdes. Il n’y en a certainement point de pareilles dans tout le Paganisme, et il semble que la Religion Chrétienne n’a été inventée, que pour faire voir jusque à quel excès de folie les hommes sont capables de se laisser aller ; car il n’y a rien de si ridicule, ni de si absurde qu’il soit, que nos Deichristicoles Romains ne pensent devoir aveuglement croire, sous prétexte de leur foi divine. C’est aux Chrétiens, dit le Sr. de Montagne[2], une occasion de croire, que de rencontrer une chose incroïable : elle est d’autant plus selon la Religion, qu’elle est contre l’humaine Raison

Omnia jam fiunt, fieri quae posse negabam,
Et nihil est de quo non sit habenda fides !

En effèt on ne peut rien s’imaginer de plus ridicule et de plus absurde, que ce que cette Religion enseigne et oblige de croire. Pour preuve de quoi il n’y a qu’à remarquer encore sur quel fondement nos Christicoles Docteurs se fondent, pour établir de si beaux et si admirables mistères que les leurs, vous seriez surpris de l’aprendre, si je ne vous l’avois déjà moitié fait entendre : mais il faut vous le dire tout clairement et tout ouvertement !

Ils ne se fondent précisément, que sur quelques paroles équivoques d’un misérable fanatique, leur Christ, qui leur a dit que lui et son père n’étoient qu’un et qu’il leur envoïeroit un Esprit de vérité, qui procéderoit de son Père et de lui, et de là ils concluent leur prétendu Très-Haut, Très-Saint et Très-Adorable mystère de la Trinité, qu’ils disent être un seul Dieu en trois Personnes, qu’ils nomment le Père, le Fils et le St. Esprit, comme si des paroles équivoques, comme celles-là de leur Christ, ne pouvoient avoir qu’un seul sens. Tenant du pain, qu’il donnoit à manger ses Apôtres, il leur dit[3] ; prenez et mangez, car ceci est mon corps, pareillement présentant du vin à boire dans un calice, il leur dit : buvez en tous, car ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance, qui sera répandu pour le salut de plusieurs ; et sur ces paroles nos Christicoles Docteurs veulent et soutiennent absolument que leur Christ ait changé dans ce moment le pain et le vin, qu’il tenoit, en son corps et en son sang, et qu’il donna véritablement et réellement son corps et son sang, son âme et sa Divinité à ses Apôtres, sous les espèces et apparences du pain et du vin, qu’il leur donnoit à boire et à manger, comme si ces paroles de leur Christ ne pouvoient avoir d’autre sens, que celui qu’ils leur donnent. Et d’autant qu’il dit dans ce même tems à ses Apôtres, de faire même chose, en mémoire du lui, ils concluent encore, qu’il donna dans ce même tems à ses Apôtres, et en leurs personnes, à leurs successeurs, qui sont maintenant les prêtres, le pouvoir de changer comme lui, le pain et le vin en son corps et en son sang et conséquemment que son âme et sa Divinité s’y trouvent aussi ; d’autant qu’un corps vivant comme il étoit, et qu’ils prétendent qu’il est encore, n’est point sans son âme, ni un Dieu sans sa Divinité ! Et voilà comme sur des paroles équivoques d’un homme fanatique, nos Docteurs Christicoles bâtissent des mistères imaginaires, qu’ils apellent surnaturels et Divins. Voilà comme sur les parolesiquivoques d’un fanatique, ils adorent un Dieu en trois personnes, ou trois personnes en un seul Dieu, et c’est sur ce même fondement de paroles équivoques de ce fanatique, qu’ils s’attribuent le pouvoir ou la puissance de faire des Dieux de pâte et de farine et même d’en faire tant qu’ils veulent. Car, suivant leur principe, ils n’ont qu’à dire seulement quatre paroles sur telle quantité qu’ils voudront de ces petites images de pâte, ou sur telle quantité qu’ils voudront de verres de vin, ils en feront autant de Dieux, qu’ils auront devant eux de ces petites images de pâte, et qu’ils auront de verres de vin devant eux, y en eut-il des milliers et des millions ; car ils prétendent, qu’avec leurs quatre paroles : ceci est mon corpsceci est mon sang, qu’ils disent être efficaces par elles-mêmes, il leur est, ou il leur seroit aussi possible de consacrer des centaines de milliers et des milliers de millions de ces petites images de pâte, que d’en consacrer une seule, et par conséquent qu’il leur est ou qu’il leur seroit aussi possible de faire par ce moïen des centaines de milliers et des milliers de millions de Dieux, que d’en faire un seul. Quelle folie ! Ils ne sauroient, ces hommes vains, ces prêtres, et ces abuseurs de peuples, ils ne sauroient avec toute la prétendue Puissance de leur Dieu-Christ faire la moindre mouche ni le moindre ver de terre, et ils croient pouvoir faire des Dieux à milliers ! Leur Dieu-Christ n’auroit pû leur donner le pouvoir de faire un seul grain de froment, ni un seul grain d’orge, ni d’avoine, il n’auroit sû leur donner le pouvoir de faire, quand ils voudroient et tant qu’ils voudroient, des Dieux, en changeant avec quatre paroles le pain et le vin en son corps et son sang ! Il faut être frappé d’un étrange aveuglement et d’une étrange prévention d’esprit, pour croire et pour vouloir soutenir des choses si ridicules et si absurdes, et cela sur un si léger et si vain fondement, que celui de quelques paroles équivoques d’un fanatique. Il a dit pareillement à ses Disciples[4] qu’il leur donneroit une pleine puissance et autorité sur les esprits impurs, pour les chasser tous, et pour guérir toutes sortes de maladies et d’infirmités. Nos docteurs et nos prêtres s’attribuent-ils pour cela le pouvoir de guérir toutes sortes de maladies et d’infirmités ? Ils se feroient bien moquer d’eux.



  1. Et croïant manger mystérieusement leur Dieu, ils chantent : ô merveille ! ô res mirabilis ! manducal Dominum pauper servus et humilis.
  2. Essai de Montagne p. 466.
  3. Matth. 26. 28.
  4. Matth. 10. 1.