Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 31

Le Testament
Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 2p. 25-30).

XXXI.


Premièrement donc la Religion Chrétienne, Apostolique et Romaine enseigne et oblige de croire, qu’il n’y a qu’un seul Dieu et en même tems elle enseigne aussi et oblige de croire, qu’il y a trois personnes divines, chacune desquelles personnes est véritablement Dieu. Trinum Deum unicumque cum servore praedicat : car s’il y en a trois, qui soient véritablement Dieu, ce sont véritablement trois Dieux, et si ce sont véritablement trois Dieux, il est faux de dire qu’il n’y ait qu’un seul Dieu ; ou s’il est vrai de dire qu’il n’y a véritablement qu’un seul Dieu, il est faux de dire qu’il y en ait véritablement trois, qui sont Dieu, puisqu’un et trois ne se peut véritablement dire d’une seule et même chose. La même Religion Chrétienne enseigne et oblige de croire, que la prémière de ces prétenduës personnes divines, qu’elle apelle le Père, a engendré la seconde personne, qu’elle apelle le Fils, et que ces deux premières personnes ensemble ont produit la troisième, qu’elle apelle le Saint Esprit, et néanmoins elle enseigne et oblige de croire, que ces trois prétendues divines personnes ne dépendent nullement l’une de l’autre, et qu’elles ne sont pas même plus anciennes l’une que l’autre, l’une n’aïant jamais été avant l’autre, ce qui est encore manifestement absurde, puisqu’une chose ne peut recevoir son être d’une autre ; sans quelque dépendance de cette autre ; et qu’il faut nécessairement qu’une chose soit, pour qu’elle puisse donner l’être à une autre. Si donc la seconde et la troisième de ces prétendues personnes divines, ont reçu leur être de la prémière, il faut nécessairement qu’elles dépendent dans leur être de cette prémière personne, qui leur auroit donné l’être, ou qui les auroit engendré et produit, et il faut nécessairement aussi, que cette prémière, qui auroit donné l’être aux deux autres, ait été, avant que de leur pouvoir donner l’être, puisque ce qui n’est point, ne peut donner l’être à rien.

Si donc la prémière personne a véritablement donné l’être aux deux autres, et que ces deux autres aïent véritablement reçu leur être de cette prémière, il faut nécessairement que la prémière ait été, lorsque les deux autres n’étoient pas encore, et par conséquent, qu’elles aïent été l’une avant l’autre. D’ailleurs il répugne et il est absurde de dire, qu’une chose, qui auroit été engendrée ou produite, n’auroit point eu de commencement : Or, selon nos Christicoles, la seconde et la troisième personne divines ont été engendrées ou produites, donc elles ont eu un commencement : et si elles ont eu un commencement, et que la prémière personne n’en ait point eu, comme n’aïant point été engendrée, ni produite d’aucune autre, il s’en suit nécessairement que l’une ait été avant l’autre, c’est-à-dire, que la prémière ait été avant la seconde et que la seconde ait été avant la troisième : étant absurde de dire, qu’elles soient produites l’une de l’autre, sans aucune dépendance l’une de l’autre, et sans aucune priorité, ou postériorité l’une de l’autre. Que si cela est absurde, il n’est certainement pas moins absurde de dire, qu’il n’y ait véritablement qu’un seul Dieu et qu’il y ait cependant trois personnes en Dieu. Nos Christicoles, qui sentent ces absurdités, et qui ne sauroient s’en parer par aucune bonne raison, n’ont point d’autres ressources que de dire, qu’il faut pieusement fermer les yeux de la raison humaine, qu’il faut captiver son esprit sous l’obéissance de la Foi, et qu’il faut adorer humblement de si hauts et si adorables mistères, sans vouloir les comprendre. Mais, comme ce qu’ils apellent Foi, n’est véritablement qu’un principe d’erreurs, d’illusions et d’impostures, comme je l’ai ci-devant démontré ; lorsqu’ils nous disent, qu’il faut se soumettre pieusement et aveuglement à tout ce que leur Foi leur enseigne et les oblige de croire, c’est comme s’ils disoient, qu’il faut pieusement et aveuglement croire et recevoir toutes sortes d’erreurs, d’illusions et d’impostures, par un principe même d’erreurs, d’illusions et d’impostures.

Voici, comme un de nos fameux Deïchristicoles Romains parle de cette aveugle soumission à leur Foi, à l’occassion de ce pretendu mistère de leur Dieu en trois personnes : » Rien ici d’humain, di-il,[1] rien de charnel, que la raison soit captive sous le joug de la Foi, pour adorer des mistères, qu’elle ne peut comprendre. Un Dieu, dit-il, qui est la même chose que son Fils, et qui n’est pas la même personne. Un Fils qui réside dans son Père et un Père dans son Fils et qui sont distingués réellement l’un de l’autre ; un Fils qui reçoit tout et l’être même de son Père, sans indigence, sans dépendance et sans postériorité, un Père qui donne et communique tout ce qu’il est à son Fils, sans lui donner commencement, sans rien perdre de ce qu’il donne à son Fils coéternel, consubstantiel et opérant avec lui par la même Toute-puissance ; ce sont, dit-il, des vérités ou la raison se perd.

Il a raison ici de dire qu’elle se perd, parce qu’il faut effectivement l’avoir perdu et renoncer entièrement à ses lumieres, pour vouloir soutenir des propositions aussi absurdes que celles-là. Voilà cependant un des principaux points de la doctrine de nos Deïchristicoles, ils voïent bien eux-mêmes que la raison se perd dans les absurdités de ces beaux prétendus mistères, et cependant ils jugent, qu’ils doivent plûtôt perdre leur raison, que d’aller contre leur Foi, en suivant les lumières de leur raison : c’est pour eux, dit Mr. de Montagne,[2] une raison de croire, que de rencontrer une chose incroïable et elle est selon eux d’autant plus selon la raison, qu’elle est contre l’humaine raison ; mais c’est cela même, qui prouve évidemment leur aveuglement et la fausseté de leur doctrine.

Nos Deïchristicoles blâment et condamnent ouvertement l’aveuglement des anciens Païens, qui reconnoissoient et adoroient plusieurs dieux, ils se raillent de ce qu’ils disoient de la généalogie de leurs Dieux, de leur naissance, de leur mariage et de la génération de leurs enfans. Et ils ne prennent pas garde eux-mêmes, qu’ils disent des choses, qui sont beaucoup plus ridicules et plus absurdes, que tout ce que les Païens ont dit de leurs Dieux ; car si les Païens ont reconnu et adoré plusieurs Dieux, ils ne disoient pas, qu’ils n’avoient tous qu’une même nature, qu’une même puissance, et qu’une même Divinité ; ils attribuoient ingénuement et sans mistère à chacun d’eux leur propre nature, leur propre puissance, leur propre volonté, leurs propres inclinations et leur propre Divinité ; mais nos Deïchristicoles, en reconnoissant de nom un seul Dieu, ils en admettent effectivement trois, auxquels cependant ils n’attribuent qu’une même nature, qu’une même puissance et qu’une même Divinité ; ce qui est certainement beaucoup plus absurde, que ce que disoient les Païens de la pluralité des Dieux.

Si ces mêmes Païens ont cru, qu’il y avoit des Déesses comme des Dieux, et que ces Dieux et ces Déesses se marioient ensemble, et qu’ils engendroient des enfans, ils ne pensoient en cela rien que de naturel, car ils ne s’imaginoient pas encore que les Dieux fussent sans corps et sans sentimens. Et croïant qu’ils avoient des corps et du sentiment, aussi bien que les hommes, il ne faut pas s’étonner, s’ils croïoient qu’il y eut des Dieux mâles et des Déesses femelles : car s’il y en avoit effectivement quelques uns, pourquoi n’y en auroit-il point de l’un et de l’autre sexe ? On ne voit point qu’il y ait plus de raison de nier, ou de reconnoitre plutôt l’un que l’autre, et suposant, comme faisoient les Païens, qu’il y avoit des Dieux et des Déesses, pourquoi ne se marieroient-ils pas ? Et pourquoi ne prendroient-ils pas leurs plaisirs ensemble, ces Dieux et ces Déesses, en engendrant des enfans, et cela en la manière que font les hommes ? Il n’y auroit certainement rien de ridicule, ni d’absurde dans cette doctrine et dans cette croïance des Païens, si le fondement de leur doctrine et de leur croïance étoit vrai, c’est-à-dire, s’il étoit vrai qu’il y eut effectivement des Dieux.



  1. Quesnel sur St. Jean. Chap. 14. 10.
  2. Essai, pag. 406