Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 24

Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 207-220).
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XXIV.

Voici d’où un Auteur judicieux tire l’origine de ces abominables sacrifices d’animaux et de bêtes innocentes. » Les Historiens, dit-il, disent que les prémiers[1] habitans de la terre vécurent durant deux mille ans des productions des végétaux, c’est à dire des fruits de la terre, dont ils offroient les prémices à Dieu, passant pour un crime inexpiable de répandre le sang d’aucun animal, même en sacrifice ; et à plus forte raison d’en manger la chair. C’est pour cela qu’ils disent, ajoute cet auteur, que ce fut à Athenes que le prémier Taureau fut tué. Le Prêtre de la ville, qui s’apelloit, dit-il, Diomus, faisant sur l’autel l’oblation des fruits en pleine campagne, selon la coutume, parce qu’alors on ne parloit point encore de temple, un taureau, s’étant séparé d’un troupeau qui paissoit tout auprès, vint et mangea de l’herbe consacrée. Le Prêtre Diomus, irrité du prétendu sacrilège, prit l’épée d’un des spectateurs et en tua le taureau. Mais sa colère étant passée, et aïant considéré le crime énorme, qu’il avoit commis, il craignit la fureur du peuple, et lui fit accroire, que Dieu lui étoit aparu et lui avoit commandé d’offrir ce taureau en sacrifice, et d’en brûler la chair sur l’autel pour expier le péché qu’il avoit fait de manger les fruits consacrés. La dévote multitude, ou plutot la sote et ignorante populace crut son Sacrificateur comme un oracle : de sorte que le taureau aïant été écorché et le feu mis sur l’autel, tout le monde assista à ce nouveau sacrifice. Les Athéniens ont depuis sacrifié tous les ans un taureau, et ont fait passer, dit-il, cette pieuse cruauté, non seulement par toute la Grèce, mais même encore chez toutes les Nations du monde. Il arriva ensuite, continue l’auteur, qu’un certain Prêtre, au milieu de son sacrifice sanglant, aïant pris une pièce de chair bouillie qui de l’autel étoit tombée à terre, et que s’étant brulés les doigts, il les porta incontinent à la bouche pour en diminuer sa douleur. Il n’eut pas plûtot goûté la douceur de la graisse, dont ses doigts étoient pleins, que non seulement il souhaita d’en avoir davantage, mais il en donna même un morceau à son collègue, qui en fit part aux autres, qui tous, ravis qu’on eut trouvé cette nouvelle friandise, se mirent à manger de la chair avec avidité ! Et c’est de là, dit le même Auteur, que les autres mortels ont apris cette espèce de cruelle et sanglante gourmandise de tuer les animaux pour les manger. Les Juifs, continue-t’-il, disent contre ces autorités que les enfans d’Adam sacrifioient des créatures vivantes dès le commencement du Monde ; mais on sait, ajoute-t’-il, qu’il s’est glissé quantité d’erreurs dans la Loi écrite, d’où ils ont tiré ce fait.

» Les Anciens, continue cet Auteur, disent aussi que la première chêvre, qui tomba par la main des hommes, fut tuée en vengeance du tort qu’elle avoit fait au propriétaire d’une vigne, qu’elle avoit broutée, n’aïant jamais entendu parler d’une action si impie. Il est certain, poursuit-il, que les Egyptiens, le peuple du monde le plus sage et le plus ancien, aïant reçu des premiers habitans de la terre une tradition, qui défendoit aux hommes de tuer aucune créature vivante, pour donner plus de force à cette première loi de la nature, représentèrent leurs Dieux sous la forme de bêtes, afin que le vulgaire, respectant ces sacrés symboles, aprit à ne pas ôter la vie et à ne faire même aucun mal aux animaux. Les Brachmans des Indes Orientales, au lieu de sacrifier des bêtes, ils bâtisent des hôpitaux pour elles, aussi bien que pour les hommes ; ce qui passe chez eux pour des actions de très-grande vertu. Il y a dans toutes les villes un grand nombre de ces Prophêtes qui passent, dit-il, toute leur vie à prendre soin des animaux malades ou blessés, et de ceux qui ne peuvent vivre que par leur moïen. Cette institution n’est pas nouvelle chez eux ; ils l’ont reçu par tradition de tems immémorial. ”

Voici ce que ce même Auteur dit des Juifs, par rapport à ce sujet : » Les prêtres des Juifs, dit-il, offroient à Dieu un sacrifice d’animaux de plusieurs espèces ; comme boeufs, moutons et selon qu’il leur étoit prescrit dans leur loi, qu’ils disoient avoir reçu de Dieu même. Les Prêtres aïant égorgé les animaux destinés au sacrifice, ils en répandoient le sang autour de l’autel et en arrosoient particulièrement les quatre coins avec beaucoup de cérémonies, puis, aïant vuidé les entrailles et ôté la peau de ces animaux, ils en brulaient la chair et la graisse dans un feu, qui étoit allumé sur l’autel, et pensoient que Dieu avoit pour agréable la fumée de ces sortes de sacrifices, et qu’il y prenoit un grand plaisir, selon qu’il est écrit dans leurs Livres. ”

S’il n’y a point d’évidence ni de certitude entière sur ce que dit cet Auteur, touchant l’origine et le progrès de ces sacrifices sanglans d’animaux domestiques, on ne peut nier au moins qu’il n’y ait une très grande aparence de vérité dans ce qu’il en dit, et quant à ce qu’il ajoute de la douceur et de l’humanité, que les premiers hommes exerçoient envers les dits animaux, et de la défense, qui étoit de les tuer et de leur faire mal à propos aucun mal, on ne peut douter que cette défense de leur mal faire, et que cette douceur que l’on exerçoit à leur égard, ne fussent bien conformes et très-convenables à la droite raison et à la justice naturelle et même à ce qui est marqué dans la Genèse[2], où il est dit, que Dieu ne donna d’abord aux hommes que la permission de manger seulement les herbes et les fruits de la terre.

Mais il n’y a aucune aparence de vérité dans ces prétendues Révélations divines, ni aucun fondement de raison et de justice dans ces cruels et barbares sacrifices de bêtes innocentes ; il n’y a que de la cruauté et de la barbarie dans ces sortes de sacrifices, et c’est ce qui fait manifestement voir, que leur institution ne vient que de la folie et de la méchanceté des hommes et non pas d’aucunes ordonnances divines.

Mais les hommes n’étoient-ils pas bien fous et bien aveuglés de croire faire honneur et plaisir en cela à Dieu ? N’étoient-ils pas bien fous et bien aveuglés de croire qu’un Dieu prendroit plaisir à voir couler le sang des pauvres animaux et voir brûler leur chair ? N’étoient-ils pas bien fous et biens aveuglés de croire apaiser sa colère et mériter ces bonnes grâces par de si abominables sacrifices ? Ç’auroit été au contraire le moïen d’irriter sa colère et d’attirer sur eux sa vengeance et sa malédiction. Qui est-ce qui penseroit jamais faire honneur et plaisir à un habile et excellent ouvrier de déchirer et de brûler en sa présence les plus beaux ouvrages qu’il auroit fait, sous prétexte de lui en vouloir faire un sacrifice ? Qui est-ce qui penseroit faire honneur et plaisir à un Souverain, à un Prince de déchirer et de brûler en sa présence ce qu’il y auroit de plus beau, de plus riche dans son Palais, sous prétexte de lui en faire un sacrifice ? Il n’y a certainement personne, qui soit assez fou pour vouloir jamais faire telle chose, ni même en avoir la pensée. D’où vient donc que les hommes sont si fous, que de croire faire honneur et plaisir à leur Dieu de déchirer, de tuer, et de brûler ses propres créatures, sous prétexte de lui en faire des sacrifices ? Et maintenant encore, d’où vient et comment est-ce que nos Christicoles sont si fous et si aveuglés, que de croire faire un extrême honneur et plaisir à leur Dieu, le père, que de lui présenter et de lui offrir, même tous les jours, son divin Fils, en mémoire de ce qu’il auroit été honteusement et misérablement pendu à une croix, où il auroit expiré ? Comment est-ce, dis-je, qu’ils peuvent avoir telle pensée et telle croïance que de croire faire plaisir et honneur à un Dieu de lui offrir ainsi son propre Fils en sacrifice ? Certainement cela ne peut venir que d’un extrême aveuglement d’esprit.

Voïez ce que dit Montagne[3]. » L’ancienneté, dit-il, pensa, ce crois-je, faire quelque chose pour la grandeur divine, de l’aparier à l’homme, la vêtir de ses facultés et étrenner de ses belles humeurs et plus honteuses nécessités, lui offrant de nos viandes à manger, de nos danses, mommeries et forces à la réjouir, de nos vêtemens à se couvrir et maisons à loger, la caressant par l’odeur des encens et sons de la musique, festins et bouquets, et pour l’accommoder à nos vicieuses passions, flatant sa justice d’une inhumaine vengeance, l’éjouissant de la ruine et dissipation des choses par elles créées et conservées, comme fit, dit-il, Fiberius Sempronius qui fit brûler pour sacrifice à Vulcain les riches dépouilles et armes qu’il avoit gagnées sur les ennemis en la Sardaigne. Et Paul Emile celles de Macedoine à Mars et à Minerve. Et Alexandre, arrivé à l’Océan Indique, jetta en mer en faveur de Thetis, plusieurs grands vases d’or, remplissant en outre ses autels d’une boucherie non de bêtes innocentes seulement, mais d’hommes aussi, ainsi que plusieurs Nations, et entr’autres, dit-il, la notre avoit en usage ordinaire, et croit qu’il n’en est aucune, ajoute-t’-il, exemte d’en avoir fait essai. Les Gètes, dit-il, se tiennent immortels et leur mourir n’est que s’acheminer vers leur Dieu Zamolxis. De cinq en cinq ans ils dépêchent vers lui quelqu’un d’entr’eux pour le requérir de choses nécessaires… Amestris, mère de Xerxes, devenant vieille, fit pour une fois ensevelir tout vifs 14 jouvençeaux, des meilleures maisons de Perse, suivant la religion du Païs, pour gratifier à quelque Dieu Souverain. Encore aujourd’hui, dit-il, les idoles de Femixtitan se cimentent du sang des petits enfants et n’aiment sacrifice que de ces puériles et pures âmes : justice, dit-il, affamée du sang de l’innocence. Pareillement les Cartaginois immoloient leurs propres enfans à Saturne, et ceux qui n’en avoient point en achetaient, étant cependant le Père et la Mère tenus d’assister à cet office avec contenance gaie et contente. Ceux du Pérou[4] sacrifioient à leurs Dieux ce qu’ils avoient de plus beau et de meilleur : l’or et l’argent, le grain, la cire, les animaux. Ils faisoient ordinairement des sacrifices de cent moutons au moins, de diverses couleurs et avec différentes cérémonies. Ils sacrifioient tous les jours au soleil un mouton tondu et le brûloient vêtu d’une chemise rouge. Mais il n’y avoit, dit-il, chose plus horrible que les sacrifices d’hommes, qui se faisoient au Pérou et encore plus au Mexique. Au Pérou ils sacrifioient des enfans, depuis 14 ans jusqu’à 10 et ce principalement pour la prospérité de leur Inca aux entreprises de guerre, et au jour de son couronnement le nombre d’enfans que l’on sacrifioit, étoit de 200. Ils sacrifioient encore un bon nombre de filles, que l’on tiroit des monastères pour le service de l’Inca. Quand cet Inca étoit grièvement malade et hors d’espérance de guérison, ils sacrifioient son fils au soleil ou bien à leur Dieu Viracoca, en le supliant qu’il s’en contentât au lieu du Père. Mais les Mexiquains[5] ne sacrifioient que des hommes pris en guerre, ils les faisoient mettre à genoux par ordre devant la porte de leur temple, ensuite le Prêtre alloit à l’entour d’eux avec l’idole de leur Dieu, et le montrant, il disoit à chacun d’eux : voilà ton Dieu ; après quoi ils étoient menés au lieu, où on les devoit sacrifier, et là six des très-grands Prêtres, destinés à ce Ministère, s’y trouvoient avec des façons si étranges, qu’ils sembloient plutôt être des Diables que des Hommes. ”

Suivant le rapport des Ambassadeurs du Roi de Mexique[6] ce Prince faisoit tous les ans sacrifier aux Dieux 50,000 de ses prisonniers et entretenoit toujours la guerre avec quelques peuples voisins, afin d’avoir toujours de quoi fournir à ses sacrifices. Amurat, à la prise de l’Isthme, immola, dit Montagne[7] 600 jeunes hommes Grecs à l’ame de son Père, afin que ce sang servit de propitiation à l’expiation des pèchés du trépassé. Les Chinois sacrifioient non seulement à leurs Dieux, mais aussi aux Diables, quoi qu’ils sçussent qu’il étoit méchant et réprouvé, afin, disoient-ils, qu’il ne leur fit aucun mal en leurs personnes ni en leurs biens. Ceux de Calicut en faisoient de même ; ceux de Martingue adorent les Diables, quoiqu’ils les reconnoissent auteurs de tout mal, et leur offrent des sacrifices, et leur bâtissent des temples, plus qu’au Créateur même. Les Japonois aussi adorent le Diable, comme aussi ceux de l’Amerique, et lui font des sacrifices, non pour obtenir quelque bien d’eux, mais afin qu’ils ne leur fassent aucun mal. Nos anciens Gaulois, habitans de notre France, n’étoient pas à cet égard plus sages que les autres Nations, puisqu’ils sacrifioient des hommes à leurs Dieux. Ceux qui étoient attaqués de grièves maladies immoloient des hommes, ou ils s’obligeoient par voeu de le faire, et tels sacrifices se faisoient par les mains des Druydes, qui étoient leurs Prêtres en ce tems-là, et se persuadoient que les Dieux pouvoient être apaisés par la vie d’un homme, pour sauver celle d’un autre, quelquesfois ils les faisoient brûler tout vifs, quelquesfois ils les faisoient mourir à coups de flèches. C’est pourquoi, quand quelqu’un étoit en extrémité de maladie, ils apelloient et faisoient venir vers eux quelqu’un de ces Druydes afin de sacrifier à Drye, Dieu des Enfers et ennemi de la vie, quelqu’un de ceux qui avoient mérité la mort, ou à faute de ceux-ci quelque pauvre misérable, croïant que ce Dieu, avide de sang humain, seroit rassassié par la mort d’un tel homme, et que la vie du malade seroit prolongée. Sur quoi Plutarque[8] dit fort bien, qu’il eut mieux valu que les hommes n’eussent jamais eu la connoissance des Dieux, que de croire, comme ils faisoient, qu’il y en eut qui se repussent et qui fussent avides du sang humain.

En effet, c’étoit une étrange fantaisie, comme dit Montagne[9], c’étoit une étrange fantaisie à des hommes, de vouloir païer la bonté divine de notre affliction, comme faisoient, dit-il, les Carthaginois qui immoloient leurs propres enfans à Saturne ; et qui n’en avoit point, en achetoit et le faisoit brûler tout vif, étant cependant le Père et la Mère tenus d’assister à ce cruel office avec une contenance gaïe et contente. Et comme les Lacédémoniens, dit-il, qui mignardoient leur Diane par bourrellement des jeunes garçons, qu’ils faisoient fouetter en sa faveur, souvent jusqu’à la mort. La Réligion, dit-il, étant capable d’inspirer tant de si grandes et si cruelles méchancetés aux hommes, tantum Religio potuit suadere malorum. C’étoit, continue-t’-il, une humeur bien farouche, de vouloir gratifier l’Architecte de la subversion de son bâtiment, et de vouloir garantir la peine, dûë aux coupables, par la punition des non-coupables, et que la pauvre Iphigenie déchargeât, dit-il, par sa mort, et par son immolation, l’armée des Grecs des offenses qu’ils avoient commises : et ces deux belles et généreuses ames des deux Décius, père et fils, allassent se jetter à corps perdu à travers le plus épais des ennemis pour propitier la faveur des Dieux envers les affaires Romaines[10]. Quelle pouroit être, dit-il, à cette occasion ? quelle pouroit être cette monstrueuse iniquité des Dieux, de ne vouloir s’apaiser en faveur du peuple Romain que par la mort de ces deux grands hommes ? Quae fuit tanta Deorum iniquitas ut placari populo Romano non possent nisi tales viri occidissent ? Quelle folie dans les hommes de croire que les Dieux ne pouroient s’apaiser que par la mort violente des innocens ? Quelle folie, dis-je, et quel aveuglement en eux d’avoir de telles pensées et de croire religieusement exercer tant de si exécrables cruautés ? Voilà néanmoins ce que la Religion inspire, voilà ce que la folle croïance des Dieux fait faire, tant il est vrai de dire que la Religion même aprend souvent des méchancetés aux hommes et qu’elle leur fait souvent faire, sous prétexte de piété, des actions impies et détestables, suivant ce dire de Lucrèce[11] : quae saepius olim Religio peperit scelerosa atque impia facta, et cet autre que j’ai déjà cité, tantum potuit Religio suadere malorum. Plutarque avoit bien raison de dire qu’il auroit beaucoup mieux valu que les hommes n’eussent jamais eu aucune connoissance des Dieux, que de faire tant de folies et tant de méchancetés, qu’ils en font sous prétexte de les honorer, de les craindre et de les servir. Ceux qui les font adorer sont cause de tous ces détestables maux ; il ne faut point s’en etonner, puisqu’il est écrit que c’est des Prophètes même de Jerusalem que la corruption s’est répandue par toute la Terre[12] : A prophetis enim Jerusalem egressa est pollutio super omnem terram.

Nos Christicoles ne sont pas encore tout à fait exemts de cette folle persuasion de la vertu et efficacité de ces cruels sacrifices ; car quoiqu’ils n’en fassent plus maintenant, ils ne laissent pas que d’aprouver ceux qui se faisoient autrefois, et la Loi qui les ordonnoit ; et ils croïent même avoir été délivrés du péché et remis en grace avec leur Dieu par les mérites infinis du sang de leur Dieu sauveur Jésus-Christ, qui s’est, disent ils, livré et offert lui-même en sacrifice sur l’arbre de la croix pour l’expiation de leurs péchés. De là vient, qu’ils disent que ce prétendu divin Sauveur les a lavés dans son sang des ordures de leurs péchés[13], Lavit nos a peccatis nostris in sanguine suo. Et qu’il les a reconcilié à Dieu par les mérites de son sang et de sa mort, et vont même jusqu’à dire que, selon cette loi, qu’ils regardent comme divine, tout se devoit purifier par le sang, et qu’il n’y auroit point eu de rémission pour les hommes, sans l’effusion du sang de leur divin Sauveur. Omnia, disent-ils, in sanguine secundum legem mundantur et sine sanguinis effusione non fit remissio. Attribuant à leur Dieu même la volonté de sacrifier ainsi son divin fils, par les mains des hommes mêmes qui l’avoient si grièvement offensés par leurs péchés, afin de s’apaiser lui même envers eux, pour toutes les offenses qu’ils lui avoient faites et qu’ils devoient lui faire jusqu’à la fin des siècles ; et si c’étoit, comme je viens de dire, une si grande folie aux Païens de croire que des Dieux ne pouroient s’apaiser envers les coupables, que par la punition des non coupables, comme dit le Sr. Montagne, quelle folie n’est ce pas à nos Chrétiens, de croire que leur Dieu le Père n’auroit pas voulu s’apaiser envers les hommes, que par la punition et la mort sanglante de son divin Fils ? Qu’il n’auroit pas voulu s’apaiser envers eux, s’ils n’eussent persécuté, outragé et fait honteusement, indignement et cruellement mourir son cher et divin Fils unique, leur Dieu et leur Sauveur ? Quelle sotise d’avoir une telle pensée ? Et si ç’avoit été une si monstrueuse iniquité dans des Dieux de ne vouloir s’apaiser envers les hommes pécheurs, que par la punition et par la mort sanglante et honteuse de son innocent et divin fils, quelle folie, dis-je, d’avoir seulement une telle pensée ! Les paroles me manquent pour exprimer l’excès d’une telle folie. Voilà néanmoins ce que la Religion fait croire à nos Christicoles, de sorte qu’elle ne leur fait pas faire comme autrefois des sacrifices cruels et sanglans, elle leur fait néanmoins aprouver les accidens et révérer celui qui se seroit cruellement fait en la personne d’un Dieu, et leur fait croire les choses les plus absurdes et les plus ridicules que l’on puisse imaginer, comme je le ferai plus amplement voir dans la suite.


  1. Esp. Turc Tom. 3. Lettre 40.
  2. Gen. 1 : 29.
  3. Essai de Montagne, p. 488.
  4. Nouveau Théatre du monde, Tom. 2 : pag. 1329.
  5. Ibid.
  6. Essai de Montagne, pag. 167.
  7. Ibid.
  8. Théatre du monde, Tom. 1, pag. 121.
  9. Essai de Montagne, pag. 489.
  10. Essai de Montagne, p. 490.
  11. Lucréce, L. 1 : 88.
  12. Jeremie, 23 : 15.
  13. Apoc. 15.