Le Testament de Jean Meslier/Édition 1864/Chapitre 15

Texte établi par Rudolf Charles MeijerLibrairie étrangère (Tome 1p. 97-101).
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XV.

Pareillement il y a aussi peu de certitude et aussi peu de vraisemblance sur les miracles du nouveau Testament, que sur les prétendus miracles de l’ancien. Quelle assurance par exemple et quelle certitude a t’on que ces quatre Evangiles qui raportent les prétendus Miracles de Jesus Christ soient véritablement de la composition de ceux à qui on les attribue ? Et quand ils seroient véritablement de leur composition quelle certitude a t’on qu’ils étoient des hommes de probité et dignes de foi ? Pour savoir quels étoient leurs noms et que l’un s’apelloit Mathieu, le second Marc, le troisiéme Luc et le quatriéme Jean, on ne connoit pas pour cela si c’étoient des personnes de probité dignes de foi ; on ne connoit pas pour cela si c’étoient des personnes sages et éclairées ; on ne sait pas pour cela s’ils ne se seroient pas laissés tromper eux-mêmes, et s’ils n’auroient pas voulu tromper les autres, et il y a lieu de se défier tout à fait de leur témoignage, puisqu’on convient que ce n’étoient que des hommes grossiers et ignorans, auxquels par conséquent il auroit été facile d’en imposer. Et enfin quelle certitude a t’on que ces quatre Evangiles qui paroissent sous leurs noms n’ont pas été corrompus et falsifiés, comme nous voïons que tant d’autres histoires l’ont été et qu’elles le sont encore tous les jours ; on ne sauroit presque ajouter foi aux relations que l’on fait des choses mêmes qui se sont passées dans nos jours et presque sous nos propres yeux, de 20 personnes qui en feront le recit, il n’y en aura pas quelque fois deux qui les réciteront fidélement comme elles se sont passées. Quelle certitude donc peut-il y avoir dans le recit des choses qui sont si anciennes et qui se sont passées depuis plusieurs siècles, et depuis plusieurs milliers d’années, et qui ne nous sont raportées que par des Étrangers, par des gens inconnus, gens sans caractére et sans autorité, et qui nous disent des choses si extraordinaires et si peu croïables ou plutôt si incroïables. Certainement il n’y a aucune certitude, ni même aucune probabilité dans ce qu’ils nous disent et ainsi ils ne méritent pas que l’on y ajoute aucune foi. Il ne serviroit de rien de dire ici comme on fait quelque fois que les Histoires qui raportent ces sortes de faits, ont toûjours été regardées comme des Histoires saintes et sacrées et par conséquent qu’elles ont toujours été fidélement et inviolablement conservées sans aucune altération des vérités qui y sont renfermées : il ne serviroit de rien, dis-je, d’alleguer cette raison en leur faveur, puisque c’est peut-être pour cette raison-là même, aussi bien que pour plusieurs autres qu’elles doivent être plus suspectes, et qu’elles auront peut-être été d’autant plus falsifiées et corrompues par ceux qui prétendent en tirer quelque avantage, ou qui craignent qu’elles ne leur soient pas assez favorables, l’ordinaire des auteurs qui transcrivent ou qui font imprimer ces sortes d’Histoires étant d’y ajouter et d’y changer ou même d’en retrancher tout ce que bon leur semble pour servir à leur dessein. Voici comme un auteur judicieux du dernier Siécle nous explique sa pensée et son sentiment sur ce sujét. L’homme, dit-il, est né menteur, il n’aime que son propre ouvrage, la fiction et la fable. Voyez le peuple, dit-il, il controuve, il augmente, il charge par grossiéreté ou par sotise ; demandez même au plus honnête homme, s’il est toujours vrai dans ses discours, s’il ne se surprend pas quelquefois dans des déguisemens, où engagent nécessairement la vanité et la légereté, si pour faire un meilleur conte, il ne lui échape pas souvent d’ajouter à un fait qu’il récite une circonstance qui y manque. Une chose arrive aujourd’hui et presque sous nos yeux, cent personnes qui l’ont vûë la racontent en cent façons différentes : celui-ci, s’il est écouté, la dira encore d’une manière qui n’a pas été dite Quelle créance donc, poursuit ce judicieux Auteur[1] quelle créance pourrois-je donner à des faits qui sont si anciens, éloignés de nous par plusieurs siècles ? Quel fondement dois-je faire sur les plus graves Historiens ? Que devient l’Histoire ? Caesar a-t-il été massacré au milieu du Sénat ? Y a t-il eu un Caesar ? Quelle conséquence me dites-vous ? Quel doute ! Quelle demande ! Vous riez, dit-il, vous ne me jugez pas digne d’aucune réponse, et je crois même, ajoute-t-’il, que vous avez raison. Je supose néanmoins, continue-t’-il, que le Livre qui fait mention de Caesar, ne soit pas un Livre profane écrit de la main des hommes qui sont menteurs, trouvé par hazard dans les Bibliotheques parmi d’autres manuscrits qui contiennent des Histoires vraïes ou apocrifes, qu’au contraire il soit inspiré saint et divin, qu’il porte en soi ces caractéres, qu’il se trouve depuis près de deux mille ans dans une societé nombreuse qui n’a pas permis qu’on y ait fait pendant tout ce tems-là la moindre altération et qui s’est fait une religion de le conserver dans toute son intégrité, et qu’il y ait même un engagement religieux et indispensable d’avoir de la foi pour tous les faits contenus en ce volume où il est parlé de Caesar et de sa Dictature ; avouez-le Lucille, conclut ce judicieux auteur, avouez-le, vous douterez alors qu’il y ait eu un Caesar. Voilà une véritable image de l’idée qu’il faut se former de l’incertitude des Histoires, et non seulement des Histoires profanes, mais plus particuliérement aussi de celles que l’on veut faire passer pour les plus saintes et les plus sacrées : car comme celles-là sont plus intéressantes que toute autre en matiére de Religion, chacun tache aussi de s’en prévaloir et d’en fortifier son parti autant que faire se peut, et pour ce sujét chacun veut produire de son côté des vraies ou fausses, et ensuite pour se les rendre d’autant plus favorables chacun y ajoute, et chacun y change ce que bon lui semble pour favoriser son parti.



  1. Caract. Ch. des ouvrages d’esprit 8.