Le Termite (1889)
Albert Savine (p. 1-22).
II  ►


I


Noël Servaise allait s’endormir ; déjà survenait la charmante torpeur avant-coureuse, sourire de toute la chair. Une odeur fumeuse le pénétra comme une menace d’incendie. C’étaient des senteurs de cigares, ramenées par la position de la tête, senteurs où filtrait une essence fine comme une stellaire dans une forêt :

— L’héliotrope de Mme  Chavailles !

Fermant bien fort les yeux, il crut rejoindre le sommeil. Mais le mauvais pli naquit, le chiffonnage imperceptible qui suffit à gâter une nuit de nerveux. Le monde intellectuel trembla dans Servaise. Il revécut le délice du thé, des femmes et des lampes harmonieuses. Il revit Mme  Chavailles croquer des crevettes roses ; les cailles, la sole fraîche, les vins subtils reparurent dans le babil d’un préfet sur le mouchardage politique ; la voix de Myron s’éleva pour dire la « Bataille des hêtres et des bouleaux » aux forêts de Scandinavie :

— Myron a toujours l’air d’avoir préparé sa conférence !

Plus tard, dans une pénombre où se tenait Noël, les rais de lampes tissèrent une mousseline de lumières. Que Mme  Chavailles semblait lasse, sa jupe cerise sur le soufre d’un fauteuil !

— Il serait plus malin de dormir, mon vieux !

Il fit l’effort des insomniaques, de couper une réflexion par une autre, par des mots au hasard, par quelque mouvement monotone des doigts ou des coudes. Mais, entre les interstices, la « soirée » reparaissait, tel un pâturage derrière la chevelure des peupliers. L’histoire d’un homme saigné pour six francs cinquante s’entremêla aux injures de Gourvain contre les cabots de la littérature, puis monta la discussion — par bribes — où Bonnin assommait les Temples errants et les Osmazômes de Malerme. Myron essayait l’analyse de la piperie religieuse ou littéraire dégénérant en croyance et aïeule de tout culte. Pour écarter ces ressouvenances, Servaise balbutia :

Nous échangerons un éclair unique
Comme un long sanglot tout chargé d’adieux !

Il ne fit que déplacer une minute le courant, et sans profit, car une phrase de Myron, que Baudelaire était un immense artiste quelquefois, un chevilleur presque toujours, un imbécile à coup sûr « quand il essayait de philosopher ou de raisonner », transforma la tentative en violente colère :

— C’est une des manies de Myron de n’admirer personne !

Il s’enragea, puis revit Mme  Chavailles si lasse et la tête écrasée sous les avoines de sa chevelure, puis la dispute de Gualbert irrité des épithètes de Bonnin.

Navré, cessant de se débattre, il s’allongea tristement, avec l’impression d’être une pauvre haridelle dans une écurie asphyxiante. Par là même, le sommeil parut revenir sur ses paupières, parmi un entrelacs de canaux et de vergues, des fanaux lapis, rubis et soufre, un dogue énorme au galop sur des toitures d’église et des mots : tulle, marinière, osmazômes, six francs cinquante, mon bouquin…

— Mon bouquin…

C’était un mot dangereux dans la série, qui vint, revint et s’exagéra.

— Oh ! mon bouquin… Nom de Dieu !

Servaise, se jetant sur le côté gauche, respira avec force, rythmiquement. Le rythme même fit s’acharner le mot.

— Bouquin ! bouquin !

Il comprit que c’était la grande insomnie où le crâne flotte jusqu’au matin comme un navire sans gouvernail, Les rages ressurgirent, une haine d’infirme contre la fatalité qui volait son repos. Au souvenir de nuits pareilles, d’aubes maladives apparues par la vitre pour éclairer sa souffrance, il eut épouvante :

— Je vais me lever !

Avec précaution il s’enveloppa les reins et les épaules avant de bondir du lit. Oh ! que la lumière de la lampe jaillit jaune et lugubre sous l’abat-jour ! Il la regarda palpiter comme une fièvre sur les murailles semblables aux frontières d’un sépulcre. Son sang redescendit de la tête. Il n’eut plus l’obsession ardente de l’insomnie, mais une âme moisie où la vieille âcreté des luttes, la rouille des événements circulait ainsi que des fumées de tourbe. L’anxiété et l’étouffement du cœur, le regret de n’être plus un petit enfant, la vase des rancunes, les croupissements d’injures subies rôdaient en lui pareilles à des foules sur un carrefour. Sa pauvre philosophie de documentaire inné, faite de fragments, sans envergure, pareille à un amas de briques dont il n’arrivait pas même à bâtir une muraille, emmaillotait le tout.

Par degrés, comme il circulait à pas lents, il recommença de songer au bouquin ; mais dans la lourdeur du moment, dans la taciturnité funéraire du quartier ; la mesquinerie des ébauches éparpillées sur la table le terrifia. Il eut la vision féroce de ses précurseurs. Leur nombre et leur immensité l’asphyxièrent : le Ciel et la Terre, les hommes et les choses furent ensevelis sous l’imprimerie, Pas une idée, un geste, une attitude, une sensation ne parurent échappés à la métaphore, à l’épithète, à l’analyse, au mysticisme, au sarcasme, au mépris, à la colère, à l’admiration et à l’enthousiasme.

L’interminable vermine des phrases et des chapitres fut incrustée aux nerfs de Noël, entourée en spirales dans son cerveau, mélancolique, marécageuse et monotone à faire vomir. Dans cette heure propice à l’idée fixe, il lui arriva de la voir graviter sur le plancher et les tentures en fourmillement de petites lettres : tout le Verbiage perpétué, toute la sinistre et comique phonographie du bavardage des siècles !

— Tout a été f…, tout !

Privé de la largeur de pensée qui se résigne, qui conçoit la beauté en organisation et non en réforme, il se figurait la tâche des ancêtres facile, chaque siècle oblitérant des voies. Bientôt toute originalité deviendrait impraticable. Le souhait enfantin et lâche d’une autre époque, resplendissante et barbare, où les personnalités sont denses, fortes, conquérantes, lui cliqueta dans le crâne, sans qu’il s’avouât la gloire des contemporains forant leur alvéole à travers l’accumulation des granits. Atone, il étendit le bras vers ses livres et ramena Flaubert.

Il enfourcha les phrases solides. Tout son être s’enflammait à l’électricité secrète, à la concentration d’âme des phrases de cristal et d’airain, les phrases statiques, pesantes, mélodieuses, l’hymne d’un solitaire à la rude oreille et au rude larynx, préférant les coups de marteau du flot contre une falaise ou le silence d’un ciel lourd aux petits murmures de la vie, aux balbutiements des bestioles et des feuilles dans une clairière, l’hymne d’une âme solennelle, opulente et mortellement mélancolique. Peu à peu, le souffle dardait aux vertèbres de Noël le désir furieux de « produire », de laisser sa trace sur des cerveaux comme la fougère préhistorique dans les houilles.

Mais, par un renversement normal, l’excitation, naguère emphatique comme les phrases du maître, se moula selon les fibres de Servaise, les images impériales s’engrisaillèrent en profils de bourgeois, en femmes tourmentantes comme des moustiques, en querelles grotesques, en tristesse de vie maladive. Imprécises, alors, enchevêtrées dans une brume cérébrale ainsi qu’une perspective dans la piquette du jour, les annales de son livre se levèrent. Humbles, elles disaient par le menu une lutte d’êtres dans de la filasse et des merceries, un jour le jour d’araignées et de mouches, de persécutions minuscules et de résignations ovines, de grandes navrances autour de cercueils inconnus.

Tout le drame se distillait goutte à goutte dans une boutique basse, dans un rez-de-chaussée caverneux, entre deux ménages scellés par des liens de propriété, et les meilleurs (un des hommes et un des enfants) se mouraient, empoisonnés par le méphitisme des âmes, par l’atmosphère de catacombe.

Noël, tandis que chauffait sa tempe et se mouillait la racine de ses cheveux, trouva d’abord vaine ; et réminiscente toute cette trame. Si inutile, mon Dieu, et traitée, au fond, par tant de rivaux ! Mais, du tout saumâtre, voici que se détachèrent des bribes tentatrices, de saveur souffrante, des versets de l’histoire ténébreuse, saturés de pessimisme et de féroce ironie.

Les scènes vécurent, phosphorisées par le trouble de l’heure, l’excitation des nerfs. Un émoi d’enthousiasme coula par le dos de Servaise. Localisés, dès lors, versés de recoins du cerveau avec leur vie propre, vêtus de hardes personnelles, les chapitreaux et les paragraphes grisèrent le jeune homme. Dans le détail, dans le précis analytique, hors de l’idée d’ensemble et de la pensée à envergure, il fut en son vrai domaine intellectuel. À tâtons, préparant chaque alvéole pour les briquettes de l’observation, il eut le plaisir des « instinctifs », le plaisir. de la taupe fouisseuse et du castor maçon. Il se délecta de menues anecdotes, de petites gesticulations d’êtres, en proie à la microscopie littéraire et toutefois s’interdisant le « subtil », préférant l’acuité et la finesse, les emporte-pièce du récit, acharné à la collection des épithètes.

— Et pas d’idylle, répétait-il en triomphe… pas de commencement ni de fin… un morceau de vie coupé en pleine étoffe… tel que c’est, tel que ça se passe !

Mais, plus aristocrate que sa doctrine, alla son intuition, sa fine substance créative, et malgré qu’il en eût, c’était un tri continu, un dispositif ingénieux dans le détail, des harmonies de mots et d’impressions métamorphosant le réel. Par là, les termites de son œuvre, les grisailles de leurs évolutions se teintaient d’âpres épithètes, se trempaient de la vibration d’art, se disposaient en amertumes graduées, en états d’âme vulgaires, sans doute, mais passés au crible d’un cerveau impressif, colorés d’une désespérance glaciale comme une bise, coupante comme un grésil. L’œuvre, ainsi travaillée, par un instinct sûr, une prescience très supérieure en Servaise à son pouvoir généralisateur, atteignait une valeur égale à telles œuvres plus larges et plus hautes au sens philosophique.

Mais déjà venait la lassitude, et à peine eut-il le courage de tracer deux ou trois notes, de sauver de l’oubli quelques épithètes. Une douceur resta, une espérance.

— Ah ! le livre qui me donnerait l’estime lettrée et le pain ensemble !

La molle lâcheté le tourmenta de joindre des condiments aux pages, de la pleurnicherie et de l’amour, du drame ou de l’aventure. Mais de cet abandon même naquit l’entêtement plus profond, l’honneur du bouledogue littéraire qui sacrifie tout à ne pas lâcher la chair du bourgeois, à mordre à même, jusqu’au sang, les cuisses philistines !

— Quelle blague ?… Le pain, c’est la prostitution !

Comme il redressait la tête, il vit une luminosité voleter sur la vitre. Morose et douce, elle l’attira. C’était le miracle quotidien de la lune, sa splendeur fauve et rouge tardivement ascendante.

Encore dans l’indécis du lever, elle semblait une bête de la mer échouée sur les toitures. Il la vit attaquer les charbons nocturnes, ciseler, comme un sculpteur divin, les replis du faubourg. Lentement, elle disposa son œuvre, définit les plans grisâtres du tableau sublunaire. Puis, les touches se posèrent, délicates comme des ailes de guêpes, comme des poussières de pollen.

Enfin, les rayons orgueilleux s’affermirent, l’artiste colossal massa l’’opulence argentine et Noël tressaillit de l’effarement des veilles.

Une peur, une sourde angoisse, née déjà tandis qu’il écrivait, lui rétracta la gorge :

— Est-ce que…

De petites sueurs filtrèrent à ses paumes, sa prunelle devint fixe et folle. À mesure, il reconnaissait les symptômes de son mal, de l’affreuse colique néphrétique qui s’éveillait en lui par périodes. Il se retira de la vitre, il alla par les murailles, et, par intervalles :

Elle vient !

Ce fut l’attente, l’attente des géhennes qu’une pauvre chair peut enclore, l’ennemi interne qui rôde tel un voleur sur les fibres, la peur du soldat devant l’ennemi transportée dans le « moi » impuissant à se défendre, la lutte de forces occultes dans ces muscles qui sont nôtres, dans le home de notre chair !

C’est comme un huissier venu pour de vieilles dettes, un papier timbré à acquitter pour le père, pour le bisaïeul, pour on ne sait quel être lointain qui a hypothéqué le patrimoine. Puis la saisie, la venue de rudes recors, la demeure et les meubles maniés de mains féroces. Mais la demeure, c’est nos nerfs, notre cœur, nos entrailles ; les recors c’est l’angoisse errante, c’est les tenailles des petits tortionnaires atomiques, c’est le broiement de nos os.

Ah ! mythe cruel et si juste, par toute l’humanité antique pressenti, hérédité des peines, enfants payant à la nature l’abus des aïeux, fils d’Ève expiant la faute originelle !

Servaise, assis ou allant à pas menus, tremblant de l’éveiller, de l’irriter, avec des reprises d’espérance, un « j’y échapperai pour cette fois, » songeait à la médecine,

Que faisaient-ils donc ces impuissants, à quoi aboutissaient ces longues études et ces graves expériences ? Son fatalisme, sa croyance que tout était mal, que le monde n’existait que par sa saleté même, avec une ferveur fanatique il s’en répétait les formules, les phrases de rage blanche, coupées au même couteau que les vieilles sentences stoïques, mais sans les hautes conclusions d’héroïsme. Pourtant, il s’animait, il jurait en serrant les dents, il passait des phrases froides aux phrases chaudes, d’ex-chrétien (par la race), pleines de cris de psaumes, de vieille tristesse extravasée par les siècles et retriturée en argots d’art.

Puis, de nouveau, la résignation de la peur, l’être recroquevillé et suppliant, l’espoir de leurrer la douleur.

Mais la marée subtile monta par petits bonds. Dans toute la région lombaire elle s’accélérait, s’aiguisait ; le malheureux comprit que c’était jour d’échéance, inévitable. Sombre, il injuria la vie, lui cria des immondices, puis son regard se tendit. C’était la venue de l’orage, les déchirements de la foudre. Tordu, il commença d’accompagner en sourdine, d’une voix faible et enfantine :

— Ah !… ah !…

Le souvenir des accès antérieurs vint à sa mémoire, leur mélancolie annexée à la mélancolie présente. Une pitié alors, un mépris tendre de sa « loque de corps », la pensée qu’il n’était qu’une vieille casserole d’homme, une machine trouée et rouilleuse…

Un coup de lance lui coupa la pensée, sa bouche s’ouvrit toute ronde, avec une clameur étouffée, sinistre, comme le chien qui hurle à la mort. Il eut soif du médecin, de la tête officielle qui divergeait d’ordinaire ses tortures. Puis, avec une secousse méprisante, il s’affirma le vain des paroles et de la visite, la tristesse au départ indifférent de l’homme, ce mépris secret (et senti par le malade) qu’ont pour la torture ceux qui voient tous les cataclysmes de la chair. Avec un rire nerveux — et dans une seconde de répit — Noël balbutia :

— Rendre ça… dans sa saleté et sa délicatesse…, oh ! personne n’a rendu ça…

La tempête approcha, la rétraction plus intense des glandes, les crampes des cuisses. Alors, il prit la potion somnifère, coup sur coup s’en administra des cuillerées :

— Avale, pourceau !.. et si par hasard ça te calme, tu paieras plus tard le soulagement, va !

Roulé sur le sopha, les poings durs, il attendit la torpeur opiacée, il rêva la bonne mort, ses plaintes entrecoupées de phrases :

— Mon pauvre Servaise !… Tout ce qu’on f… dans les livres… les grandes souffrances morales… de la blague !… C’est ceci les grandes douleurs morales… c’est le pauvre diable qui hurle… qui a toujours peur de voir venir son mal… c’est le rein qui se déchire… voilà les vraies douleurs, vieux… ah ah ! ceux qui ne souffrent pas !

Et, dans un accès de rage littéraire :

— Ils ne savent rien… ils ne sentent rien, ceux qui n’ont pas une maladie… ils ne ficheront jamais rien de bon, ceux qui n’ont pas sué l’angoisse des crises… les grands artistes sortent des foies crevés et des os broyés… Ils n’écrivent que les gros plats du jour, ceux qui vivent quatre-vingts ans… les grands artistes f… le camp sans vieillir !

Voilà que lui vint un léger calme, un espoir tremblant que la crise allait s’évanouir. Son scepticisme balbutia :

— Ce n’est que l’effet de la potion… ça va revenir… Ça va revenir…

Un doigt levé, son geste candide, ses yeux bleus recueillis, quelques secondes donnèrent à tout son être un charme d’enfant.

Une brusque nausée, la secousse du corps pour vomir, le mit debout. Il se pencha sur une cuvette. Le flot vint, l’effort affreux du diaphragme, l’afflux du sang dans la tête, tout le supplice du vomissement et le dégoût et l’horreur de se cracher. Haletant, les tempes douloureuses, par degrés un soulagement y succédait, un abêtissement, un ahurissement où Servaise vit une mansarde et son propre moi (enfant, alors) étendu ; la mère, les limonades fraîches, les paroles gentilles, les petites tapes dans le dos, la bonté de l’être créateur envers la progéniture, la chaleur d’une douce patience essuyant la bouche du malade, toutes les racines charmantes, les rameaux du dévouement et du sacrifice. Des larmes lui vinrent, un regret accablant, puis l’odeur aigre de la cuvette le révolta, son pessimisme recria des injures :

— Est-ce ignoble assez ?… N’avoir rien fait à personne, être comme ça parce qu’on est comme ça !

Et le littérateur :

— Eh ! en voilà de la psychologie… faire revivre les sensations et les pensées d’un vomissement… ce que ça illumine la vie… ce que ça éveille de renseignements sur notre rien… sur notre esclavage à toutes les bassesses… L’amour et les folies qu’on fait pour créer des enfants… pourquoi serait-ce plus fin, plus vraiment fouillé que…

Comme une horde de loups, brusques, des mâchoires le mordirent aux reins et tordirent ses cuisses. La grosse, l’invincible souffrance le jeta sur le sol, le poing aux lèvres, étouffant les rumeurs lugubres qui emplissaient son thorax.

Sa pensée s’y noya, l’analytique de son être fondu dans une densité d’impressions violentes, brutales, inintellectuelles. Le pauvre homme convulsif, tordu, plusieurs minutes resta sur le sol, puis le broiement s’atténua, des imprécations commencèrent, répétées dix fois, cent fois ; il se reprit à réfléchir et à disséquer sa peine.

Aux coins de son cerveau la mort flotta, le rêve de l’éparpillement, ses funérailles s’épandirent sur la route de Ménilmontant ; puis parut l’immense mélancolie d’un soir de février, un soir de grève où des artisans traînaient sur les quais de la Seine, autour de Notre-Dame.

— Oh ! crever… crever, doucement comme une braise s’éteint… ne plus être une ordure qui se crache et se roule par terre… ne plus payer pour l’ancêtre qui m’a transmis ça…

Mais voilà que le supplice s’évanouit ; un bien-être miraculeux, une joie merveilleuse montèrent de ses entrailles vers son cerveau telle une brise d’été sur des falaises. Ses colères, son pessimisme, tout se consuma dans une gloire de la chair : le « calcul » avait dû passer !

Quelques minutes plus tard, ce devint une certitude. Alors la clarté de la lune sur les meubles ; la lointaine guerre des chariots maraîchers, ce fut l’extase, le recroquevillement où l’on étreint sa poitrine entré ses bras avec un petit rire de triomphe, l’univers moins sourcilleux, l’humanité moins hérissée de barrières, la vie nourrie de sang rouge et d’harmonie nerveuse.

Il se coucha, et très lents, très doux, ainsi que des sarcelles sur un canal de Zélande, encore qu’il essayât une reprise de dénigrement, par principe, les mêmes souvenirs qui avaient broyé son repos fluèrent dans sa chambre obscure : le délice du thé et des lampes harmonieuses, Gualbert, Gourvain, les Temples errants… et dans les remous du demi-rêve, une perspective muette du cerveau, le flottement de Mme  Chavailles : l’ombre de la femme aux contrées de l’ombre, sa lassitude, ses jupes charmantes sur des soufres fluides, sa vénusté vaporisée dans la phrase naguère murmurée aux fureurs de l’insomnie :

Nous échangerons un éclair unique.
Comme un long sanglot tout chargé d’adieux !