Le Temple de la Gloire (Voltaire)


Œuvres complètes de Voltaire, Texte établi par Condorcet, Garniertome 4 - Théâtre (3) (p. 352-379).

PERSONNAGES. 353

PERSONNxVGES DANSANTS

AU DBUXIÈIifB ACTE. BERGERS ET BERGÈRES.

PERSONNAGES CHANTANTS

AU TROISIÈME ACTE.

LE GRAND PRÂTRE DE LA GLOIRE. UNE PRÊTRESSE.

CHGEUR de prêtres et de prêtresses de la Gloire. UN GUERRIER, suivant de Bacchus.

UNE BACCHANTE.

BACCHUS. ÉRIGONE. GUERRIERS, É6YPANS, BACCHANTES, ET SATYRES de la suite de Bacchus.

PERSONNAGES DANSANTS

AU TROISIÈME ACTE. PREMIER DIVERTISSEMENT.

CINQ PRÊTRESSES DE LA GLOIRE. QUATRE HÉROS.

SECOND DIVERTISSEMENT.

NEUF BACCHANTES. SIX ÊGYPANS. HUIT SATYRES.

PLAUTINE *. JUNIE,

PERSONNAGES CHANTANTS

AU QUATRIEME ACTE.

FA NIE (confidentes de Plautine.

PRÊTRES DE MARS, ET PRÊTRESSES DE VÉNUS.

i. Dans les Jugements sur quelques ouvrciges nouveaux^ on remarque que Voltaire écrit toujours Plautine au lieu de Plotine : « Les personnes accoutumées à lire l’histoire romaine ne tombent point dans ces méprises ; peut-être non content d’avoir défiguré Torthographe française, notre illustre poëte veut-il rectifier la latine, même dans les noms propres. » Ce passage donne une idée de Taménité des ennemis de Voltaire. (B.)

Théâtre. III. 23 354 PERSONNAGES.

TRAJAN.

GUERRIERS de la suite de Trajan.

SIX ROIS VAiNCi’s, à la suite de Trajan.

ROMAINS ET ROMAINES.

LA GLOIRE.

SUIVANTS DE LA GLOIRE.

PERSONNAGES DANSANTS

AU QUATRIÈME ACTE.

PREMIER DIVERTISSEMENT.

QUATRE PRÊTRES DE MARS. CINQ PRÊTRESSES DE VÉNUS.

SECOND DIVERTISSEMENT. SUIVANTS DE LA GLOIRE, cinq hommes et quatre femmes.

PERSONNAGES CHANTANTS

AU CINQUIÈME ACTE.

UNE ROMAINE.

UNE RERGÈRE.

RERGERS ET RERGÈRES.

UN ROMAIN.

JEUNES ROMAINS ET ROMAINES.

Tous les personnages du quatrième acte.

PERSONNAGES DANSANTS

AU CINQUIÈME ACTE.

ROMAINS ET ROMAINES de différents états.

PREMIÈRE QUADRILLE. TROIS HOMMES ET DEUX FEMMES.

DEUXIÈME QUADRILLE. TROIS HOMMES ET DEUX FEMMES.

TROISIÈME QUADRILLE. TROIS FEMMES ET DEUX HOMMES.

QUATRIÈME QUADRILLE. TROIS FEMMES ET DEUX HOMMES. LE TEMPLE

DE LA GLOIRE

OPÉRA

ACTE PREMIER.

(Lu théâtre représente la caverne de l’Bnvie. On voit à travers les ouvertures de la caverne une partie du temple de la Gloire, qui est dans le fond, et les berceaux dos Muses, qui sont sur les ailes.)

L’ENVIE ET SES SUIVANTS, une torche à U main.

l’envie. Profonds abîmes du Ténarc, Nuit affreuse, éternelle nuit, Dieux de Toubli, dieux du Tartare, Éclipsez le jour qui me luit ; Démons, apportez-moi votre secours barbare Contre le dieu qui me poursuit.

Les Muses et la Gloire ont élevé leur temple

Dans ces paisibles lieux :

Qu’avec horreur je les contemple !

Que leur éclat blesse mes yeux !

Profonds abîmes du Ténare,

Nuit affreuse, éternelle nuit, ’ Dieux de Toubli, dieux du Tartare,

Éclipsez le jour qui me luit ; Démons, apportez-moi votre secours barbare,

Contre le dieu qui me poursuit.


SUITE DE L'ENVIE
Notre gloire est de détruire,
Notre sort est de nuire ;
Nous allons renverser ces affreux monuments ;
Nos coups redoutables
Sont plus inévitables
Que les traits de la Mort et le pouvoir du Temps.

L'ENVIE
Hâtez-vous, vengez mon outrage ;
Des Muses que je hais embrasez le bocage ;
Ecrasez sous ces fondements
Et la Gloire et son temple, et ses heureux enfants,
Que je hais encore davantage.
Démons, ennemis des vivants,
Donnez ce spectacle à ma rage.

(Les Suivants de l'Envie dansent et forment un ballet figuré ; un héros vient au milieu de ces furies, étonnées à son approche ; il se voit interrompu par les suivants de l'Envie, qui veulent en vain l'effrayer.)

APOLLON entre, suivi des Muses, de demi-dieux et de héros.

APOLLON
Arrêtez, monstres furieux.
Fuis mes traits, crains mes feux, implacable furie.

L'ENVIE
Non, ni les mortels ni les dieux
Ne pourront désarmer l'Envie.

APOLLON
Oses-tu suivre encor mes pas ?
Oses-tu soutenir l'éclat de ma lumière ?

L'ENVIE
Je troublerai plus de climats
Que tu n'en vois dans ta carrière.

APOLLON
Muses et demi-dieux, vengez-moi, vengez-vous.

(Les héros et les demi-dieux saisissent l'Envie.)

L'ENVIE
Non, c'est en vain que l'on m'arrête.

APOLLON
Etouffez ces serpents qui sifflent sur sa tête.

L'ENVIE
Ils renaîtront cent fois pour servir mon courroux.


APOLLON
Le ciel ne permet pas que ce monstre périsse ;
Il est immortel comme nous ;
Qu'il souffre un éternel supplice ;
Que du bonheur du monde il soir infortuné ;
Qu'auprès de la Gloire il gémisse,
Qu'à son trône il soit enchaîné.

(L'antre de l'Envie s'ouvre et laisse voir le temple de la Gloire ; on l'enchaîne au pied du trône de cette déesse.)

CHOEUR DES MUSES ET DEMI-DIEUX
Ce monstre toujours terrible
Sera toujours abattu :
Les Arts, la Gloire, la Vertu.
Nourriront sa rage inflexible.

APOLLON, aux Muses.
Vous, entre sa caverne horrible
Et ce temple où la Gloire appelle les grands coeurs,
Chantez, filles des dieux, sur ce coteau paisible.
La Gloire et les Muses sont soeurs.

(La caverne de l'Envie achève de disparaître. On voit les deux coteaux du Parnasse ; des berceaux ornés de guirlandes de fleurs sont à mi-côte, et le fond du théâtre est composé de trois arcades de verdure, à travers lesquelles on voit le temple de la Gloire dans le lointain.)

APOLLON, continue.
Pénétrez les humains de vos divines flammes :
Charmez, instruisez l'univers ;
Régnez, répandez dans les âmes
La douceur de vos concerts.
Pénétrez les humains de vos divines flammes ;
Charmez, instruisez l'univers.

(Danse des Muses et des héros.)

CHOEUR DES MUSES
Nous calmons les alarmes,
Nous chantons, nous donnons la paix ;
Mais tous les coeurs ne sont pas faits
Pour sentir le prix de nos charmes.

UNE MUSE
Qu'à nos lois à jamais dociles,
Dans nos champs nos tendres pasteurs,
Toujours simples, toujours tranquilles,
Ne cherchent point d'autres honneurs ;

Que quelquefois, loin des grandeurs,
Les rois viennent dans nos asiles.

CHOEUR DES MUSES
Nous calmons les alarmes,
Nous chantons, nous donnons la paix ;
Mais tous les coeurs ne sont pas faits
Pour sentir le prix de nos charmes.



 

ACTE II



{{didascalie|(Le théâtre représente le

bocage des Muses. Les deux côtés du théâtre sont formés des deux collines du Parnasse ; des berceaux entrelacés de lauriers et de fleurs règnent sur le penchant des collines ; au-dessous sont des grottes percées à jour, ornées comme les berceaux, dans lesquelles sont des bergers et bergères. Le fond est composé de trois grands berceaux en architecture.)}}

LIDIE, ARCINE, BERGERS, BERGERES

LIDIE
Oui, parmi ces bergers aux Muses consacrés,
Loin d'un tyran superbe et d'un amant volage,
Je trouverai la paix, je calmerai l'orage
Qui trouble mes sens déchirés.

ARSINE
Dans ces retraites paisibles
Les Muses doivent calmer
Les coeurs purs, les coeurs sensibles,
Que la cour peut opprimer.
Cependant vous pleurer ; votre oeil en vain contemple
Ces bois, ces nymphes, ces pasteurs ;
De leur tranquillité suivez l'heureux exemple.

LIDIE
La Gloire a vers ces lieux fait élever son temple :
La honte habite dans nos coeurs.
La Gloire en ce jour même, au plus grand roi du monde.
Doit donner de ses mains un laurier immortel :
Bélus va l'obtenir.

ARSINE
Votre douleur profonde
Redouble à ce nom si cruel.

LIDIE
Bélus va triompher de l'Asie enchaînée ;

Mon coeur et mes Etats sont au rang des vaincus.
L'ingrat me promettait un brillant hyménée :
Il me trompait ; du moins il ne me trompe plus,
Il me laisse. Je meurs, et meurs abandonnée.

ARSINE
Il a trahi vingt rois ; il trahit vos appas :
Il ne connaît qu'une aveugle puissance.

LIDIE
Mais vers la Gloire il adresse ses pas :
Pourra-t-il sans rougir soutenir ma présence ?

ARSINE
Les tyrans ne rougissent pas.

LIDIE
Quoi ! tant de barbarie avec tant de vaillance !
O Muses ! soyez mon appui ;
Secourez-moi contre moi-même ;
Ne permettez pas que j'aime
Un roi qui n'aime que lui.

(Les bergers et bergères consacrés aux Muses sortent des antres du Parnasse, au son des instruments champêtres.)

LIDIE, aux bergers.
Venez, tendres bergers, vous qui plaignez mes larmes,
Mortels heureux, des Muses inspirés,
Dans mon coeur agité répandez tous les charmes
De la paix que vous célébrez.

LES BERGERS EN CHOEUR
Oserons-nous chanter sur nos faibles musettes,
Lorsque les horribles trompettes
Ont épouvanté les échos ?

UNE BERGERE
Que veulent donc tous ces héros ?
Pourquoi troublent-ils nos retraites ?

LIDIE
Au temple de la Gloire ils cherchent le bonheur.

LES BERGERS
Il est aux lieux où vous êtes ;
Il est au fond de notre coeur.

UN BERGER
Vers ce temple où la mémoire
Consacre les noms fameux,
Nous ne levons point nos yeux ;
Les bergers sont assez heureux

Pour voir au moins que la Gloire
N'est point faite pour eux.

(On entend un bruit de timbales et de trompettes.)

CHOEUR DES GUERRIERS, qu'on ne voit pas encore.
La guerre sanglante,
La mort, l'épouvante,
Signalent nos fureurs :
Livrons-nous un passage,
A travers le carnage,
Au faîte des grandeurs.

PETIT CHOEUR DE BERGERS
Quels sons affreux, quel bruit sauvage !
O Muses ! Protégez nos fortunés climats.

UN BERGER
O Gloire, dont le nom semble avoir tant d'appas,
Serait-ce là votre langage ?

BELUS paraît sous le berceau du milieu, entouré de ses guerriers ; il est sur un trône porté par huit rois enchaînés.

BELUS
Rois, qui portez mon trône, esclaves couronnés,
Que j'ai daigné choisir pour orner ma victoire,
Allez, allez m'ouvrir le temple de la Gloire ;
Préparez les honneurs qui me sont destinés.

(Il descend et continue.)

Je veux que votre orgueil seconde
Les soins de ma grandeur ;
La Gloire, en m'élevant au premier rang du monde.
Honore assez votre malheur.

(Sa suite sort.)

(On entend une musique douce.)

Mais quels accents pleins de mollesse
Offensent mon oreille et révoltent mon coeur ?

LIDIE
L'humanité, grands dieux ! est-elle une faiblesse ?
Parjure amant, cruel vainqueur,
Mes cris te poursuivront sans cesse.

BELUS
Vos plaintes et vos cris ne peuvent m'arrêter :
La Gloire loin de vous m'appelle ;

Si je pouvais vous écouter,
Je deviendrais indigne d'elle.

LIDIE
Non, la Gloire n'est point barbare et sans pitié ;
Non, tu te fais des dieux à toi-même semblables ;
A leurs autels tu n'as sacrifié
Que les pleurs et le sang des mortels misérables.

BELUS
Ne condamnez point mes exploits ;
Quand on se veut rendre le maître,
On est malgré soi quelquefois
Plus cruel qu'on ne voudrait être.

LIDIE
Que je hais tes exploits heureux !
Que le sort t'a changé ! que ta grandeur t'égare !
Peut-être es-tu né généreux ;
Ton bonheur t'a rendu barbare.

BELUS
Je suis né pour dompter, pour changer l'univers :
Le faible oiseau, dans un bocage,
Fait entendre ses doux concerts ;
L'aigle qui vole en haut des airs
Porte la foudre et le ravage.
Cessez de m'arrêter par vos murmures vains,
Et laissez-moi remplir mes augustes destins.

(Bélus sort pour aller au temple.)

LIDIE
O Muses, puissantes déesses !
De cet ambitieux fléchissez la fierté ;
Secourez-moi contre sa cruauté,
Ou du moins contre mes faiblesses.

APOLLON ET LES MUSES
descendant dans un char qui repose par les deux bouts sur les collines du Parnasse.

(Elles chantent en choeur.)

Nous adoucissons
Par nos arts aimables
Les coeurs impitoyables,
Ou nous les punissons.

APOLLON
Bergers, qui dans ces bocages

Apprîtes nos chants divins,
Vous calmez les monstres sauvages ;
Fléchissez les cruels humains.

(Les bergers dansent.)

APOLLON
Vole, Amour, dieu des dieux, embellis mon empire ;
Désarme la guerre en fureur :
D'un regard, d'un mot, d'un sourire,
Tu calmes le trouble et l'horreur ;
Tu peux changer un coeur,
Je ne peux que l'instruire.
Vole, Amour, dieu des dieux, embellis mon empire ;
Désarme la guerre en fureur.

BELUS, rentre,suivi de ses guerriers.
Quoi ! ce temple pour moi ne s'ouvre point encore !
Quoi ! cette Gloire que j'adore
Près de ces lieux prépara mes autels ;
Et je ne vois que de faibles mortels,
Et de faibles dieux que j'ignore.

CHOEUR DES BERGERS
C'est assez vous faire craindre ;
Faites-vous enfin chérir :
Ah ! qu'un grand coeur est à plaindre
Quand rien ne peut l'attendrir !

UNE BERGERE
D'une beauté tendre et soumise
Si tu trahis les appas,
Cruel vainqueur, n'espère pas
Que la Gloire te favorise.

UN BERGER
Quoi ! vers la Gloire il a porté ses pas,
Et son coeur serait infidèle ?
Ah ! parmi nous une honte éternelle
Est le supplice des ingrats.

BELUS
Qu'entends-je ? il est au monde un peuple qui m'offense !
Quelle est la faible voix qui murmure en ces lieux
Quand la terre tremble en silence ?
Soldat, délivrez-moi de ce peuple odieux.

LE CHOEUR DES MUSES
Arrêtez ; respectez les dieux
Qui protègent l'innocence.

BELUS

Des dieux ! oseraient-ils suspendre ma vengeance ?

APOLLON ET LES MUSES
Ciel, couvrez-vous de feu ; tonnerres, éclatez :
Tremble, fuis les dieux irrités.

(On entend le tonnerre, et des éclairs partent du char où sont les Muses avec Apollon.)

APOLLON
Loin du temple de la Gloire,
Cours au palais de la Fureur :
On gardera de toi l'éternelle mémoire
Avec une éternelle horreur.

LE CHOEUR D'APOLLON ET DES MUSES
Coeur implacable,
Apprends à trembler ;
La mort te suit, la mort doit immoler
Ce fortuné coupable.
Coeur implacable,
Apprends à trembler.

BELUS
Non, je ne tremble point ; je brave le tonnerre ;
Je méprise ce temple, et je hais les humains ;
J'embraserai de mes puissantes mains
Les tristes restes de la terre.

CHOEUR
Coeur implacable,
Apprends à trembler ;
La mort te suit, la mort doit immoler
Ce fortuné coupable.
Coeur implacable,
Apprends à trembler.

APOLLON ET SES MUSES, à Lidie.
Toi qui gémis d'un amour déplorable,
Eteins ses feux, brise ses traits ;
Goûte par nos bienfaits
Un calme inaltérable.

(Les bergers et les bergères emmènent Lidie).




 

ACTE III


(Le théâtre représente l'avenue et le frontispice du temple de la Gloire. Le trône que la Gloire a préparé pour celui qu'elle doit nommer le plus grand des hommes est vu dans l'arrière-théâtre ; il est supporté par des Vertus, et l'on y monte par plusieurs degrés.)

LE GRAND PRETRE DE LA GLOIRE, couronné de lauriers, une palme à la main, entouré des prêtres et des prêtresses de la Gloire.

UNE PRETRESSE
Gloire enchanteresse,
Superbe maîtresse
Des rois, des vainqueurs ;
L'ardente jeunesse,
La froide vieillesse,
Briguent tes faveurs.

LE CHOEUR
Gloire enchanteresse, etc.

LA PRETRESSE
Le prétendu sage
Croit avoir brisé
Ton noble esclavage :
Il s'est abusé ;
C'est un amant méprisé :
Son dépit est un hommage.

LE GRAND PRETRE
Déesse des héros, du vrai sage, des rois,
Source noble et féconde
Et des vertus et des exploits.
O Gloire ! c'est ici que ta puissante voix
Doit nommer par un juste choix
Le premier des maîtres du monde.
Venez, volez, accourez tous,
Arbitres de la paix, et foudres de la guerre,

Vous qui domptez, vous qui calmez la terre,
Nous allons couronner le plus digne de vous.

(Danse de héros, avec les prêtresses de la Gloire.)

LES SUIVANTS DE BACCHUS arrivent avec des bacchantes et des ménades, couronnés de lierre, le thyrse à la main.

UN GUERRIER, suivant de Bacchus.
Bacchus est en tous lieux notre guide invincible
Ce héros fier et bienfaisant
Est toujours aimable et terrible :
Préparez le prix qui l'attend.

UNE BACCHANTE ET LE CHOEUR
Le dieu des plaisirs va paraître ;
Nous annonçons notre maître ;
Ses douces fureurs
Dévorent nos coeurs.

(Pendant ce choeur, les prêtres de la Gloire rentrent dans le temple, dont les portes se ferment.)

LE GUERRIER
Les tigres enchaînés conduisent sur la terre
Erigone et Bacchus ;
Les victorieux, les vaincus,
Tous les dieux des plaisirs, tous les dieux de la guerre,
Marchent ensemble confondus.

(On entend le bruit des trompettes, des hautbois, et des flûtes, alternativement.)

LA BACCHANTE
Je vois la tendre Volupté
Sur le char sanglant de Bellone :
Je vois l'Amour qui couronne
La Valeur et la Beauté.

(Bacchus et Erigone paraissent sur un char traîné par des tigres, entouré de guerriers, de bacchantes, d'égypans et de satyres.)

BACCHUS
Erigone, objet plein de charmes,
Objet de ma brûlante ardeur,
Je n'ai point inventé dans les horreurs des armes
Ce nectar des humains, nécessaire au bonheur,
Pour consoler la terre et pour sécher ses larmes ;
C'était pour enflammer ton coeur.
Bannissons la raison de nos brillantes fêtes :
Non, je ne la connus jamais

Dans mes plaisirs dans mes conquêtes :
Non, je t'adore, et je la hais.
Bannissons la raison de nos brillantes fêtes.

ERIGONE
Conservez-la plutôt pour augmenter vos feux ;
Bannissez seulement le bruit et le ravage :
Si par vous le monde est heureux,
Je vous aimerai davantage.

BACCHUS
Les faibles sentiments offensent mon amour ;
Je veux qu'une éternelle ivresse
De gloire, de grandeur, de plaisirs, de tendresse,
Règne sur mes sens tour à tour.

ERIGONE
Vous alarmez mon coeur ; il tremble de se rendre ;
De vos emportements, il est épouvanté :
Il serait plus transporté,
Si le vôtre était plus tendre.

BACCHUS
Partagez mes transports divins ;
Sur mon char de victoire, au sein de la mollesse,
Rendez le ciel jaloux ; enchaînez les humains :
Un dieu plus fort que moi nous entraîne et nous presse.
Que le thyrse règne toujours
Dans les plaisirs et dans la guerre ;
Qu'il tienne lieu du tonnerre,
Et des flèches des Amours.

LE CHOEUR
Que le thyrse règne toujours
Dans les plaisirs et dans la guerre ;
Qu'il tienne lieu du tonnerre,
Et des flèches des Amours.

ERIGONE
Quel dieu de mon âme s'empare !
Quel désordre impétueux !
Il trouble mon coeur, il l'égare :
L'amour seul rendrait plus heureux.

BACCHUS.
Mais quel est dans ces lieux ce temple solitaire
A quels dieux est-il consacré ?
Je suis vainqueur, j'ai su vous plaire :
Si Bacchus est connu, Bacchus est adoré.


UN DES SUIVANTS DE BACCHUS
La Gloire est en ces lieux le seul dieu qu'on adore ;
Elle doit aujourd'hui placer sur ses autels
Le plus auguste des mortels.
Le vainqueur bienfaisant des peuples de l'aurore
Aura ces honneurs solennels.

ERIGONE.
Un si brillant hommage
Ne se refuse pas.
L'Amour seul me guidait sur cet heureux rivage ;
Mais on peut détourner ses pas
Quand la Gloire est sur le passage.

(Ensemble.)

La Gloire est une vaine erreur ;
Mais avec vous, c'est le bonheur suprême :
C'est vous que j'aime,
C'est vous qui remplissez mon coeur.

BACCHUS
Le temple s'ouvre,
La Gloire se découvre.
L'objet de mon ardeur y sera couronné ;
Suivez-moi.

(Le temple de la Gloire paraît ouvert.)

LE GRAND PRETRE DE LA GLOIRE
Téméraire, arrête ;
Ce laurier serait profané
S'il avait couronné ta tête.
Bacchus, qu'on célèbre en tous lieux,
N'a point ici la préférence ;
Il est une vaste distance
Entre les noms connus et les noms glorieux.

ERIGONE
Eh quoi ! des ses présents la Gloire est-elle avare
Pour ses brillants favoris ?

BACCHUS
J'ai versé des bienfaits sur l'univers soumis.
Pour qui sont ces lauriers que votre main prépare ?

LE GRAND PRETRE
Pour des vertus d'un plus haut prix.
Contentez-vous, Bacchus de régner dans vos fêtes,
D'y noyer tous les maux que vos fureurs ont faits.

Laissez-nous couronner de plus belles conquêtes
Et de plus grands bienfaits.

BACCHUS
Peuple vain, peuple fier, enfant de la tristesse,
Vous ne méritez pas des dons si précieux.
Bacchus vous abandonne à la froide sagesse ;
Il ne saurait vous punir mieux.
Volez ; suivez-moi, troupe aimable,
Venez embellir d'autres lieux.
Par la main des Plaisirs, des Amours, et des Jeux,
Versez ce nectar délectable,
Vainqueur des mortels et des dieux ;
Volez, suivez-moi, troupe aimable,
Venez embellir d'autres lieux.

BACCHUS ET ERIGONE
Parcourons la terre,
Au gré de nos désirs,
Du temple de la Guerre
Au temple des Plaisirs.

(On danse.)

UNE BACCHANTE, avec le choeur.
Bacchus, fier et doux vainqueur,
Conduis mes pas, règne en mon coeur ;
La Gloire promet le bonheur,
Et c'est Bacchus qui nous le donne.
Raison, tu n'es point trompeur,
Mon âme à toi s'abandonne.
Bacchus, fier et doux vainqueur, etc.




 

ACTE IV


(Le théâtre représente la ville d'Artaxate à demi ruinée, au milieu de laquelle est une place publique ornée d'arcs de triomphe chargés de trophées.)

PLAUTINE, JUNIE, FANIE

PLAUTINE
Reviens, divin Trajan, vainqueur doux et terrible ;
Le monde est mon rival, tous les coeurs sont à toi ;
Mais est-il un coeur plus sensible
Et qui t'adore plus que moi ?
Les Parthes sont tombés sous ta main foudroyante :
Tu punis, tu venges les rois,
Rome est heureuse et triomphante ;
Tes bienfaits passent tes exploits.
Reviens, divin Trajan, vainqueur doux et terrible ;
Le monde est mon rival, tous les coeurs sont à toi ;
Mais est-il un coeur plus sensible
Et qui t'adore plus que moi ?

FANIE
Dans ce climat barbare, au sein de l'Arménie,
Osez-vous affronter les horreurs des combats ?

PLAUTINE
Nous étions protégés par son puissant génie,
Et l'Amour conduisait mes pas.

JUNIE
L'Europe reverra son vengeur et son maître ;
Sous ces arcs triomphaux on dit qu'il va paraître.

PLAUTINE
Ils sont élevés par mes mains.
Quel doux plaisir succède à ma douleur profonde !
Nous allons contempler dans le maître du monde
Le plus aimable des humains.

Nos soldats triomphants, enrichis, pleins de gloire,
Font voler son nom jusqu'aux cieux.

FANIE
Il se dérobe à leurs chants de victoire ;
Seul, sans pompe, et sans suite, il vient orner ces lieux.

PLAUTINE
Il faut à des héros vulgaires
La pompe et l'éclat des honneurs ;
Ces vains appuis sont nécessaires
Pour les vaines grandeurs.
Trajan seul est suivi de sa gloire immortelle ;
On croit voir près de lui l'univers à genoux ;
Et c'est pour moi qu'il vient ! ce héros m'est fidèle !
Grands dieux ! vous habitez dans cette âme si belle,
Et je la partage avec vous !

TRAJAN, PLAUTINE, SUITE

PLAUTINE, courant au-devant de Trajan.
Enfin, je vous revois ; le charme de ma vie
M'est rendu pour jamais.

TRAJAN
Le ciel me vend cher ses bienfaits,
Ma félicité m'est ravie.
Je reviens un moment pour m'arracher à vous,
Pour m'animer d'une vertu nouvelle,
Pour mériter, quand Mars m'appelle,
D'être empereur de Rome, et d'être votre époux.

PLAUTINE
Que dites-vous ? Quel mot funeste !
Un moment, vous, ô ciel ! un seul moment me reste,
Quand mes jours dépendaient de vous revoir toujours.

TRAJAN
Le ciel en tous les temps m'accorda son secours ;
Il me rendra bientôt aux charmes que j'adore.
C'est pour vous qu'il fait mon coeur.
Je vous ai vue, et je serai vainqueur.

PLAUTINE
Quoi ! ne l'êtes-vous pas ? Quoi ? serait-il encore
Un roi que votre main n'aurait pas désarmé ?

Tout n'est-il pas soumis, du couchant à l'aurore ?
L'univers n'est-il pas calmé ?

TRAJAN
On ose me trahir.

PLAUTINE
Non, je ne puis vous croire ;
On ne peut vous manquer de foi.

TRAJAN
Des Parthes terrassés l'inexorable roi
S'irrite de sa chute, et brave ma victoire.
Cinq rois qu'il a séduits sont armés contre moi ;
Ils ont joint l'artifice aux excès de la rage ;
Ils sont au pied de ces remparts ;
Mais j'ai pour moi tous les dieux, les Romains, mon courage,
Et mon amour, et vos regards.

PLAUTINE
Mes regards vous suivront : je veux que sur ma tête
Le ciel épuise son courroux.
Je ne vous quitte pas ; je braverai leurs coups ;
J'écarterai la mort qu'on vous apprête,
Je mourrai du moins près de vous.

TRAJAN
Ah ! ne m'accablez point, mon coeur est trop sensible :
Ah ! laissez-moi vous mériter.
Vous m'aimez, il suffit, rien n'est impossible,
Rien ne pourra me résister;

PLAUTINE
Cruel, puvez-vous m'arrêter ?
J'entends déjà les cris d'un ennemi perfide.

TRAJAN
J'entends la voix du devoir qui me guide ;
Je vole ; demeurez : la victoire me suit.
Je vole ; attendez tout de mon peuple intrépide,
Et de l'amour qui me conduit.

(Ensemble.)

Je vais/Allez punir un barbare,
Terrasser sous mes/vos coups
L'ennemi qui nous sépare,
Qui m'arrache un moment à vous.

PLAUTINE

Il m'abandonne à ma douleur mortelle ;
Cher amant, arrêtez : ah ! détournez les yeux,
Voyez encor les miens.

TRAJAN, au fond du théâtre.
O dieux, ô justes dieux,
Veillez sur l'empire et sur elle !

PLAUTINE
Il est déjà loin de ces lieux.
Devoir, es-tu content ? Je meurs, et je l'admire.
Ministres du dieu des combats,
Prêtresses de Vénus, qui veillez sur l'empire,
Percez le ciel de cris, accompagnez mes pas ;
Sercondez l'amour qui m'inspire.

CHOEUR DES PRETRES DE MARS
Fier dieu des alarmes,
Protège nos armes,
Conduis nos étendards.

CHOEUR DES PRETRESSES DE VENUS
Déesse des grâces,
Vole sur ses traces,
Enchaîne le dieu Mars.

(On danse.)

CHOEUR DES PRETRESSES
Mère de Rome et des amours paisibles,
Viens tout ranger sous ta charmante loi ;
Viens couronner nos Romains invincibles :
Ils sont tous nés pour l'amour et pour toi.

PLAUTINE
Dieux puissants, protégez votre vivante image !
Vous étiez autrefois des mortels comme lui ;
C'est pour avoir régné comme il règne aujourd'hui
Que le ciel est votre partage.

(On danse.)

(On entend un choeur de Romains qui avancent lentement sur le théâtre.)

Charmant héros, qui pourra croire
Des exploits si prompts et si grands ?
Tu te fais en peu de temps
La plus durable mémoire.

JUNIE
Entendez-vous ces cris et ces chants de victoire ?


FANIE
Trajan revient vainqueur.

PLAUTINE
En pouviez-vous douter ?
Je vois ces rois captifs, ornements de sa gloire ;
Il vient de les combattre, il vient de les dompter.

JUNIE
Avant de les punir par ses lois légitimes,
Avant de frapper ses victimes,
A vos genoux il veut les présenter.

TRAJAN paraît, entouré des aigles romaines et de faisceaux ;
les rois vaincus sont enchaînés à sa suite.


TRAJAN
Rois qui redoutez ma vengeance,
Qui craignez les affronts aux vaincus destinés,
Soyez désormais enchaînés
Par la seule reconnaissance.
Plautine est en ces lieux ; il faut qu'en sa présence
Il ne soit point d'infortunés.

LES ROIS, se relevant, chantent avec le choeur.
O grandeur ! ô clémence !
Vainqueur égal aux dieux,
Vous avez leur puissance,
Vous pardonnez comme eux.

PLAUTINE
Vos vertus ont passé mon espérance même ;
Mon coeur est plus touché que celui des rois.

TRAJAN
Ah ! s'il est des vertus dans ce coeur qui vous aime,
Vous savez à qui je les dois.
J'ai voulu des humains mériter le suffrage,
Dompter les rois, briser leurs fers,
Et vous apporter mon hommage
Avec les voeux de l'univers.
Ciel ! que vois-je en ces lieux ?

{{didascalie|(LA

ACTE IV. 375

LÀ GLOIRE descend d’un vol précipité, une couronne de laurier

à la main, ,

LA GLOIRE.

Tu vois ta récompense, Le prix de tes exploits, surtout de ta clémence ; Mon trône est à tes pieds ; tu règnes avec moi.

(Le tbéAtre change, et représente le temple de la Gloire.)

Bile continue :

Plus d’un héros, plus d’un grand roi, Jaloux en vain de sa mémoire, Vola toujours après la Gloire. ’ Et la Gloire vole après toi.

LES SUIVANTS DE LA GLOIRE, mêlés aux Romains et aux Romaines,

forment dos danses.

UN ROMAIN.

Régnez en paix après tant d’orages, Triomphez dans nos cœurs satisfaits. Le sort préside aux combats, aux ravages ; La Gloire est dans les bienfaits. Tonnerre, écarte-toi de nos heureux rivages ; Calme heureux, reviens pour jamais. Régnez en paix, etc.

CHOEUR.

Le ciel nous seconde, Célébrons son choix : Exemple des rois, Délices du monde, Vivons sous tes lois.

JUNIE.

Tendre Vénus, à qui Rome est soumise, A nos exploits jours tes tendres appas ; Ordonne à Mars enchanté dans tes bras Que pour Trajan sa faveur s’éternise.

LE CHGEUR.

Le ciel nous seconde. Célébrons son choix : Exemple des rois, Délices du monde. Vivons sous tes lois. /

376 LE TEMPLE DE LA GLOIRE.

TRAJAN.

Des honneurs si brillants sont trop pour mon partage ; Dieux, dont j’éprouve la faveur, Dieux de mon peuple, achevez votre ouvrage ; Changez ce temple auguste en celui du bonheur ; Quil serve à jamais aux fêtes Des fortunés humains ; Qu’il dure autant que les conquêtes Et que la gloire des Romains.

LA GLOIRE.

Les dieux ne refusent rien Au h^ros qui leur ressemble : Volez, Plaisirs, que sa vertu rassemble ; Le temple du Bonheur sera toujours le mien.

FIN nu QUATRIÈME ACTE. ACTE CINQUIÈME.

(I.e tliéAtre change, et roprésonto le temple du Bonheur ; il est formé de pavillons d’une architecture le ;<ère, de péristyles, de jardins, de fontaines, etc. Ce lieu délicieux est rempli de Romains et de Romaines de tous états.)

CHOEUR.

Chantons en ce jour solennel, Et que la terre nous réponde : Un mortel, un seul mortel A fait le bonheur du monde.

(On danse.) UNE ROMAINE.

Tout rang, tout sexe, tout âge Doit aspirer au bonheur.

LE CHOEUR.

Tout rang, tout sexe, tout âge Doit aspirer au bonheur.

LA ROMAINE.

Le printemps volage,

L’été plein d’ardeur.

L’automne plus sage.

Raison, badinage,

Retraite, grandeur. Tout rang, tout sexe, tout âge Doit aspirer au bonheur.

LE CHGEUR.

Tout rang, etc.

(Des bergers et des bergères entrent en dansant.) UNE BERGÈRE.

ici les plus brillantes fleurs N’effacent point les violettes ; Les étendards et les houlettes Sont ornés des mêmes couleurs. Les chants de nos tendres pasteurs 378 LE TEMPLE DE LA GLOIRE.

Se mêlent au bruit des trompettes ; L’amour anime en ces retraites Tous les regards et tous les cœurs. Ici les plus brillantes fleurs N’effacent point les violettes ; Les étendards et les houlettes Sont ornés des mômes couleurs.

(I.cs seigneurs et les dames romaines so joignent en dansant aux bergers et aux bergères.)

UN ROMAIN.

Dans un jour si beau, Il n’est point d’alarmes ; Mars est sans armes, L’amour sans bandeau.

LE GHGEUR.

Dans un jour si beau, etc.

LE ROMAIN.

Ija Gloire et les Amours en ces lieux n’ont des ailes

Que pour voler dans nos bras, lia Gloire aux ennemis présentait nos soldats, Et l’Amour les présente aux belles.

LE CHOEUR.

Dans un jour si beau. Il n’est point d’alarmes ;

Mars est sans armes, L’Amour sans bandeau.

(On danse.)

TRAJAN paraît avec PLAUTINE, et tous les Romains se rangent

autour do lui.

CHOEUR.

Toi que la Victoire Couronne en ce jour. Ta plus belle gloire î Vient du tendre Amour.

TRAJAN.

peuple de héros qui m’aimez et que j’aime.

Vous faites mes grandeurs ; Je veux régner sur vos cœurs,

(Montrant Plautinc.)

Sur tant d’appas, et sur moi-même. ACTE V. 379

Montez au haut du ciel, encens que je reçois ; Retournez vers les dieux, hommages que j’attire : Dieux, protégez toujours ce formidable empire.

Inspirez toujours tous ses rois. Montez au haut du ciel, encens que je reçois ; Retournez vers les dieux, hommages que j’attire.

(Toutes les difTérentes troupes recommencent leurs danses autour do Trajan et de Plautine, et terminent la fôto par un ballet général.)

FIN DU TEMPLE DE LA GLOIRE.