Le Tarif des douanes devant le sénat

Le Tarif des douanes devant le sénat
Revue des Deux Mondes3e période, tome 42 (p. 372-393).
LE
TARIF DES DOUANES
DEVANT LE SENAT

Le tarif général des douanes, voté par la chambre des députés, est en ce moment soumis à l’examen du sénat ; la présente session verra s’achever cette œuvre législative, dont l’étude, poursuivie durant plusieurs années, a suscité de vives controverses et tenu en suspens les plus graves intérêts. Il s’agit de décider si le régime économique qui a été inauguré en 1860 par la suppression des prohibitions douanières, par l’abaissement des taxes et par la conclusion des traités de commerce, doit être maintenu ou modifié, — s’il convient d’aller plus avant dans la voie de la liberté des échanges ou de revenir aux anciennes doctrines, aux anciens procédés de la protection, — s’il y a lieu de négocier de nouveaux traités de commerce. Bien que la chambre des députés ait consacré à ces trois questions de très longs débats, le tarif général, tel qu’il est sorti de ses délibérations, ne donne qu’une solution très incomplète du problème. Dans l’ensemble, ce tarif ne s’inspire d’aucun système économique ; dans les détails, il est tantôt libéral, tantôt restrictif à l’extrême, de telle sorte que beaucoup d’intérêts se prétendent lésés et font appel au sénat. Tous les argumens qui ont été développés au Palais-Bourbon vont se produire de nouveau dans les délibérations du Luxembourg, avec d’autant plus d’ardeur et d’âpreté que l’on approche de la décision finale. Nous entendrons les mêmes doléances exprimées au nom de l’agriculture et de l’industrie, les mêmes chiffres que la statistique complaisante prête à l’appui de toutes les causes, les mêmes argumens invoqués soit par les défenseurs de la liberté des échanges, soit par les champions de la protection. Serait-ce qu’après une si longue période de contradictions et de luttes, l’opinion publique est encore incertaine et réclame un supplément de lumières ? L’expérience qui date des réformes de 1860 paraît-elle incomplète ? Les protectionnistes ont-ils espéré que la crise passagère dont souffre l’agriculture faciliterait leur retour offensif, ou que le gouvernement républicain serait disposé à détruire ce qui a été fait sous le régime impérial ? Quels que soient les motifs, la discussion, que l’on pouvait croire terminée, recommence comme au premier jour, en attendant la décision du sénat.

La majorité de cette assemblée inclinerait, dit-on, vers les doctrines protectionnistes, et si elle doit modifier le tarif adopté par la chambre des députés, elle se prononcerait pour l’augmentation de certaines catégories de taxes. La composition de la commission et ce que l’on connaît de ses votes préparatoires encouragent cette supposition. Il n’est donc pas inutile de résumer, à la dernière heure, l’état de la question et d’examiner brièvement, non plus les argumens de doctrine qui sont depuis longtemps connus et qui se refusent à toute transaction, mais les argumens de fait et d’opportunité qui paraissent devoir influer le plus sérieusement sur la délibération parlementaire.


I

Il convient de rappeler les circonstances qui ont précédé la rédaction du nouveau tarif. Lorsque l’assemblée nationale autorisa, en 1872, le gouvernement à dénoncer successivement les traités de commerce afin de recouvrer sa liberté d’action pour la révision complète de la législation douanière, il fut entendu que le tarif conventionnel, appliqué depuis vingt ans à nos relations d’échange avec les principaux pays servirait de modèle au tarif général, quant au degré de protection qu’il paraissait encore nécessaire d’accorder à l’agriculture et à l’industrie. On prévoyait seulement qu’il y aurait lieu d’amender certains détails secondaires et de tenir compte du surcroît de frais dont l’industrie devait être grevée par l’impôt, alors projeté, sur les matières premières. Peut-être M. Thiers et les adversaires obstinés de la réforme espéraient-ils que la révision du tarif, rendue nécessaire par l’aggravation du régime fiscal, leur ouvrirait plus facilement les voies pour la restauration du régime protectionniste et leur fournirait l’occasion d’une revanche. La tactique ne manquait pas d’habileté ; mais il est certain que là majorité de l’assemblée nationale, en se résignant comme contrainte et forcée à la dénonciation des traités et à l’étude d’un impôt sur les matières premières, n’avait point la pensée d’altérer, dans ses traits généraux, le caractère de la législation économique inaugurée en 1860 ; la nation ne le demandait pas, et les industriels semblaient plutôt émus de la menace d’un impôt nouveau, dont le chiffre et les conséquences étaient inconnus, que désireux de voir modifier la situation qui leur avait été faite par les tarifs conventionnels.

Le projet d’impôt sur les matières premières eut le sort qu’il méritait. Il fut repoussé, et par cet échec fut détruite du même coup la combinaison protectionniste dont il était en quelque sorte l’instrument. Toutefois, les traités n’ayant plus qu’une existence provisoire et une durée limitée par des prorogations successives, il fallait absolument entreprendre l’étude immédiate d’un tarif général destiné à remplacer le tarif de 1791, reconnu inapplicable, et à permettre le renouvellement des conventions douanières avec les cabinets étrangers.

L’administration se mit sans retard à l’œuvre, et le conseil supérieur du commerce, de l’agriculture et de l’industrie fut chargé de préparer le tarif, à la suite d’une première enquête ouverte auprès des chambres de commerce. Cela se passait pendant le premier semestre de 1876. À cette date, l’opinion presque générale se prononçait pour l’adoption des droits établis depuis 1860 en vertu des conventions, sauf à substituer des droits spécifiques aux droits à la valeur, qui n’étaient pas exactement perçus, et la grande majorité des industriels demandait que les conditions des échanges avec l’étranger fussent garanties, comme par le passé, au moyen de traités de commerce. Le projet de tarif, proposé par le conseil supérieur, fut rédigé conformément à ces vœux. Il demeurait libéral, en ce sens qu’il maintenait les dispositions essentielles de la réforme de 1860 ; mais il relevait plusieurs taxes, il admettait des classifications nouvelles qui équivalaient à des augmentations de droits, et, partout où la perception à la valeur était remplacée par la perception au poids, il y avait aggravation évidente. Bref, le travail du conseil supérieur marquait une halte, avec une certaine tendance à revenir en arrière. S’il avait été présenté sur l’heure à l’examen du pouvoir législatif, il n’eût probablement pas rencontré d’opposition sérieuse : les protectionnistes s’en seraient contentés, les libre-échangistes s’y seraient résignés.

Au commencement de la session de 1877, le gouvernement présenta à la chambre des députés un projet de tarif, qui tout en s’inspirant des conclusions du conseil supérieur, y apportait quelques amendemens, plutôt restrictifs que libéraux. La dissolution de la chambre ayant été prononcée, ce projet fut remplacé, devant la nouvelle chambre (séance du 21 janvier 1878), par une seconde édition dans laquelle les droits relatifs aux principaux produits manufacturés étaient augmentés de près d’un quart ; en outre, l’exposé des motifs, signé par M. Teisserenc de Bort, ministre du commerce, contenait des déclarations empruntées directement à la doctrine protectionniste. En proposant de taxer, contrairement à l’avis du conseil supérieur, les produits dérivés du goudron de houille, le ministre du commerce s’exprimait ainsi : « Alors que la généralité, si ce n’est la totalité des produits fabriqués en France, reçoit une protection plus ou moins élevée, on n’aperçoit pas pourquoi et en vertu de quel principe une exception serait faite à l’égard d’une industrie qui n’a pas encore pris racine dans notre pays et qui lutte péniblement avec la production allemande. » Le droit à la protection douanière était donc formellement reconnu et proclamé en faveur de toutes les industries, et le langage du ministre du commerce, bien qu’il exprimât plutôt une opinion personnelle que l’opinion du cabinet tout entier, devait autoriser les efforts tentés pour la restauration de l’ancien régime économique.

D’où venait ce revirement ? Il était impossible de l’attribuer à une pression de l’opinion publique. En 1875 et en 1877, la question des tarifs avait tenu peu de place dans les programmes électoraux. Satisfaite de la législation qui depuis près de vingt ans réglait les conditions du travail et des échanges, la nation ne désirait point qu’elle fût modifiée, et, comme la plupart des traités de commerce, quoique dénoncés, continuaient à recevoir leur exécution par suite de prorogations amiables, elle ne s’apercevait pas du trouble que la rupture définitive de ces traités pouvait jeter dans ses relations avec l’étranger. Les préoccupations du pays étaient ailleurs. Le futur tarif n’agitait pas les esprits ; on le considérait généralement comme étant destiné à régulariser, à continuer le régime existant, à faciliter l’œuvre de la diplomatie pour la conclusion de nouveaux traités de commerce, et non pas à détruire, par le relèvement des droits, ce qui avait été fait en 1860.

Il est très important, pour le débat qui se prépare au sénat, de remonter au point de départ et de rappeler quels étaient, à l’origine, les projets du gouvernement, les sentimens des industriels et les vœux du pays. Le gouvernement prétendait consacrer le régime libéral, en ajournant, à raison des circonstances politiques, une nouvelle étape dans la voie des réformes ; les industriels désiraient conserver la mesure de protection dont ils jouissaient, et ils ne redoutaient que l’extension du libre-échange : le pays, à vrai dire, ne demandait rien. La question était alors des plus faciles à résoudre. Il eût suffi de décider que le tarif de 1791 serait abrogé et que les droits inscrits dans les traités constitueraient le nouveau tarif général, applicable à toutes les importations étrangères. Cette procédure, réalisant le statu quo, aurait tout concilié, en laissant ouverte, pour l’avenir, la perspective des réformes libérales. Au lieu de cela, on s’est livré à des études, qui ont embrouillé le problème, et ces études ont entraîné des délais qui ont facilité l’organisation d’une opposition redoutable. Ce qui était simple est devenu compliqué ; ce qui paraissait clair est rendu obscur ; ce qui semblait avoir été décidé il y a vingt ans est remis en question. Le meilleur moyen pour le sénat de sortir de ces difficultés et de ces obscurités, ce serait de replacer la discussion au point où elle était posée à l’origine, sans s’arrêter ni aux argumens contradictoires que les délais ont fait naître, ni à l’agitation factice qu’ont suscitée les enquêtes, ni aux considérations d’ordre politique, qui doivent être sans influence sur la rédaction d’un tarif de douanes. Il n’est peut-être point permis d’espérer que le sénat s’arrête à ce parti. Les partisans du régime libéral en sont réduits à souhaiter que le sénat ne se laisse pas entraîner, par voie d’amendement, à de nouvelles augmentations de taxes qui prolongeraient indéfiniment le débat.

On a vu comment les protectionnistes ont su mettre à profit les délais qui ont retardé la présentation du projet de loi. Dès que le gouvernement leur a paru hésitant sur la politique commerciale, dès que le rejet de quelques-unes des propositions libérales du conseil supérieur leur a révélé les tendances ministérielles, ils se sont groupés de nouveau, ils se sont reconstitués comme parti, et ils ont relevé l’ancien drapeau de la « Défense du travail national. » Les circonstances leur étaient d’ailleurs favorables. En 1876 et en 1877, l’industrie, en France comme en Europe, avait subi un temps d’arrêt ; partout la production, très active depuis 1871, en était venue à dépasser les besoins de la consommation ; de là une crise, d’autant plus douloureuse que les marchandises européennes n’obtenaient plus qu’un accès très limité aux États-Unis, fermés par un tarif presque prohibitif. Les industriels saisirent habilement cette occasion pour invoquer l’assistance des pouvoirs publics, ils s’adressèrent au sénat, qui, en novembre 1877, ordonna une enquête à l’effet de « rechercher les causes de souffrances de l’industrie et du commerce et les moyens d’y porter remède. » En même temps, la crise, qui ne frappait d’abord que la grande industrie, s’étendit à l’agriculture ; l’insuffisance des récoltes dut être comblée, dans des proportions exceptionnelles, par les importations de l’étranger, et les pertes éprouvées par le travail agricole amenèrent une dépréciation sensible de la propriété foncière. Les industriels surent convaincre les agriculteurs que la concurrence était la principale cause de leur détresse commune et que l’unique remède consistait dans le relèvement des tarifs. L’alliance fut ainsi conclue. Enfin, vers cette période, plusieurs gouvernemens étrangers, obligés de se créer des ressources fiscales, eurent recours à l’impôt des douanes et augmentèrent les taxes à l’entrée de leurs frontières. Ce concours de circonstances était bien fait pour relever la confiance du parti protectionniste, qui se présenta devant le gouvernement et devant les chambres, fortifié par de nouveaux alliés.

Nous avons dans une précédente étude[1] résumé les enquêtes auxquelles il a été procédé au sénat et à la chambre des députés. Comme on devait s’y attendre, dans ce concert de déposans accourus avec empressement de toutes les régions agricoles et manufacturières, c’est la note protectionniste qui domine. Les grandes industries, même celles qui sont réputées le plus prospères, déclarent qu’elles ne peuvent pas lutter contre la concurrence, que leur situation n’est plus tenable et que, si le nouveau tarif ne relève pas les droits protecteurs, elles se verront obligées d’abaisser les salaires ou de licencier leurs nombreux ouvriers. A leur suite, se présentent les industries secondaires, habilement groupées pour faire nombre, et venant demander leur part de tarif, comme on réclame une part de butin. Voici les représentans de l’agriculture : à les entendre, l’agriculture se meurt, l’agriculture est morte ; elle succombe sous la concurrence des États-Unis. Les blés d’Amérique, les bœufs, les cuirs d’Amérique et les porcs, ruinent le cultivateur français. La conclusion de tout cela, c’est que le législateur doit accorder, sinon la prohibition, du moins un régime de taxes et de surtaxes qui rétablisse l’équilibre.

Il se rencontra cependant de nombreuses contradictions. Parmi les industriels qui réclament ou acceptent la protection pour leur propre compte, il en est beaucoup qui se trouvent lésés par la protection accordée à d’autres et par le maintien des droits qui élèvent le prix des matières ou produits qu’ils mettent en œuvre. Ainsi le tissage veut bien être protégé, mais il voudrait que la filature fût protégée le moins possible, et que la modération du tarif lui permît de se procurer ses approvisionnemens à l’étranger comme en France, et au plus bas prix. L’impression sur étoffes, qui sollicite la protection, proteste contre l’exagération des droits accordés aux tissus dont elle a besoin. Il n’est pas d’industrie qui n’emploie le fer, la houille, les produits chimiques et qui ne désire l’abaissement des tarifs qui les concernent. La division du travail a créé la division des intérêts, et bien que les chefs de la ligue protectionniste eussent très habilement combiné leurs efforts pour maintenir la discipline parmi leurs associés, il y eut des dissidens. L’alliance conclue avec les agriculteurs ne fut pas non plus approuvée par tous les industriels, le renchérissement des denrées alimentaires devant avoir pour conséquence l’augmentation des prix de main-d’œuvre. Enfin, le commerce, qui ne vit que par l’échange, le commerce de Paris surtout, qui se livre très activement à l’exportation, s’émut des manifestations qui se succédaient devant la commission d’enquête et du péril qui paraissait menacer le régime économique auquel il devait le développement de sa prospérité. Il encouragea une association fondée pour la défense de la liberté commerciale et pour le maintien des traités de commerce, association qui, par ses publications, par des conférences organisées à Paris, à Lyon, à Bordeaux, à Saint-Étienne, menait vivement la campagne contre l’armée protectionniste.

Quelles furent, en présence de ces dispositions contradictoires, les conclusions de la commission ? Celle-ci, composée de trente-trois membres, était partagée, quant aux doctrines, en deux fractions presque égales : peut-être les protectionnistes avaient-ils une majorité de trois ou quatre voix ; ils étaient, en outre, très exacts aux séances, de telle sorte qu’ils réussirent à faire prévaloir leur opinion dans les délibérations les plus importantes ; la plupart des rapports furent rédigés par eux ; le président de la commission, chargé de résumer dans un rapport général l’ensemble des résolutions, était de leur bord. Cela explique comment la commission en vint à proposer un tarif dans lequel un grand nombre des droits inscrits dans le projet du gouvernement se trouvaient augmentés. C’était, selon le dire du rapporteur général, un tarif « opportuniste, » approprié aux circonstances et se prêtant aux modifications, aux tempéramens que pourrait exiger l’intérêt diplomatique lors des négociations prévues pour la conclusion de nouveaux traités. La commission espérait que la majorité de la chambre ne résisterait pas à ce tarif paré des couleurs de « l’opportunisme. »

Ainsi depuis 1872, à chaque étape, c’était la protection qui gagnait du terrain, et la réforme se voyait distancée. Le cabinet lui-même, craignant d’essuyer de trop nombreux échecs, jugea prudent de présenter, avant le débat public, un tarif modifié, un tarif de conciliation, moins libéral que ne Tétait son projet primitif et se rapprochant, pour certains articles, des propositions de la commission d’enquête. Il était, lui aussi, gagné par l’opportunisme. Pourquoi ne pas le dire ? la plus grande difficulté de cette discussion, ce fut depuis la première heure l’indécision du gouvernement, soit que les ministres fussent divisés d’opinion, soit qu’ils craignissent de heurter trop directement des influences considérables, des intérêts bruyans ou des préjugés populaires. Sans principes fermes, sans conduite arrêtée, il est impossible d’aboutir à une bonne loi économique ; dans ces matières, le gouvernement est seul capable de préparer avec impartialité les décisions législatives et il doit tenir à honneur de les conduire à ses fins. Lui seul est capable, quand il se montre résolu, de faire prévaloir l’intérêt général sur les intérêts locaux et sur les compétitions industrielles. Au fond, le gouvernement voulait être libéral ; mais il avait compromis son opinion par un excès de timidité et par des concessions trop promptes. Il lui fallait maintenant beaucoup plus d’efforts pour ramener la discussion au point juste d’où les exagérations protectionnistes l’avaient écartée. L’attitude et les votes de la chambre allaient montrer que, si le cabinet avait tenu bon dés l’origine, la majorité aurait été facilement acquise à une législation libérale.

Au cours de la discussion générale, la faveur avec laquelle furent accueillis les discours successivement prononcés par MM. Pascal Duprat, Rouvier et Rouher, dans l’intérêt de la réforme économique, fit pressentir que la chambre ne se laisserait pas dominer par les doctrines protectionnistes de la commission. L’urgence fut votée, et l’on décida que chacune des sections du tarif formerait un projet de loi distinct qui, après le vote, serait transmis au sénat. Cette procédure inusitée devait avoir pour conséquence de rendre indépendans les uns des autres les intérêts agricoles traités dans les articles des deux premières sections et les intérêts manufacturiers compris dans la section dernière. Elle était, il faut bien le dire, contraire à tous les principes ; car, dans un tarif, toutes les parties se tiennent et un vote d’ensemble est nécessaire pour consacrer la logique et l’harmonie entre les diverses dispositions de la loi douanière. La dérogation aux principes et aux usages fut motivée par la nécessité de mener rapidement ce grand travail, en permettant au sénat de commencer l’étude de chaque section au fur et à mesure des renvois qui lui seraient faits immédiatement après le vote de la chambre des députés. Mais les protectionnistes ne s’y trompèrent pas ; ils prévoyaient que la procédure adoptée allait détruire la ligue formée entre les agriculteurs et les industriels. Si, en effet, la majorité se déclarait contre les taxes proposées en faveur des produits agricoles, il était évident que les défenseurs de l’agriculture n’auraient plus aucun intérêt à soutenir l’augmentation des droits pour les produits manufacturés ; ils voudraient au contraire que l’industrie ne fût pas abusivement protégée au détriment et aux frais de l’agriculture.

Le vote sur les deux premières sections était donc, pour les partis en présence, d’une importance capitale. Il s’agissait du tarif des bestiaux et des céréales. Le débat se prolongea pendant plusieurs séances avec un véritable acharnement. L’avantage demeura au tarif le plus modéré, qui avait été proposé par le gouvernement, et ce vote décida du resta. Quand on en vint plus tard aux produits fabriqués, la discussion, un moment ranimée par les interminables querelles de la filature et du tissage, se poursuivit devant une assemblée clairsemée, distraite, fatiguée et presque dégoûtée, qui avait à subir les plaintes et les prières des quémandeurs de protection. Les orateurs se succédaient à la tribune pour plaider, avec les argumens connus, la cause de telle ou telle industrie, ou plutôt celle de leur circonscription électorale. Chacun voulait la protection pour lui et la contestait à son voisin. Les récriminations les plus amères se joignaient aux exigences les moins justifiables ; la guerre était au camp des intérêts. Un jour, le 22 août, la patience échappa au ministre du commerce, M. Tirard, dont nous n’avons qu’à reproduire les paroles pour rendre plus exactement la physionomie du combat et des combattans.

« Je ne connais rien de plus pénible, de plus douloureux que cette discussion, qui à chaque instant s’agite entre les représentans des diverses industries, qui ont l’air véritablement de se traiter de Turc à More : .. les uns, venant dire que ceux qui se plaignent sont excessivement heureux et qu’ils ont tort de se plaindre, les autres, au contraire, demandant, soit des relèvemens, soit des abaissemens, n’ont qu’une pensée : leur propre intérêt, sans s’occuper le moins du monde des intérêts des autres. Eh bien ! messieurs, c’est là, permettez-moi de le répéter, la démonstration la plus frappante du vice capital de ce système de protection, système pénible, système impossible, qui porte en lui-même la condamnation de cette théorie économique. Oui, véritablement, c’est une discussion lamentable que celle qui s’agite entre les représentans des diverses industries. Le gouvernement s’est placé au-dessus de ces considérations ; il a examiné toutes les branches de production dans leur ensemble et il a pensé qu’il fallait les maintenir dans la situation où elles sont placées depuis un certain nombre d’années, parce qu’il a la certitude que ces industries n’ont pas péri, qu’elles ont au contraire prospéré… » Tel était le sentiment du ministre, sentiment partagé par la majorité qui, après avoir repoussé les amendemens des protectionnistes, se rangea presque toujours du côté du gouvernement, lorsque celui-ci crut devoir combattre, comme excessives ou inutiles, les aggravations de taxes proposées par la commission. Il arriva même que, pour certains articles, la chambre diminua les droits appuyés par le ministre, et il est probable qu’elle eût sensiblement réduit les tarifs des houilles et du pétrole, si l’intérêt fiscal n’avait pas été invoqué.

La commission subit une dernière défaite en voyant rejeter, par un simple vote d’assis et levé, la majoration de 20 pour 100 qu’elle aurait voulu imposer, par voie de représailles et à titre éventuel, aux produits des pays qui frapperaient les produits français de taxes supérieures à 20 pour 100 de la valeur. Cette disposition reproduisait, en d’autres termes, la pensée d’un article du projet primitif, présenté par M. Teisserenc de Bort. Elle était d’une application très difficile, elle aurait ouvert la porte à des réclamations incessantes, et elle aurait pu donner lieu à de graves conflits internationaux. Le ministre du commerce, M. Tirard, refusa nettement cette obligation d’exercer un contrôle sur les tarifs des pays étrangers ainsi que la faculté, pour le gouvernement, de relever dans certains cas et contre des provenances déterminées, le tarif français, et la majorité lui donna pleinement raison, malgré les efforts contraires du président de la commission.

Ainsi se termina cette longue discussion, qui aboutit à un tarif « fait de pièces et de morceaux, » selon l’expression de l’un des orateurs, à une loi indécise qui, tout en repoussant les retours offensifs de l’ancien régime, a prononcé l’ajournement des réformes nouvelles que souhaitaient les partisans de la liberté des échanges. On a dû remarquer, cependant, qu’après une première période d’hésitation, la chambre des députés aurait cédé volontiers à l’inspiration des doctrines libérales. Il lui a manqué, dans le gouvernement, un Robert Peel ou un Cavour. Sachons-lui gré d’avoir résisté aux sollicitations du parti rétrograde. Il y a là une manifestation dont le sénat ne saurait manquer de tenir compte dans le débat qui va s’ouvrir. Le sénat est averti que, s’il veut amender le projet de loi, il n’obtiendra que pour des abaissemens de taxes le concours du gouvernement et l’assentiment de la chambre, de nouveau consultée.


II

Le premier tarif qui sera examiné par le sénat, ce sera, comme à la chambre des députés, le tarif des produits agricoles, et la commission doit, assure-t-on, proposer des augmentations des droits sur les céréales, sur les bestiaux et sur les viandes. On invoquera l’état de crise dans lequel se trouve l’agriculture, les pertes subies par la propriété foncière, l’afflux croissant des importations de l’étranger et la nécessité de défendre le sol national contre des concurrens qui n’ont pas à supporter les mêmes charges ; c’est la théorie des droits compensateurs, euphémisme sous lequel se déguise adroitement la doctrine de la protection en matière agricole.

Il est impossible de contester les souffrances de l’agriculture. A la suite d’une série de mauvaises récoltes, la valeur des produits a cessé de couvrir les frais de production. Les terres sont dépréciées. Les fermages stipulés dans les baux qui remontent à plusieurs années ne se paient plus, et les baux qui arrivent à terme ne peuvent être renouvelés qu’à des conditions très inférieures. La petite propriété est atteinte, comme la grande, dans son capital et dans son revenu. Les plaintes qui arrivent des pays à céréales comme des contrées d’élevage sont universelles. Quant aux régions viticoles, le phylloxéra y poursuit ses ravages, et l’on cite des départemens où la vigne a complètement disparu : la production de nos vins a diminué de moitié. La crise est donc très sérieuse ; mais ici la question est de savoir si c’est à coups de tarifs que l’on peut la combattre efficacement dans le présent et pour l’avenir.

Comme toute autre branche de travail, l’industrie agricole est soumise aux mouvemens de la bonne et de la mauvaise fortune. La période des vaches maigres alterne plus ou moins régulièrement avec celle des vaches grasses. Faut-il donc, à chacune de ces périodes, soit élever, soit abaisser les droits de douane, pour garantir en quelque sorte un prix de vente ? Ce système a été pratiqué, quant aux céréales, par l’échelle mobile, et l’expérience l’a définitivement condamné. Les protectionnistes eux-mêmes le repoussent ou du moins ils ne demandent pas qu’il soit rétabli. Ce qu’ils réclament aujourd’hui, c’est un droit fixe inscrit dans le tarif général, c’est-à-dire applicable d’une façon permanente, quelle que soit l’abondance ou l’insuffisance de la production annuelle et assez élevé pour compenser les charges du sol, par exemple 2 ou 3 francs par hectolitre de blé, 30 francs par tête de gros bétail, et le reste à l’avenant.

A une époque peu éloignée, les représentans de l’agriculture, profitant des échanges que facilitaient les traités de commerce, s’étaient ralliés avec empressement aux doctrines libérales et ils protestaient contre les taxes maintenues pour la protection de l’industrie manufacturière. On pourrait ajouter que la hausse ou la baisse des fermages, que les variations dans la valeur de la propriété foncière sont conformes à l’ordre naturel des choses, tout comme la hausse ou la baisse des rentes et les variations dans le prix des immeubles, la loi n’ayant pas pour mission de maintenir ou de relever les cours qui fléchissent. Quant, à la crainte de voir l’agriculture en grève et le sol en friche, on ne saurait s’y arrêter : les capitaux anciens, s’ils venaient à se retirer, seraient remplacés par un capital nouveau qui se contenterait d’un revenu moindre, et le travail manuel ne serait pas interrompu.

Ce ne sont point cependant ces argumens, cruels peut-être, mais trop fondés en fait et en droit, que nous voudrions opposer, en les développant, aux partisans de la protection agricole, qui appellent le secours des tarifs. Il vaut mieux dire simplement que, sous un régime démocratique, aucun gouvernement, aucune assemblée ne prendra la responsabilité d’une mesure qui aurait pour conséquence le renchérissement certain, visible des denrées alimentaires, la cherté du pain. Malgré les démonstrations des avocats de l’agriculture, la chambre des députés a résolument écarté toutes les propositions qui tendaient à augmenter les droits sur la subsistance du peuple. Celles des taxes qui ont été maintenues, si faibles qu’elles soient, disparaîtront à un jour prochain. La franchise complète est commandée par des raisons d’ordre politique et social qui s’imposeront au législateur. Pas plus que la chambre des députés, le sénat n’y pourra résister.

La consommation annuelle de la France est d’environ cent millions d’hectolitres de blé, chiffre à peu près égal à celui de la production dans les années normales. Un droit de 2 francs par hectolitre représenterait une dépense de 200 millions imposée à l’ensemble de la population et grevant, pour la plus forte part, le budget des familles pauvres. Quant à la viande de bœuf, de mouton et de porc, les prix n’ont point cessé de s’élever, et la surtaxe rendrait plus coûteuse encore l’alimentation populaire. Les importations considérables dont se plaignent les agriculteurs fournissent le meilleur argument que l’on puisse opposer à leurs prétentions. Nous avons eu besoin, en 1878 et en 1879, d’un supplément de 30 millions d’hectolitres. Que serions-nous devenus si l’Amérique et la Russie n’avaient pas comblé le déficit de nos récoltes ? La France eût été livrée à la famine. Plus l’importation a été considérable, plus elle a dû être accueillie comme un bienfait ; elle a été le salut. Si le blé avait été frappé d’une lourde taxe, celle-ci aurait été suspendue pendant la période calamiteuse ; le simple droit de balance, qui est appliqué aujourd’hui, a lui-même été sur le point d’être aboli.

Que les agriculteurs ne se fassent point d’illusion : dans les conditions actuelles de notre état politique, ils ne sauraient compter sur l’assistance d’un tarif. Ils se sont fourvoyés, lorsque dans la récente campagne ils ont conclu l’alliance avec les protectionnistes de l’industrie, sur la foi de promesses vaines. L’échange libre est désormais la loi de l’agriculture, loi proclamée non plus seulement par les économistes, mais aussi par les hommes d’état, par les organes chaque jour plus nombreux des intérêts populaires, par le suffrage universel. Contre cet arrêt depuis longtemps préparé et devenu aujourd’hui définitif, aucun raisonnement ne prévaudra : la raison d’état restera la plus forte. Il faut que l’agriculture cherche ailleurs un remède aux souffrances qu’elle éprouve, une défense contre les périls qu’elle redoute dans l’avenir, et, puisque les tarifs promis lui font défaut, elle reprend le droit de discuter, au point de vue de son propre intérêt, les taxes et surtaxes que l’on voudrait réserver à la protection industrielle. De même que l’agriculture, l’industrie a traversé une période de crise, et c’est précisément au cours de cette crise qu’il a été procédé aux enquêtes du sénat et de la chambre des députés. Il convient donc tout d’abord de ne point accorder une confiance absolue à des renseignemens qui s’appliquent à une situation anormale, ou, du moins, ce n’est pas sur de telles données qu’il y a lieu de rédiger le tarif. Comme il serait impossible de réviser chaque année la loi des douanes, les taxes doivent être calculées de manière à représenter la moyenne de protection que le législateur a jugé nécessaire ou utile de concéder au profit de l’industrie. Or il est incontestable que l’ensemble des tarifs adoptés par la chambre des députés pour les produits manufacturés dépasse cette moyenne, parce que les propositions du gouvernement, les études de la commission et les décisions de la chambre ont subi l’influence de la crise prolongée quia fourni tant d’argumens et de chiffres à l’appui de la cause protectionniste. Par conséquent, le sénat est assuré que le tarif qui lui est présenté réalise le maximum de protection qui puisse être accordé. Il serait vraiment déraisonnable d’aller au-delà.

On ne saurait pourtant espérer que les protectionnistes feront grâce au sénat de leurs doléances habituelles. Ils répéteront que les traités de 1860 ont compromis la prospérité de l’industrie française, que la concurrence étrangère tend à s’emparer de nos marchés, que les prix de revient, dont ils donneront tous les détails, ne leur permettent pas de soutenir la lutte, par suite de l’excès des charges fiscales, enfin, que le déclin et l’appauvrissement du travail national produiront fatalement la baisse des salaires. Le sénat sera peut-être condamné à entendre les argumens tirés de la balance du commerce, argumens vieillis qui représentent l’excédent des importations comme un fléau et comme un signe de ruine. Ce plaidoyer, monotone redite d’allégations et de craintes chimériques, ne mérite plus d’être écouté. Comment ose-t-on prétendre que la réforme de 1860 a été funeste, alors que, depuis cette date, l’activité industrielle et commerciale a augmenté dans de si grandes proportions la richesse publique ? Pourquoi s’effrayer à ce point de la concurrence étrangère, quand la plupart de nos produits continuent à être recherchés au dehors ? Quel renseignement peut-on tirer de ces prix de revient qui, pour la même industrie, varient chaque année, d’une région à l’autre, d’une usine à l’autre, et qui, séparés des prix de vente, des profits ou des pertes de la spéculation, ne prouvent absolument rien ? Quant au salaire, il est depuis 1860 en hausse continue : la réforme n’a point cessé de lui être favorable. Pour l’opinion publique comme pour le législateur, la question est définitivement jugée. Les sophismes qui avaient cours autrefois sont usés, les accumulations de chiffres ne produisent plus d’effet. Il suffit de se souvenir, d’observer et de comparer. Non, l’industrie n’est pas déchue, elle n’est point menacée de la ruine ; les souffrances d’une période de crise, si douloureuses qu’elles soient, ne comportent pas la modification du régime légal sous lequel nous l’avons vue grandir et prospérer.

Il n’est donc point nécessaire d’insister sur cette partie de la discussion, qui n’aboutirait, d’ailleurs, qu’à des répétitions inutiles, tous les argumens ayant été épuisés à la tribune et dans la presse. On peut invoquer d’autres considérations, tirées de la situation nouvelle qui est faite à de nombreuses industries, et du mouvement d’idées qui, sous une démocratie, entraîne le législateur à réaliser le plus rigoureusement possible l’égalité et la liberté dans les lois.

Les enquêtes ont révélé l’antagonisme qui existe entre certaines branches d’industrie. Au temps de la prohibition, tous les industriels étaient protectionnistes ; ils avaient tous intérêt à être protégés. Dès que les barrières de douanes ont été abaissées et que les produits étrangers ont obtenu un accès plus facile, les industries qui mettent ces produits en œuvre se sont particulièrement développées, et elles n’admettent pas aujourd’hui qu’un relèvement des droits rende leurs approvisionnemens plus coûteux et moins abondans. C’est ainsi que bon nombre de manufacturiers sont devenus libéraux en matière de tarifs et que certaines régions industrielles, naguère acquises au parti de la protection, se sont converties à la liberté des échanges. Sans parler du consommateur, qui est évidemment intéressé à la suppression de toutes les taxes, beaucoup de producteurs seraient lésés si, pour complaire à d’autres, l’on augmentait les droits sur les articles dont ils font emploi. La loi ne peut pas favoriser celui-ci sans sacrifier celui-là. Chaque coup de tarif porte, et plus nous allons, plus nombreux sont les blessés. La multiplication des industries et, dans chaque industrie, la division du travail, ont créé des intérêts nouveaux, des intérêts opposés, qui ont mis le désarroi dans l’ancienne armée protectionniste et qui ont singulièrement compliqué le devoir du législateur. De quel côté, en effet, doit pencher la balance ? D’après quoi se réglera-t-on pour décider si l’un de ces intérêts opposés l’emportera sur l’autre ? Tiendra-t-on compte de l’ancienneté de l’industrie, ou de l’importance des capitaux, ou du chiffre des ouvriers ? On a bien essayé jusqu’ici de résoudre le problème, en se livrant à de minutieux calculs, en s’appliquant à maintenir une sorte d’équilibre, en plaçant la décision sous l’abri de l’intérêt général. Mais, à mesure que l’industrie grandit et s’épanouit, ce problème devient insoluble, l’équilibre est de plus en plus instable et l’intérêt général, invoqué à tort ou à raison, ne couvre plus qu’une série de sacrifices individuels et d’injustices.

C’est ici qu’apparaissent, même à propos d’une simple question de tarifs, les exigences irrésistibles d’une législation démocratique. Notre société n’admet plus de privilèges. Tout ce qui a l’apparence seulement d’un privilège ou d’une exception est strictement mesuré et contrôlé. Or, la protection d’un droit de douane, accordée à certaines industries, refusée à d’autres, équivaut à une faveur de la loi. En outre, comme il est impossible de calculer exactement la quotité du droit qui est destinée à défendre l’industrie nationale contre la concurrence étrangère ; comme une portion de ce droit constitue d’ordinaire pour Industriel protégé un bénéfice ajouté aux profits légitimes de fabrication, il en résulte que le privilège aboutit à la création d’un impôt qui est payé par tous les consommateurs à des catégories déterminées de citoyens.

Admettons un instant, avec les protectionnistes, que le privilège soit justifié par des considérations supérieures d’intérêt national ; l’application du système entraîne des conséquences qui, peu aperçues ou acceptées en d’autres temps, sont aujourd’hui mises en pleine lumière et repoussées par l’esprit général de notre législation. Il est certain que si elles frappent également tous les consommateurs, les taxes ne protègent pas également tous les producteurs, et que, parmi ces derniers, les uns en profitent largement, les autres y gagnent à peine. Cette inégalité va toujours croissant, par suite des transformations de notre mécanisme industriel. Partout où cela est praticable, les grandes entreprises formées par l’association se substituent aux modestes ateliers de l’ancien temps. Rien de plus dissemblable que les conditions dans lesquelles s’exerce chaque branche de travail. Pour être équitablement répartie, il faudrait donc que la protection fût graduée en quelque sorte pour les différentes classes d’industriels selon l’importance du capital, selon le chiffre des produits, selon l’effectif des ouvriers, selon les bénéfices et selon les pertes. Les écarts sont tellement énormes qu’une moyenne serait tout à fait insaisissable. Or, comme il est absolument impossible d’organiser par la loi cette protection graduée, les droits établis à titre général et fixés d’une façon plus ou moins arbitraire font la fortune des uns sans empêcher toujours la ruine des autres. De là des inégalités de plus en plus choquantes et les ressentimens jaloux que fait naître l’apparente résurrection d’un privilège.

Il est vrai que, même avec leurs ressources puissantes, les grands manufacturiers ont montré pour certaines années leurs bilans se soldant par des pertes, et ils en ont tiré argument pour réclamer des droits plus élevés. Personne ne conteste la gravité de la crise qui remonte à 1876 ; mais en résulte-t-il la nécessité de relever les tarifs ? Les crises qui se produisent accidentellement ne doivent point servir de règle pour la rédaction d’une loi. À ce compte, il serait équitable de mettre dans la balance les résultats des années prospères et de dire aux métallurgistes, aux propriétaires des mines de houille, aux filateurs, etc., que, s’ils veulent faire couvrir par le tarif les pertes de 1876 à 1879, ils doivent verser au trésor la portion des profits de 1872 à 1875, qui représente le montant des droits par lesquels ils n’avaient pas alors besoin d’être protégés. Pareille procédure serait adoptée pour l’avenir. Le trésor ouvrirait à chaque industrie, à chaque industriel, un compte-courant de protection. Nous convenons que l’hypothèse est absurde autant qu’impraticable ; mais c’est là qu’aboutit forcément la prétention de certains protectionnistes ; car, encore une fois, au temps où nous sommes, la législation ne supporterait pas qu’un groupe de citoyens, qu’un citoyen quelconque s’enrichît par l’effet du tarif, c’est-à-dire au moyen d’un impôt dont le produit ne serait pas exclusivement perçu au profit de l’état.

Un dernier argument, que l’on croit décisif, est invoqué. Il s’agit de l’intérêt des ouvriers. En réclamant des augmentations de tarifs, les industriels annoncent qu’il leur sera plus facile de maintenir le taux des salaires, en temps de crise, et de l’élever pendant les périodes de prospérité. L’argument n’est pas nouveau. Est-il juste ? Quand on observe que, dans l’Angleterre libre-échangiste et en France, depuis 1860, la rémunération de la main-d’œuvre est toujours en progrès, il est permis d’affirmer que le régime de la liberté est favorable aux intérêts de la main-d’œuvre et de ne point trop se confier aux promesses du régime contraire. Quoi qu’il en soit, il importe que les industriels se rendent bien compte de la situation qui leur serait faite, et devant la loi et surtout devant les ouvriers, si l’argument du salaire était accepté.

La chambre des députés a récemment adopté une proposition de loi relative à la protection de la marine marchande. D’après ce projet, qui n’a pas encore été examiné par le sénat, les armateurs recevraient une prime en argent, calculée d’après le tonnage des navires et d’après le nombre de milles parcourus ; mais la chambre a voulu que cette prime profitât au personnel du navire en même temps qu’à l’armateur, et, pour plus de sûreté, elle a introduit dans la loi un paragraphe ainsi conçu : « Il sera prélevé sur la prime une somme de 20 pour 100 qui sera distribuée à l’équipage proportionnellement aux appointemens, de façon à majorer les appointements actuels, « Cette disposition, introduite pour la première fois dans une loi de cette nature, n’aura probablement pas, si elle est maintenue, l’effet que l’on suppose. Aucune loi ne pouvant rendre fixes les gages du matelot ni empêcher l’armateur de les diminuer d’une somme égale aux 20 pour 100 de prime, les gages demeureront, comme par le passé, réglés par l’état du marché, c’est-à-dire par l’offre et la demande. Cependant ne voit-on pas les difficultés, les discussions qu’elle pourrait susciter entre l’armateur restant libre de modifier le taux des salaires, et l’équipage prétendant que sa part légale de prime doit venir en augmentation de ses gages actuels ? Tel est en effet le sens, le vœu de l’article qui a été voté.

Eh bien ! appliquons cet exemple aux salaires industriels. Dans le système de la protection, le droit de douane est l’équivalent de la prime allouée à l’armateur ; c’est bien une prime que reçoit l’industrie nationale, lorsque le tarif grève les produits étrangers qui lui font concurrence. S’il est entendu, dans une discussion législative, que l’augmentation d’une taxe douanière a spécialement pour objet de maintenir ou d’augmenter les salaires de la main-d’œuvre, aussitôt naîtra pour les ouvriers le droit de pénétrer dans les affaires de l’usine, d’exiger des comptes et de vérifier si les bilans ne les autorisent pas à obtenir une rémunération supplémentaire, à titre de prélèvement légitime, prévu et promis, sur les bénéfices qui pourront être attribués à l’action du tarif. Chaque jour, il devient plus difficile de conserver l’harmonie dans le champ du travail ; les rapports entre les patrons et les ouvriers sont des plus tendus ; il souffle partout un vent de grève, et, alors que le conflit est déjà si violent, on imagine un nouvel élément de discussion et de discorde ! Plus le tarif sera élevé, plus la compétition sera vive entre les deux parties pour en recueillir le bénéfice. Si les patrons veulent élargir la marge de leurs profits, les ouvriers voudront légitimement hausser le taux de leurs salaires. Où sera l’arbitre ? Quel Salomon coupera le tarif en deux pour en attribuer la moitié à chacun des plaideurs ? Les protectionnistes n’ont pas réfléchi aux périls d’un pareil procès, à une époque où tout se discute avec acharnement et sous un régime qui serait tenté d’encourager plutôt que de contenir les prétentions exagérées de la main-d’œuvre.

Avec des taxes modérées et sous un régime plus ou moins autoritaire, l’inconvénient que nous signalons pouvait être peu sensible et passer inaperçu, il en sera désormais tout autrement. La protection, même au plus faible degré, ne constitue pas seulement des privilèges ; elle provoque l’incessante revendication de privilèges en quelque sorte parallèles et elle entretient dans le monde du travail l’inégalité des conditions. Si elle accorde à l’industriel, par l’expédient d’un tarif, la garantie espérée d’un minimum de profit, comment refuserait-elle à l’ouvrier la garantie d’un minimum de salaire ? Si elle favorise ainsi l’industriel et l’ouvrier et s’il lui est impossible d’avantager pareillement l’agriculture, que répondra-t-elle aux intérêts lésés qui crieront à l’injustice ? Ces rivalités et ces antagonismes, résultats naturels de la protection, ainsi que les bruyantes réclamations de la masse des consommateurs, deviendraient particulièrement redoutables dans un état démocratique, où les droits et. bs intérêts populaires sont défendus avec tant d’énergie ; aussi le législateur sera-t-il forcé, dans un délai plus ou moins rapproché, de supprimer pour l’industrie, comme il l’a fait déjà pour l’agriculture, les taxes de la protection et de réaliser l’égalité par la suppression de toutes les faveurs douanières.

Il est vrai que les protectionnistes se vantent d’obtenir la prospérité générale et la pacification universelle par le procédé contraire, c’est-à-dire par le rétablissement de l’ancien régime douanier. La concurrence du dehors étant écartée ou rendue inoffensive par l’effet du droit protecteur, les capitaux engagés dans l’agriculture et dans l’industrie reçoivent leur rémunération convenable et régulière ; les crises provenant de l’inondation des produits étrangers et de l’avilissement ruineux des prix de vente ne sont plus à craindre ; la régularité du capital fait la sécurité de la main-d’œuvre, et maintient les salaires. Peut-être les consommateurs français auront-ils à payer un peu plus cher les produits dont ils ont besoin y mais le consommateur n’est-il pas en même temps producteur ? dès lors la compensation s’établit naturellement au moyen de la protection mutuelle. Le renchérissement ne saurait d’ailleurs prendre des proportions exagérées, car il serait contenu et modéré par la concurrence intérieure, et, dans un grand pays tel que la France, la concurrence intérieure suffit pour stimuler tous les progrès, pour ramener à un taux raisonnable les bénéfices de la production et pour défendre ainsi les intérêts des consommateurs. Il y a donc tout profit, disent les protectionnistes, à replacer l’agriculture et l’industrie dans les conditions de sécurité où elles se trouvaient avant 1860. A cet effet, un bon tarif est nécessaire, et les traités de commerce sont inutiles, nuisibles même, parce qu’ils viennent changer à l’improviste les taxes établies et parce que, dans certains cas, ils peuvent sacrifier à des combinaisons politiques les intérêts agricoles et industriels. Selon ce système, qui nous promet l’eldorado économique, la France vivra par elle-même, satisfaite de son autonomie, n’ayant recours à l’étranger que pour y puiser les produits qui manquent à son sol et pour y écouler l’excédent de sa production. Avec ces deux alimens, les opérations du commerce extérieur, les échanges conserveront une importance considérable, sans qu’il y ait lieu de les soumettre aux stipulations variables des traités internationaux.

Il n’est vraiment plus utile, au temps où nous sommes, de recommencer la discussion sur ce thème épuisé. Si les argumens que l’on réédite aujourd’hui étaient justes, il faudrait rétablir, non pas la protection, mais la prohibition pure et simple ; car ce serait le plus sûr moyen de pratiquer le système. Or, dès avant 1860, l’opinion publique, les chambres et le gouvernement s’étaient détachés de la prohibition ; l’expérience avait démontré que la prohibition ne garantit pas nécessairement la continuité, la régularité du travail, qu’elle ne préserve pas des crises qui atteignent le capital et la main-d’œuvre, qu’elle ne protège ni le bénéfice ni le salaire. Pas plus que la prohibition, un tarif élevé ne réaliserait l’idéal. C’est ainsi que le législateur a été peu à peu amené à modérer les taxes. La protection absolue, accordée indistinctement à tous, a été remplacée par la protection partielle, mesurée, dosée en quelque sorte selon les prétendus besoins, selon les circonstances, et surtout selon le degré d’influence que pouvaient avoir, dans l’état, les intérêts qui en réclamaient le maintien. Pendant quelque temps encore, cette protection plus ou moins savante peut se soutenir ; mais ses jours sont comptés. On a vu avec quelle vigueur elle a été contestée dans ces débats de la chambre des députés. Quelque discernement que l’on mette à la répartir, elle laisse subsister des inégalités contre lesquelles proteste le sentiment démocratique ; par ses conséquences, rien que par son nom, elle est contraire aux idées de liberté, qui sont proclamées, sans être toujours pratiquées il est vrai, sous le régime républicain ; par son mécanisme, elle fonctionne au rebours de tous les progrès modernes, car elle maintient entre les peuples des barrières artificielles, alors que l’art, la science, la civilisation s’ingénient à supprimer les obstacles naturels qui séparent les régions et les peuples, et à faciliter dans toutes les directions l’échange des produits. Le résultat final de la lutte engagée ne paraît pas douteux ; les tendances de la législation sont certaines ; c’est par l’abolition des tarifs réputés protecteurs que l’on établira définitivement l’égalité dans les conditions du travail, la liberté dans la consommation et dans le mouvement des échanges.

Si la loi douanière qui est en ce moment soumise aux délibérations du sénat retarde le complet affranchissement, si la majorité de la chambre des députés n’a point cédé davantage, comme l’y portait son instinct, à la pression des idées libérales, il faut s’en prendre non-seulement, ainsi que nous l’avons répété, aux circonstances exceptionnelles dans lesquelles a été élaboré et présenté le projet de loi et à l’indécision du gouvernement, mais encore à l’influence que la question des traités de commerce a exercée sur les votes. Les protectionnistes, tout en sollicitant les tarifs les plus élevés, ont prétendu obtenir du gouvernement l’assurance que, dans aucun cas, ces tarifs ne pourraient être modifiés par des stipulations insérées dans les traités de commerce. Autant valait interdire au gouvernement de négocier des traités. Le cabinet s’est refusé à prendre un tel engagement, ce qui eût été, tant pour lui que pour ses successeurs, l’abandon d’une prérogative essentielle ; mais, réservant son droit, il s’est montré d’autant plus conciliant sur le terrain parlementaire que ces concessions devaient lui rendre plus facile le terrain diplomatique. En effet, les droits élevés se prêteront plus aisément à l’échange des réductions internationales. Par le même motif, un grand nombre de députés ont voté des taxes qu’ils jugeaient excessives, convaincus que ces exagérations ne tarderont pas à disparaître au moyen des traités. Cela explique, excuse même les anomalies que présente la rédaction de plusieurs articles du nouveau projet de tarif, notamment en ce qui concerne les produits fabriqués. Les traités de commerce, cauchemar des uns, espoir des autres, ont pesé sur toute la discussion.

C’est à la combinaison des traités de commerce que nous devons les premières réformes sérieuses dans notre législation commerciale ; c’est par le même procédé que nous conserverons les progrès obtenus et que nous verrons se développer nos relations au dehors. La France compte parmi les pays qui, grâce à la supériorité du travail, exportent la plus grande quantité de produits ; elle est donc plus intéressée qu’aucun autre à ne point rencontrer aux frontières des autres nations des droits prohibitifs, et il lui importe d’être garantie contre les changemens que ces nations pourraient être tentées d’apporter à leur législation. Les conventions fournissent l’unique moyen de parer à ce péril. On ne doit pas oublier que les anciens traités ont été dénoncés ; ils ne demeureront en vigueur que pendant six mois après la promulgation de notre tarif ; à cette date, ils cesseront d’avoir leur effet, ou ils seront remplacés par des conventions nouvelles. Or, il ne faut point se dissimuler que les négociations seront plus difficiles qu’elles ne l’ont été dans le passé, soit parce que les manufactures étrangères veulent, à l’exemple de notre industrie, être protégées par le tarif, soit parce que les gouvernemens obérés voudraient augmenter le chiffre des recettes qu’ils tirent de l’impôt des douanes. Notre diplomatie n’obtiendra le maintien du régime existant ou la faveur de concessions nouvelles qu’en offrant des avantages équivalens, c’est-à-dire la réduction des droits inscrits dans le tarif général. Pour les partisans de la liberté du commerce, cette nécessité n’est point à déplorer ; les protectionnistes auront à la subir, assurés toutefois que les concessions ainsi faites seront soumises, selon la constitution, à l’approbation législative. Le parlement, en appréciant les nouvelles conventions, se laissera d’autant plus facilement amener à consacrer des réductions que celles-ci seront le prix d’avantages réciproques, et il est probable que, par la force des choses, le gouvernement rétablira de la sorte le régime conventionnel de 1860.

Ainsi se terminera, selon toute apparence, la crise que vient de traverser notre législation douanière, en attendant que révolution vers la liberté reprenne son cours. Dans la discussion qui se prépare au sénat, on verra se reproduire ce qui s’est passé à la chambre des députés. Les propositions de la commission, où dominent les protectionnistes, seront combattues en séance publique par une majorité qui n’a point de parti-pris, qui écoutera volontiers l’avis désintéressé du gouvernement et qui ne saurait méconnaître, en cette matière, l’autorité des décisions émanant de la chambre élective. Comment, après ces longues études, après ces manifestations de l’opinion, le sénat craindrait-il de commettre une imprudence, de ruiner l’industrie et l’agriculture, de porter atteinte aux capitaux et aux salaires, en accordant à ces intérêts la continuation du régime, de la protection (puisque c’est le mot consacré) dont ils ont joui depuis vingt ans ? Et combien il serait digne du sénat, où l’esprit traditionnel de modération s’allie au sentiment du progrès, de reconnaître que l’ancien système de tarifs, à outrance ne convient plus à notre temps, que la réforme accomplie doit être tenue pour définitivement acquise et que dans une démocratie, la meilleure loi économique est celle qui apparaît à tous les citoyens, à tous les contribuables le plus franchement dégagée d’inégalités et de privilèges ?

Ce n’est pas à dire que le législateur ait rempli sa tâche et mis à couvert sa responsabilité lorsque, rectifiant les vieilles lois et les appropriant à des principes nouveaux, il réforme une loi de douanes. En même temps qu’il ouvre le pays à la concurrence étrangère, il a le devoir de perfectionner, en tant que cela dépend de lui, l’outillage national et de diminuer autant que possible les charges qui pèsent sur la production. Les protectionnistes n’ont point cessé d’employer cette objection, d’abord, en prétendant que les grands travaux promis en 1800 n’ont pas été exécutés, puis, que les supplémens d’impôts établis à la suite des désastres de 1870 ont augmenté dans une proportion énorme les prix de revient, enfin que, pendant le même temps, les impôts ont diminué dans certains pays étrangers. Il y a dans ces allégations une part de vérité. On a exagéré les faits, les calculs et leurs conséquences : mais ce qui demeure exact suffit pour fournir à l’opinion protectionniste toute une série d’argumens qui s’imposent à l’attention des pouvoirs publics.

Le prix de revient est l’écueil de la statistique. S’il est bien difficile d’établir un compte exact pour des produits similaires qui se fabriquent dans le même pays, sous le même régime d’impôts, il est absolument impraticable de calculer sûrement et de comparer les facteurs de la production dans des pays différens. Chaque nation présente des avantages ou des inconvéniens, absolus ou relatifs, que l’on essaierait en vain de traduire en chiffrés pour établir la balance. Indépendamment de l’outillage national, qui consiste principalement en voies de transport, et des charges nationales, qui résultent des impôts, il y a mille conditions physiques, intellectuelles, morales même, qui ont leur part d’action sur le prix de revient. Est-il vrai que présentement le producteur français soit dans la situation la plus désavantageuse et que ses concurrens étrangers se trouvent en mesure de travailler, de produire et de vendre avec plus de profit ? On pourrait longtemps discuter là-dessus, et de la meilleure foi du monde, sans parvenir à s’entendre. Le problème est vraiment insoluble. Ce qui permet cependant de supposer que, dans les grands pays, les conditions s’équilibrent à peu près, c’est que les produits de même nature s’échangent couramment entre ces pays, et que, sur les marchés lointains de l’Amérique et de l’Australie, ils se présentent simultanément. Il faut donc ne point se préoccuper outre mesure de l’objection des protectionnistes ; mais il ne s’ensuit pas qu’ils aient tort de demander que l’on améliore l’outillage national et que l’on diminue les charges.

Là au contraire est la vraie question, et les discussions douanières rendraient à la France et à tous les pays un immense service si elles venaient à démontrer que la protection, sous la forme d’un tarif variable, contesté, inefficace souvent, serait utilement remplacée par la protection se présentant sous la forme d’un gouvernement intelligent et économe, qui s’applique à ménager les ressources des contribuables et à ne faire de l’impôt qu’un usage nécessaire et fécond. Là concurrence universelle est la loi de l’avenir. Chaque nation en profitera dans la mesure de l’augmentation de ses forces productives et de la diminution relative de ses frais généraux. Les gouvernemens ont, à cet égard, une responsabilité qu’il ne leur est pas permis de décliner et qu’il n’est jamais inopportun de leur rappeler. A nous, particulièrement, la génération qui nous suit demandera compte de ce qui aura été fait pour la liberté et pour la prospérité du travail national, pour la répartition plus équitable et pour l’emploi justifié de l’impôt, sous un régime politique qui se proclame plus capable qu’aucun autre de supprimer les prodigalités, les dépenses fastueuses, les taxes iniques et les sinécures. En un mot, ce n’est point à une commission du tarif que, soit à la chambre des députés, soit au sénat, l’agriculture, le commerce et l’industrie doivent aujourd’hui demander protection ; c’est à la commission du budget.


C. LAVOLLEE.

  1. Voyez, dans la Revue du 15 février 1879, le Tarif des douanes et les Enquêtes parlementaires.