Librairie Beauchemin, Limitée (p. 23-27).


III

LA DÉCOUVERTE D’UNE MERVEILLE


Chaque matin, c’est par un long baiser posé sur le front pur, parmi les bouclettes blondes, que Pierre de Kervaleck réveillait sa mignonne Yvaine.

Quand il parut au seuil de la tente, la bonne Paméla l’accueillit avec un large sourire sur sa grosse face réjouie.

Forte, nerveuse et décidée, habituée à vivre au grand air, Yvaine était une jolie petite fille. Ses yeux étaient semblables à ceux de son père, grands, bleus et frangés de longs cils. Sa bouche était petite et d’un beau dessin. Son teint était doré par le chaud soleil d’Afrique. Elle dormait, toute blonde dans sa longue robe blanche, et l’explorateur ne se lassait pas de la contempler.

Sur un autre divan, non loin d’Yvaine, Sélim reposait. Ses paupières baissées voilaient l’éclat de ses longs yeux d’Oriental, légèrement bridés, qui savaient regarder avec une si imposante fierté.

Certes, ils contrastaient, ces deux enfants… L’Orient et l’Occident… Mais chacun d’eux avait le type de sa race, parce qu’en leurs veines coulait le meilleur sang.

L’explorateur s’approcha de sa fille et l’embrassa longuement. Tout de suite réveillée, Yvaine passa ses deux bras autour du cou paternel et rendit l’affectueux baiser.

— Paméla, appela doucement la fillette, Sélim dort-il encore ? Oh ! laisse-moi le réveiller !…

Sautant à bas de son divan, tout enveloppée des longs plis blancs, elle courut, pieds nus, vers le lit de Sélim, et regarda un instant l’enfant endormi.

Toute petite qu’elle était, Yvaine avait le concept de la beauté, et la régularité des traits de Sélim la frappa.

— Père, dit-elle, regardez, ne trouvez-vous pas qu’il est beau ?…

Sa petite main effleura la chevelure d’ébène. Sous la caresse, Sélim se réveilla et sourit à sa petite amie.

Mais déjà Paméla arrivait portant le costume d’Yvaine : veste et culotte de toile blanche, léger casque de liège et hautes bottes de cuir jaune.

Quand les enfants furent prêts, les chevaux sellés, les chameaux chargés, la caravane se remit en marche.

Le Caire, terme du voyage, fut enfin atteint. La capitale de l’Égypte, première ville de l’Afrique pour la population et le commerce, était bien connue de Pierre de Kervaleck. Il en avait admiré les remarquables monuments et avait passé des heures inoubliables à son musée, incomparable palais d’antiquités égyptiennes.

Laissant la caravane, le savant, le Dr Yacoub et les deux enfants se dirigèrent vers le palais du Pacha.

C’est dans une salle magnifiquement décorée que Férid-Pacha reçut l’explorateur.

Plusieurs statues de bois et de pierre, une dalle ayant servi de modèle, couverte de profils et d’hiéroglyphes, des sièges antiques incrustés d’ivoire, occupaient dans la salle des places prépondérantes.

Puis, dans des vitrines, de nombreuses amulettes, grenouilles, tiges de lotus, des scarabées, emblème pour les anciens Égyptiens de l’existence terrestre et de l’avenir dans l’au delà, des cuillères en ivoire, des cuillères à parfum, artistement travaillées, des vases de verre colorié, des coupes en terre émaillée, une cuillère à puiser le vin, authentiques et superbes.

Sur une table incrustée d’ivoire et de nacre, une amphore était posée. Sa pureté de ligne attira le regard de M. de Kervaleck qui, très intéressé, s’approcha. C’était un vase à deux anses, à panse oblongue, fait de cette argile ductile et fine que fournit en abondance la vallée du Nil. Il était simplement peint, mais sa valeur et son antiquité réelles ne pouvaient que charmer l’archéologue.

Bientôt, escorté de son fils, Férid-Pacha fit son entrée. Sélim lui avait raconté son aventure du désert de Libye et le Pacha, reconnaissant, serra longuement la main de M. de Kervaleck. S’approchant d’Yvaine, il la prit dans ses bras et posa sur sa joue fraîche un paternel baiser, que souriante et gracieuse, la fillette lui rendit gentiment.

Le père de Sélim était grand et majestueux. Sa belle figure régulière s’éclairait de grands yeux sombres, d’une douceur hautaine.

La renommée de savant archéologue de Pierre de Kervaleck était parvenue jusqu’à Férid-Pacha, qui pensa que le don d’une des plus belles pièces de son musée serait le souvenir le mieux accueilli par le collectionneur.

Il invita le père d’Yvaine à faire avec lui le tour de la salle, s’arrêtant aux plus remarquables des joyaux de la collection et les commentant, très intéressés.

Ils admirèrent, parmi toutes ces merveilles d’un art si ancien et si complet, plusieurs colliers de pierres différentes, taillées, les unes en perles rondes, les autres ovales ou cubiques, mais merveilleusement calibrées, forées et polies.

Une boucle de ceinture en cornaline, qui d’après l’ancienne croyance était le sang d’Isis et lavait les péchés de son possesseur, fut déclarée remarquable.

Se dirigeant ensuite vers la précieuse table qui supportait l’amphore, le Pacha prit le superbe vase et le tendant à Pierre de Kervaleck lui dit gravement :

— Comme gage de ma reconnaissance, et de l’amitié qui vous est à si bon droit acquise, voulez-vous accepter cette amphore ? Une légende y est attaché, qui la rend plus précieuse encore !…

Prenant place sur un divan à côté de l’explorateur, Férid-Pacha commença à conter la légende de l’amphore. Sagement assis à l’orientale, sur des coussins posés à terre, Yvaine et Sélim écoutèrent avec attention les paroles du narrateur.