Imprimerie de Tiger (p. 145-170).



§ XI.

L’attelier, les jeunes filles, les
confidences, le modèle vivant
et le petit sac.


Occupé de l’objet important de ses recherches et de ses vœux, mon héros fuyait à grands pas la maison de madame Merteuil, et déjà il avait marché près d’un quart-d’heure lorsque, se trouvant près du Louvre, il apperçoit deux jeunes filles qui dirigeaient leurs pas vers cet édifice où certain air, certaine physionomie font entrevoir qu’elles vont recevoir des leçons de peinture et de dessein. Bel-Rose les suit en concevant quelqu’espoir, et se rend avec les deux jeunes artistes à l’attelier ; mais à peine dans ce lieu, que de nouveaux sujets d’observation se présentent à la fois à son esprit. Il n’était jamais entré dans un attelier de peintres femelles, et sa curiosité ne l’avait pas encore porté à profiter de son bijou pour savoir ce qui peut se passer entre deux jeunes filles réunies dans une même enceinte, où quelques circonstances particulières provoquent les épanchemens, et l’abandon, et les révélations… Que de choses il apprit, et quel nouveau sujet de désespoir il entrevoit ! Jeunesse de quinze ans, air de candeur, première éducation, tout cela n’a pas empêché les intrigues amoureuses, l’essai, ou au moins le desir prématuré des plaisirs de l’amour ; et leurs rafinemens, leurs détails, mille choses dont le nom seul feroit rougir dans d’autres circonstances, sont l’objet d’une conversation où toutes les actrices paraissent apporter les résultats de l’expérience et du savoir le plus consommé. Bel-Rose distingue sur-tout la conversation suivante, qui pourvoit fort bien figurer dans l’académie des dames, et parmi les archives de la volupté. Les deux interlocuteurs sont Pauline et Rosa.

Rosa.

Ma chère Pauline, que je suis aise de vous voir ce matin. Nous sommes fatiguées de ce grand bal où j’ai eu le plaisir de vous rencontrer cette nuit ; causons pour nous délasser, et parlez-moi un peu de vos amours ; je vous ferai confidence pour confidence, et les momens se passeront, j’en suis sûre, avec une grande rapidité.

Pauline.

Mais, ma chère Rosa, mes amours, je n’en ai point ; et mon cœur…

Rosa.

Votre cœur ! lequel, ma chère, voulez-vous dire ? Votre cœur sentimental ? celui qui fait m’aimer et chérir votre frère, votre sœur ? mais ne seroit-ce pas plutôt celui dont Bouflers a dit :

Mais qu’est-ce qu’entendent ces dames
En nous parlant toujours du cœur ?
En y pensant beaucoup, je me suis mis en tête,
Que du sens littéral elles font peu de cas.
Et qu’on est convenu de prendre un mot honnête
Au lieu d’un mot qui ne l’est pas…

Ces deux cœurs, vous les avez donnés à la fois ; vous êtes discrette, et vous ignorez sans doute que parler de ces plaisirs passés, c’est les goûter encore, et se disposer à de nouvelles jouissances ; mais pour mériter toute votre confiance, recevez des preuves non équivoques de la mienne. Un peu plus âgée que vous, l’époque de mon début dans la carrière amoureuse est déjà loin de moi ; mais je veux vous faire confidence de ce qui m’est arrivé hier avec cet aimable et fou de Verneuil que bien connaissez. Il m’adorait depuis trois mois ; mais l’extréme sévérité de manière, cette duegne impitoyable qui me conduit ici et qui surveille toutes mes démarches, multipliait sans cesse les obstacles à des entrevues particulières et à un bonheur, objet constant de mes vœux, rendus plus fervens par tous les feux d’un tempérament auquel je ne pouvais plus résister. Un jour, je fus assez heureuse pour voir un instant Verneuil sans témoins ; mais les dangers nous environnaient, et d’ailleurs, ne voulant pas être le prix d’un premier combat, je fus forcée à me défendre ; quelques baisers brûlans, des caresses furtives qu’une main téméraire osa prodiguer à ceux de mes charmes que j’estime le plus, ce fut tout ; mais, vaincue par l’amour et par des protestations d’un dévouement absolu à mes volontés, je donne un rendez-vous pour le lendemain à Verneuil, chez un baigneur complaisant, où je lui permets de m’entretenir à travers la cloison du cabinet de bain que je choisirai, et dans lequel il aura l’adresse de se faire introduire. Le lendemain, ma duegne qui, heureusement n’avoit jamais vu mon amant, me conduit au lieu indiqué : je renvois mon importune suivante, et l’avertis que je resterai au moins une heure et demie dans le bain. À peine suis-je introduite dans le cabinet qui m’est accordé, que la voix de Verneuil se fait entendre, et que nous commençons un entretien pendant lequel je me prépare à me plonger dans l’onde. Une légère ouverture que j’avais apperçue dans la cloison, et à laquelle mon amant se tenoit attaché sans que je parusse m’en douter, devait livrer mes charmes à ses yeux enflammés, et dans lesquels mon imagination active me faisait voir l’expression la plus éloquente de l’amour et du desir. Je ne néglige rien pour accroître l’ivresse et les transports que je me sens disposée à partager : toutes les parties de mon ajustement sont enlevées d’une manière successive, et je calcule et combine mes attitudes pour réunir tous les avantages de la grace et de la beauté. Un chapeau très-large m’enveloppait et cachait une partie de mes traits, je l’enlève et je le remplace par un simple réseau ; la soie, qui voile ma jambe que vous savez être de bonne augure, et des jarretières, placées très-haut, sont également détachées ; ma tunique est entr’ouverte, je défais le fichu contre lequel Verneuil murmurait sans doute depuis long-tems, et j’offre à ses regards un sein dont sa vue n’avait jamais totalement découvert la blancheur et le contour ; ma tunique elle-même ; je m’en débarasse, mais avec lenteur, et dans son enlèvement j’ai l’occasion de faire valoir, par des mouvemens bien combinés, tous les charmes, objets du culte de mon amant : mon dernier voile me reste encore ; je vais aussi l’abandonner ; mais alors, me dirigeant du côté du bain, je le soulève à moitié, et, nouvelle Calipyge, j’offre à Verneuil le spectacle le plus séduisant, lorsque soudain une porte, qui faisoit partie de la cloison s’entrouve, et Verneuil, qui se précipite aussi peu chargé de vêtemens que moi, me prend entre ses bras, et malgré mes menaces et ma défense, me précipite sur un lit qu’il avoit fait préparer et qui devient pour moi le théâtre des plus inéfables voluptés.

Voici, ma chère Pauline, ce qui m’est arrivé ; et par l’intérêt avec lequel vous paroissez avoir reçu ma confidence, je suis loin de vous croire étrangère aux plaisirs de l’amour.

Bel-Rose, qui avait des vues sur Pauline, et qui avait osé espérer qu’elle romprait enfin le charme dont il étoit si cruellement la victime, attendait sa réponse avec une véritable anxiété. Ma chère Rosa, dit cet aimable enfant, j’ai soupçonné, désiré le bonheur dont vous m’avez présenté un si aimable tableau ; mais je suis entièrement vierge, ma bonne amie, et en vérité ce n’est pas ma faute ; j’en suis presqu’au désespoir. Tenez, écoutez mon histoire ; elle vous paraîtra peut-être plaisante, quoiqu’elle m’ait causé autant de dépit que de douleur. La voici : vous connaissez ce grand Florville ; qui fait la cour à maman ; un jour il déserta ses autels pour m’offrir son hommage. Je l’acceptai. De jolis présens, d’aimables entretiens, un encens qui me paraissoit aussi pur qu’enivrant, tout cela me séduisit ; et après avoir accordé mille faveurs successivement conquises ou méritées, je cédai aux plus pressantes sollicitations, et donnai un rendez-vous à 10 heures du soir, dans ma chambre, où Florville se rendit en quittant celle de ma bonne maman qu’il laissa profondément plongée dans les bras du sommeil. Depuis long-tems, ma chère Rosa, je trouvais ma couche bien solitaire, et ce ne fut pas sans frémir d’un tressaillement de plaisir que je sentis mon amant presser mon corps contre le sien et se glisser furtivement entre deux draps qu’une main heureuse et téméraire n’avait jamais écarté… Tout semblait, comme vous le voyez, présager pour moi la plus heureuse des nuits ; mais un génie malfaisant qui s’empara sans doute du pauvre Florville, vint s’opposer à mon bonheur, et en me laissant tous les feux d’Héloïse, mit à mes côtés un amant que le malheur d’Abeilard n’eût pu rendre ni plus froid ni plus langoureux. Au reste, Florville ayant jugé depuis que son avanture valloit la peine d’être transmise à la postérité, l’a rimée en très-jolis vers, comme vous allez en juger, et a donné pour un rêve plaisant une bien triste réalité. Alors Pauline tire d’un joli porte-feuille de maroquin verd un petit manuscrit ayant pour titre : le rêve impatientant, que nous jugeons convenable d’imprimer ici pour faire plaisir au lecteur : si, par hasard, et ce qui doit vraisemblablement arriver, les grands hommes, auxquels ce petit ouvrage est dédié, nous accusaient de plagiat et reclamaient, au nom des mânes de Dorat, par exemple, l’anecdote rimée qui va suivre, nous leur répondrions que, les prenant pour modèle, nous travaillons en marqueterie, et qu’à leurs dépends, aux nôtres et à tous ceux de qui il appartiendra, nous voulons amuser, et non mériter des lauriers et des regards d’Apollon. Revenons au petit manuscrit de Pauline. Le voici.

C’est Florville qui raconte lui-même sa véritable histoire, modestement présentée comme un rêve :

LE RÊVE IMPATIENTANT.


Vous le dirai-je ou non ? tirez-moi d’embarras.
Ce rêve est scandaleux, mesdames.
Vous m’arrêterez en tous cas,
Si le scrupule effarouche vos âmes.
Que dis-je, à quoi bon ces débats ?
Par le plus chaste nœud n’êtes-vous point liées ?
Je vous crois toutes mariées.
Non, vous ne m’arrêterez pas.
J’ai rêvé cette nuit, et je vous le confie,
J’ai rêvé… (jusque-là tout me paraît décent)
Que j’épousais une fille jolie.
Corsage leste et minois agaçant,
Petite main, petite bouche,
Pied si mignon qu’il eût rempli d’ardeurs
Le mandarin le plus farouche,

Étaient pour moi des augures flatteurs.
De ces petits détails l’image encor me touche,
Car je suis, j’en conviens, dégoûtés des grandeurs.
Le jour s’était passé comme un vrai jour de fête,
C’est-à-dire, assez tristement.
D’un avide regard dévorant ma conquête,
J’attendais toujours le moment…
Du coucher ? — pardon, oui, mesdames.
Vous devinez, vous lisez dans les âmes,
Et vous interprétez les vouloirs d’un amant.
Ne riez pas encor : croyez moi, patience.
Vous voyez, déjà l’innocence
Aux prises avec le desir,
Et méditant une défense
Qui meurt dans les bras du plaisir.
Je ne me pique pas, je dois en avertir,
D’une si grande diligence.
Remarquez avant, s’il vous plaît,
Une épouse tremblante, un amant inquiet,
Des amis convoitant les charmes
Dont je vais avoir le secret ;
Murmurant, chuchottant, observant mes alarmes,

Prévoyant d’une Agnès le timide embarras,
Les refus attirans, les aveux délicats,
Des curiosités, des terreurs et des larmes,
Une lutte amoureuse et d’aimables combats,
Du plaisir, de la peine, une pudeur secrète,
Et le triomphe et la débute,
Et tout ce qui s’en suit dans les premiers ébats.

Reste à réaliser ce qu’ici l’on soupçonne.
Minuit est déjà loin… Dieux ! quel instant fatal !
Nous voilà, tenez, j’en frissonne,
Dans l’appartement nuptial.
Peut-être en ce moment mon effroi vous étonne !
Mesdames, chacun sent son mal,
Et le mien n’en fait à personne.

La foule a disparu, les lustres sont éteints.
Le flambeau de l’hymen, qui tient lieu de bougies,
Laisse échapper ses rayons clandestins
Sur les graces d’Issé, par ses feux embellies.
Entre quatre rideaux, tête à tête charmant,
Aimable obscurité, voluptueux silence,

Voiles épars, droit de présence…
N’est ce pas que l’epoux doit alors être amant ?
Une certaine contenance,
Un je ne sais quel mouvement,
(Vous me voyez venir je pense)
Doit, dans une telle occurence,
Déterminer le sentiment ;
Il faut agir en conséquence,
Et c’est, je vous assure, un singulier moment.
Je tente les hasards ; mais, s’il faut vous le dire,
Je n’étais pas fort triomphant.
Le moyen ! avec un enfant
On craint bien plus qu’on ne désire.
Tant bien que mal je lui parle pourtant,
Et l’entretien est fait pour la confondre.
Aussi j’avouerai franchement
Qu’elle n’était pas autrement
Impatiente de répondre.
Elle articuloit tristement
Quelques demi-plaintes mourantes,
Puis quelques phrases défaillantes,
Puis quelques mots d’étonnement.
Moi j’étois stupéfait. Au défaut de l’ivresse,

Des transports ; du délire et du ravissement,
J’ai donc recours à la tendresse.
Je fais des madrigaux, j’exalte l’amitié,
La confiance intime et la délicatesse,
Les très-saints nœuds qui m’ont lié,
Les procédés de toute espèce…
Et tout cela faisoit pitié…
J’attendois, j’espérois, (il faut bien qu’on
espère)
Quelques gestes plus hasardés,
Quelque attitude cavalière,
Quelques traits un peu décidés,
Des révolutions et des moyens de plaire.
Rien. = Ah dieu ! quelle chûte !… rien ;
Plaisantez-vous ? quoi ? rien, mesdames :
Je le sais trop, ces traits-la sont infâmes.
À ma honte ici j’en convien ;
Mais glissons sur la circonstance,
Elle n’est pas en mon honneur.
Dans un lit, faute d’assurance,
Si l’on procède avec lenteur,
Dans un conte il faut qu’on avance.
Je saisis, je prends une main,
Voilà-t-il pas qu’on la retire ;
Je reprends un bras, on soupire,
Devroit-on soupirer en vain ?

Avec un ruban je me joue
Il est bon de tout ménager.
Je le dérange, il se dénoue
Sans que je paroisse y songer.
Combien de trésors il recèle !
Deux jolis globes arrondis,
Allans, venans, sous la main enhardis,
Et pour le coup l’ardeur étoit bien naturelle.
J’y comptois : une émotion,
Qui sans mentir avait quelqu’apparence,
Par degrés affermit mon ton,
Et me rend presque l’espérance.
Près du ruban je dérobe un baiser,
Et je guette toujours l’effet qu’il va produire ;
Madame aussi guêtoit… dépêchez-vous d’en rire.
Tout pour l’amour sembloit se disposer.
J’en suis presqu’au degré d’aimer à la folie :
Issé m’embrasse avec vivacité ;
Par mes pressentimens je l’avais attendrie,
Et bonnement elle se fie
À quelqu’espoir de volupté…
C’en est fait, je me crois à l’abri du reproche ;
Je me surprends un air, un assez bon maintien,

Et tout-à coup en vainqueur je m’approche.
Là… sérieusement… comme on s’approche… rien.
— Encor ? — encor. — Savez-vous bien, monsieur,
Que c’est aussi trop peu de chose ?
Que voulez-vous ? si l’on n’agit, l’on cause ;
Mais de causer, on n’étoit pas d’humeur.
Vous m’excédez ; permettez qu’on repose,
Me disoit-on avec assez d’aigreur.
J’entendois raillerie, et l’on en sait la cause.
À ce calme odieux, enfin,
Succède une juste colère,
J’écarte les rideaux : un reste de lumière,
Par un reflet moins incertain,
Me découvre Issé toute entière,
Et sa beauté confuse et mon humble destin.
Je m’obstine à vouloir réparer cette offense.
Peu content de toucher, je laisse agir les yeux.
Ma curieuse impatience
Contemple des appas dignes de l’œil des dieux ;
Cet albâtre animé que la pourpre nuance,
Des accords, des rondeurs, un ensemble amoureux,
Un coloris si frais, des contours si moëlleux,
Une si douce négligence !

Par l’objet s’émeut la puissance.
À cet aspect, vous vous en doutez bien,
Je ressens du desir la rapide influence ;
Mon espoir acquiert du soutien.
D’orgueil et de plaisir je palpite d’avance.
J’ose, j’entreprends tout, j’aspire à tout, et… rien.
— Finissez donc votre songe effroyable :
Quelle horreur que ce rêve-là !
Si vous veillez comme cela,
Vous devez être un homme insupportable.

Tout beau, mesdames, calmez-vous,
Chut. Quel que soit votre courroux,
Le cas en songe est graciable.
Sans trancher de l’homme brillant,
Avec moi la beauté n’est jamais compromise.
Quoiqu’on n’ait pas un sommeil très-saillant,
Au besoin toutefois on est encor de mise.
Avant de m’endormir mon amour très-parlant
Avait conduit Issé de surprise en surprise,
Et d’honneur (car il faut que je vous tranquillise)
Je ne fus point muet en m’éveillant.

Que je suis heureux ! dit Bel-Rose, après avoir entendu, le rêve prétendu de Florville, que Rosa lut à voix basse et en faisant parfois quelques commentaires. Chère Pauline, un Sylphe, et le Sylphe le plus amoureux, va te faire connaître cette nuit même, ce bonheur qui t’a échappé, et l’amant le plus passionné ne te quittera point sans t’avoir enivrée de tous les délices de plaisir. Comme il finissait ce monologue expressif que Pauline entendit en rougissant sans parvenir à deviner d’où il pouvait arriver, un grand mouvement se fit dans l’atellier, et toutes les jeunes élèves passèrent dans une salle voisine où elles devaient dessiner d’après le modèle vivant. Bel-Rose les suivit, impatient de savoir comment un tel apprentissage pouvait s’exécuter, et de quelle manière nos jeunes beautés contemplaient les formes dont le dessin devait exercer leurs novices crayons. Chacune se place de la manière la plus convenable ; des coups-d’œils malins, des propos très-lestes, des avertissemens et des renseignemens aux nouvelles initiées, des questions très-plaisantes de la part de ces dernières, etc. ; telle fut l’avant-scène à laquelle Bel-Bose prenait un très-vif intérêt, et qui durait encore lorsque l’Apollon à un écu par jour se place sur le piedestal, et développe une nudité générale, excepté pourtant dans une seule partie reçue modestement dans un petit sac dont l’aspect fait naître le rire inextinguible et provoque les élans d’une imagination qui serait sans doute demeurée oisive, tranquille sans cette grotesque et ridicule précaution. Bel-Rose resta encore quelques instans à contempler le singulier spectacle qu’il avait sous les yeux, et partit ensuite après avoir trouvé le moyen de se procurer l’adresse de sa Pauline… Le soir, à onze heures, il était dans son aimable séjour. Figure-toi, lecteur, un temple de la volupté en miniature : l’aimable enfant qui l’habite était déjà plongée dans les langueurs du premier sommeil. Bel-Rose, vraiment transformé en Sylphe, écarte ses rideaux, et, à la lueur d’une lampe de nuit dont il ranime la lumière presqu’éteinte, il contemple à loisir le tendre objet de son amour. Pauline était placée entre deux draps, et légèrement tournée de côté ; son amant, protégé par le magique anneau, entr’ouvre doucement le drap envieux qui la couvre, et bientôt, plus téméraire, écarte une tunique dont l’élévation bien ménagée livre à ses regards enflammés et l’ivoire de la cuisse la mieux arrondie et des reliefs enchanteurs de formes jumelles auxquelles il prodigue les plus ardens baisers. Pauline, qui se croit caressée par les douces illusions d’un rêve enchanteur, fait un léger mouvement, et sans se réveiller se trouve entre les bras de Bel-Rose qui, prolongeant encore les préludes du bonheur, attaque la bouche de son amante et le sanctuaire du plaisir par des caresses préliminaires et par ces chatouillemens précurseurs dont les parisiennes ont si grand besoin ; mais bientôt, emporté par ses bouillans desirs, il change la position de l’anneau, se rend visible, et, se montrant à Pauline effrayée : rassure-toi, lui dit-il, beauté, objet du plus tendre amour ! par une influence divine, par un mystère que rien ne pourra pénétrer, je suis entre tes bras ; ne crains que l’excès de mes feux et livre-toi avec sécurité à l’amour et au bonheur. Pauline, légèrement rassurée, veut pourtant se défendre ; mais l’éloquence de Bel-Rose, ses propres desirs, ces feux qu’il vient d’allumer par un exercice plein de charmes, tout la force à se rendre. Bel-Rose, sûr de son triomphe, se livre alors à tout son amour. Les voiles qui couvrent Pauline sont entièrement enlevés, et son corps touche celui de son amant par tous ses points. Dans ce voluptueux contact, et n’éprouvant d’obstacles que ceux dont le triomphe est le prix du premier plaisir, l’amoureux protégé du diable emploie toutes ses forces et parvient enfin dans l’enceinte étroite où jamais mortel n’avait pénétré, et dans laquelle son arrivée est à la fois la cause et le signal de tous les transports de la volupté. Depuis cette heureuse époque, Bel-Rose, fidèle pendant trois nuits à la chère Pauline, courut ensuite le monde, eut les plus singulières aventures, revit son cher Diable, continua avec lui son cours d’observation, et pourrait nous offrir dans les différentes circonstances de sa vie, des matériaux pour continuer cet opuscule, dont je renvoie la suite pour une meilleure occasion.