Imprimerie de Tiger (p. 31-35).



§ II.

Le plaisant quiproquo.


Le bal étoit brillant et nombreux. Quelle peine pour entrer ! disait Bel-Rose à son cher diable ; quelle poussière ! et comment distinguer quelque chose dans ces groupes où tout paraît s’unir et se confondre ?… Nous allons choisir un lieu d’observation, et lorsque tout sera un peu mieux disposé, je commencerai à vous instruire… En attendant, voyez ces carricatures diverses, distinguez aussi plusieurs figures non masquées, et qui, au moins, devraient se couvrir d’un voile… Mais vous Voyez à peine, vous n’entendez pas ; pour plus de commodité, entrons dans une loge, et, de cet observatoire, que notre œil choisisse le sujet de quelques anecdotes dignes de vous occuper.

J’appelle votre attention sur ces deux masques ; l’un est femelle, l’autre est mâle. Le femelle est fort agréable ; il a cru reconnaître son amant dans le masque qui le poursuit. L’entretien s’engage… il devient chaud : on va au foyer. Votre regard, moins perçant que le mien, ne peut pénétrer jusque-là ; mais écoutez : la conversation se continue ; le masque mâle, qui s’apperçoit de la méprise et qui veut en profiter, use d’adresse : il sait le nom, la demeure de son Sosie, propose une absence momentanée… On part, mais toujours masqué. — Une voiture. — On y monte. — Aux Petits-Ponts, et six francs pour boire… Le cocher entend… La voiture est doucement conduite, et l’homme en bonne fortune a bientôt fait tomber le masque et renversé tous les remparts qui lui dérobaient des charmes qu’il croit être divins et ravissans. L’impromptu, le prélude du bal, les doux balancemens de la voiture, tout se réunit pour rendre cette scène délicieuse, et la belle dame ne fut jamais plus contente de son amant, qu’elle nomme avec ivresse et transport. — Retournons au bal, dit l’heureux inconnu, après deux actes bien terminés ; il est deux heures, et c’est dans ce moment que les folies les plus piquantes vont commencer. — Des ordres sont donnés au cocher, on rentre à l’Opéra ; mais en arrivant, une vive lumière venant à éclairer les héros de mon histoire, qui n’avaient pas encore repris leur masque, il se fait une reconnaissance théâtrale, que vous êtes loin de soupçonner. Et quelle peut être cette reconnaissance ! Vous connaissez Figaro, vous vous rappelez cette prétendue Suzane, dont les charmes valaient mieux, dont la peau était plus douce et plus fine que celle de la comtesse ; même trait, même quiproquo. L’homme à bonne fortune est un mari, la princesse est son épouse : jugez de la surprise. Cependant, comme les deux personnages savent vivre, tout s’arrangera ; mais le mari n’oubliera jamais… certaine exclamation, certain rapprochement, et la dame, non moins offensée, gardera un éternel souvenir de certaine comparaison. — À d’autres… Vous distinguez ce joli masque, ici, à droite, c’est un jeune homme habillé en femme ; on est généralement dupe de sa méprise, et sa fesse, pincée plus d’une fois par maint amateur, lui répond de la fidélité de son déguisement.

Plus loin, cette figure non masquée, comme elle est grotesque ; c’est celle d’un vénérable tabellion, d’un notaire auquel l’histoire suivante est arrivée, il y a quelques jours.