Le Sylphe galant et observateur/00-2

Imprimerie de Tiger (p. 15-18).




PRÉFACE.



Par une série non interrompue de travaux, j’étois parvenu à faire un excellent ouvrage de quatre-vingt-dix-sept pages ; alors, je me crus possesseur d’un trésor, et je fus offrir mon chef-d’œuvre à messieurs les libraires. On regarde mon léger manuscrit, on le soulève, on le soulève encore ; et, en souriant d’un air dédaigneux : ah ! monsieur, me dit-on, ce n’est pas là un ouvrage ; c’est un opuscule, une brochure. Quelle place voulez-vous qu’un aussi petit livre occupe dans une bibliothèque… La dernière, répondis-je modestement, la dernière, sous le rapport de la pesanteur spécifique : j’y consens ; mais en vérité, messieurs, je pensois que le règne des gros livres étoit fini… Fini ! y pensez-vous ? voyez l’Encyclopédie, qui se continue et se grossit sans jamais s’achever, le cours de littérature de Laharpe, les œuvres de MM. Buchos et Joly Clerc, les mémoires de l’Institut, les journaux littéraires, etc. ; tout s’y fait à la feuille, monsieur, tout s’y fait à la feuille : remportez votre livret, ou faites imprimer à vos frais.

Je voulois être imprimé et je n’avois point d’argent. Comment faire ? J’étois dans le plus cruel embarras, lorsqu’un libraire, plus honnête, parce qu’il étoit plus jeune et encore étranger aux pirateries de ses collègues, me fit la proposition suivante : J’imprime à mes frais, risques et périls, votre excellent ouvrage ; mais faites-moi, d’ici à quelques jours, et gratis, une de ces bluettes sur laquelle je puisse spéculer, une de ces productions médiocres, à la manière des Nogaret, Rosny, d’Arnaud Baculard ou Mercier. Ces marchandises littéraires vont aussitôt à leurs adresses qui sont nombreuses, et votre grand ouvrage de quatre-vingt-dix-sept pages attendra dans ma boutique les demandes peu multipliées des amateurs capables de l’apprécier. Cette proposition généreuse fut aussitôt acceptée ; et voici, bénévole Lecteur, le motif et la cause de l’ouvrage que j’ai aujourd’hui l’honneur de te présenter.

Tempora, ô mores !