Le Sylphe galant et observateur/00-2
PRÉFACE.
Par une série non interrompue
de travaux, j’étois parvenu
à faire un excellent ouvrage de
quatre-vingt-dix-sept pages ;
alors, je me crus possesseur
d’un trésor, et je fus offrir
mon chef-d’œuvre à messieurs
les libraires. On regarde mon
léger manuscrit, on le soulève,
on le soulève encore ; et, en
souriant d’un air dédaigneux :
ah ! monsieur, me dit-on, ce
n’est pas là un ouvrage ; c’est
un opuscule, une brochure.
Quelle place voulez-vous
qu’un aussi petit livre occupe
dans une bibliothèque… La
dernière, répondis-je modestement,
la dernière, sous le
rapport de la pesanteur spécifique :
j’y consens ; mais en
vérité, messieurs, je pensois
que le règne des gros livres
étoit fini… Fini ! y pensez-vous ?
voyez l’Encyclopédie,
qui se continue et se grossit
sans jamais s’achever, le cours
de littérature de Laharpe, les
œuvres de MM. Buchos et
Joly Clerc, les mémoires de
l’Institut, les journaux littéraires,
etc. ; tout s’y fait à la
feuille, monsieur, tout s’y fait
à la feuille : remportez votre
livret, ou faites imprimer à
vos frais.
Je voulois être imprimé et je n’avois point d’argent. Comment faire ? J’étois dans le plus cruel embarras, lorsqu’un libraire, plus honnête, parce qu’il étoit plus jeune et encore étranger aux pirateries de ses collègues, me fit la proposition suivante : J’imprime à mes frais, risques et périls, votre excellent ouvrage ; mais faites-moi, d’ici à quelques jours, et gratis, une de ces bluettes sur laquelle je puisse spéculer, une de ces productions médiocres, à la manière des Nogaret, Rosny, d’Arnaud Baculard ou Mercier. Ces marchandises littéraires vont aussitôt à leurs adresses qui sont nombreuses, et votre grand ouvrage de quatre-vingt-dix-sept pages attendra dans ma boutique les demandes peu multipliées des amateurs capables de l’apprécier. Cette proposition généreuse fut aussitôt acceptée ; et voici, bénévole Lecteur, le motif et la cause de l’ouvrage que j’ai aujourd’hui l’honneur de te présenter.