Le Roman, Journal des feuilletons Marseillais (p. 45-46).

VIII. — Ce que deviennent nos personnages.


Un mois après, Marcel épousait la belle Angélique, au grand ébahissement et surtout à la grande jalousie des commères de Septêmes.

Ambroise était rayonnant. Il contemplait tour-à-tour Angélique et Marcel avec une sorte d’admiration, et semblait dire aux habitants du pays rassemblés pour voir passer les nouveaux mariés :

— Qu’en dites-vous, voisins ? voilà qui n’est pas piqué des vers, — j’espère. Qui donc à une fille plantée comme celle-là et un gendre ficelé comme le mien ?…

Catherine pensait absolument de même ; mais elle le dissimulait beaucoup mieux. Depuis l’aventure du diable elle se montrait en tout plus serieuse et plus réservée qu’auparavant.

Chose qui étonna tout le monde et dont Marcel et Andronic avaient seuls le secret, le jour de la noce, elle ne chercha à éblouir personne par sa mise. Sa toilette était de bon goût, mais de la plus grande simplicité, et l’on dit qu’elle n’en était que plus avenante.

Ambroise remarqua aussi que lorsqu’elle passa devant la boutique du barbier, en allant et en revenant de l’église, elle ne détourna pas les yeux devant ce dernier, qui faisait des pieds et des mains pour la voir, et que son regard pour lui fut aussi indifférent que pour le commun des spectateurs.

Le barbier ne résista pas à ce dernier coup. Quelque temps après il quittait Septêmes et allait du côté de Rognac porter son peigne et ses plats-à-barbe.

Marcel, au contraire, acheta de grands biens dans la banlieue du village, en fit une très-belle propriété et prit l’habitude d’y aller passer toute la belle saison, faisant de la médecine en amateur, c’est-à-dire par simple humanité et continuant de s’occuper de sciences physiques avec passion. Son cabinet était justement renommé dans la contrée ; et les gens du pays ne passaient sous ses fenêtres qu’en faisant un grand signe de croix.

Inutile de demander s’il fut heureux. Il aimait sa femme à l’idolâtrie, et, de son côté, Angélique l’adorait. Ils eurent deux enfants, aussi charmants qu’eux-mêmes, et purent les voir établir, car ils moururent tous deux dans un âge très-avancé.

Ambroise et Catherine coulèrent également des jours filés d’or et de soie auprès de leur fille, de leur gendre et de leurs deux petits enfants ; mais on remarquait avec étonnement que, contrairement à ses habitudes d’autrefois, Ambroise ne voulait pas plus entendre parler du diable que Catherine de son ancien amoureux.

Quant à Andronic, il s’établit à Marseille et y acquit bientôt un grand renom d’éloquence et d’habileté. Il fit payer à poids d’or, — et même d’avance, —— ses plaidoiries et ses conseils, et amassa ainsi une fortune considérable. Il se maria à son tour et laissa une nombreuse postérité.

Les Grippeforts sont encore très-nombreux à Marseille.

Jacques SINCÈRE.
FIN.