Le Sopha (Crébillon)/Chapitre 15

Le Sopha (1742)
Librairie Alphonse Lemerre (p. 185-200).


CHAPITRE XV

Qui n’amusera pas ceux que les précédents ont ennuyés.


Au silence qui se fit dans cet instant dont Votre Majesté était hier si contente, dit Amanzéi le lendemain, je jugeai que Nassès empêchait Zulica de parler, et qu’elle l’empêchait de poursuivre.

— « Ah ! Nassès, s’écria-t-elle dès qu’elle le put. Nassès, songez-vous à ce que vous faites ? Si vous m’aimiez !… »

« Plus Nassès craignait les reproches de Zulica, moins il lui laissait la liberté de lui en faire. Jamais je n’ai mieux qu’en cet instant conçu combien il est avantageux d’être opiniâtre avec les femmes.

— « Mais écoutez-moi, disait Zulica ; Nassès, écoutez-moi ! Voulez-vous donc que je vous déteste ? »

« Tous mots qui, entrecoupés, prononcés faiblement, perdaient leur force et n’imposaient pas. Zulica vit bien qu’il était inutile qu’elle parlât davantage à un homme perdu dans ses transports, et à qui l’on aurait, sans aucun fruit, dit les plus belles choses du monde. Que faire ? Ce qu’elle fit. Après s’être précautionnée contre les entreprises que Nassès, au milieu de son trouble, tentait avec toute la témérité possible, et s’être mise, à cet égard, hors de toute crainte, elle attendit patiemment qu’il fût en état d’entendre les discours qu’elle lui préparait sur ses impertinences. Nassès, cependant, soit pour obtenir plus aisément son pardon, soit qu’en effet Zulica l’eût troublé, ne la laissa en liberté que pour tomber sur son sein, et dans un abattement qui ne devait pas le laisser sensible à quelque autre chose qu’à l’état où il se trouvait.

« Embarras nouveau pour Zulica ; car, à quoi sert-il de parler à quelqu’un qui ne saurait entendre ? Ce qui, en cet instant, pouvait lui rendre moins pénible le silence auquel elle était forcée, c’est qu’il n’y avait pas d’apparence que Nassès eût l’esprit assez libre pour faire dessus des commentaires. Elle tenta pourtant de se retirer tout à fait d’entre ses bras, et n’y réussit point. Quand il revint de son trouble, il avait l’air si tendre ! Ses premiers regards errèrent sur Zulica d’une façon si touchante ! Il referma les yeux si languissamment, poussa de si profonds soupirs, que, loin de pouvoir lui montrer autant de colère qu’elle s’en était flattée, elle commença, malgré son insensibilité naturelle, à se sentir émue et à partager ses transports. Cette vertueuse personne était perdue si Nassès eût pu s’apercevoir des mouvements dont elle était agitée. Nassès enfin, rendu à lui-même, saisit la main de Zulica.

— « Nassès, lui dit-elle d’un ton colère, est-ce ainsi que vous croyez vous faire aimer ? »

« Nassès s’excusa sur la violence de son ardeur, qui, disait-il, ne lui avait pas permis plus de ménagement. Zulica lui soutint que l’amour, quand il est sincère, était toujours accompagné de respect, et que l’on n’avait des façons aussi peu mesurées que les siennes qu’avec les femmes que l’on méprisait. Lui, de son côté, soutint qu’il n’y avait qu’à celles qui inspiraient des désirs que l’on manquait de respect, et que rien ne devait mieux prouver à Zulica la force du sien que l’emportement qu’elle s’obstinait à condamner en lui.

— « Si je vous avais moins estimée, poursuivit-il, je vous aurais demandé ce que je viens de ravir ; mais quelque légères que soient les faveurs que je vous ai dérobées, je n’ignorais pas que vous me les refuseriez. Sûr de les obtenir de vous, je n’aurais pas songé à ne les devoir qu’à moi-même. Plus on pense bien d’une femme, plus on est forcé d’être coupable auprès d’elle de trop de hardiesse, rien n’est si vrai.

— « Je n’en crois pas un mot, répondit Zulica ; mais quand ce que vous venez de me dire serait vrai, c’est toujours une règle établie de ne pas recommencer l’aveu de ses sentiments par des façons aussi singulières que celles que vous avez.

— « Supposez que j’eusse brusqué les choses autant que vous le dites, répliqua-t-il, ce serait encore une attention pour vous, dont vous devriez me remercier.

— « Non, reprit-elle avec impatience, vous avez dans l’esprit des opinions d’une bizarrerie dont rien n’approche !

— « Il est plaisant, reprit-il, que ces opinions que vous traitez de bizarres soient toutes fondées en raison. Celle que vous me reprochez actuellement est d’une vérité que sûrement je vous ferai sentir, car non seulement vous avez de l’esprit, mais encore vous l’avez juste, mérite assez rare dans votre sexe pour que l’on puisse vous en féliciter.

— « Le compliment ne me séduit pas, dit-elle d’un ton brusque, et je vous avertis que je n’en fais que le cas que je dois.

— « C’est sans doute un désagrément pour moi, répondit-il, de vous voir si peu sensible aux discours obligeants que je vous tiens.

— « En un mot, Monsieur, interrompit-elle, pour entreprendre de certaines choses, il faut au moins avoir persuadé ; trouvez bon que je vous le dise.

— « Je vous entends, Madame, reprit-il, vous voulez que je vous perde dans le monde, eh bien, je vous y perdrai. Je voulais vous mettre à portée de m’aimer sans que qui que ce fût s’en doutât, mais puisque ce ménagement de ma part vous déplaît, je vous rendrai des soins, Madame ; on saura que je vous aime, et je ne vous épargnerai aucune des étourderies qui pourront apprendre au public quels sont les sentiments que j’ai pour vous.

— « Mais que voulez-vous dire ? lui demanda-t-elle ; vous êtes un étrange homme ! C’est par respect pour moi que vous me faites une impertinence que je ne devrais jamais vous pardonner ; c’est par une attention infinie sur ce qui me regarde que vous me brusquez, comme la femme du monde qui mériterait le moins d’égards ! C’est vous qui faites mille choses condamnables, et c’est moi qui ai tort ! Dites-moi, de grâce, comment tout cela se peut faire ?

— « Si vous étiez moins neuve en amour, répliqua-t-il, vous m’épargneriez toutes ces explications-là. Je vous dirai pourtant que quelque gênantes qu’elles puissent être pour moi, j’aime, sans comparaison, mille fois mieux vous donner des leçons sur cette matière que de vous voir assez instruite pour n’en avoir pas besoin. Êtes-vous encore à savoir que ce sont moins les bontés d’une femme pour son amant qui la perdent, que le temps qu’elle les lui fait attendre ? Croyez-vous que je puisse vous aimer et être malheureux, sans que mes assiduités auprès de vous, sans que les soins que je prendrai pour vous attendrir échappent au public ? Je deviendrai triste, et (ma discrétion fût-elle extrême) on n’ignorera pas que vos seules rigueurs causent ma mélancolie. Enfin (car il en faut toujours venir là) vous me rendrez heureux. Pensez-vous qu’avec quelque attention que je m’observe, vos yeux, les miens, cette tendre familiarité qui, malgré tous nos efforts, naîtra entre nous, ne découvrent pas notre secret ? »

« Zulica, par son étonnement et son silence, semblait approuver ce que lui disait Nassès.

— « Vous voyez donc bien, poursuivit-il, que quand je vous presse de me rendre promptement heureux, c’est moins encore pour moi que pour vous que je vous le demande. En suivant mes conseils, si vous m’épargnez des tourments, vous évitez l’éclat qui suit toujours les commencements d’une passion. D’ailleurs dans la situation où nous avons été ensemble, je ne pourrais, sans tout découvrir, marquer d’abord de l’amour pour vous. D’accord tous deux, nous imposerons au public sur nos affaires, tant que nous le jugerons à propos ; persuadé que vous me détestez, il ne pourra jamais imaginer que, d’un sentiment qui lui est si contraire, vous ayez passé si rapidement à l’amour. Il vous sera facile, au reste, d’amener naturellement notre réconciliation. À la cour, ou chez la première princesse où nous nous trouverons ensemble, vous saisirez quelque occasion que ce soit de me faire une politesse ; ne vous inquiétez pas de la conjoncture, j’aurai soin de la faire naître. Je répondrai avec empressement à ce que vous m’aurez dit d’obligeant, je parlerai tout haut de l’envie que j’ai que vous ne me haïssiez plus. Je vous ferai même proposer, par quelqu’un de nos amis communs, de vouloir bien que je vous voie ; vous direz que vous le voulez bien : je me ferai présenter à vous, je retournerai vous voir, je vanterai les charmes de votre commerce, et le malheur que j’ai eu d’en avoir été si longtemps privé. Il n’en faudra pas davantage pour justifier mes empressements : ils paraîtront simples et naturels, et nous aurons d’autant plus de plaisir à nous aimer, que nous jouirons de celui de le cacher à tout le monde.

— « Non, répondit-elle en rêvant : si je vous rendais si promptement heureux, je craindrais trop votre inconstance. J’avoue que je ne serais pas fâchée de lier avec vous un commerce fondé sur plus d’estime, de confiance et d’amitié qu’on n’en trouve ordinairement dans le monde ; je vous dirai plus : je ne haïrais pas l’amour si un amant pouvait n’exiger d’une femme que l’aveu de sa tendresse.

— « Ce que vous demandez, reprit-il tendrement, est une chose plus difficile avec vous qu’avec quelque femme que ce puisse être. J’avoue aussi que, quelque peu que vous accordiez, on doit en être plus flatté que d’obtenir tout d’une autre. Mais, Zulica, croyez-moi, je vous adore ; vous m’aimez ; faites le bonheur de l’homme du monde qui ressent pour vous la passion la plus vive !

— « Si vous saviez borner vos désirs, répondit-elle avec émotion, et que ce que l’on pourrait vous accorder ne fût pas pour vous un droit de demander davantage, on pourrait essayer de vous rendre moins malheureux ; mais…

— « Non, Zulica, interrompit-il vivement ; vous serez contente de mon obéissance. »

« Sur cette parole que Zulica sentait bien aussi périlleuse qu’elle l’était, elle se pencha nonchalamment sur Nassès, qui, se précipitant sur elle, usa sans ménagement des faveurs qui venaient de lui être accordées.

— « Ah ! Zulica ! lui dit-il tendrement un moment après, ne sera-ce qu’à votre complaisance que je devrai d’aussi doux instants, et ne voulez-vous donc pas qu’ils le deviennent autant pour vous qu’ils le sont déjà pour moi ? »

« Zulica ne répondit rien, mais Nassès ne se plaignit plus. Bientôt il fit passer dans l’âme de Zulica tout le feu qui dévorait la sienne. Bientôt il oublia la parole qu’il venait de lui donner, et elle ne se souvint pas elle-même de ce qu’elle avait exigé de lui. Elle se plaignit à la vérité, mais si doucement que ce fut moins un reproche qu’un soupir tendre que l’espèce de plainte qui lui échappa. Nassès, sentant à quel point il l’égarait, crut ne devoir pas perdre d’aussi précieux instants.

— « Ah ! Nassès ! lui dit-elle d’une voix étouffée, si vous ne m’aimez pas, que vous allez me rendre à plaindre ! »

« Quand les craintes de Zulica sur l’amour de Nassès auraient été aussi vraies et aussi vives qu’elles paraissaient l’être, il y avait apparence que les transports de Nassès les auraient dissipées. Aussi, presque assuré qu’elle ne douterait pas longtemps de son ardeur, il ne jugea pas à propos de perdre à lui répondre un temps qu’il devait employer à la rassurer, et d’une façon plus forte qu’il ne l’aurait pu faire par les discours les plus touchants. Zulica ne s’offensa pas de son silence ; bientôt même (car il ne faut souvent qu’une bagatelle pour faire perdre de vue les choses les plus importantes) elle ne parut plus s’occuper d’une crainte que, sans faire une injure mortelle à Nassès, elle croyait ne pouvoir plus garder. D’autres idées, plus douces sans doute, succédèrent à celles-là. Elle voulut parler, mais elle ne put proférer que quelques mots sans suite, et qui n’exprimaient rien que le trouble de son âme.

« Lorsqu’il eut cessé, Nassès se jeta à genoux.

— « Ah ! laissez-moi, dit-elle en le repoussant faiblement.

— « Quoi ! répondit-il d’un air étonné, aurais-je eu le malheur de vous déplaire, et serait-il possible que vous eussiez à vous plaindre de moi ?

— « Si je ne m’en plains pas, reprit-elle, ce n’est pas que je n’eusse de quoi le faire.

— « Eh ! de quoi vous plaindriez-vous ? répliqua-t-il ; ne deviez-vous pas être lasse d’une aussi cruelle résistance ?

— « Je conviens, répondit-elle, que beaucoup de femmes se seraient rendues plus tôt ; mais je n’en sens pas moins que j’aurais dû vous résister plus longtemps. »

« Alors elle le regarda avec ce trouble, cette langueur dans les yeux qui annoncent et excitent les désirs.

— « M’aimez-vous ? lui demanda Nassès aussi tendrement que s’il l’eût aimée lui-même.

— « Ah ! Nasses ! s’écria-t-elle, quel plaisir vous ferait un aveu que vos emportements m’ont déjà arraché ? M’avez-vous là-dessus laissé quelque chose à vous dire ?

— « Oui, Zulica, répondit-il ; sans cet aveu charmant que je vous demande, je ne puis être heureux ; sans lui, je ne puis jamais me regarder que comme un ravisseur. Ah ! voulez-vous me laisser un si cruel reproche à me faire ?

— « Oui, Nassès, dit-elle en soupirant, je vous aime ! »

« Nasses allait remercier Zulica lorsque l’esclave de Mazulhim vint servir ; il en soupira…

« Nassès soupira de se voir interrompu, poursuivit Amanzéi ; ce n’était pas qu’il fût amoureux, mais il avait cette impatience, cette ardeur qui, sans être amour, produit en nous des mouvements qui lui ressemblent, et que les femmes regardent toujours comme les symptômes d’une vraie passion, soit qu’elles sentent combien il leur est nécessaire avec nous de paraître s’y tromper, ou qu’en effet elles ne connaissent rien de mieux. Zulica, qui n’attribuait qu’à ses charmes l’impatience qu’elle remarquait dans Nassès, en avait toute la reconnaissance possible : mais pour soutenir ce caractère de personne réservée qu’elle s’était donné, elle lui fit signe, en lui serrant la main, d’avoir en face l’esclave de Mazulhim un peu de circonspection. Ils se mirent à table.

— « C’est, dit Zulica, un instant après qu’elle se fut mise à table, une chose bien singulière que la façon dont les événements les plus marqués de notre vie sont amenés ! Qui dirait à une femme : « Vous aimerez ce soir à la fureur un homme, non seulement auquel vous n’avez jamais pensé, mais que même vous haïssiez, » elle ne le croirait pas. Et pourtant il n’est pas sans exemple que cela arrive !

— « Je vous en réponds, repartit Nassès, et je serais bien fâché que cela n’arrivât pas. De plus, il est certain que rien n’est si commun que de voir les femmes aimer violemment quelqu’un qu’elles voient pour la première fois, ou qu’elles ont haï. C’est même de là que naissent les passions les plus vives.

— « Et pourtant, reprit-elle, vous trouvez des gens, mais je dis : beaucoup, qui vous soutiennent qu’il n’y a presque point de coups de sympathie.

— « Savez-vous, répondit Nassès, qui sont les gens qui soutiennent cela ? Ce sont, ou des jeunes gens qui ne connaissent pas encore le monde, ou des femmes dont l’esprit est prude et le cœur froid ; de ces femmes indolentes qui ne prennent une passion qu’avec toutes les précautions possibles, ne s’enflamment que par degrés, et vous font acheter bien cher un cœur où vous trouvez toujours plus de remords que de tendresse, et dont vous ne jouissez jamais parfaitement.

— « Eh bien ! répondit-elle, ces femmes-là, toutes ridicules qu’elles sont, ont encore des partisans ; et moi qui vous parle, il n’y a pas bien longtemps que je pensais comme elles.

— « Vous ! répliqua-t-il, mais savez-vous bien que vous avez tous les préjugés qu’on peut avoir ?

— « Cela se peut, reprit-elle, mais actuellement j’en ai un de moins, car je crois aux coups de sympathie.

— « Quant à moi, dit-il, je sais qu’ils sont fort communs. Je connais même une femme qui y est si sujette, qu’elle en trouve ordinairement trois ou quatre dans la journée.

— « Ah ! Nassès, s’écria-t-elle, cela n’est pas possible !

— « Quand vous diriez simplement que cela n’est pas ordinaire, savez-vous bien, repartit-il, que vous vous tromperiez encore, et qu’une femme qui a le malheur d’être née fort tendre (si pourtant c’en est un) ne peut pas répondre un moment d’elle-même ? Je vous suppose, vous, dans la nécessité de m’aimer : que ferez-vous ?

— « Je vous aimerai, répondit-elle.

— « Hé bien ! supposez à présent, continua-t-il, une femme qui soit dans la nécessité d’aimer par jour trois ou quatre hommes.

— « Je la trouve bien à plaindre, dit-elle.

— « Soit ! j’en conviens ; mais que voulez-vous qu’elle fasse ? Qu’elle fuie, me direz-vous ? Mais on ne va pas loin dans une chambre ; quand on s’y est promené quelque temps, on est lassé, il faut se rasseoir. Cet objet, qui vous a frappé, est toujours présent à vos yeux. Les désirs se sont irrités par la résistance qu’on a faite, et la nécessité d’aimer, loin d’en être diminuée, n’en est devenue que plus pressante.

— « Mais, répondit-elle en rêvant, en aimer quatre !

— « Puisque le nombre vous choque, répliqua-t-il, j’en ôte deux.

— « Ah ! dit-elle, cela devient plus vraisemblable, et plus possible même.

— « Que de façons pourtant n’avez-vous pas faites, s’écria-t-il, pour n’en aimer qu’un !

— « Taisez-vous, lui dit-elle en souriant ; je ne sais où vous prenez tous les raisonnements que vous me faites, et où je prends, moi, toutes les réponses que je vous fais.

— « Dans la nature, répondit-il. Vous êtes vraie, sans art ; vous m’aimez assez pour ne vouloir rien me cacher de ce que vous pensez, et je vous en estime d’autant plus qu’il y a bien peu de femmes qui aient autant de vérité dans le caractère. »

« Avec tous ces propos, et quelques autres qui ne furent pas plus intéressants, Nassès parvint à gagner le dessert. Il fut à peine servi que, se voyant seuls, il se leva avec feu, et se mettant aux genoux de Zulica :

— « Vous m’aimez ? lui dit-il.

— « Eh ! ne vous l’ai-je pas assez dit ? répondit-elle languissamment.

— « Ciel ! s’écria-t-il en se relevant, et en la prenant dans ses bras, puis-je trop vous l’entendre dire, et pouvez-vous trop me le prouver ?

— « Ah ! Nassès ! répondit-elle, en se laissant aller sur lui, et sur moi, quel usage faites-vous de ma faiblesse ! »

— Eh ! que diable, dit le Sultan, voulait-elle donc qu’il en fît ? Ceci n’est pas mauvais ! Elle aurait, je crois, été bien fâchée qu’il l’eût laissée plus tranquille. Non ! les femmes sont d’une singularité… bien singulière ! Elles ne savent jamais ce qu’elles veulent. On ignore toujours comme on est avec elles…

— Quelle colère ! interrompit la Sultane ; quel torrent d’épigrammes ! Que vous avons-nous donc fait ?

— Non, dit le Sultan, c’est sans colère que je dis tout cela. Est-ce que pour trouver les femmes ridicules, on a besoin d’être fâché contre elles ?

— Vous êtes d’une causticité sans exemple, lui dit la Sultane ; et je crains bien que, vous qui haïssez tant les beaux esprits, vous n’en deveniez un incessamment.

— C’est cette Zulica qui m’a fâché ! repartit le Sultan ; je n’aime point les façons déplacées.

— Que Votre Majesté prenne moins d’humeur contre elle, dit Amanzéi ; elle n’en fit pas longtemps.

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