Le Service des eaux à Paris

Pour les autres éditions de ce texte, voir Le Service des Eaux à Paris (Maxime Du Camp).

Le Service des eaux à Paris
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 105 (p. 275-308).

En dehors des organes de salubrité morale à l’aide desquels on neutralise les malfaiteurs ; on secourt les indigens, on répand l’instruction, il existe dans toute agglomération humaine des organes de salubrité matérielle qui sont nécessaires à la vie commune des grandes villes. Sous ce rapport, Paris peut à bon droit être proposé comme modèle. Dès l’origine de notre histoire urbaine, malgré l’ignorance des temps, on constate les efforts accomplis pour assainir la cité, pour distribuer à chacun l’eau et la lumière, et pour améliorer sans cesse les conditions hygiéniques extérieures au milieu desquelles vit notre population. L’eau, élément indispensable à l’existence, emblème de pureté qui est symbolisé dans nos églises par le bénitier, substitué au lavabo des ablutions antiques, — l’eau, instrument d’industrie et de locomotion artificielle, a été de tout temps considérée comme une nécessité de premier ordre. Les villes, les gouvernemens, les rois, ont toujours tenu à honneur de la déminer en abondance, souvent au prix de sacrifices, excessifs. Il est intéressant d’étudier comment Paris est arrivé à satisfaire d’une façon correcte aux légitimes exigences de son peuple à cet égard.

I.

Il nous suffit aujourd’hui de tourner un robinet pour avoir de l’eau en quantité suffisante ; il n’en a pas toujours été ainsi. Avant d’être doté de l’admirable système de réservoirs, d’aqueducs, de fontaines, dont nous jouissons maintenant, Paris, comme un voyageur au désert, a traversé ce que les Arabes appellent les heures de la soif. Lorsque la ville tout entière gisait dans l’île de la Cité, le procédé était très simple : on allait à la rivière puiser directement une eau qui ne devait pas être d’une limpidité irréprochable, car à cette époque la Seine recevait et charriait toutes les immondices riveraines ; c’était à la fois l’abreuvoir et l’égoût général. Plus tard, quand, trop étouffée dans son enceinte étroite, la ville eut franchi les rives du fleuve, qu’elle eut défriché le bois des Charbonniers, où le Louvre s’élève aujourd’hui, qu’elle eut consolidé les marais qui portent l’Arsenal, qu’elle eut construit le bourg Thiboust, le Beau-Bourg, le bourg l’Abbé, qui prenait son nom de l’abbaye Saint-Martin, et qu’elle eut jeté comme une vedette sur les dernières inflexions du mont des Martyrs la maladrerie de Saint-Lazare, elle trouva que la Seine était bien loin, et elle eut soif. Les Parisiens qui avaient enjambé la berge gauche de la Seine étaient moins malheureux. Ils avaient d’abord la rivière de Bièvre, qui alors se jetait en amont du Petit-Pont, à peu près en face de Notre-Dame ; ce furent les embellissemens de Charles V qui, la repoussant vers l’est et lui creusant un nouveau lit, la firent aboutir au-dessus du point où nous voyons le pont d’Austerlitz. En outre ils avaient les eaux d’Arcueil, amenées par un aqueduc romain dont on fait remonter la construction à Julien, et qui fut renversé, dit-on, pendant le IXe siècle par une incursion normande ; ce ne fut du reste qu’en 1544 qu’on en retrouva les vestiges.

Les moines de Saint-Laurent cherchèrent le moyen de boire sans avoir recours à la Seine. Ils découvrirent ce qu’on nomme encore fort improprement, comme nous aurons à le dire, les sources du nord, prises sur les hauteurs de Romainville, des Bruyères, de Ménilmontant, et les réunirent dans un réservoir commun aux Prés-Saint-Gervais, d’où elles s’écoulaient par des tuyaux de plomb dans la direction déterminée. Plus tard, l’abbaye de Saint-Martin-des-Champs, qui est aujourd’hui le Conservatoire des arts et métiers, capta les eaux de Belleville et construisit un aqueduc souterrain de 1,200 mètres environ qui les amena jusqu’au lieu de consommation. C’est là le point de départ très humble de notre système de distribution des eaux. Les travaux exécutés par les moines ont été souvent réparés, il ne reste plus rien des constructions primitives ; mais les sources ne sont point taries, elles donnent toujours un faible contingent, que nous apprécierons lorsque nous conduirons le lecteur à Belleville et aux Prés-Saint-Gervais.

Cette eau était sans doute presque exclusivement consacrée au service des deux monastères et des bourgades bâties à leur ombre ; ce fut Philippe-Auguste qui en généralisa l’usage et y fit participer la population parisienne. Il avait acheté aux religieux de Saint-Lazare la foire qu’il transporta aux halles en 1183 : en même temps il fit établir trois fontaines, l’une sur le nouveau marché, l’autre au cimetière des Innocens, qu’on venait d’ouvrir ; elles étaient alimentées par l’eau des Prés-Saint-Gervais ; la troisième provenait de la source de Belleville. Le nom que le peuple lui donna, et qui subsiste encore, prouve combien l’eau, chargée de sels calcaires, était aigre et rude, et combien peu elle prenait le savon, ainsi que disent les ménagères ; on l’appela Maubuée, la mauvaise lessive. Par le fait, Philippe-Auguste n’avait pas seulement rendu un grand service aux Parisiens, il avait exproprié les moines « pour cause d’utilité publique, » et avait déclaré que la distribution des eaux était de privilège royal. Il tuait un abus, mais pour en faire naître un autre qui aura parfois de graves conséquences, contre lequel on réagira souvent en vain, et qui ne prendra fin qu’aux premières heures de la révolution. Cet abus est celui des concessions courtoises, dont le premier exemple est donné en 1265 par Louis IX, qui accorde une prise d’eau au couvent des Filles-Dieu ; c’était diminuer d’autant la ration, déjà fort restreinte, du public. La mode s’y mit ; il n’y eut pas de maisons religieuses, pas de grands seigneurs, qui n’obtinssent des concessions pour leur usage exclusif ; le mal devint tel que les fontaines tarirent et que plusieurs quartiers furent abandonnés parce que l’on y mourait littéralement de soif. Il fallut porter remède à cet état de choses, et un édit de Charles VI, en date du 9 octobre 1392, révoqua toutes les concessions privées, excepté celles dont jouissaient les logis du roi et des princes du sang. Il est un considérant de l’ordonnance royale qu’il faut citer, il peint l’époque : « car de tant comme nostre bonne ville de Paris sera mieulx pueplée et habitée de plus de gens, et que nostre dict pueple sera mieulx pourveu de ce qui est nécessaire pour leur sustentacion, la renommée d’icelle sera plus grant, laquelle renommée redonde à l’augmentation de nostre gloire et exaltation de nostre hautesse et seigneurie. » C’était le roi alors qui entretenait les réservoirs, les aqueducs et les fontaines : les municipalités ne sont point encore intervenues ; leur rôle va commencer.

Pendant l’exécrable querelle des Bourguignons et des d’Armagnac, pendant la longue guerre que nous eûmes à supporter contre les Anglais implantés sur notre sol, on vécut au jour le jour, et l’on ne pensa guère à conserver en bon état les conduites d’eau qui alimentaient les fontaines. L’aqueduc de Belleville s’écroulait ; le prévôt des marchands le fit réparer sur une longueur de 96 toises (187 mètres). Pour célébrer cet acte de bonne administration municipale, on grava sur marbre une inscription que l’on peut lire encore au regard « de la Lenterne ; » elle est composée de vingt vers qui riment assez bien entre eux, donne la date précise, les dimensions de l’œuvre, le nom du prévôt, Mathieu de Nanterre, celui des échevins, Pierre Gallie, Michel Grandie, Philippe Lalemant, Jacques de Hacqueville, et se termine ainsi :

Car, se brefvement on ne l’euat fait,
La fontaine tarie estoit.


En somme, ce fut une prise de possession : la commune dépouillait la royauté à son profit ; puisqu’elle acceptait charge d’entretien, elle devenait propriétaire, et ce fut elle qui distribua les concessions courtoises, Elle ne s’en fit pas faute, et on retomba dans les erremens que Charles VI avait combattus. Le droit de la ville sur la distribution des eaux ne lui fut jamais disputé ; la royauté le reconnut, on en a la preuve dans une lettre datée du 22 novembre 1528 par laquelle François Ier demande au prévôt des marchands et aux échevins d’octroyer de l’eau à l’évêque de Castres, qui va faire bâtir une maison à La Villette, « la grosseur d’un pois tant seulement. » Le bureau de la ville, comme on disait alors, se fit tirer l’oreille ; le roi renouvela sa demande, qui ne fut prise en considération que le 11 février 1529, et l’on a soin de stipuler que messire Pierre de Montigny, évêque de Castres et abbé de Ferrières, fera les frais d’installation, et ne pourra tirer « qu’un fil d’eau, vive de la grosseur d’une graine de vesce[1]. » Plus tard, en 1549, Henri II obtient, non sans quelque peine, des concessions pour la duchesse de Valentinois et le maréchal de Saint-André.

Si le prévôt et les échevins tenaient autant que possible le gobelet haut pour les grands seigneurs, ils l’abaissaient volontiers pour eux et y puisaient à pleines lèvres. Les concessions qu’ils marchandaient au roi, ils se les attribuaient sans vergogne pour services rendus ou à rendre, et les fontaines banales n’en coulaient pas mieux. Le moyen employé pour calmer les plaintes du public fut étrange. Une ordonnance municipale du 28 novembre 1553, qui eut besoin d’être appuyée par lettres patentes du 15 mai 1554, rapporta toutes les concessions faites et les rétablit immédiatement au profit de nouveaux titulaires. Malgré l’érection de la fontaine de Birague en 1579, Paris était fort altéré » et il fallut ; attendre la fin de la ligue et l’entrée de Henri IV à Paris pour que l’on s’occupât sérieusement de cette question vitale. Une série de mesures provoquées par le roi et adoptées de 1594 à 1598 réduisirent à quatorze le nombre des concessions.

A cette époque, un fait nouveau se produisit dont il faut tenir compte, car il constitue l’origine d’un revenu qui est aujourd’hui considérable. Martin Langlois, prévôt des marchands, offre dans cette même année 1598 une rente de 35 livres 10 sous à la ville de Paris en échange d’une concession d’eau qu’il demande ; de plus, à quelques années de là le chancelier de Bellievre reçoit deux lignes d’eau en compensation d’un terrain abandonné par lui. Le principe est donc admis, il était réservé à notre temps de l’appliquer d’une façon régulière et normale. C’est encore sous le règne de Henri IV que les habitans de la rive gauche eurent leur première fontaine, qui fut construite au Palais de Justice en 1606 par ordre de François Miron ; elle était alimentée par l’eau des Prés-Saint-Gervais, qui passait dans une conduite placée sous le tablier du Pont-au-Change.

Les mauvaises habitudes avaient repris ; des concessions courtoises avaient encore été octroyées, l’eau manquait. Henri IV fit un coup d’autorité, il examina lui-même l’état des distributions, et, par lettres patentes du 19 décembre 1608, il annula toutes les concessions, à l’exception de celles dont jouissaient le comte de Soissons, les dames de Guise et de Montmorency, la duchesse d’Angoulême, les religieuses de Sainte-Claire, les Filles-Dieu, les Filles-Pénitentes, l’hôpital de la Trinité et les Récollets-Saint-Martin. Ce n’était que de l’empirisme, et l’on ne pouvait ainsi remédier à une disette d’eau que l’accroissement de la population rendait plus sensible de jour en jour. Sully comprit promptement que les sources de Belleville et des Prés-Saint-Gervais ne rendaient point un volume d’eau correspondant aux besoins publics. Il fallait, si l’on ne modifiait promptement l’alimentation même des fontaines, ou que le peuple se passât d’eau, ou que le Louvre et les Tuileries en fussent privés. Il imagina donc de puiser en pleine Seine une quantité d’eau qui, reçue dans des réservoirs placés au-dessus du Pont-Neuf, que l’on venait d’achever, pût être facilement distribuée dans les deux logis du roi. Il s’entendit avec un ingénieur flamand nommé Jean Liatlaër, et en 1606, malgré la réclamation des marchands, qui redoutaient quelques embarras pour la facile navigation du fleuve, on éleva en aval, sur la deuxième arche de droite du Pont-Neuf, la première machine hydraulique que connut Paris. Ce fut la Samaritaine, qui eut rang de château et fut dirigée par un agent décoré du titre de gouverneur ; elle se déversait dans le Louvre et dans les Tuileries, et par ce fait rendait libre la fontaine que François Ier avait fait ériger sur la place de la Croix du Trahoir[2].

Dès qu’Henri IV eut disparu et que Sully fut rentré dans la retraite, l’alimentation des fontaines fut en péril, car sous l’influence de la cour on en revint au système des concessions gratuites : ce fut cependant sous la régence de Marie de Médicis que l’on exécuta un travail hydraulique qui fut pour Paris un véritable bienfait. On reprit un projet que la mort d’Henri IV avait empêché de mettre à exécution. En effet, dès 1609 Sully avait fait faire des tranchées dans la plaine de Longboyau pour retrouver, s’il se pouvait, les conduites romaines qui autrefois amenaient l’eau de Rungis jusqu’au palais des thermes. Heureusement la reine-mère voulut avoir un palais à elle, et elle acheta les terrains qu’elle réservait à la construction du Luxembourg. Placé sur un point élevé, fort éloigné de la Seine, ce palais futur devait être privé d’eau, et pour remédier à cet inconvénient on pensa de nouveau aux sources abondantes des territoires de Rungis, d’Arcueil et de Cachan. Différens entrepreneurs se présentèrent ; par délibération du 27 octobre 1612, le bureau de la ville accepta l’offre de Jehan Coing, maître maçon, qui s’engageait à capter les eaux et à les amener par aqueduc à Paris pour la somme de 460,000 livres. On donna une grande solennité à l’ouverture des travaux : la première pierre du principal regard de Rungis fut posée par le roi Louis XIII, accompagné de sa mère régente et de toute la cour, le 17 juillet 1613. Il fallut onze ans pour terminer l’œuvre entière, qui existe encore et que tous les Parisiens connaissent ; l’eau fut pour la première fois mise dans les conduites destinées à la recevoir le 18 mars 1624, en présence du prévôt des marchands et des échevins. Ces eaux, qu’on a toujours nommées les eaux d’Arcueil, une fois la prise du Luxembourg opérée, furent distribuées dans quatorze fontaines publiques nouvellement construites. La proportion était fort inégale : sur 30 pouces d’eau que l’aqueduc versait dans les réservoirs, 18 étaient attribués à la maison royale et 12 seulement aux besoins de la population[3].

En 1632, Barbier, contrôleur-général des forêts de l’Ile-de-France, voulant mettre les Tuileries et le faubourg Saint-Germain en communication facile et supprimer le bac qui servait de va-et-vient entre les deux rives de la Seine, construisit ce pont de bois que les historiens nomment indifféremment le pont Barbier, le pont Sainte-Anne et le Pont-Rouge. On y installa une machine hydraulique sur laquelle nous avons le témoignage d’un contemporain. John Evelyn, qui visita Paris en 1643, dit : « C’est une statue de Neptune qui fait sortir de l’eau par la gueule d’une baleine ; le tout est en plomb, mais fort inférieur, à la Samaritaine. » Ce groupe était sans doute contenu dans la maison bâtie sur pilotis que Gomboust a figurée sur le plan de Paris qu’il termina en 1652. Les poutres, les madriers, le Neptune et la baleine disparurent le 20 février 1684, dans une crue de la Seine qui emporta le pont de bois auquel le Pont-Royal allait succéder. L’eau montée par l’appareil avait été réservée à l’arrosage du jardin des Tuileries et aux usages du « logement de Mademoiselle. » La population n’en profita donc pas, mais elle reçut vers la même époque, 1651, de nouvelles sources découvertes entre Arcueil et Cachan, et dont le produit s’élevait à 24 pouces environ par jour.

Cependant les concessions, auxquelles on ne parvenait pas à mettre fin, diminuaient chaque jour la portion du public. Le 22 janvier 1653, le prévôt des marchands rend une ordonnance qui déclare que désormais toute concession nouvelle sera faite à prix d’argent. L’exemple de la soumission fut donné de haut, mais ne servit guère ; le surintendant Fouquet paie 10,000 livres pour un pouce d’eau qui lui est accordé, le 4 juin 1655, sur les sources de Belleville et des Prés-Saint-Gervais. On a beau rassembler à l’Hôtel de Ville les clés de tous les regards, menacer de peines sévères ceux dont la consommation dépasserait le droit de prise ; on ne peut parvenir à régulariser la distribution. L’eau est littéralement au pillage, et les contestations sont aussi fréquentes qu’elles seraient fastidieuses à rapporter. Grâce pourtant à ces arrêts toujours semblables, à ces interdictions éludées, à ces règles définitives qui ne duraient pas vingt-quatre heures, on sait exactement la somme d’eau répandue dans Paris. Un état de distribution arrêté le 22 mai 1669, désignant séparément Arcueil, Belleville, les Prés-Saint-Gervais, mais omettant intentionnellement le produit de la Samaritaine, consacré aux logis royaux, nous apprend que le total des fontaines ou regards publics était de 35, alimentés par 13 pouces, et que les concessions privées, au nombre de 152, absorbaient 10 pouces. Paris consommait donc à cette époque 460,000 litres d’eau de source, dont 200,000 étaient soustraits en faveur des particuliers et des couvens. En présence d’une pénurie pareille, il fallait aviser, d’autant plus que la sécheresse extraordinaire des années 1667, 1668 et 1669 avait singulièrement appauvri le rendement des sources : aussi ce fut encore à la Seine, à ses eaux contaminées, que l’on eut recours. Au-dessous de la troisième arche du pont Notre-Dame, il existait alors un moulin à blé ; Daniel Jolly, chargé de diriger les machines de la Samaritaine, proposa en 1670 d’utiliser les échafaudages du moulin pour organiser quatre pompes aspirantes et foulantes qui donneraient à Paris un produit quotidien de 50 pouces ; en même temps un certain Guillaume Fondrinier, qui n’était que le prête-nom de Jacques de Mance, trésorier de la fauconnerie, offrit de construire, à un second moulin du même pont Notre-Dame, huit corps de pompes qui élèveraient 50 pouces, qu’on pourrait avec quelques ouvrages supplémentaires porter facilement à 100. La ville accepta ; Jolly et de Mance se mirent à l’œuvre chacun de son côté ; tout le travail était terminé en 1671. Les résultats ne furent pas aussi brillans qu’on était en droit de l’espérer ; ils furent néanmoins considérables, puisqu’ils produisaient 1,600,000 litres, c’est-à-dire 80 pouces, qui furent reçus dans quinze nouvelles fontaines accessibles au public.

Ces mécaniques hydrauliques étaient bien rudimentaires ; les personnes qui ont vu fonctionner la machine de Marly peuvent se figurer ce que valait ce grossier outillage ; on faisait en réalité plus de bruit que de besogne, et les réparations incessantes coûtaient fort cher. De plus on se plaignait de la qualité de l’eau de Seine : on enviait les eaux d’Arcueil et des Prés-Saint-Gervais, quoique cependant elles soient bien calcaires ; on ne parlait que de nouvelles sources à découvrir ? on fouilla les coteaux de Meudon, de Clamart, de Vaugirard, de Châtillon, d’Issy, mais sans succès. On fut forcé de se contenter de ce que l’on avait, et l’on resta stationnaire pendant un siècle[4]. Ce n’est pas que les projets fassent défaut : il ne se passe pas dix ans sans que l’on en présente ; ils sont étudiés et repoussés. On semble se contenter des apparences, et l’on édifie beaucoup de fontaines sans trop se préoccuper d’y amener de l’eau : on prodigue les sculptures, les attributs ; le public n’en est pas plus satisfait. Après l’inauguration de la fontaine de la rue de Grenelle en 1739, on ne s’arrête guère à contempler les statues de Bouchardon, et on la surnomme « la trompeuse, » car elle a promis de l’eau et n’en a point donné. Une sorte d’indifférence qui ressemble bien à de l’apathie neutralise toutes les bonnes intentions qui se font jour ; on voit inutilement poindre des idées qui plus tard trouveront une réalisation facile, et qui alors paraissent téméraires. En 1762, de Parcieux offre d’amener à Paris les eaux de la petite rivière de l’Yvette, qui sort de terre entre Versailles et Rambouillet. Deux ingénieurs célèbres, Perronet et de Chezy, donnèrent corps à l’idée émise par de Parcieux en dressant le plan de l’aqueduc de dérivation. Trois ans après, une compagnie propose d’élever les eaux de la Seine de façon à les distribuer à toutes les maisons de Paris moyennant une taxe proportionnelle. Les deux projets opposés l’un à l’autre se partagent si bien l’opinion publique que ni l’un ni l’autre ne sont adoptés. Vers ce moment, 1769, les premiers mémoires sont présentés en faveur des pompes à feu ; mais les inventeurs se disputent au lieu de s’associer. Auxiron réclame la priorité ; les frères Pérîer présentent un groupe d’actionnaires sérieux et obtiennent par lettres patentes du 7 février 1777 l’autorisation de construire à leurs frais des machines à feu propres à élever l’eau de la Seine et à la faire parvenir dans des réservoirs placés à une telle altitude qu’il serait facile de la distribuer dans les différens quartiers de la ville. Restait l’emplacement à choisir : ce fut la prévôté des marchands qui le détermina ; on désigna Chaillot. La pompe à feu y existe encore, mais elle n’a plus rien de commun avec la machine que les Périer y avaient établie, et qui donna de l’eau pour la première fois dans Paris au faubourg Saint-Honoré en juillet 1782[5] ; Mercier en parle ; il admire et s’étonne. « La simple vapeur d’eau en ébullition est l’agent du mouvement prodigieux que nulle autre force connue ne pourrait produire ; elle élève l’eau à 110 pieds au-dessus des basses eaux de la Seine, et fait monter en vingt-quatre heures 400,000 pieds cubes d’eau pesant 28,800,000 livres. Ainsi voilà de quoi abreuver, laver et inonder à souhait tous les quartiers de la ville. » Malheureusement l’affaire était avant tout financière ; les actions devinrent l’objet d’un agiotage effréné ; les joueurs à la hausse et à la baisse se souciaient fort peu des besoins de la population. Cela fit grand bruit en son temps : Mirabeau, payé par Calonne, attaquait la compagnie concessionnaire, Beaumarchais la défendait, et le public, fort lésé, disait tout haut que cette fameuse pompe à feu n’était en réalité qu’une machine à pamphlets.

On revint à l’idée de détourner l’Yvette par un canal. Le 3 novembre 1787, un ingénieur nommé de Fer fut autorisé à exécuter les travaux à ses frais ; il lui fallait de l’argent, il en chercha, mais avant qu’il en eût trouvé la révolution était survenue et avait mis tous ses projets à néant. A la veille du jour où le vieil état de choses allait s’écrouler, la compagnie des pompes à feu s’écroulait aussi et était obligée de céder son privilège à la ville de Paris par contrat du 14 avril 1788. Jusqu’à la fin du siècle, on ne tenta rien ; l’esprit était sollicité par des intérêts passionnes qui ne laissaient guère le loisir de s’occuper de questions de salubrité ; bien des projets furent présentés cependant, mais c’est à peine s’ils furent étudiés avant d’être repoussés. Les phrases ampoulées qu’on débitait à la tribune, les devises emphatiques que l’on inscrivait sur les murailles soutenaient peut-être l’élan de la population, mais ne lui donnaient point à boire, et Paris en était, sur presque tous les points, réduit à « la sangle » des porteurs d’eau qui allaient puiser l’eau en rivière. Le consulat, dès qu’il fut établi, s’occupa, avec un empressement où la politique eut sa bonne part, de pourvoir à tout ce qui était nécessaire à l’alimentation de la grande ville. La question fut reprise dans tous les détails, approfondie par des hommes compétens en dehors de toute ingérence des financiers ; les projets qui avaient été mis en avant furent étudiés, on entreprit des travaux topographiques sérieux, et l’on finit par s’arrêter à l’idée de dériver les rivières de la Beuvronne et de l’Ourcq pour les amener à Paris par une large tranchée à ciel ouvert qui serait à la fois aqueduc et canal de navigation. La prise d’eau devait être effectuée sur la lisière des départemens de l’Oise et de l’Aisne au bief du moulin de Mareuil, à 96 kilomètres de Paris. Le décret approbateur est du 20 floréal an X (19 mai 1802). Un second décret du 1er vendémiaire an XI (23 septembre 1802) prescrit l’ouverture des travaux, charge le préfet de la Seine de les administrer, et en confie l’exécution aux ingénieurs des ponts et chaussées. En 1809, le canal était terminé jusqu’à la Beuvronne, le bassin de La Villette était creusé ; 10,000 ou 12,000 mètres cubes d’eau potable étaient mis à la disposition des Parisiens[6]. Ils en profitèrent dans une mesure que des chiffres officiels nous permettent d’apprécier. En 1800, les abonnemens d’eau rapportaient à la ville une somme annuelle de 385 francs ; en 1805, il y a déjà un accroissement notable, le produit total a donné 4,666 francs ; en 1808, les conduites ont été branchées sur l’aqueduc qui fait pénétrer la Beuvronne. dans Paris, on perçoit 167,370 fr., l’usage se répand ; des fontaines marchandes sont construites, et l’encaisse « hydraulique » de l’Hôtel de Ville accuse 229,233 fr. Malgré la modicité des sommes, c’est en dix années un progrès extraordinaire.

Les contingens réunis des sources, des pompes d’élévation et du canal de l’Ourcq ont pendant longtemps à peu près suffi aux exigences du groupe parisien ; pourtant, si nous en étions réduits là aujourd’hui, nous nous trouverions singulièrement à plaindre. Les efforts du temps passé ont lentement, mais incessamment produit de bons résultats ; ceux qui ont été accomplis de nos jours ont dépassé tout ce que l’on pouvait imaginer jadis, ils ont amené une révolution complète dans nos habitudes ménagères, ils ont permis de donner une salubrité appréciable à nos rues, dont Mercier a dit que « le pavé était le plus infect et le plus immonde de toutes les villes du royaume. » Ils ont détruit, il est vrai, en grande partie, l’industrie des porteurs d’eau qui, il y a vingt ans encore, nous fatiguaient de leurs cris ; en revanche, ils ont conduit l’eau dans nos demeures et l’ont mise à la portée de tous. En étudiant le régime actuel des eaux potables de Paris, nous dirons par quels travaux, souvent gigantesques, on est arrivé à pourvoir d’une façon presque complète aux besoins des particuliers, de l’industrie et de l’assainissement.


II

Paris emprunte aujourd’hui ses eaux à la Seine, à l’Ourcq, à la Marne, qui lui fournissent un volume quotidien de 281,500 mètres cubes, aux sources d’Arcueil, de la Dhuis, des puits artésiens de Grenelle et de Passy, qui donnent 33,600 mètres. À ce contingent, il faut ajouter ce que produisent encore les sources du nord, qui en moyenne peuvent suer, — c’est le vrai mot, — 216 mètres cubes par vingt-quatre heures. — 345,316,000 litres d’eau potable sont donc mis chaque jour à la disposition de la population parisienne, qui peut boire, laver ses rues, nettoyer ses égouts, faire ses blanchissages et sa cuisine, alimenter ses machines à vapeur fixes ou mobiles, embellir ses jardins, avoir des rivières factices et des lacs dans ses promenades, faire jaillir la gerbe des fontaines monumentales et prendre des bains tout à son aise. Nous voilà bien loin déjà du temps où Mercier admirait la pompe à feu de Chaillot ; mais nous n’en resterons pas là D’immenses travaux entrepris à la fin de l’hiver 1867-68, interrompus par les événemens de 1870, sont actuellement poussés avec vigueur, et nous amèneront dans quelques mois un renfort quotidien de 100 millions de litres d’eau de source pure et limpide.

Pour suivre un ordre en quelque sorte chronologique, il faut visiter d’abord ce que l’on nomme les sources du nord, c’est-à-dire celles qui s’écoulent à Belleville et aux Prés-Saint-Gervais. En réalité, ce ne sont point des sources, c’est de l’eau recueillie goutte à goutte au milieu des terrains qu’elle traverse. Les moines de Saint-Laurent et de Saint-Martin avaient remarqué que la pluie tombée sur les coteaux ne descendait pas tout entière dans les vallées ; ils en conclurent que la terre en absorbait une bonne partie qui, pénétrant les couches successives, se perdait à des profondeurs où elle disparaissait à toujours. Ils résolurent de réunir ces suintemens partiels, de prendre la source, pour ainsi dire, en formation, et de l’arrêter au passage avant qu’elle n’ait été rejoindre les nappes souterraines que nul alors ne savait atteindre. Sur les hauteurs septentrionales de Belleville et des Prés-Saint-Gervais, ils construisirent ce que l’on appelle des pierrées, sortes de conduites carrées pour la plupart, bâties en moellons mal reliés, ouvertes çà et là par des fissures intentionnellement ménagées et appelées barbacanes, qui permettent à l’eau de filtrer à travers les parois, pour glisser jusqu’à un petit canal dont le lit est ordinairement en terre glaise, en imperméable, comme disent les gens du métier. C’est là tout le système de captation, qui est fort simple, mais qui aussi est très défectueux. Ces sources factices, n’étant alimentées que par l’humidité du sol, sont, bien plus que les sources naturelles, sujettes à des variations extraordinaires. Avec elles, on ne sait jamais sur quoi compter : s’il a plu, la terre saturée jette une grande quantité d’eau dans la pierrée ; si le ciel est pur, si le vent du nord-est emporte les nuages et brûle les terrains, le réservoir est à sec ou peu s’en faut. Par les hivers humides, pendant les mois de mars pluvieux, la jauge des Prés-Saint-Gervais est de 250 litres par minute ; en été, elle dépasse rarement 90, et parfois, dans les jours de grande sécheresse, elle est tombée à 40. L’eau que l’on recueille ainsi n’est point irréprochable ; elle est très chargée de carbonate et surtout de sulfate de chaux ; elle est rêche à boire, impropre à la cuisson des légumes, qu’elle durcit, et réfractaire au savon ; c’est bien elle qui produit « la maubuée. »

De distance en distance, on a élevé des regards, espèces de chambres où aboutissent et d’où partent les conduites ; l’eau y fait relais dans un bassin et s’écoule ensuite vers la direction des fontaines qu’elle doit desservir. A Belleville, elle chemine sur une gouttière en plomb où elle laisse après elle un dépôt calcaire adhérent. Les pierrées ne sont point belles : très basses de voûte, d’aspect triste et misérable, elles ressemblent à de vieux égouts ; une vase blanchâtre encombre les barbacanes, et l’on ne sait guère où mettre les pieds. En revanche, on a essayé de donner au regard une apparence monumentale : il a l’air d’un mausolée ; une sorte de rotonde à jour, soutenue par des colonnettes, le surmonte et lui a valu le nom inscrit au-dessus de la porte : « la Lenterne. » Il est remarquablement bâti en fortes pierres de taille, qui sur le toit s’agencent comme d’énormes tuiles ; c’est massif et brutal. Les lichens se sont collés aux parois et leur font un vêtement de deuil. Les regards des Prés-Saint-Gervais sont construits dans le même appareil ; ils se dressent à mi-côte, comme des tombeaux au milieu des ruines, car ils touchent presque aux fortifications, et ils sont entourés par les décombres des maisonnettes que l’on a démolies sur la zone militaire au moment où les armées allemandes prenaient position sur les hauteurs du Raincy. Tous ces regards ont subi parfois des réparations complètes : les plus importantes datent du siècle dernier ; sur celui du Bernage, j’ai lu la date 1743. Les eaux des Prés-Saint-Gervais sont centralisées à la fontaine qui occupe le milieu de la place du village ; elle porte une inscription rappelant qu’elle a été édifiée sous le règne de Louis XIIII (sic), pendant que Le Féron était prévôt des marchands. Là dans l’intérieur, après avoir gravi un escalier de bois accolé à la muraille, on se trouve dans la chambre de jauge. De petits bassins en plomb semi-circulaires superposés reçoivent l’eau, et par une série de chutes calculées lui rendent sa pente normale ; elle passe par des trous qui ont un pouce de diamètre et servent à la mesurer ; quelques petits récipiens carrés percés d’une étroite ouverture, représentant une ou deux lignes, déterminent le volume attribué à des concessions particulières. C’est la vieille jauge de nos pères ; elle sera certainement remplacée quelque jour. Que l’on se garde bien de la détruire ; elle est un spécimen curieux de nos anciens usages, et, comme telle, elle doit trouver sa place dans un de nos musées, — dans ce musée dont tous les élémens existent déjà disposés chronologiquement par catégories admirablement combinées, et qu’il faut espérer voir sortir intact et complété des chambres ignorées où il est actuellement relégué dans une vieille maison du quai de Béthune. Rien ne serait plus intéressant que de réunir dans un local spécial et approprié tous ces vieux témoins de notre histoire urbaine.

Cette eau des sources du nord, dont le drainage fut si vivement apprécié par nos ancêtres, n’est plus jugée digne de désaltérer les Parisiens, à qui l’on offre une boisson bien autrement pure et abondante. Jadis on a bâti des fontaines pour la recevoir, et nous avons vu que François Ier en sollicitait quelque peu pour un de ses favoris ; elle est bien déchue de son ancienne gloire : aujourd’hui on la jette à l’égout. Elle a été retirée de l’alimentation, mais elle n’est pas perdue pour cela : on la répand dans nos rues au moment du balayage ; elle assainit la voie publique en purifiant les ruisseaux, en lavant les trottoirs et en nettoyant les pavés. La naïade qui la verse de ses urnes souterraines ne doit pas être humiliée de cette destinée nouvelle, car, en feuilletant les vieilles chroniques du pays des nymphes, elle trouvera que Turgot, prévôt des marchands, fit concentrer en 1737 et en 1740 toutes les eaux de Belleville dans un réservoir construit vis-à-vis la rue des Filles-du-Calvaire, et que plus d’une fois il les fit lâcher dans le grand égout dont nous aurons à parler plus tard, et qui bien souvent alors avait besoin d’être violemment balayé par un courant rapide et profond.

Les sources du sud, celles que par excellence on appelait autrefois les sources royales, ont aussi bien perdu de leur importance ; elles n’entrent guère dans le total de la consommation parisienne que pour une moyenne de 1 million de litres quotidien. Elles sont fournies par les territoires de Rungis, de L’Hay, de Cachan, d’Arcueil, et par le drainage du sol. L’aqueduc qui nous les apporte, au moment où il doit franchir la vallée de la Bièvre, prend un aspect grandiose qui ne déparerait pas la campagne romaine. Il fut construit par Jacques de Brosse, qui a fait œuvre durable. Il a 400 mètres en arcades, et il produit un effet imposant dans le paysage. Je me le rappelle au temps de mon enfance tout empanaché de verdure, habillé de lierre et fleuri de ravenelles ; des ormeaux, des frênes, des érables, avaient trouvé moyen de pousser sur le toit de pierre, en avaient descellé les dalles, entre lesquelles ils glissaient leurs racines, qui allaient boire au courant ; sous les arches, on avait bâti de petites maisons auxquelles les piliers servaient de façades latérales ; tout ce monde semblait vivre là en famille, la nature, le monument et les hommes. On y mit bon ordre, et l’on eut raison, car ce pêle-mêle compromettait la construction elle-même, qui se lézardait, se désagrégeait et parfois en guise d’avertissement laissait choir quelque gravier sur la tête des passans. De 1834 à 1836, on déblaya l’aqueduc ; on jeta bas les bâtisses parasites, on arracha les herbes folles, on abattit les arbres et l’on pansa toutes les plaies que le temps avait faites à l’édifice de Marie de Médicis. Aujourd’hui il est fort propret, et si les humides bourrasques du nord n’en avaient noirci la face septentrionale, on le croirait neuf. Les parties contemporaines de Jacques de Brosse sont facilement reconnaissables ; les larges blocs de pierre équarris et assemblés portent tous les marques particulières des tâcherons qui les ont taillés : ici un maillet, là un ciseau, ailleurs un compas, signature naïve de ceux qui ne savaient point écrire. Au fond de la vallée, il a 22 mètres d’élévation et semble regarder avec mépris la vilaine petite rivière de Bièvre, qui passe sous l’une de ses arcades. Il ne suit pas exactement le trajet de l’aqueduc de Julien, dont un pan de ruinés est encore debout dans le voisinage. Ce vestige de l’ancienne conquête a résisté à tout ; le temps n’est pas parvenu à l’égrener de ses doigts inflexibles. Il est composé de couches alternatives de moellons et de tuiles rouges dont le revêtement est tombé ; à l’heure qu’il est, il ne sert plus que d’espalier à un énorme lierre[7].

On gravit un terrain en pente où végète un jardin potager ; le long de la muraille, on voit des bornes gerbées les unes par-dessus les autres, verdies, moisies, dévorées par les mousses : ce sont les bornes de repère qui jadis indiquaient le trajet des conduites souterraines dans les champs et à travers les rues de Paris jusqu’au grand réservoir de la vieille estrapade ; on les a arrachées il y a une trentaine d’années, et depuis cette époque elles gisent sans utilité à l’abri du grand aqueduc dont elles furent jadis les sentinelles avancées. Toujours marchant au milieu de plates-bandes cernées de buis, on arrive à la porte du regard n° 13, qui est situé à 7,164 mètres du point de captation : on ouvre la porte, et l’on se trouve dans une chambre pleine de rumeurs ; l’eau y bruit avec des glouglous retentissans. Un large tuyau en fonte rampe au-dessus d’un petit canal taillé dans la pierre et escorté de deux trottoirs ; une longue galerie voûtée, striée par des jours blanchâtres et blafards projetés à travers des ouvertures étroites comme des meurtrières, s’enfonce dans la nuit, et semble se briser tout à coup à un angle éloigné. C’est comme un immense cloître abandonné auquel il ne manque que le silence. Je l’ai visité le 15 mars dernier, et jamais peut-être il n’avait été en telle effervescence. Les pluies tombées en abondance avaient grossi les rivières, gonflé les sources, pénétré le sol, et l’eau ruisselait violemment à travers l’aqueduc ; la conduite métallique d’un diamètre de 30 centimètres, insuffisante à contenir l’eau qui s’y voulait précipiter, laissait échapper dans le canal qu’elle surmonte tout ce qu’elle ne pouvait accepter. Celui-ci roulait une eau rapidement entraînée par la pente, mais qui, malgré le courant, déposait en hâte tous les calcaires qui la chargent et se faisait ainsi un lit épais de carbonate de chaux. Ce canal servait donc de déversoir au trop-plein, qui était considérable, puisque la moyenne du rendement des sources du sud est de 1,200 litres par minute et qu’il était alors de 6,000. De mémoire d’homme, on n’avait vu un pareil volume d’eau glisser dans le vieil édifice de Jacques de Brosse ; mais cette eau que les conduites normales ne peuvent amener jusqu’à Paris, que devient-elle ? Elle s’en, va entre les bords polis du canal jusqu’à ce qu’elle trouve l’orifice d’un tuyau de fonte vertical, — un dauphin, — où elle s’engouffre avec des mugissemens d’Encelade écrasé sous les rocs ; par cette route à pic, elle tombe dans la Bièvre, qui s’étonne d’être baignée d’une eau limpide à laquelle elle n’est point accoutumée.

Comme ces temples antiques sur lesquels les chrétiens ont bâti des églises, l’aqueduc d’Arcueil sert, en plus d’un endroit, de soubassement à une construction gigantesque qui, au point inférieur de la vallée, le dépasse de 18 mètres. L’heure n’est pas éloignée où toutes ces sources réunies à grand’peine entendront passer un fleuve au-dessus de leur tête : 100 millions de litres en vingt-quatre heures. L’aqueduc d’Arcueil soutient l’aqueduc de la Vanne ; l’œuvre de l’architecte des Médicis porte l’œuvre de nos ingénieurs. Très habilement ceux-ci ont profité du monument de Jacques de Brosse pour appuyer l’immense édifice qui guide à travers l’espace le canal aérien par où les sources de Champagne doivent venir jusqu’à nous. Cela fait un aqueduc à deux étages dont les piliers ont parfois été obligés d’aller chercher, au milieu de carrières exploitées, des fondations solides à 13 mètres de profondeur. D’une montagne à l’autre, un kilomètre d’arcades s’avance en demi-cercle et franchit le val de la Bièvre comme une suite d’arcs de triomphe. Cela grandit singulièrement le paysage, qui est affreux, nu, troué d’excavations, et qui évoque d’insupportables souvenirs. Voilà le fort de Montrouge effondré par les bombes ; voici la maison des dominicains qui ont été ce que la commune appela des otages. L’aqueduc a eu aussi son petit rôle pendant la guerre. Le 20 septembre 1870, l’eau cessa d’y couler, et pendant toute la période d’investissement les conduites furent à sec. Les Allemands l’avaient barré sur le territoire de Fresnes, au regard no 4, où correspond une concession particulière dirigée sur Berny. Un fort mur en briques et en ciment, — très bien bâti, car on eut quelque peine à le démolir, — força l’eau à changer de cours ; elle se répandit sur la grand’route et alla se perdre dans la Bièvre ; le 27 février 1871, le dégât était réparé, et les sources de Rungis rentraient à Paris à 10 heures du matin par leur chemin ordinaire.

Pendant le siège, l’eau ne nous a point manqué ; les pompes à feu de la Seine ont travaillé sans relâche. Il en existe six aujourd’hui, au Port-à-l’Anglais, à Maisons-Alfort, au quai d’Austerlitz, à Auteuil, à Saint-Ouen et à Chaillot : celle-ci est la mère ; c’est une machine à vapeur, elle attire l’eau, mais n’en contient pas. Une petite maison basse et trapue qui se ressent du goût de l’époque est assise en contre-bas du quai de Billy et renferme quelques bureaux d’administration. Une vaste cour où s’élèvent des monceaux de houille est occupée sur un des côtés par une construction garnie d’un large vitrage ; c’est la demeure de la machine, qui ne ressemble guère à celle dont les frères Périer se servaient jadis. La machine est double, ou, pour mieux dire, il y en a deux, isolées l’une de l’autre, agissant indépendamment et alimentées spécialement par trois foyers qui mettent en œuvre pour chacune d’elles 150 chevaux vapeur. A regarder l’énorme piston monter, faire un temps d’arrêt comme s’il se reposait après un effort, et redescendre dans sa gaîne de métal, on comprend promptement le jeu du mécanisme. Le piston, relevé par l’action du balancier obéissant à la vapeur, fait le vide dans un tube communiquant à la rivière et où l’eau se précipite ; pour laisser à celle-ci le nombre de secondes nécessaires à l’ascension, il reste un moment immobile ; puis, entraîné par son propre poids, qui est de 36,000 kilogrammes, il glisse verticalement en repoussant l’eau avec une telle puissance qu’il la chasse jusqu’aux grands réservoirs de Passy, situés entre l’avenue d’Eylau et l’avenue du Roi-de-Rome. La machine travaille jour et nuit : lorsque je l’ai visitée, le procès-verbal indiquait que pendant les dernières vingt-quatre heures elle avait brûlé 11,700 kilogrammes de charbon, donné 11,248 coups de piston, et que sa « montée » avait été de 21,709 mètres cubes d’eau. En la voyant fonctionner, il est difficile de se défendre d’une comparaison saugrenue : l’action de ce piston ressemble si bien à celle d’un instrument trop prosaïque que, si dans le pays des géans on représentait les pièces de Molière, ce serait un excellent accessoire pour jouer Monsieur de Pourceaugnac.

Il n’est pas besoin de machines à vapeur pour aspirer l’Ourcq et la jeter dans nos réservoirs ; elle y vient naturellement dans le lit que Girard a creusé pour elle. C’est au bassin de La Villette, à côté des grands bateaux amarrés aux quais, que la prise s’effectue. L’eau, avant de pénétrer dans le canal qui lui est réservé, est forcée de passer à travers des « grilles, » sortes de tamis à mailles moyennes en fils de fer dont le cadre a précisément la dimension de la baie d’entrée ; de cette façon, elle est non pas filtrée, mais purgée des élémens les plus grossiers qu’elle charrie avec elle. En temps ordinaire, les grilles sont changées trois fois par jour : à voir les chiens crevés, les débris de légumes, les immondices de toute sorte qui s’accumulent près du barrage, on trouve que la précaution n’est pas inutile ; mais à certaines époques de l’année, au moment de la fenaison et de la chute des feuilles, il y a là une équipe d’employés qui se relaient le jour et la nuit, car c’est de demi-heure en demi-heure qu’il faut relever les grilles ; sans cela, elles seraient oblitérées par les détritus végétaux, puis rompues par le poids de ceux-ci, et ne livreraient passage qu’à une eau devenue promptement putride et malsaine. En général toutes les mesures paraissent prises et bien combinées pour ne donner à la population qu’une eau réellement potable.

L’eau de l’Ourcq, après avoir franchi un court canal couvert, apparaît dans un bassin carré, fermé par des vannes et muni d’une lourde roue à amples palettes. C’est le compteur hydraulique ; nous n’en sommes plus à la jauge des Prés-Saint-Gervais. On a calculé qu’il faut que 11 mètres 200 litres d’eau passent sous la roue pour faire faire à celle-ci une révolution complète. On lève la vanne, l’eau suit sa pente. La roue est mise en mouvement, un bras de fer articulé emmanché au moyeu fait jaillir dans un tableau accroché à la muraille un numéro toutes les fois qu’un tour est révolu. En calculant le nombre de secondes et la quantité connue d’eau exigée pour un tour de roue, on obtient facilement la jauge de vingt-quatre heures. En sortant de l’établissement de La Villette, l’Ourcq se dirige par une conduite sous terre vers le faubourg Saint-Martin, et par l’aqueduc de ceinture sur les réservoirs de Monceau. Cet aqueduc n’apparaît jamais au-dessus du sol : il suit la rue de l’Aqueduc, la place Roubaix, l’avenue Trudaine, la rue de Laval, la rue de Douai ; là il remonte vers la place Clichy et gagne « l’épanouissement » par le boulevard des Batignolles. Lorsque l’on est rue Lafayette, sur ce pont qui domine le chemin de l’Est, on le voit très nettement passer au-dessus de la voie dans une forte cage de pierre appuyée sur des poutres de fer. Du point de départ au point d’arrivée, il mesure 4,238 mètres. Il faut y descendre par le regard de la Corderie, qui s’ouvre au fond d’une cour défendue par une grille.

Cet aqueduc n’est plus tel qu’il était au commencement du siècle. Girard l’avait construit en pierres meulières reliées à la chaux hydraulique ; de nos jours, l’ancien tracé a été abandonné, on l’a élargi sur les trois quarts du parcours, et on l’a revêtu d’un bel enduit inaltérable ; il a l’air d’être en stuc grisâtre. On peut s’y promener, et j’y ai fait une longue course. L’eau coule dans un petit canal qui est la cunette ; celle-ci est accostée par un trottoir qu’on nomme la banquette, et où l’on trouve assez de place pour mettre les pieds d’aplomb. On y va dans la nuit ; la lueur d’une lanterne ou d’un rat-de-cave brille sur l’humidité des voûtes et tire des reflets argentés de l’eau, qui glisse lentement sur le lit qu’on lui a préparé et qu’on appelle le radier. Le bruit des voitures qui passent au-dessus retentit lugubrement comme les roulemens d’un tonnerre lointain. C’est d’une propreté extrême : l’eau est nette, les murailles sont en sueur ; nulle ordure, nul animal. C’est mort ; la lumière n’éclaire qu’un cercle très restreint ; au-delà et en-deçà tout disparaît. La vie obscure des cryptogames s’y développe cependant, mais seulement dans les parties nouvellement réparées. Sur les parois, on aperçoit à certaines places une sorte de nœud central, de couleur brune sombre, plat, et d’où s’élancent des ramifications filiformes si parfaitement appliquées au revêtement qu’il est impossible de les en détacher et qu’elles semblent en faire partie ; on dirait une araignée végétale qui aurait tissé là une trame circulaire pour une toile en soie noire. Cette plante singulière, qui aime l’obscurité, l’humidité et le ciment tout neuf, qui affecte des attitudes baroques et multiplie tellement ses minces ramures que celles-ci font tache sur la muraille, est tout simplement un champignon, le rhizomorpha sublerranea.

Quoique la température soit en général peu variable dans ces longues galeries souterraines, celle de l’eau subit cependant quelquefois des soubresauts assez vifs, — de 26 degrés à zéro, — ce qui suffit pour produire dans le ciment des contractions et par conséquent des fissures. Or nul n’ignore qu’un vase fêlé laisse échapper l’eau qu’il contient ; il faut donc réparer en toute hâte l’aqueduc. On use alors d’un moyen fort ingénieux : au lieu de refaire la paroi détériorée, on y creuse un caniveau en briques que l’on conduit à même hauteur dans la paroi placée vis-à-vis. Cela fait une sorte d’arc creux qui passe sous la cunette tout entière ; par l’une des ouvertures, on verse du goudron liquide qui prend niveau et oblitère la fissure. L’eau coule donc de nouveau sur un corps absolument imperméable et gagne ainsi sans déperdition les larges bassins, où elle se repose avant d’être distribuée dans les différens quartiers de la ville. L’Ourcq aboutit à l’angle de la rue du Rocher et du boulevard des Batignolles, dans deux vastes réservoirs accolés qui jaugent facilement 9,000 mètres. La construction en est vicieuse, car ils sont à ciel ouvert. L’eau y subit toute sorte de mauvaises influences, elle peut y geler en hiver, y tiédir en été ; la poussière y arrive à flots par les vents d’est ; le voisinage d’une gare de chemin de fer lui envoie des escarbilles et de la suie ; parfois elle « surit, » se couvre de pointillés verdâtres, et ne tarderait pas à être envahie par des végétations parasités, si l’on n’y veillait attentivement. Aussi les réservoirs de Monceau exigent des soins particuliers. Tous les deux ou trois mois, il faut les mettre à sec : on en jette le contenu dans un égout à l’aide d’une vanne de communication ; on récure les bassins, on les débarrasse de tous les dépôts qui les encombrent, puis on ramène l’eau, — et c’est bientôt à recommencer. Pendant le siège, l’Ourcq nous manqua ; le 23 septembre 1870, il n’y avait plus assez d’eau dans le compteur hydraulique pour faire tourner la roue. L’eau cessa de venir : le canal avait été saigné par les Allemands dans la forêt de Bondy ; mais nous avions d’autres ressources sous la main. L’aqueduc de ceinture et les réservoirs de Monceau furent alors alimentés par les eaux de la Seine, de la Marne et du puits artésien de Passy. Le service de l’Ourcq put être rétabli en partie le 5 février 1871, mais il ne reprit une régularité sérieuse que pendant le mois de mars.


III

Sous le gouvernement de Louis-Philippe, toutes les eaux dont nous venons de parler ne semblèrent pas suffisantes à l’alimentation régulière de Paris, et l’on se résolut à en capter d’autres ; mais cette fois, loin de s’adresser à des rivières ou à des sources connues, on voulut aller chercher les eaux qui, s’infiltrant sur les hauts plateaux de la Champagne, forment un fleuve souterrain coulant au-dessous de la cuvette où Paris est assis. On décida qu’on forerait un puits artésien ; Arago affirmait qu’on atteindrait la nappe jaillissante sans d’insurmontables difficultés. L’emplacement désigné fut la cour des abattoirs de Grenelle. M. Mulot, chargé de l’opération, donna le premier coup de sonde le 24 décembre 1833. Les savans n’hésitaient point : la théorie géologique leur prouvait qu’on réussirait ; il n’en fut point ainsi du public, qui n’avait pas assez de railleries pour l’œuvre entreprise. M. Mulot eut beau déclarer dès le principe qu’il lui faudrait traverser au moins 400 mètres de couches de terrain avant de rencontrer l’eau, l’on riait de sa persévérance, de ce que l’on nommait son entêtement, et l’on ne se gênait pas pour tourner en dérision « l’aveuglement ministériel qui sacrifiait le budget de la France à des chimères. » Le théâtre s’en mêla, et dans une revue de fin d’année le principal personnage se nommait M. Mulot père et fils. Le travail avançait cependant, mais non sans peine, et il fallut bientôt compter avec le chapitre des accidens qui se produisirent, et furent d’autant plus graves que la profondeur était plus grande. Au mois de mai 1837, comme on était déjà arrivé à une profondeur de 380 mètres, qu’on avait traversé les terrains de transport, le calcaire à moellons, et que l’on se trouvait au milieu d’un énorme banc de craie compacte mêlée de silex, un bout de tige de 80 mètres portant la cuiller de forage se détacha et tomba au fond du puits. Il fallut retirer ce débris, qui s’était rompu en plusieurs fragmens dans sa chute. On n’y parvint qu’en taraudant, — tarauder, c’est faire un pas de vis, — l’un après l’autre tous les morceaux de fer, et en les vissant à l’aide d’une tige « femelle » correspondante. Mener à bien une telle besogne à tâtons, à 1,140 pieds de profondeur, n’était point facile ; on y réussit cependant, mais cela exigea quinze mois.

On était à 548 mètres malgré d’autres accidens qui auraient découragé un homme moins convaincu que Mulot ; le public continuait à hausser les épaules, lorsque le 26 février 1841, après un labeur de huit années, la sonde tomba tout à coup. Était-ce encore un nouveau malheur, qui cette fois serait peut-être irréparable ? Non ; c’était l’eau qui lentement montait à travers le tube et s’élança toute fumante à une hauteur de 60 pieds. La victoire restait aux prévisions de la science et à la courageuse perspicacité des ingénieurs, La source, à son apparition à la lumière, avait une température exacte de 27°, 67. Ce fut un succès qui dégénéra vite en engouement : tout de suite on se mit à rêver d’eaux thermales, bienfaisantes à toutes maladies ; aux railleries avait succédé un enthousiasme que fort heureusement l’on n’écouta pas, car chacun proposait de nouveaux forages. Un regard solidement construit couvre l’emplacement où la source même a jailli ; l’eau, captée dans une conduite, est dirigée à quelques pas de là au milieu de la place Breteuil, où elle trouve deux tuyaux placés verticalement et dans lesquels elle s’engage pour épuiser sa force d’ascension. Ce château d’eau, tout le monde le connaît ; il est en fonte, s’élève à une hauteur de 43 mètres, est couronné d’une sorte de coupole ornée de trois galeries circulaires à pans coupés, accosté d’un escalier en vrille, et posé sur un large socle de pierres de taille. Avec de grandes prétentions à la légèreté, c’est fort lourd et tout à fait disgracieux ; cela ressemble à ces chefs-d’œuvre de confiserie qu’on appelle des pièces montées.

Lorsque l’on pénètre dans le monument, on reste surpris de voir que les voussures du spacieux caveau qui forme l’intérieur du soubassement sont disjointes, et que le ciment dont on essaie de les relier entre elles ne cache guère l’écartement qui s’est produit. C’est que le vent, lorsqu’il souffle avec violence, fait osciller cet immense tire-bouchon, qui pèse 100,000 kilogrammes, et qu’un tel poids mobilisé suffit à ébranler les bases les plus solides. Cela du reste n’a rien d’inquiétant, et il faudra probablement quelques siècles avant que tout cet échafaudage en fer ne s’abatte par un jour d’orage. Le bassin qui reçoit la source souterraine est à 42 mètres au-dessus du sol. L’eau y arrive belle, limpide, en une large nappe qui ressemble à un immense diamant cabochon. Elle est très agréable au toucher, tiède et comme savonneuse ; mais elle dégage une odeur très accentuée d’hydrogène sulfuré. La vasque qui la reçoit est tapissée d’une sorte de crème jaunâtre qui est du soufre. L’eau en contient une portion appréciable dont elle se débarrasse dans ce récipient, où elle prend aussi la quantité d’oxygène qui lui est nécessaire ; elle redescend par deux tuyaux qui la mènent dans des conduits aboutissant aux réservoirs de la Vieille-Estrapade, où elle n’arrive jamais, car les branchemens particuliers la prennent au passage. Le volume était considérable au début, mais le puits ne donne guère actuellement que 374 mètres cubes par jour, ce qui est fâcheux, car l’eau qu’il produit est excellente et d’une douceur incomparable.

La nappe souterraine où le tubage va la chercher n’a point diminué d’importance, mais M. Constant Say y a fait un emprunt en forant le puits de sa raffinerie du boulevard de la Gare, et le puits artésien du bois de Boulogne s’y abreuve, de sorte que le puits de Grenelle se trouve appauvri par ses voisins. Que lui restera-t-il lorsque les puits commencés auront rencontré l’eau ? Le puits de Passy, qui a 586 mètres de profondeur, fournit de 500 à 600 mètres en vingt-quatre heures. Il a demandé bien des travaux : de septembre 1855 jusqu’au 24 septembre 1861, l’opération ne marcha pas toujours toute seule ; l’eau, à une température de 28 degrés 1/2, est exclusivement réservée à l’alimentation des rivières vaseuses du bois de Boulogne. Aujourd’hui deux puits artésiens nouveaux sont en train : l’un, sur la Butte-aux-Cailles, est arrivé à une profondeur de 536 mètres ; l’autre, à La Chapelle, place Hébert, est à 677 mètres. On est tombé dans une vallée souterraine : on espère rencontrer à 700 mètres la nappe d’eau de Grenelle, et à 720 la nappe d’eau plus profonde que l’on cherche. On pense même pénétrer plus bas encore, jusqu’aux terrains jurassiques ; le volume d’eau que l’on obtiendrait alors pourrait bien dépasser toutes les prévisions. Voici longtemps que l’on y travaille : l’installation préparatoire date du 6 mai 1863, le premier coup de forage a été donné le 1er juin 1865, et l’on est aujourd’hui occupé à descendre des tubes pour vaincre un éboulement qui s’oppose momentanément à ce que l’on passe outre, et qu’on a vainement cherché à broyer pendant trois mois. L’outillage qui agit dans le puits pèse seul 24,000 kilogrammes, soulevés à chaque pulsation d’une petite machine de 26 chevaux ; ce moteur paraît bien faible pour porter une telle masse à bras tendus. On se fait maintenant un jeu des difficultés qui arrêtaient Mulot ; l’art du forage artésien a fait d’immenses progrès, et, à telle profondeur que ce soit, on opère avec autant de précision que si l’on était à découvert et de niveau. Un contre-maître disait en plaisantant : « A 600 mètres, nous pouvons raser un homme sans le blesser. » Cela est exagéré, mais on accomplit de véritables tours de force. Quand une tige se détache et tombe au fond de la longue gaîne circulaire, on ne cherche pas à la ressaisir à tâtons, comme autrefois, avec des pinces ; on procède scientifiquement : de la cire appliquée sur un disque moule « l’accident » de façon à reproduire l’obstacle qu’il faut vaincre et à indiquer la manière d’opérer à coup sûr. Il y a là pour cet objet des instrumens de secours qui ont des formes inaccoutumées, — l’un, qui a quatre mains de fer agissant d’ensemble pour ramasser un fragment d’appareil détaché, — un autre, qu’on nomme la caracole, qui saisit avec certitude au-dessus du bourrelet une tige brisée et la rapporte. Je parlais aux hommes d’équipe du taraudage célèbre de Mulot ; ils ont souri et m’ont répondu : C’est l’enfance de l’art ! Tous ces procédés n’étonnent guère les ingénieurs, mais il est difficile à un profane de ne point les admirer.

Les grands travaux hydrauliques de notre temps ont eu pour but de donner aux Parisiens de l’eau de source à boire, eau très pure, choisie avec discernement, captée à l’endroit même où elle sort de terre, et tenue par conséquent à l’abri de toute influence pernicieuse. On a fait de longues études, de nombreux essais, on a dégusté, analysé bien des eaux diverses, et l’on s’est enfin arrêté au projet de dériver la source de la Dhuis en la prenant à Pargny, dans le département de l’Aisne, et les sources qui forment la Vanne, rivière qui sort du département de l’Aube pour aller tomber dans l’Yonne auprès de Sens[8] ; les sources de la Dhuis et de la Vanne offraient cette condition indispensable d’être situées à une altitude qui leur permettait d’arriver, en suivant une pente pour ainsi dire naturelle, sur un des points culminans de Paris d’où il ne resterait plus qu’à les faire parvenir dans la ville. Les décrets du 4 mars 1862 et du 19 octobre 1866, qui ordonnaient l’expropriation pour cause d’utilité publique des terrains que les aqueducs devaient traverser, soulevèrent des objections sans nombre de la part des populations qui se disaient ou se trouvaient lésées. Des pétitions furent adressées au sénat, qui, après discussion publique, estima qu’il n’y avait pas lieu d’en tenir compte. La Vanne est à 173 kilomètres 83 mètres de Paris ; les travaux sont en partie achevés, et, en visitant l’aqueduc d’Arcueil, nous avons vu quelle grandiose apparence ils revêtent parfois. La Dhuis est moins éloignée, elle est cependant encore à une distance de 130 kilomètres. Nous la buvons, car elle a fait son entrée solennelle à Paris le 15 août 1865. Pour arriver jusqu’à nous, elle traverse 104 kilomètres d’aqueduc en tranchée, 9 kilomètres 1/2 d’aqueduc souterrain et 17 kilomètres de siphons en fonte. Elle aboutit aux réservoirs de Ménilmontant, creusés sur la hauteur, près de la rue Haxo de sinistre mémoire. Cette colline est affreuse, couverte de masures, mal percée de chemins bordés de haies, d’aspect misérable et déplaisant ; on regrette que cette gibbosité malsaine ait été accrochée à l’ancien Paris. On franchit une porte et l’on se trouve dans une vaste prairie, large plateau d’où la vue embrasse un paysage sillonné d’un ruban d’argent qui est la Seine. Sur l’herbe drue, nul arbre n’a poussé, mais ça et là à des distances régulières, on aperçoit de grandes plaques en verre très épais, serties dans un cadre circulaire en pierre : ce sont des hublots, fenêtres qui laissent parvenir un peu de jour à l’eau de la Dhuis, car cette prairie verdoie sur la voûte même du réservoir auquel elle sert de toiture. Une grotte en rocaille, dont la disposition un peu puérile ne répond pas à la grandeur des travaux accomplis, donne accès dans la longue galerie creusée d’un canal où coule la Dhuis, qui sort d’un aqueduc souterrain. C’est une rivière ; elle vient sans se presser, avec une sorte de majesté lente qui ne lui permet de faire que 1 kilomètre par heure. Elle est limpide, d’un gris bleuâtre, et glisse silencieusement sur le lit de ciment inaltérable qu’on lui a fait. La galerie est large et très éclairée, mais je ne crois pas qu’il existe au monde une bavarde plus insupportablement indiscrète. Dès qu’on parle, elle vous répond et se répond à elle-même ; elle a l’air de se moquer de vous, elle imite votre voix, et, si vous êtes enrhumé, elle tousse. Lorsque plusieurs personnes causent ensemble, elle les contrefait en même temps et produit un tel vacarme qu’on lui cède la place. Elle a malignement niché des échos dans tous les coins, et, dès qu’on prononce un mot, elle le répète à satiété jusqu’à ce qu’elle vous ait fait taire.

Le 12 septembre 1870, on s’aperçut que le volume d’eau sortant de l’aqueduc pour entrer dans la galerie baissait sensiblement ; le lendemain, le niveau avait encore fléchi, et le 15 on fut obligé d’interrompre le service : le canal était à sec. On s’y attendait bien, mais on n’en fut pas moins saisi par une dure inquiétude. Toute communication avec l’extérieur avait cessé ; Paris, comme un vaisseau pris dans les glaces, ne savait plus rien du monde entier. Qu’avait fait l’ennemi ? Avait-il arraché les siphons, comblé les tranchées, bouleversé le canal, fait sauter l’aqueduc ? Pendant cette douloureuse période, on fut dans des transes cruelles, car ceux qui ont mis la main à de tels travaux finissent par les aimer avec un sentiment où il y a quelque chose de paternel. Dès qu’il fut possible de traverser les lignes allemandes, l’inspecteur des aqueducs courut vérifier les dégâts présumés : ils étaient nuls ; de Pargny à Paris, l’œuvre était restée intacte. Vers le 9 ou 10 septembre, un détachement de cavalerie appartenant à l’armée qui poursuivit inutilement le 13e corps se présenta au premier regard de la Dhuis, à celui où la source même est captée. L’officier commandant rédigea un procès-verbal constatant que l’agent de l’administration française, incapable de résister seul à une compagnie de soldats, avait été contraint par un cas de force majeure ; puis, aidé de deux de ses hommes, il leva la vanne de retenue, et la source fut précipitée au ravin, où elle trouva l’ancien lit qu’elle parcourait autrefois. Les regards avaient seulement été comblés avec de la terre pour éviter qu’ils ne servissent de refuge ou d’embuscade aux francs-tireurs ; les gelées d’un hiver qui fut très rude avaient fendillé çà et là quelques parties de l’aqueduc ; cela fut vite réparé, et le 18 avril 1871 la Dhuis nous revint par le chemin qu’elle doit à nos ingénieurs.

Sur la prairie, deux kiosques médiocres s’élèvent, semblables à ceux où l’on vend des journaux ; ils abritent un escalier en vrille qui aboutit au réservoir. On descend, et l’on s’arrête stupéfait en présence d’un des plus imposans spectacles qu’il soit donné à l’homme de contempler. C’est le palais des eaux tranquilles, et cela dépasse de cent coudées tous les décors à grand spectacle où les féeries de l’Opéra entassent les naïades, et les tritons. Un jour faible et gris tamisé par les hublots se répand sur l’immense nappe, absolument immobile, qui reflète, en les doublant, les piliers qu’elle baigne et la voûte qui la couvre. Ce réservoir a 2 hectares de surface et 5 mètres de profondeur ; il renferme 100 millions de litres. C’est une forêt de piliers, je crois, en avoir compté 624 ; ils soutiennent une voûte qui a 75 centimètres d’épaisseur, et que recouvrent 50 centimètres de terre gazonnée, — système excellent qui maintient l’eau à une fraîcheur salubre, très peu sujette à l’influence des variations atmosphériques. On a fait à cet égard une expérience concluante. Le réservoir est resté plein pendant toute la période de l’investissement : on le gardait comme dernière ressource pour un en-cas désespéré ; la température extérieure a été très froide et est descendue le 24 décembre 1870 et le 5 janvier 1871 à 11 degrés au-dessous de zéro, — celle de l’eau, se maintint entre 12 et 6 degrés. Un mur sépare le réservoir en deux parties égales et en fait ainsi deux bassins distincts, de sorte que lors du nettoyage, qui s’opère une fois par an, on ne les vide que successivement, de façon à conserver toujours une provision d’eau suffisante.

Je ne me lassais pas d’admirer ce travail colossal, mais je n’étais pas au bout de mes surprises. Mon guide alluma une lanterne, me mit une bougie en main, et après avoir fait une cinquantaine de pas sur la large banquette qui entoure et domine la nappe d’eau tout entière, il s’engagea dans un escalier en maçonnerie. Je le suivais sans souffler mot, m’imaginant qu’il voulait me montrer quelque conduite directe ou quelque robinet de forme spéciale. Après avoir descendu quelques degrés, il s’arrêta. — Savez-vous où nous sommes ? — Non. — Dans le réservoir même de la Dhuis, que cet escalier traverse ; nous sommes au milieu de l’eau. — Où allons-nous ? — Voir la Marne, qui est au-dessous de nous. — Rien n’était plus vrai. Ce réservoir a deux étages ; au premier, il reçoit la Marne, au second la Dhuis, deux lacs superposés. Cette œuvre est unique. J’ai beau remonter dans mes souvenirs de voyages, me rappeler la citerne aux mille et une colonnes de Constantinople, le barrage de la vallée de Belgrade, la Piscina mirabile de Naples, les puits de Salomon, entre Bethléem et Maar-Saba, les bassins de David à Jérusalem ; je ne retrouve rien d’analogue, et l’antiquité n’a rien produit de pareil. Nous pouvons, sans pécher par excès d’orgueil, nous dire, en présence d’une telle merveille, que nous ne sommes sous certains rapports inférieurs à aucun peuple ni à aucun temps. La Marne, puisée à Saint-Maur par des pompes hydrauliques mises en mouvement à l’aide de huit machines installées aux anciens moulins Darblay, arrive dans le réservoir en montant dans une large conduite verticale d’où elle s’échappe en champignon, « à gueule bée. »

Les deux étages de réservoirs sont séparés par une voûte : quelles pierres de taille énormes, quels blocs de granit indestructible est-on parvenu à entasser les uns sur les autres pour supporter un poids qui n’est pas inférieur à 100 millions de kilogrammes ! La voûte a 40 centimètres d’épaisseur, et la solidité dont elle fournit chaque jour une preuve éclatante est uniquement due à la série d’arcs qu’elle forme en s’appuyant sur les piliers. La voûte du réservoir supérieur est en briques, les autres parties de la construction sont en pierres meulières revêtues de ciment hydraulique dit de Vassy[9]. Tout est brillant comme un marbre poli. La disposition des bassins est admirablement combinée pour le nettoyage ; il suffit de manœuvrer une vanne pour laisser écouler la Marne dans les égouts, et de lever des bondes pour faire tomber la Dhuis dans les citernes inférieures. Afin de donner place à ce merveilleux édifice souterrain, on a enlevé 200,000 mètres cubes de déblais et construit 70,000 mètres cubes de maçonnerie. Il faudrait être du métier pour comprendre et pour expliquer ce qu’un tel labeur représente de conception hardie, de difficultés vaincues, d’intelligence et de science acquise. Le travail a été très rondement conduit ; il n’a fallu que deux années pour en voir la fin. L’état du règlement de compte prouve qu’il a coûté 3,700,000 francs ; c’est peu de chose en présence du résultat obtenu. L’homme qui a imaginé, dirigé, fait exécuter un tel projet peut dire comme Horace : Non omnis moriar. Cependant cela ne suffit pas à M. Belgrand ; il estime qu’il peut se surpasser lui-même, car le réservoir qu’il prépare en ce moment à Montrouge, sur les hauteurs de Montsouris, pour recevoir les eaux de la Vanne, aura trois hectares : un de plus qu’à Ménilmontant.


IV

Décrire les autres réservoirs de Paris après celui-là serait puéril ; qu’il suffise de dire que nous avons seize grands « épanouissemens » où l’eau est centralisée, où elle fait étape avant de prendre une route définitive[10]. Ils sont tous situés sur des points élevés où quelquefois l’eau ne peut parvenir que sous la pression d’une machine à vapeur ; mais, lorsqu’elle est arrivée dans ces vastes bassins, il s’en faut de beaucoup qu’elle soit à destination : elle pénètre alors méthodiquement dans des conduites en fonte qui, longeant les parois des égouts ou cheminant sous terre, la font aboutir au point précis qu’elle doit desservir. Mises les unes au bout des autres, ces conduites atteignent une longueur de 1,418 kilomètres ; si, à ce chiffre déjà considérable, on ajoute l’étendue des aqueducs de ceinture, de Belleville, des Prés-Saint-Gervais, d’Arcueil, de la Dhuis et de la Vanne, qui équivaut à 323 kilomètres, on arrive à un total extraordinaire. Il faut 1,741 kilomètres de conduites, de tuyaux, de canaux de toute sorte pour que Paris reçoive l’eau dont il a besoin. C’est un tiers de plus que la distance qui nous sépare de Vienne. Du reste, si l’on veut se rendre compte des inconcevables progrès qui ont été faits depuis cinquante ans pour la distribution des eaux, il suffit de comparer l’Atlas administratif publié par Maire en 1821 et le Plan général des conduites d’eau que M. Haussmann a fait lever en 1867. D’un coup d’œil, on verra combien la toile d’araignée s’est étendue, quel périmètre elle entoure et jusqu’où elle pousse ses ramifications les plus éloignées, qui maintenant pénètrent toutes les rues, et peuvent entrer dans chacune de nos maisons. En outre tous les robinets par où l’eau s’échappe sont disposés de telle sorte qu’on peut y brancher les pompes à incendie. On s’occupe à présent de modifier la fermeture de certaines conduites importantes, afin qu’il soit possible en cas de sinistres d’y adapter des pompes à vapeur.

L’eau que Paris possède aujourd’hui n’est pas exclusivement employée au service des particuliers, on peut dire qu’il y a l’eau publique et l’eau privée ; mais l’une et l’autre ne coulent que dans l’intérêt de la population. Il faut non-seulement alimenter les besoins domestiques, il faut encore satisfaire dans de larges proportions aux exigences de la voirie d’où résulte la salubrité de la cité. Enfin il est bon que les villes aient des fontaines monumentales qui jettent la fraîcheur autour d’elles et plaisent aux yeux. Sous ce triple rapport, Paris n’est plus comparable à ce qu’il était jadis, et les efforts accomplis ne sont point restés stériles. Sur nos places, dans nos carrefours, au milieu de nos squares, dans tous les lieux de promenade, on a élevé des fontaines monumentales. Il en existe soixante et une aujourd’hui qui ne sont point irréprochables ; l’architecture semble ne s’être jamais occupée de créer des fontaines : si l’eau n’y coulait pas, ce ne serait le plus souvent qu’un édifice d’apparat orné de sculptures plus ou moins agréables, mais dont la destination ne se manifeste pas par l’agencement des lignes et la forme extérieure. Que ce soit un charmant profil antique comme la fontaine Gaillon, une médiocre copie en bronze d’un personnage de Raphaël comme la fontaine Saint-Michel, trois élégantes statues comme la fontaine de Grenelle, un Osiris porte-cruche comme la fontaine de la rue de Sèvres, que ce soit un immense plat monté semblable à ceux où les ménagères de province rangent leurs petits pots de crème, comme l’ancienne fontaine du Château-d’Eau,. — ce ne sont que des œuvres de hasard sans caractère spécial, et que laissent bien loin derrière : elles les admirables fontaines que construisit la Rome de la papautés Frognall Dibdin, dans son Voyage en France en 1818, admire surtout la gerbe d’eau du Palais-Royal ; il a raison ; , de toutes les fontaines de Paris, c’est encore la plus plaisante à voir et la plus logique. Paris fut longtemps menacé d’une fontaine dont heureusement, l’exécution a été abandonnée. On avait imaginé d’élever sur la place de la Bastille un éléphant en bronze haut de 50 pieds et qui aurait jeté de l’eau avec sa trompe dans le bassin qui devait lui servir de soubassement : je me rappelle avoir vu le modèle en plâtre au temps de mon enfance, c’était hideux. Lorsqu’on démolit ce colosse informe pour faire place à la colonne de juillet, il s’en échappa quelques milliers de rats qui y avaient élu domicile.

Les fontaines laissées à la libre disposition du public, qui peut pour ses besoins y puiser gratuitement à toute heure, sont assez rares à Paris : je n’en compte que 208, — 38 dans l’ancienne ville et 170 dans la zone annexée ; c’est peu. Toutes sont disposées sur le même modèle : ce sont des bornes-fontaines munies d’un robinet à repoussoir, c’est-à-dire d’un robinet qui se referme de lui-même dès que l’on cesse de tourner le bouton. On empêche ainsi l’eau de couler inutilement et d’aller se perdre à l’égout, précaution indispensable avec l’insouciante population parisienne. Pour laver les rues, jeter dans les ruisseaux un volume d’eau capable d’entraîner les ordures qui les encombrent ou la fange qui les empeste, il faut des fontaines nombreuses, multipliées le long des trottoirs et dont la libre disposition appartienne aux cantonniers chargés de faire chaque matin la toilette de Paris. Autrefois ces bouches d’écoulement étaient toutes des bornes-fontaines qui pendant un temps déterminé coulaient à gros bouillons. Elles étaient dressées sur la marge des trottoirs : il est vrai qu’elles éclaboussaient les passans, et qu’elles encombraient la voie publique ; presque partout on les a supprimées, — il n’en reste plus que 725, — et on les a remplacées par des bouches de lavage qui sont aujourd’hui au nombre de 4,593. Une plaque en tôle couvre l’orifice, où apparaît la tête d’un robinet dont le cantonnier a la clé : il ouvre ; l’eau s’écoule, de niveau avec le pavé qu’elle baigne, dans le ruisseau qu’elle purifie ; elle est donc immédiatement souillée. Ce système a évidemment des avantages ; mais je trouve que la borne-fontaine est bien plus généreuse, je dirai bien plus humaine. L’eau en tombait d’une certaine hauteur et gardait toute sa pureté tant qu’elle n’avait pas touché le sol ; les femmes du voisinage venaient avec la marmite, avec la carafe, et avaient là sans bourse délier, l’eau quotidienne, qui est aussi nécessaire que le pain quotidien ; les enfans y buvaient, et plus d’un ouvrier altéré y a trempé ses lèvres. Il n’en est plus ainsi à cette heure : l’eau s’élance de la bouche de lavage pour s’en aller à la bouche de l’égout par un chemin fort sale. Que de fois je me suis arrêté pour regarder de pauvres femmes, trop dénuées pour payer la « voie » d’eau, trop occupées à garder la marmaille pour courir jusqu’à la borne à repoussoir, attendre que le ruisseau ait perdu ses impuretés les plus apparentes et se précipiter alors avec une casserole pour ramasser la provision d’eau dont elles avaient besoin ! Ce spectecle est pénible, et, dussent les bienfaisantes bornes-fontaines d’autrefois obstruer un peu les trottoirs et causer quelques embarras aux piétons, je voudrais les voir rétablir. La ville n’en vendra pas un seau d’eau de moins, et elle aura rendu un sérieux service à la population indigente.

Il ne suffit pas de balayer nos rues et de les « laver à grande eau, » il est indispensable par ce temps de macadam d’arroser nos promenades, nos quais, nos boulevards et d’abattre la poussière qui s’y forme incessamment sous le pied des passans et des chevaux ; il existe pour ce seul objet deux systèmes de bouches d’eau qui, tout en concourant au même but, n’ont rien de commun entre eux. Il y a 2,818 bouches d’arrosement à la lance ; la disposition en est semblable à celle des bouches de lavage, mais elles sont munies d’un pas de vis pouvant s’adapter à un long tuyau que le cantonnier promène çà et là pour diriger où il convient le jet qui s’en échappe ; cela ressemble à un serpent monté sur roulettes. Il y a en outre 100 bouches d’arrosement au tonneau qui permettent de remplir l’énorme tonne placée sur un chariot traîné par un cheval, et qui laisse couler l’eau à travers une grille longitudinale percée de petits trous. C’est le vaste arrosoir portatif que l’on conduit dans nos grandes voies de communication, qui mouille indifféremment le terrain, les promeneurs, et dont on ne saurait se garer avec trop de soin. Ce n’est pas tout : il faut penser aux fiacres, à ces pauvres chevaux que l’on surmène, qui font un métier de damné, et qui bien souvent arrivent à « la place » haletans et mourans de soif ; 155 fontaines sont spécialement destinées aux stations de voitures, et les chevaux peuvent se désaltérer à leur aise pendant que les cochers s’abreuvent chez le marchand de vin.

En Orient, lorsqu’un homme veut plaire à Dieu, il fait construire une fontaine, y attache un gobelet par une chaînette de fer et la voue aux voyageurs, à l’inconnu qui passe et qui a soif. Un étranger bienfaisant qui habite Paris a fait cadeau à sa ville d’adoption de 50 fontaines, dont 40 isolées sont déjà en service, et dont 10, qui doivent être appliquées contre les murailles, ne sont pas encore posées. Il a offert le monument en fonte, qui est uniforme, et rappelle, quoi qu’il soit composé de quatre personnages, le groupe des trois Grâces que Germain Pilon avait sculptées pour porter : l’urne où devait reposer à toujours le cœur de Henri II, et qui sont le portrait de Catherine de Médicis, de la marquise d’Etampes et de Mme de Villeroi. La ville fournit l’eau et le filtre placé au bas de la fontaine, afin que le jet arrive toujours pur. C’est là une idée très charitable et ingénieuse. L’appareil est assez élégant pour ne pas déparer nos rues, et le passant altéré peut sans peine boire un bon coup d’eau fraîche. Chacune de ces quarante fontaines est munie de chaînettes auxquelles des vases en fer sont attachés. Veut-on savoir combien on a déjà volé de gobelets ? — Soixante-trois. La part réclamée pour les usages privés augmente de jour en jour, et on est en droit d’espérer que d’ici à quelques années toute maison aura son réservoir spécial et l’eau nécessaire aux personnes qui l’habitent. La ville impose la condition de prendre une concession d’eau aux entrepreneurs qui font bâtir sur des terrains vendus par elle ; cette mesure excellente devrait être indistinctement étendue à toute construction nouvelle. Les propriétaires n’y perdraient rien, car ils sauraient sans aucun doute augmenter les baux en conséquence. Bien des compagnies industrielles se sont successivement formées pour distribuer l’eau à prix d’argent dans les maisons de Paris, toutes ont fini par sombrer, et la ville a recueilli leur héritage ; mais lorsque la loi du 16 juin 1859 eut annexé à Paris les communes suburbaines, on se trouva en présence d’une compagnie sérieuse, qui avait fait de grands frais d’installation, qui était propriétaire d’établissemens hydrauliques importans, et qui desservait ce qu’alors on appelait la banlieue. Ne pouvant la déposséder sans commettre une grave injustice, la ville transigea avec elle. Un traité intervenu le 11 juillet 1860 transforma la Compagnie générale des eaux en régie intéressée. La ville se substitue à elle dans la possession des établissemens et dans le droit de vendre l’eau ; en échange la compagnie reçoit pendant cinquante ans une somme annuelle de 1,160,000 francs, payée mois par mois, et à titre de prime le quart de la somme excédant un revenu de 3,600,000 francs (le cinquième seulement si le revenu dépasse 6 millions). Elle est chargée de faire les abonnemens, de surveiller la distribution des eaux dans les propriétés particulières, de filtrer l’eau vendue aux fontaines marchandes, de faire les recettes et d’opérer toutes les semaines entre les mains de qui de droit le versement des sommes encaissées.

Les abonnemens dans les maisons s’accroissent dans de notables proportions : on en comptait 21,921 en 1860 ; au 31 décembre 1872, ils étaient au nombre de 37,889. Le total des maisons de Paris est de 73,624, il y en a donc près de la moitié qui ne reçoivent pas encore d’eau et qui en sont réduites à la demander à des hommes qui l’achètent à l’administration pour la revendre aux particuliers. Ce sont les porteurs d’eau, qui font un métier pénible, mais assez lucratif. Qui ne se les rappelle parcourant nos rues, la sangle aux épaules, les seaux en main et criant d’une voix lamentable : « A l’eau-au ! Nous sommes débarrassés de leurs clameurs, et eux-mêmes ne tarderont pas à disparaître. La diminution est rapide : 1,253 en 1860, aujourd’hui 800, sur lesquels 79 ont des tonneaux traînés par un cheval ou par un âne, et 721 des tonneaux à bras, auxquels ils s’attellent et qu’ils manœuvrent avec effort. Ils ne sont pas libres de remiser pendant la nuit leurs tonneaux où bon leur semble : on a dû penser aux incendies et savoir où l’on pourrait trouver une réserve d’eau pour porter les premiers secours ; on leur a donc assigné soixante-trois emplacemens où chaque soir ils doivent conduire leurs tonneaux pleins. La matière a été réglée par une ordonnance de police du 7 août 1860. Paris possède 26 fontaines, dites marchandes, où les porteurs d’eau vont remplir leurs tonneaux. Un poteau, un large tuyau de cuir, une clé tournante, c’est là tout le matériel. L’eau que l’on débite dans ces fontaines y est directement amenée des réservoirs de la ville ; mais on la filtre avant de la livrer à ceux que l’on appelle indistinctement les « Auvergnats, » quelle que soit leur nationalité. L’eau traverse deux récipiens dont elle ne peut sortir qu’en passant par les mailles d’un tamis garni d’épongés, de cailloux et de laine effilochée. Comme tous les tonneaux. ont été préalablement jaugés à la préfecture de police, que le jaugeage est inscrit en grosses lettres sur la face postérieure, il n’y a jamais de discussion sur la contenance ; les 1,000, litres se paient 1 franc et sont vendus 5 fr. par le porteur : 400 pour 100 de bénéfice. Est-ce trop ? Non. Qu’on pense au nombre de voyages que ces pauvres diables sont obligés de faire à travers les escaliers obscurs ou glissans, en soutenant à l’aide de la « courbe » deux seaux pleins en équilibre sur leur épaule, et l’on ne trouvera pas que leur gain soit excessif.

Les porteurs ne sont point forcés de puiser l’eau aux fontaines marchandes, ils ont le droit d’aller la chercher à 28 fontaines publiques, dites à la sangle. On les appelle ainsi parce qu’il est défendu de s’en approcher avec des tonneaux et que l’on ne peut y remplir que des seaux qui se portent avec une sangle passée sur les épaules ; un crochet de fer aboutit à chaque anse des seaux, qui sont écartés du corps par un cercle et qui sont garnis d’une rondelle de bois dont le but est d’empêcher l’eau de vaciller et de se répandre. Cette eau arrive des réservoirs et des conduites telle qu’elle y est entrée, chargée de sels terreux, grisâtre, trouble et. peu ragoûtante à boire : on n’en use guère, et les fontaines les plus fréquentées il y a trente ans, celle de la rue Saint-Honoré, celle de la rue de Grenelle, sont presque désertées aujourd’hui. L’abonnement et les fontaines marchandes sont pour l’a ville une source de revenus qui ne pourront que s’accroître avec le temps. Nous avons vu qu’au début du siècle le prix de l’eau vendue entrait dans le budget municipal pour une somme de 385 francs ; nous sommes loin de là : pour l’année 1872, le produit a été de 6,111,295 francs ; c’est un joli denier.

En dehors de l’eau que l’administration nous procure, il existe encore à Paris environ 30,000 puits particuliers qui ne servent plus à grand usage. Pendant le siège, comme on craignait de manquer d’eau, on en remit à peu près 20,000 en bon état ; les autres n’ont même pas été visités. Placés presque toujours à une profondeur et dans un voisinage compromettans, ils ne fournissent en général qu’une eau mauvaise et fréquemment souillée. Ils étaient fort nombreux jadis, et ont dû être dans bien des quartiers une ressource importante, sinon unique. Dans les Cris de Paris, « achevé d’imprimer le cinquième jour de may mil cinq cens et quarante cinq, » on trouve la preuve que les puisatiers parcouraient les rues en offrant leurs services à haute voix :

A curer le puys,
C’est peu de practique ;
La gaigne est petite,
Plus gaigner ne puis.


Ces puits subsistent aujourd’hui, c’est tout ce que l’on en peut dire ; ils ne tarderont pas sans doute à être remplacés par des fontaines dont le tuyau ira se brancher sur les larges conduites où coulent la Seine, l’Ourcq, la Dhuis, et ils disparaîtront sans même laisser le souvenir légendaire qui a survécu à nos anciens puits publics, que tant d’ordonnances royales, d’arrêtés de la prévôté, recommandaient de ne jamais laisser découverts. Quelques rues ont conservé le nom de ceux-ci, quoique le plus célèbre d’entre eux, le Puits d’Amour, qui était situé non loin des halles, dans la rue de la Truanderie, ait été tari, comblé, rasé, sans laisser trace. Il n’en est point ainsi de ce puits à écho dont le sobriquet a été donné à la rue du Puits-qui-Parle, ni du puits que le tanneur Adam l’Hermite avait fait creuser dans le quartier Saint-Victor ; nous avons connu, les mes du Puits-Mauconseil, du Puits-de-Fer, du Puits-du-Chapitre, du Puits-Certain, du Bon-Puits, et enfin la rue du Puits, qui, après avoir été la rue du Bout-du-Monde, est devenue l’impasse Saint-Claude-Montmartre. Les fontaines marchandes, les fontaines à la sangle, les porteurs d’eau, iront rejoindre les puits publics, et nos enfans, qui auront de l’eau avec facilité aux derniers étages des maisons les plus élevées de Paris, s’étonneront que nous ayons conservé si longtemps ces moyens primitifs de pourvoir à l’un des plus impérieux besoins de l’homme.

On prend à la ville beaucoup plus d’eau qu’elle n’en vend, mais elle n’y regarde pas de trop près, et fait bien ; la proportion dépasse cependant quelque peu ce que les marchands appellent « la bonne mesure. » Les abonnés à l’eau de l’Ourcq par exemple paient pour 36,822 mètres cubes quotidiens ; mais, comme ils consomment à robinet libre, ils versent par jour 70,000 litres : c’est presque le double de la quantité à laquelle ils ont droit. Si la jauge était régulière ou possible, la ville augmenterait singulièrement son revenu. Actuellement, et en attendant que la Vanne nous ait apporté un contingent de 100 millions de litres, Paris dispose d’un volume d’eau qui varie d’un maximum de 150 litres à une moyenne de 74 litres par tête, pour une population évaluée en chiffres ronds à 1,800,000 âmes[11]. C’est beaucoup, si nous nous reportons seulement à une centaine d’années en arrière ; c’est suffisant, si l’on ne tient compte que des exigences indispensables de la vie privée et de la vie urbaine ; c’est peu, si l’on réfléchit que l’eau est un instrument de salubrité et de bien-être que l’on ne saurait prodiguer trop abondamment dans les grandes villes ; c’est presque dérisoire, si l’on se souvient de l’antiquité. Sous Nerva, Rome comptait 1 million d’habitans et pouvait recevoir de 800,000 à 900,000 mètres cubes en vingt-quatre heures, — près d’un milliard de litres, plus de 800 par tête, c’est-à-dire presque dix fois plus que notre part actuelle ; mais nous n’en resterons pas là Les embellissemens de Paris et l’hygiène réclament l’eau et l’exigent. Un jour viendra où l’on ne la ménagera pas et où elle pourra couler sans interruption, comme une source intarissable. Le 10 avril 1803, Napoléon écrivait : « Il est honteux qu’on vende de l’eau aux fontaines de Paris… Le but auquel je veux arriver est que les 50 fontaines actuelles coulent jour et nuit, depuis le 1er mai prochain, qu’on cesse d’y vendre de l’eau et que chacun puisse en prendre autant qu’il en veut[12]. » C’est là une idée juste, et quoique depuis l’époque où l’empereur parlait ainsi à son ministre Crétet Paris ait vu tripler sa population et reculer ses vieilles limites, il faut espérer que dans un avenir plus ou moins rapproché la capitale de la France aura autant d’eau à sa disposition que la Rome des césars.


MAXIME DU CAMP.

  1. Sous le règne de François Ier, on répara l’aqueduc de Belleville. « En cette dicte année (1527) fut commencé par les prevost et eschevins de la ville de Paris à faire faire tout de neuf les voultes, conduitz et tuyaulx pour la fontaine de la ville de Paris, qui ont cousté à faire plus de trente mil livres. Et furent, commencées à faire dedans terre les voultes, à Belleville sur Sablon, jusques à Paris, et fuient icelles voultes parfaictes de pierres de taille, en manière qu’on pouvait aisément aller par dedans, pour mettre les dicts tuyaulx. Et a duré l’œuvre à faire plus de quatre ans, et parfaicte en l’an 1530 ; et le tout pour le bien public. » Journal d’un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier, p. 330.
  2. La fontaine de François Ier a subsisté longtemps ; elle a été remplacée au siècle dernier par celle que l’on voit au coin de la rue de l’Arbre-Sec et de la rue Saint-Honoré.
  3. On mesurait l’eau alors par pouce et par ligne, système de jauge très défectueux, et qui entraînait à bien des erreurs. Le pouce fontainier équivalait en chiffres ronds à 20 mètres cubes en vingt-quatre heures (exactement 19m,195). Le mètre correspond à 1,000 litres ; Arcueil versait donc quotidiennement 600,000 litres d’eau à Paris.
  4. On peut facilement se rendre compte de la pénurie dont Paris avait à souffrir en consultant le plan de distribution des eaux que l’abbé de Lagrive a dressé en 1735 ; on y voit les « tuiaux du roy pour les eaux de sources, — pour les eaux de Seine, — pour les eaux de sources et de Seine, — et les tuiaux de la ville pour les eaux de sources, — pour les eaux de Seine. »
  5. On construisit en même temps une pompe à feu au Gros-Caillou, sur une partie de l’emplacement occupé par la manufacture des tabacs ; j’en ai dit quelques mots lorsque j’ai parlé de celle-ci.
  6. Le projet ne reçut une complète réalisation qu’entre 1822 et 1830, lorsque les » canaux de l’Ourcq, de Saint-Denis et de Saint-Martin eurent été creusés.
  7. Était-il enduit à l’intérieur de ce fameux ciment nommé maltha, qui, d’après les écrivains antiques, était composé de chaux vive pulvérisée et mêlée ensuite avec du vin, du saindoux, de la poix, de la cire, de l’huile et des figues ?
  8. Les sources qui lui donnent naissance sont au nombre de onze : la Bouillarde, Armentières, Bime de Cerilly, Flacy, Chigy, Le Maroy, Saint-Philibert, Malhortie, Caprais-Roy, Theil et Noé.
  9. Les élémens essentiels de ce ciment sont la chaux, la silice et l’alumine ; il renferme aussi une petite quantité de fer et de magnésie.
  10. Ces seize réservoirs sont à Passy (deux), à Monceaux, rue Racine, rue Saint-Victor, à Vaugirard (deux), au Panthéon, à Ménilmontant, à Belleville, à Gentilly (deux), à Charoune (deux), à Montmartre (deux).
  11. D’après le recensement fait en 1872, la population totale de Paris est de 1,851,792 habitans.
  12. Correspondance, t. XII, p. 265.