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Œuvres complètes de Léon DierxAlphonse Lemerre, éditeur2 (p. 135-136).
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LE SEMEUR
A Paul Verlaine.

 
Un large ruban d’or illumine la cime
Des coteaux dont la brume a noyé le versant.
L’horizon se déchire, et le soleil descend
Sous les nuages roux qui flottent dans l’abîme
Comme un riche archipel sur une mer de sang.

De confuses rumeurs s’éveillent par la plaine,
Et dans son champ, debout aux rebords des sillons,
Travailleur obstiné sous le !> derniers rayons,
Un semeur devant lui lance au loin sa main pleine,
Et chasse des oiseaux les criards tourbillons.

Et l’occident s’écroule où l’astre antique éclate,
Et le semeur, frappé d’un long et rouge adieu,
Par grands gestes, au loin, dans un sinistre jeu
Semble jeter au vent la poussière écarlate
De son cœur calciné dans sa poitrine en feu.


— Ton âme se déchire ; et voilà ta pensée
Qui sombre sous l’amas de tes rêves sanglants.
Ceint aussi d’un reflet de pourpre sur les flancs,
Aux dernières lueurs de ta gloire passée,
Homme ! à travers tes jours tu marches à pas lents.

Tu fouleras bientôt l’herbe des sépultures !
Aux becs des vieux espoirs donne un dernier repas ;
Féconde encor le champ des douleurs ; ne crains pas
L’horrible hurlement dans les gerbes futures
Dont tu pressens déjà les échos sous tes pas !

Fouille en ton sein la cendre encor chaude et vivace ;
Aux vents froids de la vie ouvre ta large main ;
Et, dans la calme nuit qui couvre ton chemin,
Vengé, vers le tombeau tu peux tourner la face,
N’ayant plus rien au cœur pour y semer demain.