Plon (4p. 90-92).


XXIX


Environ minuit, les trois compagnons sortirent du palais, et le lendemain ils veillèrent que le roi mehaigné fût enseveli comme il convenait à un roi. Puis ils prirent leurs armes, enfourchèrent leurs destriers et cheminèrent tant que, le quatrième jour, ils parvinrent au rivage de la mer. La nef de Salomon les y attendait, où ils virent le Saint Graal à nouveau couvert d’une soie vermeille, sur sa table d’argent. Dès qu’ils y furent montés, le vent les emporta. Et c’est de la sorte, sachez-le, que ceux du royaume de Logres perdirent pour leurs péchés le très précieux vase : tout de même que Notre Sire le leur avait envoyé, il le leur retira.

Longtemps la nef vogua et nulle terre n’était en vue. Un jour, Perceval et Bohor dirent à Galaad :

— Sire, vous ne vous êtes jamais couché dans le lit aux trois fuseaux, quoique le bref dise que vous devez y reposer.

Galaad s’y coucha et s’endormit, la couronne d’or sur la tête. Et, quand il se réveilla, la nef était devant la cité de Sarras. Alors il prit la table d’argent, sur laquelle se trouvait le Saint Graal, pour la transporter au palais spirituel avec l’aide de Perceval et de Bohor. Mais, comme ils allaient entrer dans la ville, ils virent un homme impotent qui mendiait à la porte, et Galaad qui était las, car la table était lourde, l’appela et lui demanda de l’aider.

— Ha, sire, que dites-vous ? répondit le mendiant. Il y a bien dix ans que je ne me traîne plus qu’à l’aide de ces deux bâtons.

— Essaye, fais de ton mieux.

Aussitôt l’homme se leva, sain comme s’il n’avait jamais été malade, et, courant à la table, il aida Galaad à la soutenir. Ainsi arrivèrent-ils devant le roi.

C’était un mécréant, extrait de lignage sarrasinois. Quand il vit que les trois compagnons étaient désarmés, il s’écria qu’ils étaient larrons et enchanteurs, et les fit prendre et enfermer dans une chartre obscure. Mais Notre Sire ne les oublia pas : il leur envoya le Saint Graal pour les réconforter, les repaître et leur tenir compagnie. Et, le dernier jour de l’année, le roi tomba malade et mourut. Comme il n’avait ni enfants ni parents, les habitants s’assemblèrent en parlement pour désigner son successeur. Or, tandis qu’ils étaient réunis, ils entendirent une Voix :

— Prenez, disait-Elle, le plus jeune des trois chevaliers que le roi a fait emprisonner à tort : il vous défendra et tiendra le royaume en paix.

Ainsi fut fait : les gens de Sarras vinrent délivrer Galaad et lui posèrent la couronne sur la tête, malgré qu’il en eût. Et son premier soin fut de bâtir une arche d’or et de pierres précieuses pour recevoir le Graal et la table d’argent dans le palais spirituel.