Plon (4p. 83-85).

XXVII

La plupart des compagnons de la Table ronde étaient de retour, et aucun d’eux n’avait eu d’aventures, car ils étaient tous trop souillés de péchés pour être dignes de la haute quête célestielle du Saint Graal ; mais on disait que beaucoup s’étaient entre-tués sans se reconnaître, et que messire Gauvain en avait occis plus de vingt à lui tout seul.

— Beau neveu, lui dit un jour le roi Artus, je vous requiers, de par le serment que vous me fîtes lorsque je vous armai chevalier, de m’enseigner combien de nos compagnons vous avez tués de votre main.

— Hélas, sire, répondit messire Gauvain après avoir un peu pensé, il m’est avis que j’en ai bien tué douze, non que je fusse meilleur chevalier qu’aucun d’eux, mais telle fut ma malchance.

— Ha, Gauvain, c’est là une grande malchance, et elle vous advint en punition de vos péchés ! Mais n’avez-vous pas occis mon neveu Yvain qui ne revient point ?

— Oui, sire, et aussi Aiglin des Vaux, et Agloval, et Bédover, et Keheddin le petit, et Carmaduc le noir, et Marganor, et Keu d’Estraux, et Blioberis, et Banin, et Malquin le Gallois, et Mélior de l’Épine. Je n’ai jamais rien fait qui m’ait causé autant de chagrin.

— En nom Dieu, beau neveu, le cœur m’en saigne ! Je perds plus par leur mort que par celle de mille chevaliers !

Ce disant, le roi se mit à pleurer amèrement ; et durant un mois il eut un tel chagrin que pour un peu plus il fût devenu fou. La reine, de même, voyant la froide mine que lui faisait Lancelot, laissait les larmes couler jour et nuit sur son clair visage. Et tous les prud’hommes aussi menaient grand deuil. Mais le conte retourne maintenant à Galaad qui chevauche par la forêt sur un destrier couleur de neige, après avoir laissé son père dans la nef de la Pucelle-qui-jamais-ne-mentit.