Plon (4p. 78-81).

XXV

Et la nacelle vogua un mois encore. La trentième nuit, elle aborda près d’un château beau et très fort, et Lancelot entendit une Voix.

— De par Dieu, disait-elle, descends et entre dans ce château : tu y trouveras partie de ce que tu cherches.

Le temps était gracieux et serein, et la lune luisait, belle et claire, de façon que Lancelot vit bien que la porte de la forteresse était ouverte ; mais il aperçut qu’elle était gardée par deux lions et il dégaina son épée pour les combattre. Aussitôt une main flamboyante apparut, qui le frappa rudement au bras, et de nouveau la Voix dit :

— Homme de peu de foi, pourquoi te fies-tu si peu à ton Créateur ? Crois-tu t’aider mieux de tes armes que de Lui ?

Du coup qu’il avait reçu, Lancelot demeura quelque temps étourdi, tellement qu’il ne savait plus s’il était jour ou nuit. Mais, en revenant à lui, il remercia Notre Seigneur d’avoir daigné le réprimander ; puis il remit son épée au fourreau, se signa et fut droit aux lions qui s’assirent et ne firent pas seulement mine de le toucher.

La porte franchie de la sorte, il reconnut le Château aventureux. Il suivit la grande rue sans voir personne, entra dans le palais qui semblait vide, traversa la salle silencieuse le clair de lune coulait sans bruit par les verrières et fut arrêté par une porte close, derrière laquelle une voix chantait la gloire de Dieu avec tant de douceur qu’on sentait bien qu’elle n’était pas d’un homme mortel. Là, il s’agenouilla, suppliant Jésus-Christ de lui montrer l’objet de sa quête, comme la Voix le lui avait promis. Alors, d’elle-même, la porte s’ouvrit.

Il en sortit une grande clarté, si grande qu’on eût cru que le soleil tout entier était dans cette chambre et dardait ses rayons. Et quand il fut remis de son premier éblouissement, Lancelot aperçut le Saint Graal sur une table d’argent, recouvert d’une soie vermeille, tout entouré d’anges qui portaient les uns des encensoirs, les autres des cierges, d’autres la croix ou des ornements d’autel, et qui servaient un homme vêtu comme un prêtre, semblant dire la messe et élever l’hostie. À cette vue, Lancelot se mit debout et voulut passer le seuil, mais aussitôt un coup de vent lui vint à l’encontre, brûlant autant qu’un brasier ardent : tout disparut à ses yeux et il tomba comme mort.

Le lendemain, les gens du château le trouvèrent devant la porte, aussi inerte et muet qu’une motte de terre. Ils le portèrent dans un lit très riche où il demeura vingt-quatre jours en transes, sans manger, sans boire, sans remuer, sans sonner mot, car sachez que Notre Sire voulut qu’il perdît le pouvoir de son corps et de ses membres durant autant de jours qu’il avait été d’années au service de l’Ennemi. Enfin il se réveilla, environ midi, vit sa haire qui pendait à une perche et voulut la reprendre, faisant paraître un grand chagrin de l’avoir quittée. Mais le roi Pellès le riche Pêcheur, qui était là, lui dit :

— Beau sire, vous pouvez bien laisser votre haire, car votre quête est achevée. Vous ne saurez pas plus de la vérité du Saint Graal que ce que vous avez vu.

Toutefois Lancelot revêtit la haire, et par-dessus il passa une robe de lin et une d’écarlate, qu’on lui apporta ; puis il demanda des nouvelles de la fille du roi Pellès dont il avait eu son fils Galaad. Quand il apprit qu’elle était morte, il en sentit une très grande douleur en son cœur. Pourtant, l’heure du manger venue, lorsqu’il vit la colombe blanche voler par la salle, portant au bec son encensoir d’or ; puis le Saint Graal paraître, suspendu dans l’air sous son voile de lin, et passer devant les tables, d’où les mets les plus délicieux semblaient sortir ; et qu’il trouva devant lui tout autant de bonnes viandes qu’il y en avait devant les chevaliers du château : alors il connut que Dieu l’avait favorisé de Sa grâce et son deuil s’apaisa.