Le Saguenay et la vallée du lac St. Jean/Chapitre 9

Imprimerie de A. Côté et Cie (p. 201-216).

CHAPITRE IX


LE LAC SAINT-JEAN


I


Nous voilà enfin arrivés devant cette petite mer qui est restée en quelque sorte légendaire jusqu’à nos jours, dont le nom frappe encore singulièrement bien des oreilles, et sur laquelle a plané pendant bien longtemps le voile mystérieux qui couvre l’immense solitude du nord. Il y a trente ans à peine, personne n’aurait osé croire qu’on pût seulement se rendre jusqu’au lac Saint-Jean ; c’était tellement loin dans le nord ! Le pays qui l’entourait ne pouvait être que la demeure des animaux à fourrures, et, seuls, les Indiens étaient regardés comme pouvant se hasarder dans ces sombres retraites que protégeait la chaîne des Laurentides et que défendait contre l’homme une nature réputée inaccessible. C’était un préjugé sans doute, mais avouons que ce préjugé qui représentait comme inaccessible à la colonisation et à la culture toute la région du Lac Saint-Jean, avait quelque raison d’être, car cette région a une physionomie qu’aucun autre aspect du Canada ne rappelle. Voyez se balancer, s’agiter ou s’endormir sur son lit de sable et d’alluvion, cette petite mer intérieure, semblable à un énorme crabe étendant dans tous les sens ses longues et nombreuses rivières, comme autant de tentacules, toutes prêtes à saisir les colons et à les attirer quand même sur le sein du monstre ! Elle n’est pas enfouie dans les dépressions des montagnes comme tant d’autres lacs de notre pays qui ressemblent à des coupes profondes laissées par les eaux en retraite ; mais elle s’étale avec une négligence dédaigneuse sur un fond sans cesse mouvant, élargissant ou rétrécissant ses limites suivant les saisons, s’élevant ou s’abaissant sans marée, rongeant ses rives ou bien les exhaussant par les accumulations répétées de sable et de terre végétale que lui apportent ses tributaires. Elle n’est pas enclavée dans un cercle infranchissable, réduite à une immobilité passive et monotone, mais elle joue librement sur un lit incertain que les années l’une après l’autre déplacent ; elle s’ébat, chante ou gronde tour à tour sur les molles et grasses rives d’une plaine qu’elle recouvrait jadis tout entière et qu’elle a laissée depuis longtemps à nu, après l’avoir fécondée pendant des siècles ; elle a certaines senteurs propres qui traversent l’atmosphère qui l’entoure et vont s’exhaler au loin dans les bois et les champs ; on la pressent aux fraîches bouffées qui s’échappent de son sein et on croit l’entendre avant de l’avoir aperçue, dans les échos ranimés, dans les frais murmures qui emplissent l’air, lorsqu’on arrive enfin au terme du long et ennuyeux trajet qu’on a parcouru à travers toute la presqu’ile de Chicoutimi.

Le voilà donc devant nous, ce Lac dont la renommée, chargée de légendes, a déjà volé vers de nombreux pays. La voilà, cette région du Lac Saint-Jean qui a tant exercé les imaginations depuis quelques années, dont on a tant parlé, que l’on connait si peu, et vers laquelle se portent de si nombreuses, de si ardentes espérances. La voilà, cette étrange petite mer, avec son peuple de poissons aussi étranges qu’elle-même : le wananish, qui ne se pêche guère que pendant six semaines, du 1er juin au 15 juillet, qui fait bondir des heures entières la main du pêcheur qui s’obstine après lui, qui fait des sauts de quinze pieds et qui franchit une chute aussi aisément qu’un ruisseau, plus alerte, plus vigoureux, quoique plus petit, et plus rapide que le saumon lui-même ; la munie, qui a la queue et la couleur de l’anguille, la forme du crapaud de mer, et la tête comme celle de la morue, quoique un peu plus plate ; l’atosset, autre produit singulier qui vient on ne sait d’où et dont les ancêtres ont dû faire de nombreux croisements ; enfin, le brochet, mais le brochet monstre, qui a jusqu’à six et sept pieds de longueur, qui exerce un terrible brigandage dans le Lac, toujours à l’affût de quelque proie, et qui saisit sans façon les pieds des nageurs qui se hasardent au large, en leur faisant de remarquables blessures… La voilà enfin, exposée à nos regards, cette petite mer songeuse au fond de sa large et féconde vallée qui nous attire et nous invite à la parcourir en tous sens, à venir faire la preuve de tout ce qu’on a promis en son nom et à reconnaître s’il existe vraiment, sous de pareilles latitudes, une terre privilégiée qui puisse devenir plus tard un des grands centres de population du nord de la province. Partons donc pour cette nouvelle campagne ; allons reconnaître la vallée du Lac, faisons-en le tour, et voyons ce qu’elle réserve aux colons par ce qu’ont pu y faire déjà en moins de vingt ans les colons actuels, tout en remarquant d’avance que les plus fertiles parties de la vallée ne sont pas encore, pour la plupart, ouvertes à la colonisation.


II


Le lac Saint-Jean, appelé par les Indiens « Peaguagomi, » qui signifie « lac plat, » est situé dans une immense vallée et est le réservoir de plusieurs grandes rivières, dont quelques-unes prennent leur source dans les hauteurs qui séparent le territoire de la baie d’Hudson de celui de la province de Québec. Il est situé au 48e degré, 32’, 37” de latitude nord, et entre le 71e et le 72e degré de longitude ouest. Il est à 48 milles de Chicoutimi, à cent milles environ au nord de Québec et à 125 milles à l’ouest nord-ouest de Tadoussac. Il couvre une superficie d’environ 510 milles carrés et sa circonférence est de plus de 100 milles.

La forme du lac Saint-Jean est presque ovale, sa plus grande largeur étant de trente milles, de l’embouchure de la Métabetchouane à celle de la Péribonca, et sa moindre largeur de dix-huit milles, entre la pointe Saint-David à l’est et la pointe Bleue à l’ouest. Il n’a que deux issues, comme nous l’avons déjà dit, la Grande et la Petite Décharge, dont la réunion, quelques milles plus loin, forme la rivière Saguenay. Sa profondeur est assez peu variable. À Métabetchouane, sur une étendue de plusieurs milles, de gros navires pourraient passer tout près du rivage dans les hautes eaux du printemps ; mais, en général, les bords du lac sont tellement plats que les goëlettes même, ne jaugeant pas plus de 30 à 40 tonneaux, ne peuvent en approcher ; et cela surtout à l’embouchure des rivières, parce que ces rivières charroient avec elles une quantité énorme de terre d’alluvion et de détritus végétaux arrachés à leurs rives.

Il faut aller à deux ou trois milles du rivage pour trouver une profondeur d’eau qui varie entre deux et neuf brasses ; jusque-là elle n’est guère que de trois pieds et souvent de moins que cela même, ce qui donne lieu à la grande fréquence de la houle au moindre vent ; le lac s’agite et se gonfle comme la mer dans la tempête ; ses bas-fonds semblent se soulever ; l’eau qui les recouvre, battue avec violence, s’échauffe et devient tiède ; les vagues, au moindre souffle du nord-ouest, s’élèvent à une hauteur étonnante, ce qui fait que la seule navigation possible sur ces bas-fonds, celle qui se fait en canot, devient extrêmement dangereuse.

Ce peu de profondeur du lac et la température élevée de ses eaux, lorsque le vent les fouette, en donnant lieu à une évaporation rapide, peuvent servir d’explication à un fait qui, sans cela, serait assez difficile à comprendre, c’est que six rivières comparativement larges et plusieurs autres plus petites se déversent dans le lac, tandis qu’il n’en sort qu’une, et encore est-ce une rivière de dimensions restreintes.

Le printemps, à la fonte des neiges, le lac, nourri par les grandes rivières du nord, hausse rapidement son niveau. Il atteint souvent vingt-cinq pieds en quinze jours et même trente pieds au-dessus de son niveau d’hiver ; c’est alors que les deux décharges deviennent insuffisantes pour déverser dans le Saguenay le trop plein de ses eaux, et le Lac se précipite sur ses rives qu’il ronge, arrache et fait crouler pêle-mêle dans les sables qu’il pousse en tous sens.

En automne, lorsqu’il pleut, le lac gonfle rapidement et s’affaisse aussi vite lorsque la pluie cesse, surtout lorsque le vent souffle dans la direction du nord-ouest, ce qui arrive souvent, ou encore dans la direction du sud-ouest, ce à quoi le lac est fort exposé. Il se couvre alors d’écume et ses fonds mobiles, brisés en maints endroits, se creusent ou s’entassent sur la rive nord, en déplaçant le chenal des rivières à leur embouchure, de telle sorte qu’en automne il devient impossible d’y naviguer sans bouées.

L’hiver, le lac prend à glace dans toute son étendue ; mais ce n’est pas avant le dix décembre qu’on peut le traverser sans péril, quoique la glace commence à se former un mois environ avant cette date. Vers la mi-février, il devient impassable et l’on ne peut aller que sur les bords. Au printemps, les bords du lac seulement sont navigables vers la fin d’avril, et il faut attendre encore une douzaine de jours avant que la glace n’ait disparu de toute la surface. — Mais, même durant la belle saison, le lac n’est navigable, comme nous l’avons dit ci-dessus, que dans des canots ; il serait cependant facile de le rendre tel pour des goëlettes d’un fort tirant d’eau, en faisant des sondages et en plaçant des bouées ou des phares à l’endroit des bas-fonds.

Le lac Saint-Jean communique non-seulement avec le Saint-Laurent par le Saguenay, mais aussi avec le grand lac Mistassini, après une succession de portages, sur un parcours de cent cinquante lieues. Du lac Mistassini, appelé aussi lac des Baies, à cause de sa forme qui n’est guère qu’une suite de grandes baies presque parallèles, il est facile de se rendre à la baie d’Hudson par la rivière Rupert qui coule entre cette grande baie et le lac Mistassini. On peut atteindre le Saint Laurent du côté ouest par la rivière Batiscan et le Saint-Maurice, et de même l’Ottawa, au moyen de divers lacs et ruisseaux qui forment une chaîne à peine interrompue entre le lac Saint-Jean et les sources de la Gatineau, d’où l’on peut faire trois cents milles en petite embarcation jusqu’à son confluent avec l’Ottawa.

Il y a donc tout autour du lac Saint-Jean un vaste système de communications par eau, qui sont naturellement très-avantageuses à la colonisation et qui offriront un jour de grandes facilités au commerce de la vallée, quoiqu’elles ne puissent avoir lieu que par des rivières accessibles seulement aux petites embarcations. Les principales de ces rivières sont, au sud du lac, la Métabetchouane et la Ouiatchouane. La première prend sa source dans le lac aux Rognons, à environ quatre-vingt milles de son embouchure. Elle sort de ce lac par une succession de cascades et de rapides qui atteignent parfois une hauteur de deux cents pieds, jusqu’à ce qu’elle arrive à l’endroit où les eaux qui tombent dans le Saint-Laurent par la rivière Batiscan se séparent de celles qui vont se jeter dans le lac Saint-Jean par la Métabetchouane.

C’est à l’embouchure de cette rivière que les Jésuites avaient autrefois leur établissement dont nous avons parlé en détail dans un précédent chapitre. Aujourd’hui on y voit un bateau à vapeur de la maison Price qui vient chercher les trains de bois pour les conduire à la grande Décharge, d’où ils s’écouleront dans le Saguenay. L’établissement des Jésuites a été remplacé par un poste de la compagnie de la Baie d’Hudson.

La Ouiatchouane, dont le nom indien veut dire « vois-tu la chute, » sépare les deux paroisses de Saint-Louis et de Notre-Dame du Lac, celle-ci appelée communément la Pointe Bleue. Elle prend sa source à sept milles du lac Quaquagamaque et se décharge dans le lac Saint-Jean après un cours de soixante milles, et en se précipitant d’une hauteur de 236 pieds. M. Bouchette raconte, dans son rapport sur l’expédition de 1828, qu’il se rendit au lac Quaquagamaque en suivant nombre de rivières et de petits lacs qui l’y avaient conduit à partir de la vallée du Saint-Maurice, et que là il monta sur une éminence rocheuse très élevée, (le mont Découverte) au pied de laquelle coulait une rivière dans une série de cascades. De cette hauteur, il embrassa vers le sud-ouest une vaste contrée d’un niveau uniforme, semblable à une mer. En redescendant, il suivit un ruisseau d’une eau tranquille qui le conduisit à la rivière Ouiatchouane, (En cet endroit, la Ouiatchouane arrose un large espace couvert d’alluvion). À deux milles et demi plus bas que le mont Découverte est le lac des « Commissaires » qui a près d’un mille de largeur là où la rivière y fait son entrée.

Les bords en sont escarpés et montagneux, boisés de sapin, de pin, d’épinette et de bouleau. Plus loin, le long du lac, le paysage devient admirable, d’une grandeur saisissante. Le lac des Commissaires a sept lieues de longueur et une largeur moyenne d’un demi mille.

À sa sortie du lac Ouiatchouane, qui communique avec celui des Commissaires, la rivière suit un cours rapide et qui va s’élargissant au milieu d’un pays fort propre à la culture, couvert de frênes, de bouleaux, d’ormes, d’épinettes, de sapins et de quelques pins blancs ; puis viennent en succession de nombreux rapides que l’on peut franchir, jusqu’à ce qu’on arrive à la grande chute de 236 pieds qui n’est pas à plus d’un mille du lac Saint-Jean, et à environ 290 pieds au dessous du niveau du lac Ouiatchouane. Du pied de la chute jusqu’au Lac, la rivière n’est qu’un rapide continuel. Autrefois on y pêchait beaucoup le poisson blanc, à partir du 15 octobre, et l’on en prenait assez pour en faire commerce et pour l’exporter, sans compter que les gens du poste de Métabetchouane et les Indiens en faisaient leur nourriture ordinaire jusqu’au printemps suivant.


III


On a dit, il y a longtemps déjà, que la vallée du lac Saint-Jean deviendrait un jour le grenier de la province de Québec ; le fait est qu’elle peut former à elle seule une province entière, et, dans tous les cas, elle est destinée à être avant peu d’années un vaste siége d’approvisionnements pour la capitale, en même temps que l’objet vers lequel se tourneront les plus actives et les plus sérieuses tentatives de colonisation.

Il n’y a guère plus de douze ans, c’est à peine s’il existait un chemin entre la Grande Baie et le Lac ; dans les autres parties de cette région encore alors aux sept-huitièmes déserte, il n’y avait que des ébauches de routes, et quelques centaines de familles seulement y étaient établies. Aujourd’hui, la colonisation, se développant sans cesse, tend à enserrer le lac tout entier ; la voilà déjà qui avance rapidement vers l’ouest par les townships Normandin et Albanel ; bientôt elle va envahir le nord, et les vallées de la Péribonca et de la Mistassini déploieront pour l’homme toute leur fécondité. C’est que la région du Lac Saint-Jean possède des avantages exceptionnels de sol et de climat qui la rend éminemment productrice et en font peut-être le meilleur champ de culture de toute la province.

« Le climat du Lac Saint-Jean, » disait M. Bouchette il y a déjà un demi-siècle, « est aussi doux et même plus doux que celui du Montréal. Quand, à Chicoutimi, les oignons, les patates et les choux gelaient le 23 septembre 1832, ils étaient restés absolument intacts au lac Saint-Jean jusqu’au 12 octobre. On peut cultiver même le melon sur les bords du Lac, et les nuits y sont moins froides que dans le reste du pays. En 1828, la récolte manquait presque complètement dans le district de Montréal et dans le Haut-Canada, tandis que le blé du lac Saint Jean était venu très-bien. Avant même que le Lac ne soit libre de glace au printemps, la terre y est propre à la culture, du moins jusqu’à un pied de profondeur, ce qui suffit pour semer diverses espèces de légumes. »

Le lac Saint-Jean est pourtant à trente lieues au nord de Québec, en ligne droite, mais il est entouré d’un cadre de montagnes qui se rapprochent assez de ses rives du côté sud, et s’en éloignent jusqu’à 30 à 35 milles du côté nord et ouest. Ces montagnes formaient l’ancien rivage du Lac. Il y a moins de neige au nord des Laurentides qu’au sud ; dès qu’on a dépassé la hauteur des terres, on sent de suite la différence ; le printemps y commence deux, et même trois semaines plus tôt qu’à Québec. Les montagnes au nord de la vallée ne sont pas aussi hautes que celles qui sont au nord-est, ce qui fait que le vent de nord-est est à peu près inconnu dans cette région, et, quand il souffle, il est toujours plus sec et plus léger. C’est que le vent de nord-est change de caractère en changeant de pays. Ce vent, qui est le fléau de la rive sud du Saint Laurent, vient d’une étendue de mers dont la surface prolongée jusqu’au pôle le sature sans interruption d’humidité et de froid ; mais à mesure qu’on avance dans l’intérieur du pays, il diminue graduellement d’intensité ; il est plutôt sec qu’humide, plutôt léger et agréable que pesant et fâcheux. La raison en est que le vent de nord-est n’arrive dans l’intérieur du pays qu’après avoir franchi un rempart de montagnes où il se dépouille des vapeurs dont il était chargé.

Le Lac étant abrité ainsi des deux côtés, le climat y est comparativement doux. Il est aussi bien moins variable, plus réglé que dans le reste de la province ; c’est ce qu’attestent les observations météorologiques faites à différents intervalles et les tableaux de comparaison dressés par les arpenteurs qui en ont fait une étude spéciale. Les chaleurs et les pluies n’y sont pas excessives comme dans la plus grande partie du district de Québec ; en un mot, le bassin du lac Saint-Jean est placé dans les circonstances climatériques les plus favorables pour la culture de tous les grains qu’on récolte généralement dans nos campagnes. Le blé d’automne, dont on a fait l’essai récemment, y vient fort bien, et de mieux en mieux, à mesure qu’on avance vers l’ouest.

M. John Sullivan, arpenteur, rapporte que l’orge et le blé du lac Saint-Jean étaient, en 1873, les plus beaux qu’il eût jamais vus ; la feuille de la patate y était encore verte dans la dernière quinzaine d’octobre, ce qui prouve que le climat de la vallée est favorable aux céréales et aux plantes potagères. Du reste, c’est un fait connu que le blé du Lac Saint-Jean est supérieur même à celui de la province d’Ontario. Presque tous les ans les colons ont un excédant de production, mais ils peuvent difficilement l’écouler, faute de marchés rapprochés. Le marché qui est le plus à proximité d’eux est Chicoutimi ; mais, pour y atteindre, il leur faut faire un trajet de cent milles de longueur, s’ils habitent à l’extrémité ouest du Lac.

La rive sud du Lac est moins fertile et bien moins profonde que les rives nord et ouest ; cependant, entre Métabetchouane et les environs de la Mistassini il y a plus de trois cent mille acres de terre arable. Le terrain y est parfois excellent, étant formé d’une riche terre noire, souvent argileuse et couverte d’une belle couche végétale.

La partie sud et est du Lac, entre Métabetchouane et la grande Décharge, comprenant les townships Métabetchouane, Caron et Signaï, renferme plus de cent mille acres de bonne terre. Le nord et l’est du Lac et toute la rive gauche du Saguenay jusqu’à Chicoutimi, contiennent, d’après M. l’abbé Pilote, près de quatre millions d’acres de terre arable.

« Voilà » dit-il, dans sa brochure sur le territoire du Lac Saint-Jean, écrite en 1851, « de l’espace pour loger bien du monde. C’est presque autant que les six grands comtés qui forment les townships de l’est, Sherbrooke, Stanstead, Shefford, Missisquoi, Drummond et Mégantic lesquels contiennent près de cinq millions d’acres.

Il n’est peut-être pas hors de propos de présenter ici le tableau suivant qui indique comment s’est développé le comté de Chicoutimi, dans les conditions les plus désavantageuses, pendant la décade écoulée entre 1861 et 1871. Ce tableau est emprunté, de même que celui qui le suit, au Recensement du Canada et aux rapports du département des terres de la Couronne.

COMTÉ DE CHOCOUTIMI 1861 1871 Proportion de l’augmentation
Population du comté 10,478 17,493 67
Population de deux des townships du Lac (Labarre et Roberval) comme point de comparaison du progrès obtenu 544 5,244 938
Minots de blé récoltés 10,912 136,009 1,147
« d’avoine » 39,316 117,249 198
« d’orge » 39,922 71,210 78
« de patates » 101,382 156,996 55
Tonneaux de foin 3,648 5,966 63
Livres de beurre 61,777 148,106 140
Têtes de bétail 18,746 44,722 139
Arpents de terre en culture 40,415 87,345 116

BLÉ récolté dans le comté, comparé avec les meilleurs districts ruraux d’Ontario

COMTÉ DISTRICT Population 1871 Minots de blé récoltés Par 1000 de population
Chicoutimi Lac Saint-Jean 17,493 136,099 7,780
Simcoe (le comté d’Ontario qui produit le plus de blé) 57,389 509,965 8,886
Muskoka, ce célèbre district nouveau vers lequel la province d’Ontario dirige son émigration, et où elle jette plusieurs lignes de chemin de fer, dont l’une reçoit de Toronto une forte subvention 5,400 4,631 8,886

Ajoutons qu’en 1871 il n’y avait dans le comté de Chicoutimi que 80,830 acres de terre en culture, sur 255,338 qui avaient été concédés.

Sir William Logan et M. Richardson, qui ont exploré la région du Lac Saint-Jean pour le département géologique, ont déclaré qu’on ne saurait trouver nulle part un sol d’alluvion d’une aussi grande épaisseur, un pareil fonds d’argile, sous lequel on rencontre partout une couche de pierre calcaire. Le fait est que le fond du lac Saint-Jean n’est guère autre chose que de la pierre calcaire et que toute la rive ouest en est formée.

Les argiles marines, généralement recouvertes de sable et de gravier, ce qui rend le sol très-friable, se trouvent presque partout entre la baie Ha ! Ha ! et le côté ouest du Lac, ainsi qu’entre cette baie et Chicoutimi.

C’est à l’ouest, au nord et au nord-est du Lac que l’on découvre les plus belles terres, et nous pouvons dire que là se trouve l’avenir de ce beau pays, que c’est là que la colonisation va prendre son développement sur une véritable grande échelle, pourvu que les habitants du Lac Saint-Jean puissent enfin être mis en mesure de communiquer rapidement avec la capitale au moyen d’un chemin de fer qui transporte leurs produits et en permette l’écoulement prompt et assuré.