Traduction par Léon Feer.
Ernest Leroux (Bibliothèque orientale elzévirienne, XXIp. 3-49).


PRÉAMBULE




ADORATION AUX TROIS JOYAUX 1





En ce temps-là 2, Bhagavat, ayant réalisé la Bodhi 3 au-dessus de laquelle il n’y a rien, fut absorbé dans les méditations suivantes : il retrancha tout désir, se mit dans un état de calme complet et s’éleva au plus haut degré ; après quoi il resta plongé dans la grande Samâdhi 4 et vainquit ainsi toutes les troupes de Mâra 5.

Alors, pour sauver les êtres, il songea profondément à faire tourner la roue de la loi 6. En conséquence, il se rendit à Richipatana dans le bois des Gazelles 7, où, ayant fait tourner pour les cinq, savoir l’Ayuchmat Kaundinya et les autres 8, la roue de la loi des quatre vérités 9, il établit ces personnages dans la voie et le fruit 10.

Ensuite d’autres Bhixus s’approchèrent de Bhagavat, et, sous forme de question, soumirent à Bhagavat les doutes de leurs esprits. Bhagavat leur donna une instruction complète et les délivra entièrement des doutes de leurs esprits. Alors faisant l’Anjali 11 en s’inclinant du côté où était Bhagavat, ils prêtèrent respectueusement l’oreille à l’enseignement de Bhagavat.

En ce temps-là, Bhagavat prononça (cette portion de) la bonne loi appelée les « Quarante-deux articles. »


I


LE ÇRAMANA. — L’ARHAT


Quitter ses parents, déserter sa maison pour être initié, et, se livrant assidûment à l’étude, contempler la nature de l’esprit et s’appliquer à discerner le principe de la non-composition, c’est devenir ce qu’on appelle un Çramana (« Ascète, qui se dompte soi-même »).

Persévérer dans l’observation des 253 règles de la morale 1, sans en omettre une seule, faire des efforts énergiques et soutenus dans le chemin des quatre vérités, réussir à le suivre, et se purifier complètement, c’est devenir ce qu’on appelle un Arhat 2.


II 1


LES QUATRE DEGRÉS DE PERFECTION


Bhagavat dit encore :

L’Arhat (peut), en s’élevant dans les régions supérieures du ciel, faire voir toutes sortes de manifestations surnaturelles et de transformations ; il peut ébranler dans toutes leurs parties les régions du monde, et même prolonger, autant qu’il lui plaît, le temps de sa vie 2.

Après lui vient l’Anâgami 3 (« qui ne revient pas »). L’Anâgami, après sa mort, renaît successivement dans dix-neuf résidences divines, et là, dans ces résidences mêmes, il obtient l’état d’Arhat.

Après celui-ci vient le Sakridâgami (« qui revient une fois »). Le Sakridâgami, après sa mort, renaît dans les régions supérieures, puis étant revenu (dans ce monde, une seule fois, il y) obtient l’État d’Arhat.

Après celui-ci vient le Çrota-âpanna (« qui est entré dans le courant »). Le Çrota-âpanna, après être mort (sept fois) et rené sept fois, obtient à la fin l’état d’Arhat 3.

Celui qui renonce complètement aux désirs est comme celui qui se couperait les membres du corps ; il ne peut plus en faire usage.


III


LA PERFECTION ABSOLUE


Bhagavat dit encore :

Quand les Bhixus initiés ont supprimé les désirs, connu à fond (la nature de) leur propre esprit, pénétré le sens profond de la loi du Buddha (qui est le principe de) la non-composition, et que, par ce moyen, ils en sont venus à ne rien obtenir, à ne rien rechercher, à n’être point liés par la voie, ni embarrassés par les affaires, à ne point penser, ne point agir, ne point méditer, ne rien manifester au dehors, ne s’attacher à rien, en sorte que, par leur propre nature, ils s’élèvent à un état supérieur et merveilleux, c’est en cela que consiste ce qu’on appelle la voie 1.


IV


LE RÉGIME DES MOINES


Bhagavat dit encore :

Ceux qui, devenus Bhixus 1, après avoir eu la tête et les cheveux rasés, sont entrés à l’école de Bhagavat, ceux-là renoncent aux biens du monde, demandent l’aumône, mangent une seule fois (par jour) à midi, font ensuite leur lit au pied d’un arbre, et par modération ne doivent pas prendre (de nourriture) une deuxième fois.

Pourquoi cela ?

C’est que, par suite de l’attrait des désirs, les hommes agissent avec aveuglement.


V


LES DIX PÉCHÉS


Bhagavat dit encore :

Les êtres pratiquent la vertu de dix manières différentes, et c’est de dix manières aussi qu’ils pratiquent le vice.

Quelles sont ces dix (manières) ? — Il y en a trois par le corps, — quatre par la parole, — trois par la pensée 1.

Quelles sont les trois manières (de pécher) par le corps ?

Ôter la vie (meurtre), — prendre ce qui n’a pas été donné (vol), — se mal conduire sous l’empire de la passion (adultère et fornication).

Quelles sont les quatre manières (de pécher) par la parole ? — Dire des mensonges, — dire de vaines paroles, — dire des paroles dures, — médire.

Quelles sont les trois manières (de pécher) par la pensée ? — Le désir d’avoir (convoitise ou cupidité), — le désir de nuire (haine et envie), — l’ignorance qui empêche de croire aux trois joyaux et produit des vues fausses (incrédulité) 2.

Les Upâsakas 3 assez vigilants pour ne pas s’écarter des cinq préceptes de la loi et pour pratiquer les dix espèces de vertus 4 obtiendront certainement le fruit.


VI


L’ACCUMULATION DES PÉCHÉS


Bhagavat dit encore :

Les hommes qui commettent beaucoup de péchés et ne s’en repentent pas peu à peu, amassent continuellement des actes coupables dont le fruit mûrit en eux-mêmes. Il en est comme des cours d’eau qui descendent vers le grand Océan, et qui, devenant par eux-mêmes (toujours plus) profonds et toujours plus larges, finissent par être difficiles à traverser.

Les hommes, qui, ayant vu leurs fautes, prennent un engagement pour l’avenir, augmentent par là en eux-mêmes les conditions de vertu, de manière à ce que le péché s’éteigne graduellement ; et ainsi, ils obtiendront malgré tout la (droite) voie.


VII


PATIENCE DANS LES INJURES


Bhagavat dit encore :

Les hommes fous ont beau commettre contre le Tathâgata des actions méchantes, non vertueuses, il les accepte 1 par l’effet de son immense compassion ; ils ont beau le tourmenter en redoublant leurs invectives déréglées, il redouble (de douceur à leur égard) et les protège par la compassion d’un amour sans bornes et sans cesse renouvelé.

Par cette raison, le Tathâgata augmente le trésor de ses mérites religieux et de ses qualités, tandis que le dommage et la douleur s’attachent à ces hommes.


VII bis 2


IMPASSIBILITÉ DU SAGE


Un fou (se fondant) sur ce qu’il avait entendu dire que le principe de la conduite du bienheureux Buddha était essentiellement la compassion et l’amour et que, en conséquence, les outrages avaient pour unique résultat de le faire redoubler d’amour, vint auprès de Bhagavat et l’injuria ; mais Bhagavat resta sans rien dire : « C’est un homme stupide, sans lumière, un fou » pensa-t-il, par l’effet de sa grande compassion.

Les outrages finis, Bhagavat lui dit : « Mon fils, quand tu vas offrir ton hommage à quelqu’un et que cet hommage n’est pas agréé, qu’y a-t-il à faire ? » — « À le remporter 3 », répondit l’homme. — Bhagavat reprit : « Mon fils, les outrages que tu viens d’adresser au Tathâgata, il ne les a pas pris pour lui ; remporte-les donc, la douleur sera pour toi ».

Il en est comme de l’écho qui suit la voix, de l’ombre qui suit le corps ; ainsi le fruit n’abandonne pas l’acte (non plus que celui qui l’a fait).

Qu’on s’abstienne donc des actes pervers et coupables.


VIII


INVULNÉRABILITÉ DU SAGE


Bhagavat dit encore :

Les méchants qui outragent les bons ressemblent à celui qui lancerait un crachat vers le ciel. Le ciel ne pouvant pas être sali par le crachat, c’est (l’homme) lui-même qui est sali.

Ils ressemblent encore à celui qui jetterait de la poussière contre un adversaire placé du côté d’où vient le vent ; la poussière, ne pouvant pas atteindre l’adversaire, revient (sur elle-même) et contre celui (qui l’a jetée).

Les bons n’étant pas accessibles à l’outrage, comme on ne fait pas de tort aux bons, c’est soi-même qu’on amoindrit (en voulant leur nuire).


IX


LES MÉRITES RELIGIEUX SONT INALTÉRABLES


Bhagavat dit encore :

Ceux qui apprennent à pratiquer (la loi) doivent s’appliquer avec énergie à l’amour et à la compassion (et) surtout (ils doivent) faire des dons. Les avantages du don sont fort grands. Lorsqu’on pratique bien la loi avec un cœur pénétré du sentiment de l’obligation, les mérites religieux qui en dérivent sont très grands 1.

En voyant (les autres) pratiquer la loi, on retire déjà du profit dans le moment même, et on éprouve de la joie ; toutefois, il reste encore à recueillir le fruit (quand il sera) mûr 2.

Quelqu’un dit :

Bhagavat, s’il en est ainsi, les avantages des mérites religieux acquis de la sorte ne sauraient donc diminuer ?

Bhagavat répondit :

Il en est comme d’un grand feu qui serait allumé quelque part, et où l’on viendrait des quatre points cardinaux prendre des tisons pour allumer du feu et cuire des aliments : bien qu’il fasse disparaître les ténèbres, ce feu ne s’éteint pas pour cela. Il en est de même des avantages assurés par les mérites religieux.


X


GRADATION DES AUMÔNES ET DES DIGNITAIRES


Bhagavat dit encore :

L’acte de donner de la nourriture à cent hommes du commun 1 n’est rien auprès de celui de donner à un seul homme de bien.

L’acte de donner de la nourriture à mille hommes vertueux n’est rien auprès de celui d’en donner à un seul homme observateur des cinq bases de l’enseignement.

L’acte de donner de la nourriture à dix mille observateurs des cinq bases de l’enseignement n’est rien auprès de celui d’en donner à un seul Çrota-âpanna.

L’acte de donner de la nourriture à cent mille Çrota-âpanna n’est rien auprès de celui d’en donner à un seul Sakridâgami.

L’acte de donner de la nourriture à un million de Sakridâgami n’est rien auprès de celui d’en donner à un seul Anâgami.

L’acte de donner de la nourriture à dix millions 2 de Anâgami n’est rien auprès de celui d’en donner à un seul Arhat.

L’acte de donner de la nourriture à cent millions d’Arhats n’est rien auprès de celui d’en donner à un seul Pratyekabuddha 3.

L’acte de donner de la nourriture à un milliard de Pratyekabuddhas n’est rien auprès de celui d’inviter un seul Buddha au repas de midi.

Pourquoi cela ?

Cela est (ainsi) à cause du désir de rechercher 4, d’apprendre à fond la voie du Buddha, et de procurer le bien de tous les êtres. En conséquence, l’offrande de nourriture faite à tous ceux qui sont bons produit une grande masse de mérites religieux. L’hommage rendu aux génies bons ou mauvais et aux Bhûtas 5 du monde ne vaut pas le respect et l’honneur dont on entoure ses père et mère. Les père et mère sont le champ le plus excellent des mérites religieux 6.


XI


LES VINGT CHOSES DIFFICILES


Bhagavat dit encore :

Il y a, dans le monde, vingt choses difficiles :

1. Il est difficile de donner l’aumône, quand on est pauvre.

2. Il est difficile de s’instruire dans la voie, quand on est riche.

3. Il est difficile de faire le sacrifice de sa vie (ou de quitter la vie volontiers) 1.

4. Il est difficile de comprendre la bonne loi aux enseignements multiples.

5. Il est difficile de naître dans une région, théâtre de l’apparition d’un Buddha.

6. Il est difficile de ne pas céder aux passions et de leur tenir tête.

7. Il est difficile, quand on a vu une chose agréable, de ne pas la désirer.

8. Il est difficile de posséder la richesse et la puissance sans se laisser dominer par elles.

9. Il est difficile de recevoir des outrages sans se mettre en colère.

10. Il est difficile, quand on a trouvé un champ d’activité, de n’y pas attacher son cœur.

11. Il est difficile, même après avoir beaucoup appris, d’atteindre le terme (désiré de la science).

12. Il est difficile de ne pas mépriser ceux qui manquent d’instruction.

13. Il est difficile de surmonter l’orgueil qui dit toujours « moi ! ».

14. Il est difficile de rencontrer un ami de (la) vertu 2.

15. Il est difficile de connaître la vraie nature de l’esprit, de manière à s’instruire dans la voie.

16. Il est difficile de n’être plus ébranlé par rien, dans le moment où on atteint le port 3.

17. Il est difficile de ne recourir qu’à des procédés absolument raisonnables 4.

18. Il est difficile de convertir (les êtres) de manière à ce qu’ils s’accommodent à la nature (des choses).

19. Il est difficile de mettre son esprit dans un état de repos complet.

20. Il est difficile de garder le silence sur ce qui doit ou ne doit pas être fait 5.


XII


COMMENT OBTENIR LA BODHI ?


Un Bhixu fit cette question à Bhagavat :

Quelle est la cause qui fait obtenir la Bodhi ? Quelle est la série (de causes et) d’effets qui permet de se rappeler les existences antérieures 1 ?

Bhagavat répondit :

La Bodhi n’a point de signes ni de marques distinctives : ce qu’on peut savoir à cet égard n’est d’aucune utilité ; mais le soin qu’on met à exercer son esprit est d’une grande importance. Il en est comme d’un miroir nettoyé et poli, devenu clair et brillant, en sorte que les images s’y reproduisent avec éclat et netteté. Ainsi, quand on a renoncé aux désirs, et qu’on est entré dans la pratique complète de la loi du vide, la voie sublime (ou des Aryas 2) se manifeste dans toute sa pureté ; on peut l’atteindre et du même coup se rappeler les existences antérieures.


XIII


VERTU, GRANDEUR, FORCE, ÉCLAT


Bhagavat dit encore :

Si l’on demande : quelle est la suprême vertu ? — Marcher dans la voie est la suprême vertu.

Si l’on demande : quelle est la suprême grandeur ? — L’action de mettre l’esprit en conformité avec la loi, voilà la suprême grandeur.

Si l’on demande : qui est le plus excellent des forts ? (Je réponds) : c’est celui qui possède la patience, car lorsqu’on est doué de patience et qu’on s’abstient d’actes vicieux, on reçoit ouvertement les hommages des hommes.

Si l’on demande : quelle est la clarté suprême ? (Je réponds) : celui qui est sans ténèbres, exempt de souillures, d’une conduite irréprochable, parfaitement pur, celui-là, bien que de toutes les choses qui sont dans le monde des dix régions depuis le temps sans commencement jusques à aujourd’hui, il n’en connaisse aucune, n’en ait vu aucune, n’en connaisse à fond aucune, n’ait entendu parler d’aucune, n’en ait en un mot aucune connaissance si petite qu’elle soit, il a néanmoins la science élevée de celui qui sait tout. C’est en parlant de lui qu’on dit : « Clarté ».


XIV


L’EAU SALE ET L’EAU BOUILLANTE


Bhagavat dit encore :

1. Les êtres animés, aveuglés par les désirs auxquels leur cœur est attaché, ne peuvent apercevoir la voie pure telle qu’elle est. Ils ressemblent à une eau sale dans laquelle on aurait mêlé les cinq espèces de couleurs ; si une force quelconque vient à l’agiter, les hommes ont beau venir s’y mirer, ils ne peuvent apercevoir l’image de leur corps. Ainsi, quand l’esprit, troublé par les désirs, est devenu plein d’impureté, il ne peut apercevoir la voie.

Au contraire, les hommes qui, avec respect, confessent successivement leurs péchés et s’obligent ainsi (à les rejeter), s’ils viennent à rencontrer un ami de la vertu, aperçoivent la voie de la même manière que, les souillures de l’eau sale étant enlevées, l’image (de ceux qui s’y mirent) vient à briller.

2. C’est encore comme si une chaudière étant placée sur un feu qui l’enveloppe bien, l’eau qui est dedans bout et se couvre d’écume. Les hommes qui s’approchent de la chaudière ont beau s’y mirer, ils n’aperçoivent pas leur image. Ainsi, quand on est troublé par les trois poisons originairement fixés (dans le cœur), quand on est couvert par les cinq obscurités 1, on ne peut pas apercevoir la voie.

(Mais) si l’on fait disparaître entièrement les souillures du cœur, de quelque degré de connaissance qu’on soit parti pour renaître, et quels que soient les champs de Buddha où l’on se rend après la mort, ayant la connaissance, on en vient à apercevoir aussi les qualités de la voie.


XV


SCIENCE ET LUMIÈRE


Bhagavat dit encore :

Ceux qui enseignent la morale sont comme un homme qui, tenant une lampe allumée, entrerait dans une maison obscure ; les ténèbres disparaissent et la clarté se fait. Ainsi, quand on enseigne la voie, au moment où la vérité est aperçue, l’obscurité de l’ignorant égaré par l’erreur se dissipe, et il n’est personne qui ne soit éclairé.


XVI


UNIQUE PRÉOCCUPATION D’UN BUDDHA


Bhagavat dit encore :

Toutes les méditations du Tathâgata sont des méditations sur la voie ; tous ses actes sont des actes de la voie ; tous ses discours sont des discours sur la voie. Le Tathâgata a de la mémoire ; c’est pour ne jamais oublier la voie véritable.


XVII


IMPERMANENCE DE TOUTES CHOSES


Bhagavat dit encore :

Quand on regarde le ciel et la terre, il faut se dire : « Ils ne sont pas permanents ». Quand on regarde les montagnes et les rivières, il faut se dire : « elles ne sont pas permanentes ». — Quand on regarde la forme et la figure des êtres extérieurs, leur accroissement et leur développement, il faut se dire : « Rien (de cela) n’est permanent. » Par ces réflexions, on sera amené à obtenir les voies sans retard.


XVIII


LA FOI 1


Bhagavat dit encore :

Si, jour après jour, on attache à la voie ses pensées et son activité, on atteint par là le sens de la foi : la somme de mérites (qui en résulte) est incalculable.


XIX


LE MOI


Bhagavat dit encore :

On a beau appliquer aux grands éléments 1 du corps l’affirmation du moi ; ils ne sont pas le moi. Car le moi ne peut pas résider ni persister dans ce qui périt en un instant. C’est comme une hallucination.


XX


LE PARFUM DE LA GLOIRE


Bhagavat dit encore :

Quand les êtres en proie aux désirs se travaillent pour la gloire, il en est comme de l’odeur d’un parfum qu’on brûle. Quand ceux qui ont perçu cette odeur en ont été tout parfumés, l’effet étant produit, le parfum épuisé n’existe plus. Il en est de même des fous qui s’attachent aux bruits du monde et ne font aucun effort pour la gloire de la vérité pure. Ceux-là sont pauvres quoiqu’ils aient obtenu (ce qu’ils cherchaient), et le repentir naîtra en eux.


XXI


LE COUTEAU ENDUIT DE MIEL


Bhagavat dit encore :

La beauté et la richesse ressemblent au miel qui est resté attaché à la lame d’un couteau. Que de jeunes enfants y portent tant soit peu la langue pour le goûter, ils se coupent et en ont de la douleur.


XXII


LA FRAYEUR DES FRAYEURS


Bhagavat dit encore :

Les êtres qui éprouvent des terreurs à cause de leur attachement à leurs enfants, à leurs femmes, à leurs richesses, à leurs maisons, ressemblent à un homme enfermé dans une prison, chargé de chaînes, de fers et d’autres entraves, effrayé de cette situation et en proie à une grande terreur.

On peut avoir la chance d’être délivré des terreurs de la prison. Mais, quand on est attaché à une femme, à des enfants, etc., la crainte est semblable à celle qu’on éprouve en entrant dans l’antre du tigre. Comme les fous s’y livrent sans mesure et sans précaution (à ces attachements), ils ne peuvent en être délivrés.


XXIII


LA PLUS ÉNERGIQUE DES PASSIONS


Bhagavat dit encore :

Parmi les attachements aux objets du désir, l’attachement à la forme 1 est le plus fort ; il n’y a pas d’attachement plus puissant que l’attachement à la forme. Par bonheur, l’attachement à la forme est une passion unique ; s’il venait à en exister une seconde pareille à celle-là, il deviendrait impossible de s’instruire dans la voie.


XXIV


LA TORCHE DES PASSIONS


Bhagavat dit encore :

Celui qui entre dans le domaine du désir donne lieu à l’assimilation suivante : il ressemble à des fous qui tiendraient à la main un flambeau et marcheraient contre le vent : s’ils ne laissent pas échapper le flambeau, ils se brûleront la main : leur imprudence est manifeste.

Ainsi, quand on est livré à cette triade, — la passion ardente, la colère, l’égarement d’esprit, — et qu’on n’a pas encore vu la lumière par la voie, on est comme ces fous qui tiennent un flambeau à la main, ne lâchent pas prise, et se brûlent la main ; on commet une lourde faute 1.


XXV


TENTATION DU BUDDHA


Ensuite un dieu, pour éprouver Bhagavat, amena devant lui une fille des dieux 1.

Bhagavat lui dit :

Outre remplie d’impuretés de tout genre, pourquoi es-tu venue ? Tu peux bien tromper les hommes du commun ; mais le Tathâgata 2 qui possède les six connaissances supérieures 3, comment pourrais-tu l’ébranler si peu que ce soit ? Le Tathâgata n’a nul besoin de toi : va-t-en.

À la suite de cela, ce dieu eut une foi entière en Bhagavat, et lui demanda l’affermissement de son esprit. Bhagavat lui enseigna (la doctrine) point par point, et, par cette instruction, l’établit dans le fruit de Çrota-âpanna.


XXVI


LE JUSTE MILIEU


Bhagavat dit encore :

Les hommes qui s’instruisent dans la voie ressemblent à un morceau de bois qui surnage (en se dirigeant) vers l’embouchure d’un fleuve. Si ce bois, bien entraîné dans la direction du courant, ne va donner ni contre un bord ni contre l’autre, si les hommes ne le prennent pas, si les génies bons ou mauvais ne lui font pas rebrousser chemin, s’il ne demeure pas (fixé) dans le fleuve 1, s’il ne se pourrit pas, véritablement il descendra jusqu’à l’Océan. Voilà ce que je dis.

Semblablement, si des hommes sont une fois instruits dans la voie, s’ils ne sont pas égarés par les désirs ardents, dominés par la dépravation, en proie au trouble de l’esprit, s’ils s’appliquent (au bien) avec énergie et succès, ces hommes en viendront à obtenir véritablement la voie. Voilà ce que je dis 2.


XXVII


NE POINT SE FIER À SON CŒUR


Bhagavat dit encore :

Çramanas, ne vous fiez pas trop à votre cœur. Il ne faut pas avoir une confiance complète et absolue dans son cœur 1. Soyez réservés ; ne vous attachez pas à la forme ; si l’on s’attache à la forme, on éprouve de la douleur.

Lorsqu’on est devenu manifestement arhat, alors seulement on peut commencer à se fier à son cœur.


XXVIII


RÉSERVE À L’ÉGARD DES FEMMES


Ensuite Bhagavat dit encore aux Çramanas :

Çramanas, soyez réservés. Il ne faut pas regarder les femmes. S’il vous arrive d’en rencontrer, il ne faut pas les regarder, et, vous tenant sur la réserve, il ne faut pas leur parler. S’il vous arrive de leur parler, il faut vous dire en vous-mêmes : « Je suis un Çramana ; mon devoir est de demeurer dans ce monde de corruption comme le lotus qui ne laisse pas la boue s’attacher à lui. »

D’après ces réflexions, il faut se représenter une vieille femme comme une (grand’)mère, une femme plus âgée (que soi) comme une petite mère, une femme plus jeune (que soi) comme une sœur. Quant à celles qui sont petites, il ne faut point manifester pour elles un mépris illicite.

S’il s’élève dans le cœur des mouvements illicites, il faut raisonner de manière à recouvrer le calme. Voici donc comment il faut raisonner : c’est sur le corps (envisagé) depuis le sommet du crâne jusqu’à la plante des pieds qu’il faut raisonner ; c’est ensuite sur l’intérieur du corps qu’il faut raisonner. Or, comme l’intérieur du corps est rempli d’impuretés de tout genre, en faisant ces réflexions, on se nettoie entièrement de toutes les pensées illicites 1.


XXIX


L’INCENDIE DES PASSIONS


Bhagavat dit encore :

Comme lorsque le feu est mis à des herbes sèches, il faut s’en éloigner en fuyant bien vite. Ainsi les hommes instruits dans la voie doivent mettre bien loin d’eux les régions des désirs.


XXX


LA MUTILATION VOLONTAIRE


Bhagavat dit encore :

Un homme tourmenté par les désirs du cœur, et ne trouvant pas le moyen de donner du calme à son esprit, se coupa, avec un couteau, les signes (de la virilité).

Bhagavat lui parla ainsi :

« Tu t’es coupé les signes (de la virilité), le mieux eût été de retrancher (les pensées de) ton esprit. C’est l’esprit qui est le chef ; si le chef est retranché, le cortége qui l’accompagne est arrêté de lui-même 1. Si l’on ne retranche pas l’esprit d’égarement, à quoi sert-il de retrancher les signes (extérieurs de la virilité). » Telle fut son explication.

Ensuite cet homme vint à mourir. Bhagavat dit :

Les hommes du monde qui ont des vues fausses sont fous comme cet homme ignorant.


XXX bis 1


LE RENDEZ-VOUS


Une fois, une jeune fille avait donné rendez-vous à un homme. L’homme ne vint pas à l’heure fixée : la jeune fille se repentit et prononça cette stance :


Désir, je connais ta racine.
Tu te manifestes, quand on te caresse par la pensée.
Du moment que j’ai cessé de te caresser par la pensée,
Tu ne naîtras plus jamais en moi.


Telles furent les paroles qu’elle prononça.

En ce moment, Bhagavat vint à passer et les entendit. Il s’adressa en ces termes aux Çramanas : « Çramanas, retenez bien cette stance ; elle a été prononcé par le bienheureux Buddha Kâçyapa ; 2 elle a été répétée, s’est conservée et perpétuée dans le monde 3. »


XXXI


LA CRAINTE


Bhagavat dit encore :

De la passion violente pour les qualités du désir vient la douleur et de la douleur vient la crainte. Quand il n’y a point de passion, la douleur ne se produit pas. N’y ayant point de douleur, il n’y pas non plus de crainte.


XXXII


LE COMBATTANT


Bhagavat dit encore :

Les hommes, lorsqu’on les instruit dans la voie, ressemblent à un homme qui combattrait seul contre plusieurs dizaines de milliers d’adversaires.

Par exemple, un homme se revêt de sa cuirasse et de toutes ses armes, puis sort (contre l’ennemi). Ou bien il a peur et revient (aussitôt) ; — ou bien il s’arrête au milieu du chemin et revient ; — ou bien il meurt après avoir combattu ; — ou enfin, rentrant victorieux dans son pays, il est élevé au premier rang.

Ainsi, lorsque, avec un cœur ferme, on veille énergiquement sur sa conduite, lorsque, à force d’application vertueuse, on ne se laisse pas étourdir par l’ignorance, et que de cette manière, on évite complètement l’attachement aux passions, on obtient le fruit.


XXXIII


LA TENSION DE LA CORDE


En ce temps-là (il y avait) un Çramana (qui), en lisant la nuit 1, eut soudain du regret de son ardeur pour la musique, de l’attachement qu’il avait éprouvé pour elle, et il se mit à réfléchir sérieusement sur (l’inconvénient de) résider dans une maison 2.

Alors le Buddha l’ayant appelé lui dit : auparavant quand tu étais dans une maison, que faisais-tu ? — Il répondit : je pinçais de la harpe.

Bhagavat reprit : si la corde est trop lâche, qu’arrivera-t-il ? — Il ne se produira pas de son. — Et si elle est (trop) bien (tendue), qu’arrivera-t-il ? — Le son sera trop éclatant. — Et si la corde n’est ni trop lâche, ni trop tendue ? — Le son n’étant ni haut, ni bas, sera égal.

Bhagavat dit alors à ce Çramana : quand on s’instruit dans la voie, il en est de même : l’esprit étant lié d’une manière égale (par son vœu), on obtiendra la voie.


XXXIV


ÔTER LA ROUILLE


Bhagavat dit encore :

Ceux qui s’instruisent dans la voie sont comme le fer qu’on purifie en le fondant. En répétant plusieurs fois cette opération, on enlève la rouille (et les scories) : après cela, qu’on fasse de ce métal des vases ou tous autres objets, ils seront propres à l’usage auxquels on les destine.

Ainsi, quand ceux qui s’instruisent dans la voie ont, par degrés, purifié leur esprit de toute souillure, qu’ils ont travaillé avec énergie à obtenir le Bodhi, sans aucun doute, ils obtiendront la Bodhi.

Autrement ils se chagrineront ; ce chagrin les livrera en proie à la corruption naturelle, l’influence de cette corruption les détournera entièrement de la voie. Détournés de la voie ils accumuleront des actes de péché.


XXXV


LA DOULEUR PARTOUT ET TOUJOURS


Bhagavat dit encore :

Les hommes ont beau suivre la voie, ils sont soumis à la douleur ; et, s’ils ne suivent pas la voie, ils sont également soumis à la douleur.

Depuis la naissance des êtres jusqu’à la vieillesse, depuis la vieillesse jusqu’à la maladie et la mort, la douleur se produit sans qu’on puisse lui assigner de limites.

Le trouble mis dans l’esprit par la corruption naturelle, l’accumulation des œuvres de péché, sont causes que la naissance et la mort se suivent sans interruption en sorte qu’on ne peut pas cesser de parler de la douleur 1.


XXXVI


HUIT CHOSES DIFFICILES 1


Bhagavat dit encore :

1. Il est difficile aux êtres d’échapper à la mauvaise destinée (gati) 2, et d’obtenir pour soutien un corps d’homme.

2. Quand on a obtenu pour soutien un corps d’homme, il est difficile d’échapper à un corps de femme et d’obtenir la condition masculine.

3. Même ayant obtenu pour soutien le corps d’un mâle, il est difficile d’avoir ses organes au complet 3.

4. Quand bien même on a ses organes au complet, il est difficile de naître dans le pays du milieu 4.

5. Quand bien même on a pu naître dans le pays du milieu, il est difficile d’être instruit dans la doctrine du Buddha.

6. Quand bien même on est instruit dans la doctrine du Buddha, il est difficile de rencontrer un roi qui possède la loi 5.

7. Quand bien même on a rencontré un roi qui possède la loi, il est difficile de naître dans la maison d’un Bodhisattva.

8. Quand bien même on a pu naître dans la maison d’un Bodhisattva, il est difficile de croire aux trois joyaux et de naître dans une région du monde où réside un Buddha 6.


XXXVII


LA DURÉE DE LA VIE


Bhagavat dit encore aux Çramanas :

« Quelle est la durée de la vie humaine ? » — Un Çramana répondit : « Elle est de dix jours. » — Bhagavat reprit : « Mon fils, tu n’es pas encore avancé dans la voie. »

Il dit encore à un autre Çramana : « Quelle est la durée de la vie humaine ? » — Le (Çramana) répondit : « Le temps de prendre son repas du matin. » (Bhagavat) reprit : « Va, toi non plus tu n’es pas avancé dans la voie. »

Il dit encore à un Çramana : « Quelle est la durée de la vie humaine ? » — Celui-là répondit : « Le temps d’un mouvement de respiration et d’aspiration. » — Alors, Bhagavat dit : « C’est bien ; aussi, mon fils, on peut dire que tu es avancé dans la voie. »


XXXVIII


LA DISTANCE


Bhagavat dit encore :

Des auditeurs, fussent-ils à une distance de mille yojanas du Tathâgata, s’ils mettent dans leur cœur l’enseignement de la discipline de Bhagavat, obtiendront le fruit sans aucun doute.

Ils auraient beau être en présence du maître, s’ils appliquent leur cœur à ce qui n’est pas utile 1, ils n’obtiendront jamais le fruit.

L’important en cela étant de pratiquer, on a beau être près du maître, si l’on ne pratique pas par soi-même, on ne peut profiter en aucune manière.


XXXIX


LE MIEL DE LA LOI


Bhagavat dit encore :

Pour les hommes, l’action de marcher dans la voie ressemble au miel. À l’intérieur, comme à la surface, le miel est doux partout. Ainsi en est-il de la loi du Buddha ; elle est toute joie, tout bien-être, tout avantage ; en la pratiquant, on obtiendra la voie.


XL


LE CHAPELET ÉGRENÉ


Bhagavat dit encore :

Quand les hommes, en s’appliquant à la voie, repoussent loin d’eux toutes les passions, il en est comme d’un chapelet suspendu dans l’air, dont on enlève tous les grains l’un après l’autre, si bien que le chapelet lui-même finit par disparaître 1.

Ainsi après avoir dissipé toutes les obscurités 2, on obtiendra facilement la voie.


XLI


LE BŒUF EMPÊTRÉ DANS LE MARAIS


Bhagavat dit encore :

Les Çramanas qui s’instruisent dans la voie sont comme un bœuf pesamment chargé, qui est arrivé à un terrain marécageux. Aussi longtemps qu’il y est (engagé), il souffre ; mais lorsqu’il est arrivé tant bien que mal à l’autre extrémité, il se repose et ne pense plus (à ses fatigues).

Ainsi en est-il du Çramana. Les passions lui font éprouver des craintes (semblables à celles) du marais. Néanmoins, quelque grandes que soient ses terreurs, en s’appliquant à la voie énergiquement et d’un cœur ferme, il arrivera nécessairement à se garantir des douleurs de la transmigration.


XLII


DE QUEL ŒIL LE BUDDHA CONSIDÈRE TOUTES CHOSES


Aux yeux du Tathâgata 1, toutes les plus parfaites magnificences des rois et de leurs ministres ne sont que comme du crachat et de la poussière ;

À ses yeux, l’or, l’argent et tous les autres joyaux ou objets précieux ne sont que comme de la brique et du gravier ;

À ses yeux, les étoffes de soie et tous les autres vêtements de grand prix ne sont que comme des habits en haillons ;

À ses yeux, les régions du grand millier du monde ne sont que comme un (fruit de) myrobolan 2 ;

À ses yeux, l’eau des quatre Océans 3, n’est que comme l’huile dont on se frotte le pied ;

À ses yeux, la porte de l’habileté dans les moyens 4 est comme un navire chargé de pierreries ;

À ses yeux, le Grand Véhicule est semblable à l’or et aux vêtements de soie d’un rêve ;

À ses yeux, la recherche de la voie du Buddha est semblable à des fleurs placées devant les yeux ;

À ses yeux, la recherche de la Samâdhi 5 est semblable à une colonne inébranlable comme le Suméru 6.

À ses yeux, la recherche du Nirvâna complet est semblable à l’action de veiller jour et nuit ;

À ses yeux, la pureté et l’impureté sont comme la danse des six nâgas 7 ;

À ses yeux, l’égalité d’esprit est comme la vérité même ;

À ses yeux, l’accroissement et la diminution sont comme l’arbre des quatre saisons.


FIN.


Ainsi parla Bhagavat. Tous les Çramanas qui l’entouraient furent très-réjouis et louèrent hautement ce que Bhagavat avait dit.

ÉPILOGUE





I


ORIGINE DU SÛTRA EN 42 ARTICLES



En l’an 24 de l’empereur Tchao (des) Tcheou 1, le huitième jour du quatrième mois de l’année du Tigre-de-bois, une masse de lumière, venant du Sud-Ouest, brilla dans le palais. Le roi et les ministres, l’ayant remarquée, questionnèrent les sages qui prononcèrent cet oracle : « C’est le signe de l’apparition d’une individualité éminente dans cette région (celle du Sud-Ouest) ; après mille ans, la doctrine (de ce personnage) se propagera dans ce pays-ci. »

Ensuite, l’an 53 de Mo-wang 2, le quinzième jour du deuxième mois de l’année du Singe-d’eau, le maître fit voir comment on entre dans le Nirvâna.

Ensuite mille treize ans après (l’apparition lumineuse), dans l’année yong-phing, la septième du règne de Ming-ti (des) Hân 3, dans la nuit du quinzième jour du premier mois, le roi eut un songe. Un homme de haute taille, qui avait deux brasses et plus, qui était de la couleur de l’or, et répandait une clarté semblable à celle du soleil, descendit dans le palais et prononça ces paroles : « Mon enseignement se répandra par degrés dans ce pays. » Le jour venu, le roi questionna ses ministres ; et le ministre Fou-y 4 lui dit : « Autrefois un oracle du temps de l’empereur Tchao (des) Tcheou fut rendu en réponse (à une question) ; le songe du roi y correspond très-bien. »

Alors le roi lut les vieux récits, et, y ayant trouvé (la mention de) l’oracle du temps de l’empereur Tchao (des) Tcheou, il fut dans la joie. Le roi envoya donc dix-huit personnes, le ministre Wang-ts’un 5 en tête, dans la région de l’Ouest, avec mission de rechercher l’enseignement du Buddha.

Ceux-ci arrivèrent dans le royaume appelé Youe-chy 6 (Vriji ?). Alors deux indiens, l’Arhat Matangipa, de la famille de Kâçyapa, et le Pandit Gobharana mirent tous ensemble sur un cheval blanc les livres de la doctrine, le Sûtra en quarante-deux articles, livre capital, et d’autres Sûtras du grand et du petit Véhicule, ainsi que des vases remplis de reliques du maître ; puis, ayant repris le chemin par lequel les messagers étaient venus, dans l’année yong-phing 7, le dernier jour du douzième mois, ils atteignirent le fort Lô-yang 8. En six ans, l’Arhat et le Pandit eurent converti les sectateurs de Bon 9, de la plaine (noire) 10.

Ensuite l’Arhat et le Pandit, s’étant élevés tous les deux en l’air, adressèrent au roi ces stances :


La progéniture du renard n’est pas (de) la race du lion ;
Une lampe ne brille pas comme le soleil et la lune ;

Un (bassin) d’étang n’est pas le bassin de l’Océan ;
Toute montagne n’a pas les charmes du mont Méru.

Le nuage de la loi pénètre dans le monde entier ;
La pluie de la loi se répand sur la chaîne des êtres pour les humecter
En faisant voir les prodiges des manifestations surnaturelles.
Elle convertit les êtres dans toutes les régions du monde.


Après avoir prononcé ces paroles, ils se transportèrent dans l’Inde, au moyen de leur puissance surnaturelle.


II


TRADUCTION DU SÛTRA 11


Telle fut l’origine de ce Sûtra. Il n’avait pas été traduit en tibétain ; mais après qu’il eût été incorporé dans le Kandjour chinois, il fut traduit en mandchou par l’ordre du Très-haut protégé-du-ciel 12 (Khien-long), et traduit aussi en tibétain par les soins réunis de Subhaga-çreya-dhvaja, dix fois éprouvé, et de Dhyânârishtamvyâsa, dix fois éprouvé (Katchou). Il fut traduit en mongol par le docteur Prajnodayavyâsa 13. Un magnifique promoteur de l’enseignement du Jina 14, Hîng-lîn, en vue de répandre plus au large le don de la loi, a, pour cent onces d’argent, fait graver le texte (disposé) dans les quatre langues, et l’a fait imprimer avec tous les soins possibles.

Puisse, grâce aux racines de vertu accordées à ceux qui sont parvenus à la bonté excellente, le joyau de l’enseignement du Jina persister au loin et au large pendant longtemps ! Puisse-t-il n’y avoir dans les régions du monde, ni maladie, ni famine, ni désordre, ni querelle ! Puissent tous les êtres obtenir promptement la Bodhi au-dessus de laquelle il n’y a rien 15 !


FIN DE L’ÉPILOGUE

NOTES




PRÉAMBULE.


1. Les trois joyaux sont : le Buddha, la loi et la confrérie (des moines).

2. La phrase initiale habituelle de tous les Sutras : « voici ce que j’ai entendu », ne se trouve pas ici.

3. La sagesse et la science absolues atteintes par le Buddha, âgé alors de trente-cinq ans, à Buddha-Gayâ.

4. Samâdhi, sorte d’extase ou de contemplation ; il y a aussi celle qu’on appelle Dhyâna. Ces deux termes sont quelquefois pris l’un pour l’autre. Ainsi la version chinoise de l’édition polyglotte emploie le terme qui signifie Dhyâna ; tandis que le texte purement chinois emploie celui qui désigne la Samâdhi.

5. Mâra « le tentateur ».

6. Expression qui s’applique à la première prédication du Buddha.

7. Voir : Foucaux, Histoire du Buddha Çakya-Mouni, page 21.

8. « Les cinq, Kaundinya en tête ». Ce sont les premiers disciples du Buddha dans l’ordre des temps.

9. (Voir Foucaux, ouvrage ci-dessus p. 390-4 et Feer, Journ. Asiat., janv.-juin, 1870, p. 345 et suivantes). Faire tourner la roue de la loi, c’est l’enseigner au moyen des quatre vérités.

10. La voie est proprement la quatrième vérité ; c’est la vie conforme à la vérité. Le fruit est le résultat acquis, et la possession d’un des degrés de perfection.

11. « Anjali » salut qui consiste à s’incliner en joignant les mains à la hauteur du front en les disposant comme s’il s’agissait d’y recevoir quelque chose.


I


1. Ces 253 règles ne sont autres que le Pratimoxa, ouvrage célèbre dont on peut s’étonner de ne pas voir ici le nom. Les textes chinois, celui de l’édition purement chinoise, comme celui de la polyglotte, disent 250. Le mandchou suit le chinois, tandis que le mongol dit 253 comme le tibétain. Le Pratimoxa pâli ne compte que 227 règles. Les deux Pratimoxa, le pâli et le chinois, ont été publiés parallèlement en anglais. (Journ. Asiat. de Londres, 1862, p. 407 et suiv.)

2. Arhat signifie « digne » ; le tibétain et le mongol le rendent par « vainqueur de l’ennemi » à cause d’une étymologie erronée.


II


1. L’édition purement chinoise ne fait qu’un seul et même discours, partant un seul article, de ceux que nous avons numérotés i, ii. Huc et Gabet ont fait de même, quoique l’édition polyglotte fasse ici une coupure. MM. Schiefner et Beal observant ici la division, nous avons préféré les imiter et réserver pour l’art. xxx la fusion des deux articles. Aussi bien, c’est ce que nous avons fait dans notre texte autographié en trois langues. De cette manière, notre distribution des articles coïncide avec celle de la majorité des publications faites sur le Sûtra en 42 articles. Seulement nos numéros vont se trouver, pour un grand nombre d’articles, en avance d’une unité sur ceux de l’édition chinoise et de la traduction de Huc.

2. M. Schiefner traduit ici : « Réaliser complétement les biens périssables de ce monde ». M. Beal : « Fixer les années de sa vie. »

3. Les 4 degrés qui sont, en allant de bas en haut, les états de Çrota-âpanna, — sakridâgami, — anâgami, — arhat, — sont suffisamment caractérisés dans ce chapitre. Nous ferons seulement quelques observations : 1o Il n’est pas nécessaire de passer par tous les degrés ; chacun d’eux mène au but, mais par un chemin différent ; 2o le but à atteindre et qu’on atteint lorsqu’on a conquis un des degrés, est l’état d’Arhat ; 3o en quittant la vie, l’Arhat entre dans le Nirvâna, qui est la fin de l’existence ; le texte ne le dit pas formellement ; mais on pourrait montrer que c’est là une conséquence directe de l’exposé.


III


1. Par « voie » il faut entendre ici, et dans tout l’ouvrage, la conduite qu’on doit tenir en général, toute la morale du bouddhisme.

Tout ce chapitre est fort nihiliste ; il y aurait, sans doute, beaucoup à dire pour fixer le sens de certains mots ; il est probable qu’il y a bien des réserves à faire et des nuances à distinguer. Ainsi la méditation qui semble interdite ici est ailleurs fortement recommandée ; mais il y a méditation et méditation. Il est également difficile de croire que le mot « voie » ait le même sens au milieu de ce chapitre et à la fin. — Ce qu’on a voulu décrire dans cet article, c’est le degré le plus élevé de la perfection, consistant dans l’anéantissement volontaire le plus complet auquel il soit possible d’atteindre.


IV


1. Bhixu « mendiant » est le nom le plus ordinaire des moines bouddhistes.


V


1. Voir dans Manu (XII, 3-7) l’énumération, la classification, la qualification, selon les brahmanes, des mêmes péchés dans des termes presque identiques.

2. La convoitise, la haine et l’égarement, les trois péchés de l’esprit, sont souvent cités comme résumant tout ce qu’il y a de mauvais dans la nature humaine ; on les appelle les « trois souillures » et aussi (comme on le verra plus bas, art. xiv, note 1) les « trois poisons ». — Le développement donné à l’expression de la troisième souillure résulte d’une glose ajoutée au mot « ignorance, erreur » par les bouddhistes, pour donner l’empreinte bouddhique à ce péché reconnu aussi par les brahmanes ; — ce développement n’est pas dans le texte purement chinois.

3. Ceux qui n’ont pas adopté la vie monastique, les adhérents laïques.

4. Les cinq préceptes sont : ne pas tuer, ne pas voler, ne pas mentir, ne pas commettre d’adultères, ne point s’enivrer. Ils sont imposés à tous, aux laïques (upâsakas) comme aux moines (Bhixus) ; les dix préceptes sont imposés aux Bhixus. C’est une confusion de mêler ainsi les cinq et les dix préceptes, et d’en attribuer l’observation commune aux upâsakas : aussi on peut en inférer que ce paragraphe est une glose, une adjonction maladroitement faite après coup. Elle appartient en propre à la dernière recension.


VII et VII bis.


1. Cette « acceptation » est une contradiction avec ce qui sera dit plus bas (VII bis), mais il s’agit ici d’une acceptation négative, consistant à ne pas renvoyer brutalement les injures à celui qui les profère. Au lieu de « accepter », la version de l’édition purement chinoise dit : « se retenir et rester calme », ce qui est mieux dans la pensée du texte et bien plus satisfaisant.

2. Le VII bis est un nouvel article, un article indépendant, dans l’édition purement chinoise ; et rien n’empêcherait de le considérer comme tel dans l’édition polyglotte. La seule raison de le réunir avec le précédent est l’identité du sujet traité, et aussi la nécessité de ne pas dépasser le nombre de 42 articles.

L’édition purement chinoise semble faire de cet article un discours du Buddha qui raconterait ce qui lui était arrivé une fois : « Un homme, dit-il, ayant appris que j’observais la voie, etc. » Comme le texte tibétain emploie constamment la troisième personne, on pourrait fort bien admettre qu’il l’entend de même. Cependant il faut remarquer que, en parlant de lui-même, le Buddha se sert toujours du mot Tathâgata dans le tibétain ; or, l’article dont il s’agit répète plusieurs fois le mot Bhagavat que le tibétain paraît employer quand il parle de Bhagavat, mais non quand Bhagavat parle de lui-même. Au lieu de Bhagavat, le chinois se sert du terme Fo qui a la même valeur. Nous serions disposé à conclure de là que l’article VII bis est un épisode raconté au milieu des discours de notre Sûtra, et non un discours ; ce serait donc à tort que le texte de l’édition purement chinoise emploie la première personne dans le passage cité plus haut. Mais alors les deux paragraphes devraient former deux articles distincts : ce qui existe dans l’édition chinoise.

3. M. Schiefner traduit ici : « Il doit me rendre hommage en retour » (« er muss mir wiederum Ehre erweisen »). Je ne m’explique pas cette phrase : s’il s’agissait d’un compliment accepté, on comprendrait ; mais il s’agit d’un compliment refusé, dédaigné, on ne peut pas s’attendre à ce que la politesse soit rendue.


IX


1. Tout ce premier paragraphe est rendu d’une manière très-différente dans l’édition purement chinoise et y forme un article à part (le 9e). Je le traduis ainsi :

« À force d’entendre (prêcher), on s’attache à la voie. Il est, certes, difficile de rencontrer (la prédication de) la voie. En veillant sur sa volonté, on rend hommage à la voie. Cette voie est excessivement grande. »

La version de l’édition polyglotte comme on voit, s’éloigne de ce texte ; du reste, la traduction de M. Beal s’écarte notablement de la nôtre. Et en effet la partie chinoise ne cadre pas exactement avec la partie tibétaine, qui n’est pas elle-même très-claire.

On signale deux classes d’avantages, ceux qui résultent du don et ceux qui résultent de la pratique de la loi : cette « pratique de la loi » ne me paraît pas autre chose que la « moralité » (çîla) qui est la deuxième des vertus dites pâramitâ, comme le « don » (dânam) est la première. Le dânam est clairement dénommé ; le çîla est indiqué plus vaguement, mais se laisse aisément deviner.

2. Il est assez difficile de dire si le sujet de la phrase est celui qui pratique la loi ou ceux qui le voient pratiquer. J’avais d’abord traduit ainsi : « Les autres voyant pratiquer la loi, on en retire déjà du profit dans le moment même et l’on se réjouit… » J’ai modifié ma traduction parce que le texte purement chinois m’a fourni l’interprétation suivante : « Quand on voit un homme faire usage de la voie, et qu’on ressent la joie et le bonheur d’être utile (aux autres), on obtient une félicité extrêmement grande », — et aussi parce que la comparaison qui termine l’article prouve qu’il s’agit de l’exemple qui se propage, se répand, se communique sans appauvrir celui qui a servi de modèle. M. Schiefner traduit : « Quand d’autres le voient marcher selon la loi, son mérite est affermi, sa joie exaltée, et il aura une récompense pour ce mérite. » Grammaticalement, cette traduction est soutenable, et l’on peut sans injustice, je crois, accuser le texte tibétain d’ambiguïté : mais je ne saurais admettre l’interprétation. Ce qui importe, ce n’est pas que les autres le voient, c’est qu’ils fassent comme lui : les verbes de la phrase peuvent avoir pour sujet soit lui, soit les autres ; mais on ne peut, ce me semble, admettre deux sujets qui seraient d’abord « lui », puis « les autres ».


X


1. Au lieu de « homme du commun », le texte de l’édition purement chinoise dit : « un méchant », ce qui vaut mieux ; car que penser de « l’homme de bien » qui lui est opposé, quand on voit à quelle distance ce prétendu homme de bien est de l’observateur des cinq préceptes ?

2. Il y a ici une difficulté sur les nombres ; le texte dit : « cent fois dix mille » Çrota-âpanna, ce qui ferait un million, et dans le paragraphe suivant « mille fois dix mille » Sakrîdâgami, ce qui ferait dix millions ; mais le paragraphe qui vient après dit directement « dix millions d’Anâgami », ce qui est le même nombre. Il faut donc, ou bien donner aux derniers nombres une valeur supérieure à celle qu’on leur assigne ordinairement, ou corriger les coefficients de dix mille dans les deux paragraphes où ce nombre est multiplié par 100 et 1000, en les réduisant à 10 et à 100. Par ce moyen, tous les nombres exprimés dans notre article forment une progression géométrique dont la raison est 10. Je ne prétends que la régularité de cette progression soit indispensable ; mais elle paraît probable. Et si on ne l’admet pas, on s’embarrasse dans des difficultés de chiffres inextricables. Il faut de toute nécessité ou changer certains nombres ou donner à quelques-uns d’entre eux un sens inusité. — La version purement chinoise a un million — dix millions, — un billion, dix billions, cent billions, un trillion, nombres plus forts que ceux de l’édition polyglotte.

3. Le terme Pratyekabuddha, donné ici comme supérieur au titre d’Arhat et inférieur à celui de Buddha, est connu ; il désigne un « Buddha pour soi-même », qui ne l’est que pour lui et non pour les autres, il ne compte pas comme Buddha et ne peut en arracher d’autres que lui à la douleur. Ce n’en est pas moins un personnage très-recommandable.

4. Au lieu de ce dernier paragraphe, la version purement chinoise, continuant la gradation ascendante, dit : « L’acte de donner à manger à un trillion de San-chi-tchou Fo (Buddha complet) n’est rien auprès de l’acte de donner à manger à celui qui ne pense pas, qui n’a pas de demeure, qui n’a pas d’ajustements, qui n’a pas de correction. » Ces expressions nous ramènent au chapitre ii, si nihiliste, si énigmatique. Il est bien étrange qu’on mette quelqu’un au-dessus du Buddha. J’ai peine à croire que cette phrase soit de la même date que les autres, je la prendrais volontiers pour une adjonction postérieure. Lors de la recension qui a donné naissance à l’édition polyglotte, on aura voulu corriger cela en changeant la fin, et en mettant une conclusion qui a peu de rapport avec l’article, et qui, prise en elle-même, est assez incohérente. Ce qui est dit sur le devoir d’honorer les père et mère est excellent, mais appartient à un autre ordre d’idées. Le compilateur a l’air de dire au lecteur : « Oubliez tout ce qu’on vous a dit de la valeur des aumônes données à des milliers et des millions de personnages divers ; souvenez-vous seulement du respect que vous devez à vos parents. » — C’est une adjonction plus récente et plus maladroite que l’autre, quoique ce soit plus sensé.

5. Il y a dans le tibétain trois termes : lha, ’dre, ’byung ; le troisième correspond au mot sanskrit bhûta que reproduit la version mongole. Les deux autres expressions Lha ’dre sont considérées comme un composé signifiant « les mauvais génies » ; mais M. Schiefner distingue et traduit : « Gœtter und Unholde ». Le chinois emploie deux expressions seulement chîn-kouéy « esprit, génie, mâne », le second ayant plutôt un sens défavorable. — Je donne au composé une signification un peu large, et je traduis la troisième par Bhûta. — L’expression lha ’dre reparaîtra à l’article xxvi.

6. C’est cet article que Abel Rémusat a traduit en partie dans ses notes du Fo koue-ki (p. 164-5).


XI


1. Cette phrase doit se rapporter à la mort encourue avec résignation, avec connaissance, en sachant ce qu’elle est et quelle place elle occupe dans l’existence. M. Beal traduit : « to escape destiny, litterally sentenced by destiny, not to die ». Il y a bien une négation (poù sse) « not to die » dans le texte chinois de la polyglotte ; mais dans l’autre texte, cette négation est remplacée par une affirmation (pi sse) « mourir nécessairement ». Ces deux leçons chinoises, pou « point », pi « nécessairement », prouvent que le texte n’est pas sans obscurité. La négation nous paraît malheureuse : on est trop sûr d’avoir raison en disant qu’il est difficile de ne pas mourir. Je traduirais ainsi la phrase chinoise : « Disposer de sa vie et se condamner à mourir » (c’est-à-dire faire comme de son plein gré ce que la nature force de faire). — La phrase tibétaine est : « Quitter la vie avec intelligence ».

2. L’expression « ami de la vertu » se rencontre souvent ; elle désigne tout homme vertueux avec lequel on est lié, mais spécialement un guide spirituel. M. Beal n’a pas reconnu cette expression et traduit : « to be good and at the same time to be learned and clever ». — Traduction qui pourrait se justifier, si le tibétain et le mongol ne la condamnaient pas. Huc a trouvé à peu près le sens, bien qu’il n’emploie pas l’expression usuelle ; il traduit : « Trouver un bon et habile maître ». — Pour l’ami de la vertu, voir Burnouf (Intr. à l’Histoire du buddhisme indien, p. 284-5.).

3. Je rends par « port » le mot tibétain yul « pays » (mongol, oron « lieu »), qui est très-vague. M. Schiefner traduit : « ne pas être ébranlé dans une rencontre ». M. Beal traduit, « to attain one’s end without exultation ». En effet, les deux textes chinois, malgré une légère variante, signifient : « Voir (ou atteindre) la fin, n’être pas ébranlé. » — Les diverses traductions ci-dessus reviennent à dire : « n’être pas aveuglé par le succès ». J’entendais plutôt la phrase ainsi : «être définitivement à l’abri, soit des revers, soit de l’effet qu’ils produisent sur le moral ». — Le mot tibétain tsé « temps, moment » semble indiquer cependant qu’il s’agit d’une situation relative à un moment donné.

4. Il s’agit ici de ce qu’on appelle en sanskrit up ya « l’habileté dans les moyens ».

5. Dans les deux textes chinois, chaque proposition est formée de quatre caractères, sans compter le mot nan « difficile » qui est répété à la fin de toutes les phrases.


XII


1. Le mot « Bodhi » est exprimé dans le chinois par tao « voie » qui rend avec une inépuisable complaisance les termes les plus divers. On verra cependant (art. xvii) que les Chinois, pour exprimer cette idée, ont une transcription qui ne laisse place à aucune équivoque. Dans l’édition chinoise, on a ajouté à tao le qualificatif tchy (la clef de la supériorité) tchy tao, c’est « la voie suprême ». Serait-ce la traduction du sanskrit Bodhi ? ou plutôt n’est-ce pas l’équivalent de Arya-mârga « voie sublime, voie des Aryas » ? Il est certain que, dans cet article, le chinois tao correspond à « voie » et à « Bodhi ».

2. La « voie », c’est-à-dire la 4e vérité, est appelée « la voie sublime » ou mieux « la voie des Aryas » (Arya-mârga). Du reste, les quatre vérités sont également appelées les « quatre vérités des Aryas ».


XIV


1. Les « 5 obscurités », selon M. Beal, sont : « envy, passion, sloth, vacillation, unbelief. » Selon M. Schiefner, c’est la violation des 5 préceptes, c’est-à-dire : « voler, tuer, mentir, commettre un adultère, s’enivrer. » (Voir art. v, note 4.) — Voir, pour les trois poisons, le même article note 2.


XVIII


1. Cet article, ou si l’on veut ce paragraphe, n’est pas dans l’édition purement chinoise.


XIX


1. Ces grands éléments sont les cinq mahabhûtâni de la philosophie sanskrite. — Il est à remarquer que les deux textes chinois disent : « les 4 grands » (sse ta), apparemment les 4 membres.


XXIII


1. Les expressions tibétaine, chinoise, etc., que nous rendons par « forme », traduisent le mot sanskrit Rûpa « forme, beauté ». En langage bouddhique, ce mot désigne en général le corps, l’organisme ; mais ici il est clair qu’il désigne les voluptés charnelles. De Guignes le traduit librement, mais exactement par : « la passion pour les femmes. »


XXIV


1. La version de l’édition purement chinoise est bien plus serrée, plus concise que le texte de la polyglotte. La voici dans sa brève et énergique simplicité :

« Les hommes de désirs sont comme celui qui, tenant une torche, marcherait contre le vent ; inévitablement, il se brûlera la main et éprouvera de la douleur. »


XXV


1. Dans la littérature indienne, toutes les fois qu’il s’agit de séduire un saint, de le faire déchoir, on lui envoie une femme. C’est la justification du principe posé dans l’article xxiii que « l’attachement à la forme » est la plus forte des passions.

2. Tathâgata est un nom du Buddha ; les Chinois le traduisent par jou-lai, quoique cette expression ne figure ni dans l’un ni dans l’autre de nos textes chinois. Le sens est Tathâ-gata « allé ainsi », ou mieux Tathâ-âgata « venu ainsi » (que les autres Buddhas).

3. La vue divine, — l’ouïe divine, — la connaissance des pensées des autres, — le souvenir des anciennes existences, — la connaissance des transformations, — la connaissance de la destruction des passions, — telles sont les six connaissances supérieures.


XXVI


1. L’expression est peu claire. Le chinois (dans l’un et l’autre texte) est plus développé, chose rare ! et plus intelligible ; il dit : « S’il ne rencontre pas des courants ascendants et des courants descendants où il se trouvera arrêté. »

2. Dans les deux termes de la comparaison, le texte chinois de l’une et de l’autre édition fait dire au Buddha que ces deux ordres de faits, l’entrée du bois dans la mer et de l’homme dans la voie, arrivent par son influence et sa protection. Les termes qui expriment cette idée d’une manière assez claire correspondent sans doute aux mots du texte tibétain qui terminent les deux paragraphes et que nous rendons par : « Voilà ce que je dis. » Il ne nous paraît pourtant pas possible d’attribuer aux mots tibétains une autre portée.

La théorie du milieu est essentiellement bouddhique : la voie du Buddha, cette voie dont le nom est répété dans tant d’articles de notre Sûtra est la voie du milieu. Cependant la philosophie chinoise indigène connaît aussi cette doctrine. L’un des quatre livres classiques est le Tchong yong (L’invariabilité dans le milieu).


XXVII


1. Le cœur ici doit désigner non pas l’ensemble des pensées et des sentiments, l’être moral tout entier, mais seulement les qualités affectives. Ce qui est dit de la « forme » suffirait à le prouver. Cet article n’est, en réalité, qu’un double ou un supplément de l’article xxiii.


XXVIII


1. Au lieu de toutes ces considérations, le texte de l’édition purement chinoise dit en deux sentences de quatre caractères chacune : « Dès votre naissance, étudiez petit à petit votre cœur ; — vous arrêterez et vous détruirez les pensées mauvaises. » C’est bien plus simple et plus concis. Cependant le raisonnement sur l’impureté du corps est très-goûté des Bouddhistes, et c’est sans doute par cette raison qu’on l’a introduit dans cet article. Il se retrouve, d’après M. Sp. Hardy, dans la Maitrîbhâvanî (Développement de l’amour) : « Avec qui suis-je en inimitié ? dit le moine qui veut extirper de son cœur la haine. — Avec un ensemble d’os, une peau recouverte de poils, des vaisseaux remplis de sang, etc. » (Legends and theories of the Buddhists xli-xlii.)


XXX


1. Les expressions tibétaines employées ici sont celles qui s’appliquent à la transmigration. Si on détruit la cause de la transmigration, la transmigration s’arrête, de même que si l’on supprime le chef, la cour qui l’accompagne se dissipe. Le texte tibétain joue certainement sur le mot ’khor, qui signifiant « roue, cercle », désigne la transmigration assimilée à un cercle qui tourne et s’applique aussi à la troupe qui fait cercle autour du chef. Cette intention est encore mieux accusée par la présence du mot ’gag « arrêter, empêcher », qui est le nom de la troisième des quatre vérités « destruction de la douleur » (en sanskrit nirodha). Je ne trouve pas la trace de cette allusion dans le mongol ; mais je crois l’apercevoir dans la version chinoise qui ne varie que très-légèrement d’une édition à l’autre. Notre passage peut se traduire ainsi, d’après la version purement chinoise : « Le cœur est comme la série des actes moraux ; si cette série vient à être interrompue, tout ce qui en est la conséquence s’arrête également. » Au lieu de « est comme » le texte de la Polyglotte donne : « produit. » Cependant, pour suivre l’idée de la comparaison, ce n’est pas la série, c’est le cœur, le point de départ qu’il faut supprimer ; peut-être convient-il de donner un sens spécial au mot chinois que nous traduisons par « série », tel que celui de « cause, origine, germe ». Quoiqu’il en soit, cette phrase fait allusion à l’enchaînement des causes connexes et, par suite, à la roue de la transmigration et à celle de la loi.


XXX bis


1. Article très-réduit dans l’édition chinoise, — xxxe de la traduction de Huc. C’est ici qu’il est difficile de faire les coupures indispensables. On peut employer deux moyens : 1o Réunir l’épisode qui forme le présent paragraphe au précèdent ; c’est ce que conseille le texte de l’édition purement chinoise, très-brève en cet endroit. Nous adoptons ce système qui a pour effet de présenter les deux épisodes comme des récits du Buddha ; 2o faire de ce paragraphe un article à part : c’est ce qu’a fait Huc qui, par la réunion des deux premiers articles du Sûtra en un seul, s’est trouvé jusqu’ici en retard d’une unité sur nos numéros. Cest aussi ce qu’a fait M. Beal ; seulement, n’étant pas dans la même situation que Huc, il a dû réunir à ce paragraphe le paragraphe suivant, qui cependant se comporte comme un article distinct : j’avais fait le même arrangement dans mon texte autographié du Sûtra des 42 articles en trois langues. — L’embarras est si grand que M. Schiefner, qui compte autant d’articles que de paragraphes, a détaché la dernière phrase de ce qui est notre article xxx (son xxix) pour en faire la première de son article xxx (qui est notre xxx bis). — J’aurais préféré compter autant d’articles que de paragraphes ; mais la chose étant impossible, je donne à celui-ci le numéro xxx bis, ce qui me permet au moins de maintenir la distinction et l’indépendance des paragraphes.

2. Le Buddha immédiatement antérieur au Buddha actuel Çâkyamuni dans la série des Buddhas.

3. Il y a dans le Jâtaka pâli 330 un épisode qui ressemble tout à fait à celui-ci par le fait et par les idées : du reste, la rédaction n’est pas la même ; la stance est aussi différente. Il n’y a pourtant pas lieu de douter que notre stance ne doive se rencontrer dans les écritures pâlies.

L’épisode de notre article xxx bis ne se trouve pas dans la version de l’édition purement chinoise : cet article n’y est représenté que par une stance attribuée également à Kâçyapa, mais différente de celle qui se trouve dans la Polyglotte. C’est le Buddha qui l’aurait citée à l’occasion de l’homme mutilé. Voici le texte :


« Le Buddha prononça cette gâthâ :


Les désirs prennent naissance dans votre volonté ;
La volonté naît des pensées.
Quand il y a deux cœurs et que chacun d’eux est en repos,
Il n’y a point de forme, il n’y a point non plus d’action.


Le Buddha ajouta : cette gâthâ est une parole de Kâçyapa. »


C’est à cela que se réduit dans l’édition purement chinoise notre article xxx bis.

Dans la « traduction » de De Guignes les art. xxx et xxx bis se réduisent à ceci : « C’est en vain qu’on se coupe les membres, si le cœur est corrompu. »


XXXIII


1. Le texte de l’édition purement chinoise donne le titre du livre lu par le Çramana, il l’appelle Kia-Chè-Fo (Kâçyapa) Oéy Kiao King ; ce que je traduis « le livre de la doctrine communiquée par Kâçyapa » — De Guignes, dans sa traduction, dit : « Un Samanéen qui avait lu le livre de Kia-Ki » et ajoute en note : « C’est un ancien philosophe qui a fait un ouvrage appelé Goei-Kiao-King. » Dans son « Mémoire sur l’établissement de la religion indienne dans la Chine », il cite le Goei-Kiao-King qu’il appelle « le livre de la doctrine transmise » (p. 279 du tome LX des Comptes-rendus de l’Académie des Inscriptions et belles-lettres), dans une liste d’écrits bouddhiques chinois, et il donne des renseignements sur ce livre un peu plus loin (p. 179). Il nous semble inutile de discuter les opinions émises par De Guignes à ce sujet. Quel est le Kâçyapa auquel ce livre est attribué ? Est-ce le Buddha Kâçyapa, personnage imaginaire, ou Kâçyapa, le compilateur du Vinayapitaka ? Le plus ancien des deux, le Buddha, apparemment ; car, d’après le témoignage même des écrivains bouddhistes, il n’y a point de rédaction antérieure au Nirvâna : donc, un livre écrit par un disciple ne pouvait pas exister du vivant de Çâkyamuni.

2. Autre traduction de cette phrase : « Un Çramana, en lisant la nuit, fut soudain frappé par une harmonie puissante ; il se repentit (de s’être fait moine) et songea à rentrer dans une maison. » — Il y aurait à discuter longuement sur cette double interprétation.


XXXV


1. Cet article n’est pas dans l’édition purement chinoise ; cependant il exprime des notions profondément bouddhiques. La douleur, en effet, domine toute l’existence : depuis la naissance jusqu’à la mort, depuis la mort jusqu’à la renaissance, la douleur règne en maîtresse absolue. Souffrir et exister, c’est tout un ; et l’enseignement du Buddha a pour but de supprimer la douleur, en supprimant l’existence. C’est ce que l’article aurait dû dire ; car, en mettant sur le même rang ceux qui suivent la voie et ceux qui ne la suivent pas, il semble déclarer que la voie est inutile. Il est singulier que, dans la recension de Khien-lung, on ait ajouté ce paragraphe (car je repousse l’hypothèse qu’on l’ait retranché du texte chinois pur que je considère comme plus ancien) sous cette forme et sans dire un mot des avantages que la voie du Buddha assure à ses sectateurs à travers le dédale des douleurs qui accompagnent l’existence.


XXXVI


1. On a déjà vu (art. x) qu’il y a vingt choses difficiles dans le monde ; en voici huit autres, mais d’une nature plus spéciale, et qui s’échelonnent en formant une gradation. Notons aussi, au point de vue de la gradation, la ressemblance de cet article avec le x.

2. Le texte chinois de la Polyglotte dit : « les trois mauvaises destinées » (la renaissance animale, démoniaque, infernale).

3. Les deux textes chinois disent : « les six organes » (les cinq sens et le manas, le sens commun).

4. C’est l’Inde centrale que les livres bouddhiques, et en général les livres indiens, appellent « le pays du milieu » ; mais pour les Chinois, c’est leur propre pays. Aussi, pour un Chinois, ce passage est équivoque ou même inintelligible, à moins qu’il ne soit prévenu qu’il s’agit de l’Inde centrale.

5. « Rencontrer la voie », dit ici l’édition purement chinoise qui supprime la mention d’un roi de la loi. Mais M. Schiefner la supprime aussi et je ne me l’explique pas. Sa traduction porte : « Quand bien même on a participé à la doctrine du Buddha, il est difficile de naître dans la maison d’un Bodhisattva. » Il supprime ainsi la 6e sentence. Il faut que ce soit par oubli ; car le texte dont il s’est servi ne doit pas différer de notre Polyglotte. — Bodhisattva, futur Buddha.

6. L’édition purement chinoise dit ici : « Produire la Bodhi », c’est-à-dire devenir un Buddha.

L’édition chinoise ne se distingue pas seulement par certaines sentences autres que celle de la Polyglotte (« s’élever à la foi » au lieu de « rencontrer un roi de la loi », et « atteindre la Bodhi » au lieu de « naître dans la maison d’un Bodhisattva » ; elle renferme une neuvième difficulté que voici : « Même quand on a produit une pensée de Bodhi, il est difficile d’être sans ornement, sans correction » ; cette sentence assez obscure correspond très-exactement à la dernière du chapitre x qui a déjà fait l’objet de nos remarques. Elle implique un état d’annihilation de vacuité, de détachement absolu qui est bien dans l’esprit du bouddhisme, mais qui est en même temps présenté comme une condition de l’être supérieure à la Bodhi elle-même ; ce qui est inadmissible. La Bodhi est anuttarâ, comme on dit en sanskrit, il n’y a rien au-dessus d’elle. Les sentences qui rentrent dans cet ordre d’idées ne peuvent être primitives, elles ont dû être ajoutées après coup au Sûtra ; et si, comme nous le pensons, les compilateurs auxquels nous devons la Polyglotte les ont élaguées, ils ont amendé le texte.


XXXVIII


1. Par « ce qui n’est pas utile » il faut entendre « ce qui est nuisible ». Anartha en sanskrit a généralement ce sens ; comme, du reste, le mot latin « inutilis » signifie souvent le contraire de ce qui est utile, ce qui est dommageable.


XL


1. Cet article est tout autre dans l’édition purement chinoise. La comparaison tirée du chapelet en est absente, la comparaison tirée du bœuf qui va entrer en scène dans l’article suivant y est déjà employée. Parmi les vingt-six caractères (six vers de quatre caractères chacun) qui composent ce chapitre, il n’y en a pas un qui soit difficile ; et cependant l’article est énigmatique. Je le traduis ainsi :


Çramanas, pratiquez la voie,
Non comme un bœuf qui tourne la meule.
Le corps a beau pratiquer la voie,
Le cœur ne pratique pas la voie (pour cela) ;
Si le cœur pratique la voie,
À quoi bon pratiquer la voie (extérieurement) ?


Le sens paraît être que ce qui importe pour observer la loi, c’est l’état du cœur ; les actions du corps sont sans valeur. Le terme mo que je rends par « tourner la meule » n’a peut-être pas ce sens-là dans notre texte. Car ce caractère qui se prononce aussi « polir des pierres », est le nom chinois du yak ou « bœuf grognant » du Tibet. Aussi faudrait-il peut-être tout simplement traduire par « n’est point comme un yak ». — Le bœuf est sans doute introduit ici comme symbole de la stupidité, de l’inintelligence.

2. Le terme « obscurité » désigne les passions aussi bien que l’ignorance ; les bouddhistes sont facilement portés à confondre ces deux choses.


XLII


1. Ce terme, qui revient en tête de chacune des treize propositions de cet article, ne se trouve que dans le tibétain et le mongol ; le chinois et le mandchou emploient le pronom de la première personne, et disent : « À mes yeux » ou « je considère etc. »

2. Chaque traducteur a rendu ce mot à sa manière. Voici les diverses interprétations : « Un grain de moutarde » (Huc), « le myrobolan » (Schiefner), « un atôme » (De Guignes), « la lettre A » (Beal). — Je traduis comme M. Schiefner, car le mot tibétain skyu-ru-ra (fautivement écrit sgyu, etc.) est le nom du myrobolan.

3. M. Beal traduit : « Les quatre grandes rivières du lac Anavatapta. » Ce nom se trouve en effet, écrit tout au long, dans le texte de l’édition purement chinoise, par les trois caractères qui reproduisent le mot sanskrit Anavatapta. Dans le texte chinois de la Polyglotte le nom de l’Anavatapta est représenté par un seul caractère, le second.

4. À partir de ce paragraphe, l’expression du mépris est remplacée par celle de l’admiration. — L’habileté dans les moyens est très-vantée par le bouddhisme ; il y a des traités spéciaux sur ce sujet ; il y a déjà été fait allusion (art. xii, sentence 17).

5. Pour la Samâdhi, voir le préambule (note 4).

6. Le Sumeru est une montagne célèbre qui est censée porter le ciel et constituer les assises de la terre, du monde entier.

7. Qu’est-ce que ces six nâgas et leur danse ? Je l’ignore. M. Schiefner ne le sait pas davantage ; du moins, il ne le savait pas en 1851. Mais il fait remarquer que, dans la mythologie des Germains, la danse des esprits des eaux est un signe de joie, que leur nom en suédois nak ressemble beaucoup à Nâga. Les nâgas sont des serpents d’eau dont il est souvent question dans les livres brahmaniques et plus encore dans les livres bouddhiques.


Fin


Cette fin banale est celle qui termine tous les Sûtras ; elle n’a rien de spécial au Sûtra des 42 articles.




ÉPILOGUE


1. La forme tibétaine est T’i-u t’o-u. — On dit en chinois Tcheou Tchao Wang, c’est-à-dire Tchao-Wang (ou « l’empereur Tchao ») de la dynastie des Tcheou. Il régna de 1052 à 1002 av. J.-C. — La date fournie par notre texte correspondrait donc à 1029 avant notre ère.

2. La forme tibétaine est Mu-wang ; il s’agit du successeur de Tchao-Wang (1001-946). L’année donnée ici serait donc 949 : ce qui mettrait le Nirvâna quatre siècles avant l’époque que les Singhalais lui assignent. M. Beal (Travels of Buddhist pilgrims, p. 23) donne la date 770. — Je ne discuterai pas sur ce point : mais c’est un fait bien connu que les bouddhistes du nord, en particulier ceux de Chine, reculent beaucoup plus loin dans le passé que ceux de Ceylan l’origine de leur religion. — Les expressions « tigre de bois, singe d’eau », appartiennent à la nomenclature du cycle de soixante ans, dans lequel les noms des douze animaux qui président aux années sont combinés avec ceux des cinq corps de la nature, le bois, le feu, la terre, le fer, l’eau.

3. Ming-ti, de la dynastie des Hân, régna de 58 à 76 après J.-C. — La date correspond donc à 65 de notre ère. Les mots chinois yong phing qui revient deux fois et que le tibétain transcrit d’abord yung phing et ensuite yong pheng, sont bien connus pour être le nom de la septième année de Ming-ti. — Nous ferons cependant observer que le terme yong phing ne figure pas dans les noms qui forment la liste du cycle de soixante ans, mais qu’un des noms de cette liste s’en rapproche assez, c’est Phing yin (« tigre de feu »), et que ce nom est précisément celui de la soixante-sixième année de notre ère, selon l’Art de vérifier les dates.

4. Ce nom est transcrit en tibétain hphu-yi.

5. Outre Wang-thsun, M. Beal (Asiat. Journ. of London, 1862, p. 337), cite Tsai-in, chef militaire, et Tsin-king, chef civil aussi bien que Wang-thsun.

6. Ce nom est transcrit en tibétain Yvo-çi. M. Beal (loco citato) dit : « Tai yue Chi (Getœ). » Mais ce nom doit être indien. Youe répond au sanskrit vi et probablement aussi à Vri (Méthode Julien, no 2270). — Chi répond au sanskrit ji (Méth. Julien, no 205). — Ne s’agirait-il pas du pays de Vriji ?

7. D’après ces données, le voyage aurait duré moins d’un an ; c’est peu pour une mission aussi longue, aussi difficile et aussi laborieuse. M. Beal (loco citato) dit : « Onze ans. » C’est plus satisfaisant. Mais peut-on expliquer ce retour du nom de la même année ?

8. Le nom de ce célèbre monastère est écrit en tibétain Lô-ui yang. D’autres documents cités par Abel Rémusat (Foe-koue-ki, p. 44) et par M. Beal (As. Journ., p. 338), rapportent qu’on éleva dans cette localité un monastère du cheval blanc, en mémoire du transport des livres bouddhiques de l’Inde en Chine, par Matanga et Gobharana qui achevèrent leur vie dans cette retraite. — Ce dernier détail est contraire à la donnée fournie par notre texte : il faut convenir qu’il est, de tous points, plus croyable. — Du reste, pour toute cette histoire, on peut consulter le Foe-koue-ki (Ch. VII et notes, p. 35 et 44).

9. Bon est le nom de l’ancienne religion des Tibétains, qui l’appliquent, par analogie, aux religions primitives des pays où le bouddhisme a pénétré. Le passage chinois correspondant est tsoui fô i tao. « Ils firent cesser le respect des doctrines différentes (de celle du Buddha) ». Au lieu de « sectateurs de Bon », M. Schiefner dit : les tao-sse de la Chine ; Huc avait fait de même. Je ne trouve pas dans le texte chinois l’expression tao-sse. J’accepte néanmoins la traduction, mais non l’identification de la doctrine de Bon et de celle des tao-sse. Klaproth a soutenu cette opinion. Dans les notes du Foe-koue-ki (p. 230-1), il ne fait pas de différence entre les sectateurs de Bon et les tao-sse. C’est une opinion fort contestable, sinon erronée. D’ailleurs, Klaproth a cru à tort voir le nom des tao-sse dans l’expression tao-jin (homme de la voie), que Fa-Hian emploie à plusieurs reprises et que M. Beal traduit fort bien, à mon avis, par « disciple fidèle, disciple du Buddha ». En effet, le mot chinois tao a bien des applications diverses, et on commettrait de singulières méprises, si on ne voulait voir sous ce mot que ce que l’on appelle en Chine « le tao », c’est-à-dire, la doctrine particulière des tao-sse.

10. La Plaine (noire) est le nom tibétain de la Chine, la plaine blanche étant celui de l’Inde.

11. Cette partie n’a pas été traduite par M. Schiefner qui s’est borné à en donner une analyse en tête de son travail.

12. Gnam skyong gong, expression fidèlement traduite en mongol et qui répond à l’expression chinoise Khien-long, nom de l’empereur. La traduction Mandchoue du chinois Khien-long est, selon Abel Rémusat (Nouveaux mélanges asiatiques II, 45) Abkaï Wekhiyekhe. Mais cette expression ne se trouve pas dans la partie Mandchoue de la Polyglotte, qui y substitue celle-ci : Manjusiri edshen (« le seigneur Manjuçri »). Le terme Manjuçri signifie littéralement « La Fortune douce » et peut à peine passer pour une traduction, un équivalent de Khien-long. Que vient faire ici le nom de ce Bodhisattva imaginaire ? Est-ce l’effet d’une simple méprise ? A-t-il été mis là par intention ? Est-ce une manifestation d’un zèle bouddhique exagéré ? La méprise est difficile à admettre ; et l’intention ne se justifierait guère ; car, les Tibétains qui se connaissent mieux que personne en manifestation de zèle bouddhique, n’ont point été chercher Manjuçri et se sont contentés de traduire le mieux possible l’expression chinoise Khien-long.

La mention de l’ordre de Khien-long est accompagnée d’une date dans le chinois seulement. Les caractères semblent devoir se lire sin-tcheou-souy (« année sin-tcheou »). — Or, 1721 et 1781 sont des années sin-tcheou ; mais la seconde seule (1781) appartient au règne de Khien-long compris entre 1735 et 1796. Faut-il descendre jusqu’à une date si rapprochée de nous ? 1721, proposé par M. Beal, est antérieur à Khien-long ; 1741, proposé ci-dessus (Intr., p. xlvii), est une année sin-yeou et semble devoir être écarté. Il y a là une difficulté que je ne sais pas résoudre.

13. Les noms des trois traducteurs sont sanskrits et donnés sous la forme sanskrite. Ces noms sont-ils les véritables ? ou ont-ils été traduits du tibétain en sanskrit ? Nous ne savons. Ce qui est certain, c’est ce que ces noms étaient d’origine indienne et que s’ils avaient été mis sous la forme tibétaine, il était très-facile de les ramener à la forme originelle. Cependant il est plus probable qu’ils étaient habituellement employés sous la forme sanskrite. À l’exemple du tibétain, le mongol, le chinois et le mandchou reproduisent ces noms sous la forme sanskrite, en les transcrivant.

Les noms des deux auteurs de la version tibétaine sont accompagnés d’un terme que je ne comprends pas : dka « difficile », vcu « dix. » Je le traduis par « dix fois éprouvé » ; mais il est certain que ce ne doit pas être le véritable sens. Il est à remarquer que le mongol transcrit ce terme sans le traduire : le chinois en fait autant, aussi bien que le mandchou : ainsi tous les textes traitent ce terme tibétain comme les noms sanskrits ; ils le transcrivent sans le traduire ; ce qui donnerait lieu de croire qu’il est intraduisible. C’est certainement un titre honorifique ; mais c’est tout ce que nous en pouvons dire. — Peut-être vaudrait-il mieux faire comme les textes parallèles, transcrire ce nom au lieu de le traduire et dire : « Le Katchou Subhagaçreyadhvaja et le Katchou Dhyânarishtamvyâsa » singulière alliance d’un nom sanskrit et d’un titre tibétain.

Le terme tibétain Rab byams pa qui accompagne le nom du traducteur mongol est plus clair ; Csoma le donne dans son dictionnaire ; mais il est également transcrit, non traduit dans le mongol lui-même, ainsi que dans le chinois et le mandchou. Je le rends par « docteur ».

14. Jina (« le victorieux ») est, on le sait, un des noms, une des désignations du Buddha.

15. L’épilogue qui termine le texte de l’édition purement chinoise est tout autre que celui de la Polyglotte. Il n’est pas historique.


FIN DES NOTES

P. S. — Au dernier moment, je trouve, à la Bibliothèque nationale, sous le no 3599 du fonds chinois, un manuscrit intitulé : « Livre de Fo, copié d’après l’exemplaire de la Bibliothèque du Roy. » Le texte chinois occupe 16 pages, il est accompagné d’une traduction qui en occupe 14, et commence au milieu de l’article III ; la première page manque. Cette traduction est évidemment le travail complet de De Guignes ; on y retrouve des phrases de la traduction insérée dans l’Histoire des Huns. Celle-ci, nous l’avons dit, a été arrangée et abrégée ; la traduction manuscrite suit le texte sans rien omettre. Ce texte est celui de l’édition purement chinoise que nous connaissons. La copie en caractère chinois doit être la reproduction exacte de ce même texte ; mais je n’ai pas eu le temps de vérifier.

Le manuscrit est de la main de De Guignes, je n’en saurais douter. Je n’ai pu en comparer l’écriture qu’avec celle d’un seul manuscrit du même auteur, les « Notes sur la grammaire chinoise de Fourmont ». Les deux écritures diffèrent ; j’en conclus simplement que le manuscrit des « Notes, etc. » doit être une copie, et non l’écrit original.

Je m’arrête en regrettant d’être si bref ; le temps me manque comme l’espace. Mais après avoir tant parlé des travaux de De Guignes, je ne pouvais pas me dispenser de dire un mot de ce manuscrit que j’ai eu le tort ou le malheur de découvrir trop tard.