Le Rut ou la pudeur éteinte


LE RUT
ou
LA PUDEUR ÉTEINTE




Leyde, 1676.

PRÉFACE




Lecteur,

Tu trouveras de quoi te divertir dans ce livre, ou tu n’es pas facile à contenter. Ne t’en rapporte pas toutefois à mon sentiment ; les pères sont fous de leurs enfants, et les auteurs de leurs ouvrages. Mais la dépense n’est pas grande, et deux escalins[1] qu’il t’en coûtera, pour cette bigarrure, ne valent pas le papier. D’ailleurs, que sais-tu, cher lecteur, si Mlle de Scay, à qui tu feras la cour par ce moyen, ne deviendra point amoureuse de toi ? Elle a encore quelque monnaie qui ne t’incommoderait pas, et que tu ne lui trouverais plus, si j’avais voulu continuer d’être comme à toi,

Lecteur,
Très humble serviteur,
P.-C. B.

À MADEMOISELLE DE SCAY




Mademoiselle,

L’ingratitude est le plus noir de tous les crimes, et j’estime avoir lu quelque part que les dieux descendirent un jour sur la terre pour en prendre vengeance. Ainsi trouvez bon, je vous prie, que je me tire de pair de ceux qui nourrissent ce serpent dans les sombres replis de leurs âmes, et que, pour reconnaissance du diamant que vous me donnâtes, de la plus obligeante manière du monde, lorsqu’à la faveur de votre masque vous sûtes venir dans la prison d’Alençon vous soumettre à ce malheureux priape que vous avez encore dû, depuis, courir deux ans sans l’attraper, je vous offre cette petite veille de ma muse qui se souviendra éternellement de ce jour-là. Ne pensez pas, mademoiselle, que je puisse me flatter de m’être acquitté, par ce léger présent, d’un bien que je publie sans cesse et dont j’ai donné des mémoires à la courrière de tout l’univers. Non, non, ma gratitude étend plus loin son empire, et je vous proteste avec vérité qu’il n’y a point de genre de vers dont je n’aie exalté cette admirable franchise. Je composai encore dernièrement une petite comédie dont je vous fis la principale héroïne, et qui s’intitule : le Bordel de mademoiselle de Scay, ou Marthe Le Hayer ; et de peur qu’on ignorât que vous en êtes le lubrique sujet, j’ajoutai : « cousine germaine de l’auteur des Palmes du Juste, premier fripon de notre siècle, et issue de germain du procureur du roi d’Alençon, surnommé, par excellence, le pou de la ville. » Mais comme je vous y ai tracée avec toute cette effronterie qui vous est naturelle et qui fait lever les épaules aux honnêtes personnes de votre sexe, s’il s’en trouve, quelques-uns de mes amis m’ont détourné de lui faire courir le hasard de l’impression et m’ont mis devant les yeux la rougeur que je causerais à votre modestie qui paya le tribut à la Parque entre les mains du marquis de Courcelles, il y a plus de dix ans, s’il arrivait que le destin le conduisit un jour dans votre cabinet. J’espère toutefois franchir le pas et vous donner enfin de plus sincères marques du zèle qui m’anime et qui me fait porter inviolablement la qualité,

Mademoiselle,
De votre très humble et très
obéissant serviteur,
P.-C. B.



  1. L’escalin de Hollande valait 0 fr. 52 cents, 91 centimes de notre monnaie.