Le Rossignol aveugle (Desbordes-Valmore)

Femmes-Poëtes de la France, Texte établi par H. BlanvaletLibrairie allemande de J. Kessmann (p. 64-72).



MME DESBORDES-VALMORE.

LE ROSSIGNOL AVEUGLE.


Pauvre exilé de l’air ! sans ailes, sans lumière,
Oh ! comme on t’a fait malheureux !
Quelle ombre impénétrable inonde ta paupière !
Quel deuil est étendu sur tes chants douloureux !
Innocent Bélisaire ! une empreinte brûlante
Du jour sur ta prunelle a séché les couleurs ;
Et ta mémoire y roule incessamment des pleurs ;
Et tu ne sais pourquoi Dieu fait la nuit si lente !
Et Dieu nous verse encor la nuit égale au jour.
Non ! ta nuit sans rayons n’est pas son triste ouvrage ;
Il ouvrit tout un ciel à ton vol plein d’amour ;
Et ton vol mutilé l’outrage !

Par lui ton cœur éteint s’illumine d’espoir ;
Un éclair qu’il allume à ton horizon noir
Te fait rêver de l’aube, ou des étoiles blanches,
Ou d’un reflet de l’eau qui glisse entre les branches
Des bois que tu ne peux plus voir.

Et tu chantes les bois, puisque tu vis encore ;
Tu chantes : pour l’oiseau respirer, c’est chanter.
Mais quoi ! pour moduler l’ennui qui te dévore,
Sous le voile vivant qui t’usurpe l’aurore,
Combien d’autres accents te faut-il inventer !

Un cœur d’oiseau sait-il tant de notes plaintives ?
Ah ! quand la liberté soufflait dans tes chansons,
Qu’avec ravissement tes ailes incaptives
Dans l’azur sans barrière emportaient ses leçons !

Douce horloge du soir aux saules suspendue,
Ton timbre jetait l’heure aux pâtres dispersés !
Mais le timbre égaré dans ta clarté perdue
Sonne toujours minuit sur tes chants oppressés :
Tes chants n’éveillent plus la pâle primevère,
Qui meurt sans recevoir les baisers du soleil,
Ni le bluet fermé sous le doigt du sommeil,
Qui se rouvre baigné d’une rosée amère.
Tu ne sais plus quel astre éclaire tes instants !
Tu bois, sans les compter, tes heures de souffrance !
Car la veille sans espérance
Ne sent pas la fuite du temps !





LA MAISON DE MA MÈRE.


Et je ne savais rien à dix ans qu’être heureuse ;
Rien que jeter au ciel ma voix d’oiseau, mes fleurs ;
Rien, durant ma croissance aiguë et douloureuse,
Que plonger dans ses bras mon sommeil ou mes pleurs ;
Je n’avais rien appris, rien lu que ma prière,
Quand mon sein se gonfla de chants mystérieux ;
J’écoutais Notre-Dame et j’épelais les cieux,
Et la vague harmonie inondait ma paupière :
Les mots seuls y manquaient ; mais je croyais qu’un jour
On m’entendrait aimer pour me répondre : Amour !

Et ma mère disait : „C’est une maladie ;
Un mélange de jeux, de pleurs, de mélodie ;
C’est le cœur de mon cœur ! Oui, ma fille, plus tard
Vous trouverez l’amour et la vie…. autre part.“






RÊVE D’UNE FEMME.


Veux-tu recommencer la vie ?
Femme, dont le front va pâlir,
Veux-tu l’enfance, encor suivie
D’anges enfants pour l’embellir ?
Veux-tu les baisers de ta mère,
Échauffant tes jours au berceau ?
— „Quoi ! mon doux Éden éphémère ?
Oh ! oui, mon Dieu ! c’était si beau !“

Sous la paternelle puissance,
Veux-tu reprendre un calme essor,
Et dans des parfums d’innocence
Laisser épanouir ton sort ?
Veux-tu remonter le bel âge,
L’aile au vent comme un jeune oiseau ?
— „Pourvu qu’il dure davantage.
Oh ! oui, mon Dieu ! c’était si beau !“


Veux-tu rapprendre l’ignorance,
Dans un livre à peine entr’ouvert ?
Veux-tu la plus vierge espérance,
Oublieuse aussi de l’hiver ?
Tes frais chemins et tes colombes.
Les veux-tu jeunes comme toi ?
— „Si mes chemins n’ont plus de tombes,
Oh ! oui, mon Dieu ! rendez-les-moi !“

Reprends donc de ta destinée
L’encens, la musique, les fleurs ;
Et reviens, d’année en année,
Au jour où tout éclate en pleurs !
Va retrouver l’amour, le même !
Lampe orageuse, allume-toi !
— „Retourner au monde où l’on aime…
Ô mon Sauveur, éteignez-moi !“






QU’EN AVEZ-VOUS FAIT ?


Vous aviez mon cœur,
Moi, j’avais le vôtre :
Un cœur pour un cœur ;
Bonheur pour bonheur !

Le vôtre est rendu ;
Je n’en ai plus d’autre ;
Le vôtre est rendu,
Le mien est perdu !

La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L’encens, la couleur :


Qu’en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu’en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?

Comme un pauvre enfant,
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant,
Que rien ne défend :

Vous me laissez là.
Dans ma vie amère ;
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !

Savez-vous qu’un jour
L’homme est seul au monde ?
Savez-vous qu’un jour
Il revoit l’amour ?

Vous appellerez,
Sans qu’on vous réponde.
Vous appellerez.
Et vous songerez ! …


Vous viendrez rêvant,
Sonner à ma porte ;
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant.

Et l’on vous dira :
„Personne !… elle est morte !“
On vous le dira :
Mais qui vous plaindra ?






L’OREILLER D’UNE PETITE FILLE.


Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête,
Plein de plumes choisies, et blanc, et fait pour moi !
Quand on a peur du vent, des loups, de la tempête,
Cher petit oreiller, que je dors bien sur toi !

Beaucoup, beaucoup d’enfants, pauvres et nus, sans mère,
Sans maison, n’ont jamais d’oreiller pour dormir ;
Ils ont toujours sommeil ! ô destinée amère !
Maman, douce maman, cela me fait gémir.

Et quand j’ai prié Dieu pour tous ces petits anges
Qui n’ont pas d’oreiller, moi, j’embrasse le mien ;
Et, seule en mon doux nid qu’à tes pieds tu m’arranges,
Je te bénis, ma mère, et je touche le tien.

Je ne m’éveillerai qu’à la lueur première
De l’aube au rideau bleu : c’est si gai de la voir !
Je vais dire tout bas ma plus tendre prière,
Donne encor un baiser, douce maman ; bon soir !