Le Rossignol - La Source - Hélène - A Frédéric Mistral


POÉSIES


LE ROSSIGNOL


A l’heure où la nuit calme emplit le ciel immense
Et que, par l’infini que son verbe ensemence,
Dieu guide les mondes en chœur,
Dans le sein parfumé de la forêt profonde,
Sans souci que l’écho se taise ou lui réponde,
Le rossignol chante à plein cœur !

La voix monte, d’abord lente ou vive, indécise ;
Bientôt l’artiste ailé de son rêve se grise,
Un trille part, d’autres suivi ;
La mélodie à Ilots s’épand, s’épand sans cesse,
Puis, insensiblement, la voix enchanteresse
Meurt dans le silence ravi.

Tandis que ses enfans reposent sous le chaume,
Le paysan, caché dans l’ombre qui l’embaume,
Ecoute ce chant merveilleux :
C’est comme un cordial puissant qui le pénètre
Et rend avec l’espoir la vigueur à son être,
Le même qu’ont bu ses aïeux.

Dans le parc séculaire où se pâment les roses,
La vierge exhale enfin de ses lèvres mi-closes
L’aveu qu’on ne peut retenir,
Et de son chaste amour attestant les étoiles,
De ses yeux rayonnans cherche à lire en tes voiles,
O mystérieux avenir !


Et l’artiste en extase évoque des féeries
Au fond des bois où dort sur les mousses fleuries
Un rayon de lune argenté,
Et pendant que le chant éperdument s’élève,
Tout à l’œuvre qu’il crée, avec délice il rêve
De gloire et d’immortalité !

O Rossignol divin, voix de la Nuit muette
Qu’on entendra toujours, bienheureux le poète
Qui, comme toi, petit oiseau,
Puise d’un cœur ému ses chants dans la nature
Et peut, sans la troubler, charmer une âme pure
En y versant l’amour du Beau.


LA SOURCE


Cachée au fond des bois, loin des pas indiscrets,
Elle chante, ignorée, et son murmure frais
Seul au silence la révèle ;
Des fleurs et de la mousse entourent son flot pur,
Et limpide, elle brille ainsi qu’un œil d’azur
Dès que vient la saison nouvelle.

Lorsqu’un soleil de feu courbe les épis lourds
Et que, dans l’air brûlant, vibrent les alentours,
Les oiseaux du Ciel y vont boire ;
Son eau vivifiante est suave ; on croirait
Qu’elle a pris tes vertus secrètes, ô forêt,
Quand Mai rayonne dans sa gloire.

Son tranquille miroir, par les matins d’été,
N’a jamais réfléchi dans sa limpidité
Que cette vision exquise :
La grâce et les traits purs d’une enfant de dix ans
Lorsque, pour y puiser, de chez les paysans
Y vient la petite Denise…


O cœur chaste, inconnu du monde, cœur charmant,
Ainsi toi, dans la lutte ou dans l’accablement,
Tu reposes mon âme lasse
De porter les soucis et le fardeau du jour,
Et, rafraîchi soudain par ton fidèle amour
Qui demeure alors que tout passe,

Je chante dans la paix du foyer, louant Dieu
D’avoir mis sur ma route un coin de son ciel bleu,
Une halte douce et choisie,
Et sous notre humble toit, d’avoir joint à ma part
Ces deux trésors divins : ton amour et mon art,
Cette source et la Poésie !


HÉLÈNE


Type transfiguré de la beauté plastique,
Hélène éclipse tout de son front radieux ;
Elle pousse au combat les hommes et les dieux
Et son charme remplit la poésie antique.

Quiconque l’aperçoit, au cœur et dans les yeux
En garde, inconsolé, l’obsession magique,
Et désormais n’a plus que ce désir unique :
Mourir sous son regard toujours victorieux !

Ainsi, le cœur étreint d’une tristesse immense
Qui parfois se dissipe et toujours recommence,
Fier du martyre, ô gloire, auquel tu le soumets,

L’artiste génial, possédé par son rêve,
Épuisera ses jours à poursuivre sans trêve
L’idéal immortel qu’il n’atteindra jamais !


A FRÉDÉRIC MISTRAL


(pour le cinquantenaire de Mireille).


Cinquante ans de génie et cinquante ans d’honneur,
Où, comme des soleils, éclosent les chefs-d’œuvre
Déconcertant l’envie et ses basses manœuvres,
Tant ils sont, coup sur coup, rayonnans de splendeur !


Alliant sans effort la grâce et la puissance,
Avec ses flots d’azur, ses fleurs, son ciel charmant
Dont le cœur à jamais garde l’enchantement,
Comme dans un miroir y brille la Provence.

Créateur sans rival qui n’as rien imité,
Un idéal sublime a jailli de ton âme,
O Maître ! et dans ce jour la France entière acclame
Mistral entré vivant dans l’immortalité !

Levant son front de reine à chevelure noire
Que ceint, en diadème, un ruban de velours,
Eternellement jeune en ses chastes amours,
Mireille à tes genoux te sourit dans la gloire !


GEORGES GOURDON.