Le Roman de la momie/Prologue

Fasquelle (p. 1-63).

PROLOGUE

« J’ai un pressentiment que nous trouverons dans la vallée de Biban-el-Molouk une tombe inviolée, disait à un jeune Anglais de haute mine un personnage beaucoup plus humble, en essuyant d’un gros mouchoir à carreaux bleus son front chauve où perlaient des gouttes de sueur, comme s’il eût été modelé en argile poreuse et rempli d’eau ainsi qu’une gargoulette de Thèbes.

— Qu’Osiris vous entende, répondit au docteur allemand le jeune lord : c’est une invocation qu’on peut se permettre en face de l’ancienne Diospolis magna ; mais bien des fois déjà nous avons été déçus ; les chercheurs de trésors nous ont toujours devancés.

— Une tombe que n’auront fouillée ni les rois pasteurs, ni les Mèdes de Cambyse, ni les Grecs, ni les Romains, ni les Arabes, et qui nous livre ses richesses intactes et son mystère vierge, continua le savant en sueur avec un enthousiasme qui faisait pétiller ses prunelles derrière les verres de ses lunettes bleues.

— Et sur laquelle vous publierez une dissertation des plus érudites, qui vous placera dans la science à côté des Champollion, des Rosellini, des Wilkinson, des Lepsius et des Belzoni, dit le jeune lord.

— Je vous la dédierai, milord, je vous la dédierai : car sans vous qui m’avez traité avec une munificence royale, je n’aurais pu corroborer mon système par la vue des monuments, et je serais mort dans ma petite ville d’Allemagne sans avoir contemplé les merveilles de cette terre antique », répondit le savant d’un ton ému.

Cette conversation avait lieu non loin du Nil, à l’entrée de la vallée de Biban-el-Molouk, entre le Lord Evandale, monté sur un cheval arabe, et le docteur Rumphius, plus modestement juché sur un âne dont un fellah bâtonnait la maigre croupe ; la cange qui avait amené les deux voyageurs, et qui pendant leur séjour devait leur servir de logement, était amarrée de l’autre côté du Nil, devant le village de Louqsor, ses avirons parés, ses grandes voiles triangulaires roulées et liées aux vergues. Après avoir consacré quelques jours à la visite et à l’étude des stupéfiantes ruines de Thèbes, débris gigantesques d’un monde démesuré, ils avaient passé le fleuve sur un sandal (embarcation légère du pays), et se dirigeaient vers l’aride chaîne qui renferme dans son sein, au fond de mystérieux hypogées, les anciens habitants des palais de l’autre rive. Quelques hommes de l’équipage accompagnaient à distance Lord Evandale et le docteur Rumphius, tandis que les autres, étendus sur le pont à l’ombre de la cabine, fumaient paisiblement leur pipe tout en gardant l’embarcation.

Lord Evandale était un de ces jeunes Anglais irréprochables de tout point, comme en livre à la civilisation la haute vie britannique : il portait partout avec lui la sécurité dédaigneuse que donnent une grande fortune héréditaire, un nom historique inscrit sur le livre du Peerage and Baronetage, cette seconde Bible de l’Angleterre, et une beauté dont on ne pouvait rien dire, sinon qu’elle était trop parfaite pour un homme. En effet, sa tête pure, mais froide, semblait une copie en cire de la tête du Méléagre ou de l’Antinoüs. Le rose de ses lèvres et de ses joues avait l’air d’être produit par du carmin et du fard, et ses cheveux d’un blond foncé frisaient naturellement, avec toute la correction qu’un coiffeur émérite ou un habile valet de chambre eussent pu leur imposer. Cependant le regard ferme de ses prunelles d’un bleu d’acier et le léger mouvement de sneer qui faisait proéminer sa lèvre inférieure corrigeaient ce que cet ensemble aurait eu de trop efféminé.

Membre du club des Yachts, le jeune lord se permettait de temps à autre le caprice d’une excursion sur son léger bâtiment appelé Puck, construit en bois de teck, aménagé comme un boudoir et conduit par un équipage peu nombreux, mais composé de marins choisis. L’année précédente il avait visité l’Islande ; cette année il visitait l’Égypte, et son yacht l’attendait dans la rade d’Alexandrie ; il avait emmené avec lui un savant, un médecin, un naturaliste, un dessinateur et un photographe, pour que sa promenade ne fût pas inutile ; lui-même était fort instruit, et ses succès du monde n’avaient pas fait oublier ses triomphes à l’université de Cambridge. Il était habillé avec cette rectitude et cette propreté méticuleuse caractéristique des Anglais qui arpentent les sables du désert dans la même tenue qu’ils auraient en se promenant sur la jetée de Ramsgate ou sur les larges trottoirs du West-End. Un paletot, un gilet et un pantalon de coutil blanc, destiné à répercuter les rayons solaires, composaient son costume, que complétaient une étroite cravate bleue à pois blancs, et un chapeau de Panama d’une extrême finesse garni d’un voile de gaze.

Rumphius, l’égyptologue, conservait, même sous ce brûlant climat, l’habit noir traditionnel du savant avec ses pans flasques, son collet recroquevillé, ses boutons éraillés, dont quelques-uns s’étaient échappés de leur capsule de soie. Son pantalon noir luisait par places et laissait voir la trame ; près du genou droit, l’observateur attentif eût remarqué sur le fond grisâtre de l’étoffe un travail régulier de hachures d’un ton plus vigoureux, qui témoignait chez le savant de l’habitude d’essuyer sa plume trop chargée d’encre sur cette partie de son vêtement. Sa cravate de mousseline roulée en corde flottait lâchement autour de son col, remarquable par la forte saillie de ce cartilage appelé par les bonnes femmes la pomme d’Adam. S’il était vêtu avec une négligence scientifique, en revanche Rumphius n’était pas beau : quelques cheveux roussâtres, mélangés de fils gris, se massaient derrière ses oreilles écartées et se rebellaient contre le collet beaucoup trop haut de son habit ; son crâne, entièrement dénudé, brillait comme un os et surplombait un nez d’une prodigieuse longueur, spongieux et bulbeux du bout, configuration qui, jointe aux disques bleuâtres formés par les lunettes à la place des yeux, lui donnait une vague apparence d’ibis, encore augmentée par l’enfoncement des épaules : aspect tout à fait convenable d’ailleurs et presque providentiel pour un déchiffreur d’inscriptions et de cartouches hiéroglyphiques. On eût dit un dieu ibiocéphale, comme on en voit sur les fresques funèbres, confiné dans un corps de savant par suite de quelque transmigration.

Le lord et le docteur cheminaient vers les rochers à pic qui enserrent la funèbre vallée de Biban-el-Molouk, la nécropole royale de l’ancienne Thèbes, tenant la conversation dont nous avons rapporté quelques phrases, lorsque, sortant comme un troglodyte de la gueule noire d’un sépulcre vide, habitation ordinaire des fellahs, un nouveau personnage, vêtu d’une façon assez théâtrale, fit brusquement son entrée en scène, se posa devant les voyageurs et les salua de ce gracieux salut des Orientaux, à la fois humble, caressant et digne.

C’était un Grec, entrepreneur de fouilles, marchand et fabricant d’antiquités, vendant du neuf au besoin à défaut de vieux. Rien en lui, d’ailleurs, ne sentait le vulgaire et famélique exploiteur d’étrangers. Il portait le tarbouch de feutre rouge, inondé par-derrière d’une longue houppe de soie floche bleue, et laissant voir, sous l’étroit liséré blanc d’une première calotte de toile piquée, des tempes rasées aux tons de barbe fraîchement faite. Son teint olivâtre, ses sourcils noirs, son nez crochu, ses yeux d’oiseau de proie, ses grosses moustaches, son menton presque séparé par une fossette qui avait l’air d’un coup de sabre lui eussent donné une authentique physionomie de brigand, si la rudesse de ses traits n’eût été tempérée par l’aménité de commande et le sourire servile du spéculateur fréquemment en rapport avec le public. Son costume était fort propre : il consistait en une veste cannelle soutachée en soie de même couleur, des cnémides ou guêtres d’étoffe pareille, un gilet blanc orné de boutons semblables à des fleurs de camomille, une large ceinture rouge et d’immenses grègues aux plis multipliés et bouffants.

Ce Grec observait depuis longtemps la cange à l’ancre devant Louqsor. À la grandeur de la barque, au nombre des rameurs, à la magnificence de l’installation, et surtout au pavillon d’Angleterre placé à la poupe, il avait subodoré avec son instinct mercantile quelque riche voyageur dont on pouvait exploiter la curiosité scientifique, et qui ne se contenterait pas des statuettes en pâte émaillée bleue ou verte, des scarabées gravés, des estampages en papier de panneaux hiéroglyphiques, et autres menus ouvrages de l’art égyptien.

Il suivait les allées et les venues des voyageurs à travers les ruines, et, sachant qu’ils ne manqueraient pas, après avoir satisfait leur curiosité, de passer le fleuve pour visiter les hypogées royaux, il les attendait sur son terrain, certain de leur tirer poil ou plume ; il regardait tout ce domaine funèbre comme sa propriété, et malmenait fort les petits chacals subalternes qui s’avisaient de gratter dans les tombeaux.

Avec la finesse particulière aux Grecs, d’après l’aspect de Lord Evandale, il additionna rapidement les revenus probables de Sa Seigneurie, et résolut de ne pas le tromper, calculant qu’il retirerait plus d’argent de la vérité que du mensonge. Aussi renonça-t-il à l’idée de promener le noble Anglais dans des hypogées déjà cent fois parcourus, et dédaigna-t-il de lui faire entreprendre des fouilles à des endroits où il savait qu’on ne trouverait rien, pour en avoir extrait lui-même depuis longtemps et vendu fort cher ce qu’il y avait de curieux. Argyropoulos (c’était le nom du Grec), en explorant les recoins de la vallée moins souvent sondés que les autres, parce que jusque-là les recherches n’avaient été suivies d’aucune trouvaille, s’était dit qu’à une certaine place, derrière des rochers dont l’arrangement semblait dû au hasard, existait certainement l’entrée d’une syringe masquée avec un soin tout particulier, et que sa grande expérience en ce genre de perquisition lui avait fait reconnaître à mille indices imperceptibles pour des yeux moins clairvoyants que les siens, clairs et perçants comme ceux des gypaètes perchés sur l’entablement des temples. Depuis deux ans qu’il avait fait cette découverte, il s’était astreint à ne jamais porter ses pas ni ses regards de ce côté-là, de peur de donner l’éveil aux violateurs de tombeaux.

« Votre Seigneurie a-t-elle l’intention de se livrer à quelques recherches ? » dit le Grec Argyropoulos dans une sorte de patois cosmopolite dont nous n’essaierons pas de reproduire la syntaxe bizarre et les consonances étranges, mais que s’imagineront sans peine ceux qui ont parcouru les Échelles du Levant et ont dû avoir recours aux services de ces drogmans polyglottes qui finissent par ne savoir aucune langue. Heureusement Lord Evandale et son docte compagnon connaissaient tous les idiomes auxquels Argyropoulos faisait des emprunts. « Je puis mettre à votre disposition une centaine de fellahs intrépides qui, sous l’impulsion du courbach et du bacchich, gratteraient avec leurs ongles la terre jusqu’au centre. Nous pourrons tenter, si cela convient à Votre Seigneurie, de déblayer un sphinx enfoui, de désobstruer un naos, d’ouvrir un hypogée… »

Voyant que le lord restait impassible à cette alléchante énumération, et qu’un sourire sceptique errait sur les lèvres du savant, Argyropoulos comprit qu’il n’avait pas affaire à des dupes faciles, et il se confirma dans l’idée de vendre à l’Anglais la trouvaille sur laquelle il comptait pour parfaire sa petite fortune et doter sa fille.

« Je devine que vous êtes des savants, et non de simples voyageurs, et que de vulgaires curiosités ne sauraient vous séduire, continua-t-il en parlant un anglais beaucoup moins mélangé de grec, d’arabe et d’italien. Je vous révélerai une tombe qui jusqu’ici a échappé aux investigations des chercheurs, et que nul ne connaît hors moi ; c’est un trésor que j’ai précieusement gardé pour quelqu’un qui en fût digne.

— Et à qui vous le ferez payer fort cher, dit le lord en souriant.

— Ma franchise m’empêche de contredire Votre Seigneurie : j’espère retirer un bon prix de ma découverte ; chacun vit, en ce monde, de sa petite industrie : je déterre des Pharaons, et je les vends aux étrangers. Le Pharaon se fait rare, au train dont on y va ; il n’y en a pas pour tout le monde. L’article est demandé, et l’on n’en fabrique plus depuis longtemps.

— En effet, dit le savant, il y a quelques siècles que les colchytes, les paraschistes et les tarischeutes ont fermé boutique, et que les Memnonia, tranquilles quartiers des morts, ont été désertés par les vivants. »

Le Grec, en entendant ces paroles, jeta sur l’Allemand un regard oblique ; mais, jugeant au délabrement de ses habits qu’il n’avait pas voix délibérative au chapitre, il continua à prendre le lord pour unique interlocuteur.

« Pour un tombeau de l’antiquité la plus haute, milord, et que nulle main humaine n’a troublé depuis plus de trois mille ans que les prêtres ont roulé des rochers devant son ouverture, mille guinées, est-ce trop ? En vérité, c’est pour rien : car peut-être renferme-t-il des masses d’or, des colliers de diamants et de perles, des boucles d’oreilles d’escarboucle, des cachets en saphir, d’anciennes idoles de métal précieux, des monnaies dont on pourrait tirer un bon parti.

— Rusé coquin, dit Rumphius, vous faites valoir votre marchandise ; mais vous savez mieux que personne qu’on ne trouve rien de tel dans les sépultures égyptiennes. »

Argyropoulos, comprenant qu’il avait affaire à forte partie, cessa ses hâbleries, et, se tournant du côté d’Evandale, il lui dit :

« Eh bien, milord, le marché vous convient-il ?

— Va pour mille guinées, répondit le jeune lord, si la tombe n’a jamais été ouverte comme vous le prétendez ; et rien… si une seule pierre a été remuée par la pince des fouilleurs.

— Et à condition, ajouta le prudent Rumphius, que nous emporterons tout ce qui se trouvera dans le tombeau.

— J’accepte, dit Argyropoulos avec un air de complète assurance ; Votre Seigneurie peut apprêter d’avance ses banknotes et son or.

— Mon cher monsieur Rumphius, dit Lord Evandale à son acolyte, le vœu que vous formiez tout à l’heure me paraît près de se réaliser ; ce drôle semble sûr de son fait.

— Dieu le veuille ! répondit le savant en faisant remonter et redescendre plusieurs fois le collet de son habit le long de son crâne par un mouvement dubitatif et pyrrhonien ; les Grecs sont de si effrontés menteurs ! Cretœ mendaces, affirme le dicton.

— Celui-ci est sans doute un Grec de la terre ferme, dit Lord Evandale, et je pense que pour cette fois seulement il a dit la vérité. »

Le directeur des fouilles précédait le lord et le savant de quelques pas, en personne bien élevée et qui sait les convenances ; il marchait d’un pas allègre et sûr, comme un homme qui se sent sur son terrain.

On arriva bientôt à l’étroit défilé qui donne entrée dans la vallée de Biban-el-Molouk. On eût dit une coupure pratiquée de main d’homme à travers l’épaisse muraille de la montagne, plutôt qu’une ouverture naturelle, comme si le génie de la solitude avait voulu rendre inaccessible ce séjour de la mort.

Sur les parois à pic de la roche tranchée, l’œil discernait vaguement d’informes restes de sculptures rongés par le temps et qu’on eût pu prendre pour des aspérités de la pierre, singeant les personnages frustes d’un bas-relief à demi effacé.

Au-delà du passage, la vallée, s’élargissant un peu, présentait le spectacle de la plus morne désolation.

De chaque côté s’élevaient en pentes escarpées des masses énormes de roches calcaires, rugueuses, lépreuses, effritées, fendillées, pulvérulentes, en pleine décomposition sous l’implacable soleil. Ces roches ressemblaient à des ossements de mort calcinés au bûcher, bâillaient l’ennui de l’éternité par leurs lézardes profondes, et imploraient par leurs mille gerçures la goutte d’eau qui ne tombe jamais. Leurs parois montaient presque verticalement à une grande hauteur et déchiraient leurs crêtes irrégulières d’un blanc grisâtre sur un fond de ciel indigo presque noir, comme les créneaux ébréchés d’une gigantesque forteresse en ruine.

Les rayons du soleil chauffaient à blanc l’un des côtés de la vallée funèbre, dont l’autre était baigné de cette teinte crue et bleue des pays torrides, qui paraît invraisemblable dans les pays du Nord lorsque les peintres la reproduisent, et qui se découpe aussi nettement que les ombres portées d’un plan d’architecture.

La vallée se prolongeait, tantôt faisant des coudes, tantôt s’étranglant en défilés, selon que les blocs et les mamelons de la chaîne bifurquée faisaient saillie ou retraite. Par une particularité de ces climats où l’atmosphère, entièrement privée d’humidité, reste d’une transparence parfaite, la perspective aérienne n’existait pas pour ce théâtre de désolation ; tous les détails nets, précis, arides se dessinaient, même aux derniers plans, avec une impitoyable sécheresse, et leur éloignement ne se devinait qu’à la petitesse de leur dimension, comme si la nature cruelle n’eût voulu cacher aucune misère, aucune tristesse de cette terre décharnée, plus morte encore que les morts qu’elle renfermait.

Sur la paroi éclairée ruisselait en cascade de feu une lumière aveuglante comme celle qui émane des métaux en fusion. Chaque plan de roche, métamorphosé en miroir ardent, la renvoyait plus brûlante encore. Ces réverbérations croisées, jointes aux rayons cuisants qui tombaient du ciel et que le sol répercutait, développaient une chaleur égale à celle d’un four, et le pauvre docteur allemand ne pouvait suffire à éponger l’eau de sa figure avec son mouchoir à carreaux bleus, trempé comme s’il eût été plongé dans l’eau.

L’on n’eût pas trouvé dans toute la vallée une pincée de terre végétale ; aussi pas un brin d’herbe, pas une ronce, pas une liane, pas même une plaque de mousse ne venait interrompre le ton uniformément blanchâtre de ce paysage torréfié. Les fentes et les anfractuosités de ces roches n’avaient pas assez de fraîcheur pour que la moindre plante pariétaire pût y suspendre sa mince racine chevelue. On eût dit les tas des cendres restés sur glace d’une chaîne de montagnes brûlée au temps des catastrophes cosmiques dans un grand incendie planétaire : pour compléter l’exactitude de la comparaison, de larges zébrures noires, pareilles à des cicatrices de cautérisation, rayaient le flanc crayeux des escarpements.

Un silence absolu régnait sur cette dévastation ; aucun frémissement de vie ne le troublait, ni palpitation d’aile, ni bourdonnement d’insecte, ni fuite de lézard ou de reptile ; la cigale même, cette amie des solitudes embrasées, n’y faisait pas résonner sa grêle cymbale.

Une poussière micacée, brillante, pareille à du grés broyé, formait le sol, et de loin en loin s’arrondissaient des monticules provenant des éclats de pierre arrachés aux profondeurs de la chaîne excavée par le pic opiniâtre des générations disparues et le ciseau des ouvriers troglodytes préparant dans l’ombre la demeure éternelle des morts. Les entrailles émiettées de la montagne avaient produit d’autres montagnes, amoncellement friable de petits fragments de roc, qu’on eût pu prendre pour une chaîne naturelle.

Dans les flancs du rocher s’ouvraient ça et là des bouches noires entourées de blocs de pierre en désordre, des trous carrés flanqués de piliers historiés d’hiéroglyphes, et dont les linteaux portaient des cartouches mystérieux où se distinguaient dans un grand disque jaune le scarabée sacré, le soleil à tête de bélier, et les déesses Isis et Nephtys agenouillées ou debout.

C’étaient les tombeaux des anciens rois de Thèbes ; mais Argyropoulos ne s’y arrêta pas, et conduisit ses voyageurs par une espèce de rampe qui ne semblait d’abord qu’une écorchure au flanc de la montagne, et qu’interrompaient plusieurs fois des masses éboulées, à une sorte d’étroit plateau, de corniche en saillie sur la paroi verticale, où les rochers, en apparence groupés au hasard, avaient pourtant, en y regardant bien, une espèce de symétrie.

Lorsque le lord, rompu à toutes les prouesses de la gymnastique, et le savant, beaucoup moins agile, furent parvenus à se hisser auprès de lui, Argyropoulos désigna de sa badine une énorme pierre, et dit d’un air de satisfaction triomphale : « C’est là ! »

Argyropoulos frappa dans ses mains à la manière orientale, et aussitôt des fissures du roc, des replis de la vallée accoururent en toute hâte des fellahs hâves et déguenillés, dont les bras couleur de bronze agitaient des leviers, des pics, des marteaux, des échelles et tous les instruments nécessaires ; ils escaladèrent la pente escarpée comme une légion de noires fourmis. Ceux qui ne pouvaient trouver place sur l’étroit plateau occupé déjà par l’entrepreneur de fouilles, Lord Evandale et le docteur Rumphius se retenaient des ongles et s’arc-boutaient des pieds aux rugosités de la roche.

Le Grec fit signe à trois des plus robustes, qui glissèrent leurs leviers sous la plus grosse masse de rocher. Leurs muscles saillaient comme des cordes sur leurs bras maigres, et ils pesaient de tout leur poids au bout de leur barre de fer. Enfin la masse s’ébranla, vacilla quelques instants comme un homme ivre, et, poussée par les efforts réunis d’Argyropoulos, de Lord Evandale, de Rumphius et de quelques Arabes qui étaient parvenus à se jucher sur le plateau, roula en rebondissant le long de la pente. Deux autres blocs de moindre dimension furent successivement écartés, et alors on put juger combien les prévisions du Grec étaient justes. L’entrée d’un tombeau, qui avait évidemment échappé aux investigations des chercheurs de trésors, apparut dans toute son intégrité.

C’était une sorte de portique creusé carrément dans le roc vif : sur les parois latérales, deux piliers couplés présentaient leurs chapiteaux formés de têtes de vache, dont les cornes se contournaient en croissant isiaque.

Au-dessus de la porte basse, aux jambages flanqués de longs panneaux d’hiéroglyphes, se développait un large cadre emblématique : au centre d’un disque de couleur jaune, se voyait à côté d’un scarabée, signe des renaissances successives, le dieu à tête de bélier, symbole du soleil couchant. En dehors du disque, Isis et Nephthys, personnifications du commencement et de la fin, se tenaient agenouillées, une jambe repliée sous la cuisse, l’autre relevée à la hauteur du coude selon la posture égyptienne, les bras étendus en avant avec une expression d’étonnement mystérieux, et le corps, serré d’un pagne étroit que sanglait une ceinture dont les bouts retombaient.

Derrière un mur de pierrailles et de briques crues qui céda promptement au pic des travailleurs, on découvrit la dalle de pierre qui formait la porte du monument souterrain.

Sur le cachet d’argile qui la scellait, le docteur allemand, familier avec les hiéroglyphes, n’eut pas de peine à lire la devise du colchyte surveillant des demeures funèbres qui avait à jamais fermé ce tombeau, dont lui seul eût pu retrouver l’emplacement mystérieux sur la carte des sépultures conservée au collège des prêtres.

« Je commence à croire, dit au jeune lord le savant transporté de joie, que nous tenons véritablement la pie au nid, et je retire l’opinion défavorable que j’avais émise sur le compte de ce brave Grec.

— Peut-être nous réjouissons-nous trop tôt, répondit Lord Evandale, et allons-nous éprouver le même désappointement que Belzoni, lorsqu’il crut être entré avant personne dans le tombeau de Menephtha Seti, et trouva, après avoir parcouru un dédale de couloirs, de puits et de chambres, le sarcophage vide sous son couvercle brisé : car les chercheurs de trésors avaient abouti à la tombe royale par un de leurs sondages pratiqués sur un autre point de la montagne.

— Oh ! non, fit le savant ; la chaîne est ici trop épaisse et l’hypogée trop éloigné des autres pour que ces taupes de malheur aient pu, en grattant le roc, prolonger leurs mines jusqu’ici. »

Pendant cette conversation, les ouvriers, excités par Argyropoulos, attaquaient la grande dalle de pierre qui masquait l’orifice de la syringe. En déchaussant la dalle pour passer dessous leurs leviers, car le lord avait recommandé de ne rien briser, ils mirent à nu parmi le sable une multitude de petites figurines hautes de quelques pouces, en terre émaillée bleue ou verte, d’un travail parfait, mignonnes statuettes funéraires déposées là en offrande par les parents et les amis, comme nous déposons des couronnes de fleurs au seuil de nos chapelles funèbres ; seulement nos fleurs se fanent vite, et après plus de trois mille ans les témoignages de ces antiques douleurs se retrouvent intacts, car l’Égypte ne peut rien faire que d’éternel.

Lorsque la porte de pierre s’écarta, livrant, pour la première fois depuis trente-cinq siècles, passage aux rayons du jour, une bouffée d’air brûlant s’échappa de l’ouverture sombre, comme de la gueule d’une fournaise. Les poumons embrasés de la montagne parurent pousser un soupir de satisfaction par cette bouche si longtemps fermée. La lumière, se hasardant à l’entrée du couloir funèbre, fit briller du plus vif éclat les enluminures des hiéroglyphes entaillés le long des murailles par lignes perpendiculaires et reposant sur une plinthe bleue. Une figure de couleur rougeâtre, à tête d’épervier et coiffée du pschent, soutenait un disque renfermant le globe ailé et semblait veiller au seuil du tombeau, comme un portier de l’Éternité.

Quelques fellahs allumèrent des torches et précédèrent les deux voyageurs accompagnés d’Argyropoulos : les flammes résineuses grésillaient avec peine parmi cet air épais, étouffant, concentré pendant tant de milliers d’années sous le calcaire incandescent de la montagne, dans les couloirs, les labyrinthes et les cæcums de l’hypogée. Rumphius haletait et ruisselait comme un fleuve ; l’impassible Evandale lui même rougissait et sentait ses tempes se mouiller. Quant au Grec, le vent de feu du désert l’avait desséché depuis longtemps, et il ne transpirait non plus qu’une momie.

Le couloir s’enfonçait directement vers le noyau de la chaîne, suivant un filon de calcaire d’une égalité et d’une pureté parfaites.

Au fond du couloir, une porte de pierre, scellée comme l’autre d’un sceau d’argile, et surmontée du globe aux ailes éployées, témoignait que la sépulture n’avait pas été violée, et indiquait l’existence d’un nouveau corridor plongeant plus avant dans le ventre de la montagne.

La chaleur devenait si intense que le jeune lord se défit de son paletot blanc, et le docteur de son habit noir, que suivirent bientôt leur gilet et leur chemise ; Argyropoulos, voyant leur souffle s’embarrasser, dit quelques mots à l’oreille d’un fellah, qui courut à l’entrée du souterrain et rapporta deux grosses éponges imbibées d’eau fraîche, que les deux voyageurs, d’après le conseil du Grec, se mirent sur la bouche pour respirer un air plus frais à travers les pores humides, comme cela se pratique aux bains russes quand la vapeur est poussée à outrance.

On attaqua la porte, qui céda bientôt.

Un escalier taillé dans le roc vif se présenta avec sa descente rapide.

Sur un fond vert terminé par une ligne bleue se déroulaient, de chaque côté du couloir, des processions de figurines emblématiques aux couleurs aussi fraîches, aussi vives que si le pinceau de l’artiste les eût appliquées la veille ; elles apparaissaient un moment à la lueur des torches, puis s’évanouissaient dans l’ombre comme les fantômes d’un rêve.

Au-dessous de ces bandelettes de fresques, des lignes d’hiéroglyphes, disposées en hauteur comme l’écriture chinoise et séparées par des raies creusées, offraient à la sagacité le mystère sacré de leur énigme.

Le long des parois que ne couvraient pas les signes hiératiques, un chacal couché sur le ventre, les pattes allongées, les oreilles dressées, et une figure agenouillée, coiffée de la mitre, la main étendue sur un cercle, paraissaient faire sentinelle à côté d’une porte dont le linteau était orné de deux cartouches accolés, ayant pour tenants deux femmes vêtues de pagnes étroits, et déployant comme une aile leur bras empenné.

« Ah ça ! dit le docteur, reprenant haleine au bas de l’escalier, voyant que l’excavation plongeait toujours plus avant, nous allons donc descendre jusqu’au centre de la terre ? La chaleur augmente tellement que nous ne devons pas être bien loin du séjour des damnés.

— Sans doute, reprit Lord Evandale, on a suivi la veine du calcaire qui s’enfonce d’après la loi des ondulations géologiques. »

Un autre passage d’une assez grande déclivité succéda aux degrés. Les murailles en étaient également couvertes de peintures où l’on distinguait vaguement une suite de scènes allégoriques, expliquées sans doute par les hiéroglyphes inscrits au-dessous en manière de légende. Cette frise régnait tout le long du passage, et plus bas l’on voyait des figurines en adoration devant le scarabée sacré et le serpent symbolique colorié d’azur.

En débouchant du corridor, le fellah qui portait la torche se rejeta en arrière par un brusque mouvement.

Le chemin s’interrompait subitement, et la bouche d’un puits bâillait carrée et noire à la surface du sol.

« Il y a un puits, maître, dit le fellah en interpellant Argyropoulos ; que faut-il faire ? »

Le Grec se fit donner une torche, la secoua pour mieux l’enflammer, et la jeta dans la gueule sombre du puits, se penchant avec précaution sur l’orifice.

La torche descendit en tournoyant et en sifflant : bientôt un coup sourd se fit entendre, suivi d’un pétillement d’étincelles et d’un flot de fumée ; puis la flamme reprit claire et vive, et l’ouverture du puits brilla dans l’ombre comme l’œil sanglant d’un cyclope.

« On n’est pas plus ingénieux, dit le jeune lord ; ces labyrinthes entrecoupés d’oubliettes auraient dû calmer le zèle des voleurs et des savants.

— Il n’en est rien cependant, répondit le docteur ; les uns cherchent l’or, les autres la vérité, les deux choses les plus précieuses du monde.

— Apportez la corde à nœuds, cria Argyropoulos à ses Arabes ; nous allons explorer et sonder les parois du puits, car l’excavation doit se prolonger bien au-delà. »

Huit ou dix hommes, pour faire contrepoids, s’attelèrent à une extrémité de la corde, dont on laissa l’autre bout plonger dans le puits.

Avec l’agilité d’un singe ou d’un gymnaste de profession, Argyropoulos se suspendit au cordeau flottant et se laissa couler à une quinzaine de pieds environ, se tenant des mains aux nœuds et battant les parois du puits des talons.

Le roc ausculté rendit partout un son mat et plein ; alors Argyropoulos se laissa couler au fond du puits, frappant le sol du pommeau de son kandjar, mais la roche compacte ne résonnait pas.

Evandale et Rumphius, enfiévrés par une curiosité anxieuse, se penchaient sur le bord du puits, au risque de s’y précipiter la tête la première, et suivaient avec un intérêt passionné les recherches du Grec.

« Tenez ferme là-haut », cria enfin le Grec, lassé de l’inutilité de sa perquisition, et il empoigna la corde à deux mains pour remonter.

L’ombre d’Argyropoulos, éclairé en dessous par la torche qui continuait à brûler au fond du puits, se projetait au plafond et y dessinait comme la silhouette d’un oiseau difforme.

La figure basanée du Grec exprimait un vif désappointement, et il se mordait la lèvre sous sa moustache.

« Pas l’apparence du moindre passage ! s’écria-t-il, et pourtant l’excavation ne saurait s’arrêter là. »

— À moins pourtant, dit Rumphius, que l’Égyptien qui s’était commandé ce tombeau ne soit mort dans quelque morne lointain, en voyage ou en guerre, et qu’on n’ait abandonné les travaux, ce qui n’est pas sans exemple.

— Espérons qu’à force de chercher nous rencontrerons quelque issue sécrète, continua Lord Evandale : sinon, nous essaierons de pousser une galerie transversale à travers la montagne.

— Ces damnés Égyptiens étaient si rusés pour cacher l’entrée de leurs terriers funèbres ! ils ne savaient que s’imaginer afin de désorienter le pauvre monde, et on dirait qu’ils riaient par avance de la mine décontenancée des fouilleurs », marmottait Argyropoulos.

S’avançant sur le bord du gouffre, le Grec sonda de son regard perçant comme celui d’un oiseau nocturne les murs de la petite chambre qui formait la partie supérieure du puits. Il ne vit rien que les personnages ordinaires de la psychostasie, le juge Osiris assis sur son trône, dans la pose consacrée, tenant le pedum d’une main et le fouet de l’autre, et les déesses de la Justice et de la Vérité amenant l’esprit du défunt devant le tribunal de l’Amenti.

Tout à coup il parut illuminé d’une idée subite et fit volte-face : sa vieille expérience d’entrepreneur de fouilles lui rappela un cas à peu près semblable, et d’ailleurs le désir de gagner les mille guinées du lord surexcitait ses facultés ; il prit un pic des mains d’un fellah et se mit, en rétrogradant, à heurter rudement à droite et à gauche les surfaces du rocher, au risque de marteler quelques hiéroglyphes et de casser le bec ou l’élytre d’un épervier ou d’un scarabée sacré.

Le mur interrogé finit par répondre aux questions du marteau et sonna creux.

Une exclamation de triomphe s’échappa de la poitrine du Grec et son œil étincela.

Le savant et le lord battirent des mains.

« Piochez là », dit à ses hommes Argyropoulos qui avait repris son sang-froid.

On eut bientôt pratiqué une brèche suffisante pour laisser passer un homme. Une galerie, qui contournait dans l’intérieur de la montagne l’obstacle du puits opposé aux profanateurs, conduisait à une salle carrée dont le plafond bleu posait sur quatre piliers massifs enluminés de ces figures à peau rouge et à pagne blanc, qui présentent si souvent dans les fresques égyptiennes leur buste de face et leur tête de profil.

Cette salle débouchait dans une autre un peu plus haute de plafond et soutenue seulement par deux piliers. Des scènes variées, la bari mystique, le taureau Apis emportant la momie vers les régions de l’Occident, le jugement de l’âme et le pesage des actions du mort dans la balance suprême, les offrandes faites aux divinités funéraires ornaient les piliers et la salle.

Toutes ces figurations étaient tracées en bas-relief méplat dans un trait fermement creusé, mais le pinceau du peintre n’avait pas achevé et complété l’œuvre du ciseau. Au soin et à la délicatesse du travail, on pouvait juger de l’importance du personnage dont on avait cherché à dérober le tombeau à la connaissance des hommes.

Après quelques minutes données à l’examen de ces incises, dessinées avec toute la pureté du beau style égyptien à son époque classique, on s’aperçut que la salle n’avait pas d’issue et qu’on avait abouti à une sorte de cæcum. L’air se raréfiait ; les torches brûlaient avec peine dans une atmosphère dont elles augmentaient encore la chaleur, et leurs fumées se remployaient en nuages ; le Grec se donnait à tous les diables, comme si le cadeau n’était pas fait et accepté depuis longtemps : mais cela ne remédiait à rien. On sonda de nouveau les murs sans aucun résultat ; la montagne, pleine, épaisse, compacte, ne rendait partout qu’un son mat : aucune apparence de porte, de couloir ou d’ouverture quelconque !

Le lord était visiblement découragé, et le savant laissait pendre flasquement ses bras maigres le long de son corps. Argyropoulos, qui craignait pour ses vingt-cinq mille francs, manifestait le désespoir le plus farouche. Cependant il fallait rétrograder, car la chaleur devenait véritablement étouffante.

La troupe repassa dans la première salle, et là, le Grec, qui ne pouvait se résigner à voir s’en aller en fumée son rêve d’or, examina avec la plus minutieuse attention le fût des piliers pour s’assurer s’ils ne cachaient pas quelque artifice, s’ils ne masquaient pas quelque trappe qu’on découvrirait en les déplaçant : car, dans son désespoir, il mêlait la réalité de l’architecture égyptienne aux chimériques bâtisses des contes arabes.

Les piliers, pris dans la masse même de la montagne, au milieu de la salle évidée, ne faisaient qu’un avec elle, et il aurait fallu employer la mine pour les ébranler.

Tout espoir était perdu !

« Cependant, dit Rumphius on ne s’est pas amusé à creuser ce dédale pour rien. Il doit y avoir quelque part un passage pareil à celui qui contourne le puits. Sans doute le défunt a peur d’être dérangé par les importuns, et il se fait celer ; mais avec de l’insistance on entre partout. Peut-être une dalle habilement dissimulée, et dont la poudre répandue sur le sol empêche de voir le joint, recouvre-t-elle une descente qui mène, directement ou indirectement, à la salle funèbre.

— Vous avez raison, cher docteur, fit Evandale ; ces damnés Égyptiens joignent les pierres comme les charnières d’une trappe anglaise : cherchons encore. »

L’idée du savant avait paru judicieuse au Grec, qui se promena et fit se promener ses fellahs en frappant du talon dans tous les coins et recoins de la salle.

Enfin, non loin du troisième pilier, une sourde résonance attira l’oreille exercée du Grec, qui se précipita à genoux pour examiner la place, balayant avec la guenille de burnous qu’un de ses Arabes lui avait jetée l’impalpable poussière tamisée par trente-cinq siècles dans l’ombre et le silence ; une ligne noire, mince et nette comme le trait tracé à la règle sur un plan d’architecte, se dessina, et, suivie minutieusement, découpa sur le sol une dalle de forme oblongue.

« Je vous le disais bien, moi, s’écria le savant enthousiasmé, que le souterrain ne pouvait se terminer ainsi !

— Je me fais vraiment conscience, dit Lord Evandale avec son bizarre flegme britannique, de troubler dans son dernier sommeil ce pauvre corps inconnu qui comptait si bien reposer en paix jusqu’à la consommation des siècles. L’hôte de cette demeure se passerait bien de notre visite.

— D’autant plus que la tierce personne manque pour la régularité de la présentation, répondit le docteur ; mais rassurez-vous, milord : j’ai assez vécu du temps des Pharaons pour vous introduire auprès du personnage illustre, habitant de ce palais souterrain. »

Des pinces furent glissées dans l’étroite fissure, et après quelques pesées la dalle s’ébranla et se souleva.

Un escalier aux marches hautes et roides s’enfonçant dans l’ombre s’offrit aux pieds impatients des voyageurs, qui s’y engouffrèrent pêle-mêle. Une galerie en pente, coloriée sur ses deux faces de figures et d’hiéroglyphes, succéda aux marches ; quelques degrés se présentèrent encore au bout de la galerie, menant à un corridor de peu d’étendue, espèce de vestibule d’une salle de même style que la première, mais plus grande et soutenue par six piliers pris dans la masse de la montagne. L’ornementation en était plus riche, et les motifs ordinaires des peintures funèbres s’y multipliaient sur un fond de couleur jaune.

À droite et à gauche s’ouvraient dans le roc deux petites cryptes ou chambres remplies de figurines funéraires en terre émaillée, en bronze et en bois de sycomore.

« Nous voici dans l’antichambre de la salle où doit se trouver le sarcophage ! s’écria Rumphius, laissant voir au-dessous de ses lunettes, qu’il avait relevées sur son front, ses yeux gris clair étincelants de joie.

— Jusqu’à présent, dit Evandale, le Grec a tenu sa promesse : nous sommes bien les premiers vivants qui aient pénétré ici depuis que dans cette tombe le mort, quel qu’il soit, a été abandonné à l’éternité et à l’inconnu.

— Oh ! ce doit être un puissant personnage, répondit le docteur, un roi, un fils de roi tout au moins ; je vous le dirai plus tard, lorsque j’aurai déchiffré son cartouche ; mais pénétrons d’abord dans cette salle, la plus belle, la plus importante, et que les Égyptiens désignaient sous le nom de Salle dorée. »

Lord Evandale marchait le premier, précédant de quelques pas le savant moins agile, ou qui peut-être voulait laisser par déférence la virginité de la découverte au jeune lord.

Au moment de franchir le seuil, le lord se pencha comme si quelque chose d’inattendu avait frappé son regard.

Bien qu’habitué à ne pas manifester ses émotions, car rien n’est plus contraire aux règles du haut dandysme que de se reconnaître, par la surprise ou l’admiration, inférieur à quelque chose, le jeune seigneur ne put retenir un oh ! prolongé, et modulé de la façon la plus britannique.

Voici ce qui avait extirpé une exclamation au plus parfait gentleman des trois royaumes unis.

Sur la fine poudre grise qui sablait le sol se dessinait très-nettement, avec l’empreinte de l’orteil, des quatre doigts et du calcanéum, la forme d’un pied humain ; le pied du dernier prêtre ou du dernier ami qui s’était retiré, quinze cents ans avant Jésus-Christ, après avoir rendu au mort les honneurs suprêmes. La poussière aussi éternelle en Égypte que le granit, avait moulé ce pas et le gardait depuis plus de trente siècles, comme les boues diluviennes durcies conservent la trace des pieds d’animaux qui la pétrirent.

« Voyez, dit Evandale à Rumphius, cette empreinte humaine dont la pointe se dirige vers la sortie de l’hypogée. Dans quelle syringe de la chaîne libyque repose pétrifié de bitume le corps qui l’a produite ?

— Qui sait ? répondit le savant : en tout cas, cette trace légère, qu’un souffle eût balayée, a duré plus longtemps que des civilisations, que des empires, que les religions mêmes et que les monuments que l’on croyait éternels : la poussière d’Alexandre lute peut-être la bonde d’un tonneau de bière, selon la réflexion d’Hamlet, et le pas de cet Égyptien inconnu subsiste au seuil d’un tombeau ! »

Poussés par la curiosité qui ne leur permettait pas de longues réflexions, le lord et le docteur pénétrèrent dans la salle, prenant garde toutefois d’effacer la miraculeuse empreinte.

En y entrant, l’impassible Evandale éprouva une impression singulière.

Il lui sembla, d’après l’expression de Shakespeare, que « la roue du temps était sortie de son ornière » : la notion de la vie moderne s’effaça chez lui. Il oublia et la Grande-Bretagne, et son nom inscrit sur le livre d’or de la noblesse, et ses châteaux du Lincolnshire, et ses hôtels du West-End, et Hyde-Park, et Piccadilly, et les drawing-rooms de la reine, et le club des Yachts, et tout ce qui constituait son existence anglaise. Une main invisible avait retourné le sablier de l’éternité, et les siècles, tombés grain à grain comme des heures dans la solitude et la nuit, recommençaient leur chute. L’histoire était comme non avenue : Moïse vivait, Pharaon régnait, et lui, Lord Evandale, se sentait embarrassé de ne pas avoir la coiffe à barbes cannelées, le gorgerin d’émaux, et le pagne étroit bridant sur les hanches, seul costume convenable pour se présenter à une momie royale. Une sorte d’horreur religieuse l’envahissait, quoique le lieu n’eût rien de sinistre, en violant ce palais de la Mort défendu avec tant de soin contre les profanateurs. La tentative lui paraissait impie et sacrilège, et il se dit : « Si le Pharaon allait se relever sur sa couche et me frapper de son sceptre ! » Un instant il eut l’idée de laisser retomber le linceul, soulevé à demi, sur le cadavre de cette antique civilisation morte ; mais le docteur, dominé par son enthousiasme scientifique, ne faisait pas ces réflexions, et il s’écriait d’une voix éclatante :

« Milord, milord, le sarcophage est intact ! »

Cette phrase rappela Lord Evandale au sentiment de la réalité. Par une électrique projection de pensée, il franchit les trois mille cinq cents ans que sa rêverie avait remontés, et il répondit :

« En vérité, cher docteur, intact ?

— Bonheur inouï ! chance merveilleuse ! trouvaille inappréciable ! » continua le docteur dans l’expansion de sa joie d’érudit.

Argyropoulos, voyant l’enthousiasme du docteur, eut un remords, le seul qu’il pût éprouver du reste, le remords de n’avoir demandé que vingt-cinq mille francs. « J’ai été naïf, se dit-il à lui-même ; cela ne m’arrivera plus ; ce milord m’a volé. »

Et il se promit bien de se corriger à l’avenir.

Pour faire jouir les étrangers de la beauté du coup d’œil, les fellahs avaient allumé toutes leurs torches. Le spectacle était en effet étrange et magnifique ! Les galeries et les salles qui conduisent à la salle du sarcophage ont des plafonds plats et ne dépassent pas une hauteur de huit ou dix pieds ; mais le sanctuaire où aboutissent ces dédales a de tout autres proportions. Lord Evandale et Rumphius restèrent stupéfiés d’admiration, quoiqu’ils fussent déjà familiarisés avec les splendeurs funèbres de l’art égyptien.

Illuminée ainsi, la salle dorée flamboya, et, pour la première fois peut-être, les couleurs de ses peintures éclatèrent dans tout leur jour. Des rouges, des bleus, des verts, des blancs, d’un éclat neuf, d’une fraîcheur virginale, d’une pureté inouïe, se détachaient de l’espace de vernis d’or qui servait de fond aux figures et aux hiéroglyphes, et saisissaient les yeux avant qu’on eût pu discerner les sujets que composait leur assemblage.

Au premier abord, on eût dit une immense tapisserie de l’étoffe la plus riche ; la voûte, haute de trente pieds, présentait une sorte de velarium d’azur, bordé de longues palmettes jaunes.

Sur les parois des murs, le globe symbolique ouvrait son envergure démesurée, et les cartouches royaux inscrivaient leur contour. Plus loin, Isis et Nephthys secouaient leurs bras frangés de plumes comme des ailerons. Les uræus gonflaient leurs gorges bleues, les scarabées essayaient de déployer leurs élytres, les dieux à têtes d’animaux dressaient leurs oreilles de chacal, aiguisaient leur bec d’épervier, ridaient leur museau de cynocéphale, rentraient dans leurs épaules leur cou de vautour ou de serpent comme s’ils eussent été doués de vie. Des baris mystiques passaient sur leurs traîneaux, tirées par des figures aux poses compassées, au geste anguleux, ou flottaient sur des eaux ondulées symétriquement, conduites par des rameurs demi-nus. Des pleureuses, agenouillées et la main placée en signe de deuil sur leur chevelure bleue, se retournaient vers les catafalques, tandis que des prêtres à tête rase, une peau de léopard sur l’épaule, brûlaient les parfums sous le nez des morts divinisés, au bout d’une spatule terminée par une main soutenant une petite coupe. D’autres personnages offraient aux génies funéraires des lotus en fleur ou en bouton, des plantes bulbeuses, des volatiles, des quartiers d’antilope et des buires de liqueurs. Des Justices acéphales amenaient des âmes devant des Osiris aux bras pris dans un contour inflexible, comme dans une camisole de force, qu’assistaient les quarante-deux juges de l’Amenti accroupis sur deux files et portant sur leurs têtes empruntées à tous les règnes de la zoologie une plume d’autruche en équilibre.

Toutes ces figurations, cernées d’un trait creusé dans le calcaire et bariolées des couleurs les plus vives, avaient cette vie immobile, ce mouvement figé, cette intensité mystérieuse de l’art égyptien, contrarié par la règle sacerdotale, et qui ressemble à un homme bâillonné tâchant de faire comprendre son secret.

Au milieu de la salle se dressait massif et grandiose le sarcophage creusé dans un énorme bloc de basalte noir que fermait un couvercle de même matière, taillé en dos d’âne. Les quatre faces du monolithe funèbre étaient couvertes de personnages et d’hiéroglyphes aussi précieusement gravés que l’intaille d’une bague en pierre fine, quoique les Égyptiens ne connussent pas le fer et que le basalte ait un grain réfractaire à émousser les aciers les plus durs. L’imagination se perd à rêver le procédé par lequel ce peuple merveilleux écrivait sur le porphyre et le granit, comme avec une pointe sur des tablettes de cire.

Aux angles du sarcophage étaient posés quatre vases d’albâtre oriental du galbe le plus élégant et le plus pur, dont les couvercles sculptés représentaient la tête d’homme d’Amset, la tête de cynocéphale d’Hapi, la tête de chacal de Soumaoutf, la tête d’épervier de Kebsbnif : c’étaient les vases contenant les viscères de la momie enfermée dans le sarcophage. À la tête du tombeau, une effigie d’Osiris, la barbe nattée, semblait veiller sur le sommeil du mort. Deux statues de femme coloriées se dressaient à droite et à gauche de la tombe, soutenant d’une main sur leur tête une boîte carrée, et de l’autre, appuyé à leur flanc, un vase à libations. L’une était vêtue d’un simple jupon blanc collant sur les hanches et suspendu par des bretelles croisées ; l’autre, plus richement habillée, s’emboîtait dans une espèce de fourreau étroit papelonné d’écailles successivement rouges et vertes.

À côté de la première, l’on voyait trois jarres primitivement remplies d’eau du Nil, qui en s’évaporant n’avait laissé que son limon, et un plat contenant une pâte alimentaire desséchée.

À côté de la seconde, deux petits navires, pareils à ces modèles de vaisseaux qu’on fabrique dans les ports de mer, rappelaient avec exactitude, celui-ci, les moindres détails des barques destinées à transporter les corps de Diospolis aux Memnonia ; celui-là, la nef symbolique qui fait passer l’âme aux régions de l’Occident. Rien n’était oublié, ni les mâts, ni le gouvernail, composé d’un long aviron, ni le pilote, ni les rameurs, ni la momie entourée de pleureuses et couchée sous le naos, sur un lit à pattes de lion, ni les figures allégoriques des divinités funèbres accomplissant leurs fonctions sacrées. Barques et personnages étaient peints de couleurs vives, et sur les deux joues de la proue relevée en bec comme la poupe, s’ouvrait le grand œil osirien allongé d’antimoine ; un bucrane et des ossements de bœuf semés ça et là témoignaient qu’une victime avait été immolée pour assumer les mauvaises chances qui eussent pu troubler le repos du mort. Des coffrets peints et chamarrés d’hiéroglyphes étaient placés sur le tombeau ; des tables de roseau soutenaient encore les offrandes funèbres ; rien n’avait été touché dans ce palais de la Mort, depuis le jour où la momie, avec son cartonnage et ses deux cercueils, s’était allongée sur sa couche de basalte. Le ver du sépulcre, qui sait si bien se frayer passage à travers les bières les mieux fermées, avait lui-même rebroussé chemin, repoussé par les âcres parfums du bitume et des aromates.

« Faut-il ouvrir le sarcophage ? dit Argyropoulos après avoir laissé à Lord Evandale et à Rumphius le temps d’admirer les splendeurs de la salle dorée.

— Certainement, répondit le jeune lord ; mais prenez garde d’écorner les bords du couvercle en introduisant vos leviers dans la jointure, car je veux enlever ce tombeau et en faire présent au British Muséum. »

Toute la troupe réunit ses efforts pour déplacer le monolithe ; des coins de bois furent enfoncés avec précaution, et, au bout de quelques minutes de travail, l’énorme pierre se déplaça et glissa sur les tasseaux préparés pour la recevoir. Le sarcophage ouvert laissa voir le premier cercueil hermétiquement fermé. C’était un coffre orné de peintures et de dorures, représentant une espèce de naos, avec des dessins symétriques, des losanges, des quadrilles, des palmettes et des lignes d’hiéroglyphes. On fit sauter le couvercle, et Rumphius, qui se penchait sur le sarcophage, poussa un cri de surprise lorsqu’il découvrit le contenu du cercueil : « Une femme ! une femme ! » s’écria-t-il, ayant reconnu le sexe de la momie à l’absence de barbe osirienne et à la forme du cartonnage.

Le Grec aussi parut étonné ; sa vieille expérience de fouilleur le mettait à même de comprendre tout ce qu’une pareille trouvaille avait d’insolite. La vallée de Biban-el-Molouk est le Saint-Denis de l’ancienne Thèbes, et ne contient que des tombes de rois. La nécropole des reines est située plus loin, dans une autre gorge de la montagne. Les tombeaux des reines sont fort simples, et composés ordinairement de deux ou trois couloirs et d’une ou deux chambres. Les femmes, en Orient, ont toujours été regardées comme inférieures à l’homme, même dans la mort. La plupart de ces tombes, violées à des époques très anciennes, ont servi de réceptacle à des momies difformes grossièrement embaumées, où se voient encore des traces de lèpre et d’éléphantiasis. Par quelle singularité, par quel miracle, par quelle substitution ce cercueil féminin occupait-il ce sarcophage royal, au milieu de ce palais cryptique, digne du plus illustre et du plus puissant des Pharaons !

« Ceci dérange, dit le docteur à Lord Evandale, toutes mes notions et toutes mes théories, et renverse les systèmes les mieux assis sur les rites funèbres égyptiens, si exactement suivis pourtant pendant des milliers d’années ! Nous touchons sans doute à quelque point obscur, à quelque mystère perdu de l’histoire. Une femme est montée sur le trône des Pharaons et a gouverné l’Égypte. Elle s’appelait Tahoser, s’il faut en croire des cartouches gravés sur des martelages d’inscriptions plus anciennes ; elle a usurpé la tombe comme le trône, ou peut-être quelque ambitieuse, dont l’histoire n’a pas gardé souvenir, a renouvelé sa tentative.

— Personne mieux que vous n’est en état de résoudre ce problème difficile, fit Lord Evandale ; nous allons emporter cette caisse pleine de secrets dans notre cange, où vous dépouillerez à votre aise ce document historique, et devinerez sans doute l’énigme que proposent ces éperviers, ces scarabées, ces figures à genoux, ces lignes en dents de scie, ces uræus ailés, ces mains en spatule que vous lisez aussi couramment que le grand Champollion. »

Les fellahs, dirigés par Argyropoulos, enlevèrent l’énorme coffre sur leurs épaules, et la momie, refaisant en sens inverse la promenade funèbre qu’elle avait accomplie du temps de Moïse, dans une bari peinte et dorée, précédée d’un long cortège, embarquée sur le sandal qui avait amené les voyageurs, arriva bientôt à la cange amarrée sur le Nil, et fut placée dans la cabine assez semblable, tant les formes changent peu en Égypte, au naos de la barque funéraire.

Argyropoulos, ayant rangé autour de la caisse tous les objets trouvés près d’elle, se tint debout respectueusement à la porte de la cabine, et parut attendre. Lord Evandale comprit et lui fit compter les vingt-cinq mille francs par son valet de chambre.

Le cercueil ouvert posait sur des tasseaux, au milieu de la cabine, brillant d’un éclat aussi vif que si les couleurs de ses ornements eussent été appliquées d’hier, et encadrait la momie, moulée dans son cartonnage, d’un fini et d’une richesse d’exécution remarquables.

Jamais l’antique Égypte n’avait emmailloté avec plus de soin un de ses enfants pour le sommeil éternel. Quoique aucune forme ne fût indiquée dans cet Hermès funèbre, terminé en gaine, d’où se détachaient seules les épaules et la tête, on devinait vaguement un corps jeune et gracieux sous cette enveloppe épaissie. Le masque doré, avec ses longs yeux cernés de noir et avivés d’émail, son nez aux ailes délicatement coupées, ses pommettes arrondies, ses lèvres épanouies et souriant de cet indescriptible sourire du sphinx, son menton, d’une courbe un peu courte, mais d’une finesse extrême de contour, offraient le plus pur type de l’idéal égyptien, et accusaient, par mille petits détails caractéristiques, que l’art n’invente pas, la physionomie individuelle d’un portrait. Une multitude de fines nattes, tressées en cordelettes et séparées par des bandeaux, retombaient, de chaque côté du masque, en masses opulentes. Une tige de lotus, partant de la nuque, s’arrondissait au-dessus de la tête et venait ouvrir son calice d’azur sur l’or mat du front, et complétait, avec le cône funéraire, cette coiffure aussi riche qu’élégante.

Un large gorgerin, composé de fins émaux cloisonnés de traits d’or, cerclait la base du col et descendait en plusieurs rangs, laissant voir, comme deux coupes d’or, le contour ferme et pur de deux seins vierges.

Sur la poitrine, l’oiseau sacré à la tête de bélier, portant entre ses cornes vertes le cercle rouge du soleil occidental et soutenu par deux serpents coiffés du pschent qui gonflaient leurs poches, dessinait sa configuration monstrueuse pleine de sens symboliques. Plus bas, dans les espaces laissés libres par les zones transversales et rayées de vives couleurs représentant les bandelettes, l’épervier de Phré couronné du globe, l’envergure éployée, le corps imbriqué de plumes symétriques, et la queue épanouie en éventail, tenait entre chacune de ses serres le Tau mystérieux, emblème d’immortalité. Des dieux funéraires, à face verte, à museau de singe et de chacal, présentaient, d’un geste hiératiquement roide, le fouet, le pedum, le sceptre ; l’œil osirien dilatait sa prunelle rouge cernée d’antimoine ; les vipères célestes épaississaient leur gorge autour des disques sacrés ; des figures symboliques allongeaient leurs bras empennés de plumes semblables à des lames de jalousie, et les deux déesses du commencement et de la fin, la chevelure poudrée de poudre bleue, le buste nu jusqu’au dessous du sein, le reste du corps bridé dans un étroit jupon, s’agenouillaient, à la mode égyptienne, sur des coussins verts et rouges, ornés de gros glands.

Une bandelette longitudinale d’hiéroglyphes, partant de la ceinture et se prolongeant jusqu’aux pieds, contenait sans doute quelques formules du rituel funèbre, ou plutôt les nom et qualités de la défunte, problème que Rumphius se promit de résoudre plus tard.

Toutes les peintures, par le style du dessin, la hardiesse du trait, l’éclat de la couleur, dénotaient de la façon la plus évidente, pour un œil exercé, la plus belle période de l’art égyptien.

Lorsque le lord et le savant eurent assez contemplé cette première enveloppe, ils tirèrent le cartonnage de sa boîte et le dressèrent contre une paroi de la cabine.

C’était un spectacle étrange que ce maillot funèbre à masque doré, se tenant debout comme un spectre matériel, et reprenant une fausse attitude de vie, après avoir gardé si longtemps la pose horizontale de la mort sur un lit de basalte, au cœur d’une montagne éventrée par une curiosité impie. L’âme de la défunte, qui comptait sur l’éternel repos, et qui avait pris tant de soins pour préserver sa dépouille de toute violation, dut s’en émouvoir, au-delà des mondes, dans le cercle de ses voyages et de ses métamorphoses.

Rumphius, armé d’un ciseau et d’un marteau pour séparer en deux le cartonnage de la momie, avait l’air d’un de ces génies funèbres coiffés d’un masque bestial, qu’on voit dans les peintures des hypogées s’empresser autour des morts pour accomplir quelque rite effrayant et mystérieux ; Lord Evandale, attentif et calme, ressemblait avec son pur profil au divin Osiris attendant l’âme pour la juger, et, si l’on veut pousser la comparaison plus loin, son stick rappelait le sceptre que tient le dieu.

L’opération terminée, ce qui prit assez de temps, car le docteur ne voulait pas écailler les dorures, la boîte reposée à terre se sépara en deux comme un moule qu’on ouvre, et la momie apparut dans tout l’éclat de sa toilette funèbre, parée coquettement, comme si elle eût voulu séduire les génies de l’empire souterrain.

À l’ouverture du cartonnage, une vague et délicieuse odeur d’aromates, de liqueur de cèdre, de poudre de santal, de myrrhe et de cinnamome, se répandit par la cabine de la cange : car le corps n’avait pas été englué et durci dans ce bitume noir qui pétrifie les cadavres vulgaires, et tout l’art des embaumeurs, anciens habitants des Memnonia, semblait s’être épuisé à conserver cette dépouille précieuse.

Un lacis d’étroites bandelettes en fine toile de lin, sous lequel s’ébauchaient vaguement les traits de la figure, enveloppait la tête ; les baumes dont ils étaient imprégnés avaient coloré ces tissus d’une belle teinte fauve. À partir de la poitrine, un filet de minces tuyaux de verre bleu, semblables à ces cannetilles de jais qui servent à broder les basquines espagnoles, croisait ses mailles réunies à leurs points d’intersection par de petits grains dorés, et, s’allongeant jusqu’aux jambes, formait à la morte un suaire de perles digne d’une reine ; les statuettes des quatre dieux de l’Amenti, en or repoussé, brillaient rangées symétriquement au bord supérieur du filet, terminé en bas par une frange d’ornements du goût le plus pur. Entre les figures des dieux funèbres s’allongeait une plaque d’or au-dessus de laquelle un scarabée de lapis-lazuli étendait ses longues ailes dorées.

Sous la tête de la momie était placé un riche miroir de métal poli, comme si l’on eût voulu fournir à l’âme de la morte le moyen de contempler le spectre de sa beauté pendant la longue nuit du sépulcre. À côté du miroir, un coffret en terre émaillée, d’un travail précieux, renfermait un collier composé d’anneaux d’ivoire, alternant avec des perles d’or, de lapis-lazuli et de cornaline. Au long du corps, on avait mis l’étroite cuvette carrée en bois de santal, où de son vivant la morte accomplissait ses ablutions parfumées. Trois vases en albâtre rubané, fixés au fond du cercueil, ainsi que la momie, par une couche de natrum, contenaient les deux premiers des baumes d’une couleur encore appréciable, et le troisième de la poudre d’antimoine et une petite spatule pour colorer le bord des paupières et en prolonger l’angle externe, suivant l’antique usage égyptien, pratiqué de nos jours par les femmes orientales.

« Quelle touchante coutume, dit le docteur Rumphius, enthousiasmé à la vue de ces trésors, d’ensevelir avec une jeune femme tout son coquet arsenal de toilette ! car c’est une jeune femme, à coup sûr, qu’enveloppent ces bandes de toile jaunies par le temps et les essences : à côté des Égyptiens, nous sommes vraiment des barbares ; emportés par une vie brutale, nous n’avons plus le sens délicat de la mort. Que de tendresse, que de regrets, que d’amour révèlent ces soins minutieux, ces précautions infinies, ces soins inutiles que personne ne devait jamais voir, ces caresses à une dépouille insensible, cette lutte pour arracher à la destruction une forme adorée, et la rendre intacte à l’âme au jour de la réunion suprême !

— Peut-être, répondit Lord Evandale tout pensif, notre civilisation, que nous croyons culminante, n’est-elle qu’une décadence profonde, n’ayant plus même le souvenir historique des gigantesques sociétés disparues. Nous sommes stupidement fiers de quelques ingénieux mécanismes récemment inventés, et nous ne pensons pas aux colossales splendeurs, aux énormités irréalisables pour tout autre peuple de l’antique terre des Pharaons. Nous avons la vapeur ; mais la vapeur est moins forte que la pensée qui élevait les pyramides, creusait les hypogées, taillait les montagnes en sphinx, en obélisques, couvrait des salles d’un seul bloc que tous nos engins ne sauraient remuer, ciselait des chapelles monolithes et savait défendre contre le néant la fragile dépouille humaine, tant elle avait le sens de l’éternité !

— Oh ! les Égyptiens, dit Rumphius en souriant, étaient de prodigieux architectes, d’étonnants artistes, de profonds savants ; les prêtres de Memphis et de Thèbes auraient rendu des points même à nos érudits d’Allemagne, et pour la symbolique, ils étaient de la force de plusieurs Creuzer ; mais nous finirons par déchiffrer leurs grimoires et leur arracher leur secret. Le grand Champollion a donné leur alphabet ; nous autres, nous lirons couramment leurs livres de granit. En attendant, déshabillons cette jeune beauté, plus de trois fois millénaire, avec toute la délicatesse possible.

— Pauvre lady ! murmura le jeune lord ; des yeux profanes vont parcourir ces charmes mystérieux que l’amour même n’a peut-être pas connus. Oh ! oui, sous un vain prétexte de science, nous sommes aussi sauvages que les Perses de Cambyse ; et, si je ne craignais de pousser au désespoir cet honnête docteur, je te renfermerais, sans avoir soulevé ton dernier voile, dans la triple boîte de tes cercueils ! »

Rumphius souleva hors du cartonnage la momie, qui ne pesait pas plus que le corps d’un enfant, et il commença à la démailloter avec l’adresse et la légèreté d’une mère voulant mettre à l’air les membres de son nourrisson ; il défit d’abord l’enveloppe de toile cousue, imprégnée de vin de palmier, et les larges bandes qui, d’espace en espace, cerclaient le corps ; puis il atteignit l’extrémité d’une bandelette mince enroulant ses spirales infinies autour des membres de la jeune Égyptienne ; il pelotonnait sur elle-même la bandelette, comme eût pu le faire un des plus habiles tarischeutes de la ville funèbre, la suivant dans tous ses méandres et ses circonvolutions. À mesure que son travail avançait, la momie, dégagée de ses épaisseurs, comme la statue qu’un praticien dégrossit dans un bloc de marbre, apparaissait plus svelte et plus pure. Cette bandelette déroulée, une autre se présenta, plus étroite et destinée à serrer les formes de plus près. Elle était d’une toile si fine, d’une trame si égale qu’elle eût pu soutenir la comparaison avec la batiste et la mousseline de nos jours. Elle suivait exactement les contours, emprisonnant les doigts des mains et des pieds moulant comme un masque les traits de la figure déjà presque visible à travers son mince tissu. Les baumes dans lesquels on l’avait baignée l’avaient comme empesée, et, en se détachant sous la traction des doigts du docteur, elle faisait un petit bruit sec comme celui du papier qu’on froisse ou qu’on déchire.

Un seul tour restait encore à enlever, et, quelque familiarisé qu’il fût avec des opérations pareilles, le docteur Rumphius suspendit un moment sa besogne, soit par une espèce de respect pour les pudeurs de la mort, soit par ce sentiment qui empêche l’homme de décacheter la lettre, d’ouvrir la porte, de soulever le voile qui cache le secret qu’il brûle d’apprendre ; il mit ce temps d’arrêt sur le compte de la fatigue, et en effet la sueur lui ruisselait du front sans qu’il songeât à l’essuyer de son fameux mouchoir à carreaux bleus : mais la fatigue n’y était pour rien.

Cependant la morte transparaissait sous la trame fine comme sous une gaze, et à travers les réseaux brillaient vaguement quelques dorures.

Le dernier obstacle enlevé, la jeune femme se dessina dans la chaste nudité de ses belles formes, gardant, malgré tant de siècles écoulés, toute la rondeur de ses contours, toute la grâce souple de ses lignes pures. Sa pose, peu fréquente chez les momies, était celle de la Vénus de Médicis, comme si les embaumeurs eussent voulu ôter à ce corps charmant la triste attitude de la mort, et adoucir pour lui l’inflexible rigidité du cadavre. L’une de ses mains voilait à demi sa gorge virginale, l’autre cachait des beautés mystérieuses, comme si la pudeur de la morte n’eût pas été rassurée suffisamment par les ombres protectrices du sépulcre.

Un cri d’admiration jaillit en même temps des lèvres de Rumphius et d’Evandale à la vue de cette merveille.

Jamais statue grecque ou romaine n’offrit un galbe plus élégant ; les caractères particuliers de l’idéal égyptien donnaient même à ce beau corps si miraculeusement conservé une sveltesse et une légèreté que n’ont pas les marbres antiques. L’exiguïté des mains fuselées, la distinction des pieds étroits, aux doigts terminés par des ongles brillants comme l’agate, la finesse de la taille, la coupe du sein, petit et retroussé comme la pointe d’un tatbebs sous la feuille d’or qui l’enveloppait, le contour peu sorti de la hanche, la rondeur de la cuisse, la jambe un peu longue aux malléoles délicatement modelées rappelaient la grâce élancée des musiciennes et des danseuses représentées sur les fresques figurant des repas funèbres, dans les hypogées de Thèbes. C’était cette forme d’une gracilité encore enfantine et possédant déjà toutes les perfections de la femme que l’art égyptien exprime avec une suavité si tendre, soit qu’il peigne les murs des syringes d’un pinceau rapide, soit qu’il fouille patiemment le basalte rebelle.

Ordinairement, les momies pénétrées de bitume et de natrum ressemblent à de noirs simulacres taillés dans l’ébène ; la dissolution ne peut les attaquer, mais les apparences de la vie leur manquent. Les cadavres ne sont pas retournés à la poussière d’où ils étaient sortis ; mais ils se sont pétrifiés sous une forme hideuse qu’on ne saurait regarder sans dégoût ou sans effroi. Ici le corps, préparé soigneusement par des procédés plus sûrs, plus longs et plus coûteux, avait conservé l’élasticité de la chair, le grain de l’épiderme et presque la coloration naturelle ; la peau, d’un brun clair, avait la nuance blonde d’un bronze florentin neuf ; et ce ton ambré et chaud qu’on admire dans les peintures de Giorgione ou du Titien, enfumées de vernis, ne devait pas différer beaucoup du teint de la jeune Égyptienne en son vivant.

La tête semblait endormie plutôt que morte ; les paupières, encore frangées de leurs longs cils, faisaient briller entre leurs lignes d’antimoine des yeux d’émail lustrés des humides lueurs de la vie ; on eût dit qu’elles allaient secouer comme un rêve léger leur sommeil de trente siècles. Le nez, mince et fin, conservait ses pures arêtes ; aucune dépression ne déformait les joues, arrondies comme le flanc d’un vase ; la bouche, colorée d’une faible rougeur, avait gardé ses plis imperceptibles, et sur les lèvres voluptueusement modelées, voltigeait un mélancolique et mystérieux sourire plein de douceur, de tristesse et de charme : ce sourire tendre et résigné qui plisse d’une si délicieuse moue les bouches des têtes adorables surmontant les vases canopes au Musée du Louvre.

Autour du front uni et bas, comme l’exigent les lois de la beauté antique, se massaient des cheveux d’un noir de jais, divisés et nattés en une multitude de fines cordelettes qui retombaient sur chaque épaule. Vingt épingles d’or, piquées parmi ces tresses comme des fleurs dans une coiffure de bal, étoilaient de points brillants cette épaisse et sombre chevelure qu’on eût pu croire factice tant elle était abondante. Deux grandes boucles d’oreilles, arrondies en disques comme de petits boucliers, faisaient frissonner leur lumière jaune à côté de ses joues brunes. Un collier magnifique, composé de trois rangs de divinités et d’amulettes en or et en pierres fines, entourait le col de la coquette momie, et plus bas, sur sa poitrine, descendaient deux autres colliers, dont les perles et les rosettes en or, lapis-lazuli et cornaline formaient des alternances symétriques du goût le plus exquis.

Une ceinture à peu près du même dessin enserrait sa taille svelte d’un cercle d’or et de pierres de couleur.

Un bracelet à double rang en perles d’or et de cornaline entourait son poignet gauche, et à l’index de la main, du même côté, scintillait un tout petit scarabée en émaux cloisonnés d’or, formant chaton de bague, et maintenu par un fil d’or précieusement natté.

Quelle sensation étrange ! se trouver en face d’un être humain qui vivait aux époques où l’Histoire bégayait à peine, recueillant les contes de la tradition, en face d’une beauté contemporaine de Moïse et conservant encore les formes exquises de la jeunesse ; toucher cette petite main douce et imprégnée de parfums qu’avait peut-être baisée un Pharaon ; effleurer ces cheveux plus durables que des empires, plus solides que des monuments de granit !

À l’aspect de la belle morte, le jeune lord éprouva ce désir rétrospectif qu’inspire souvent la vue d’un marbre ou d’un tableau représentant une femme du temps passé, célèbre par ses charmes ; il lui sembla qu’il aurait aimé, s’il eût vécu trois mille cinq cents ans plus tôt, cette beauté que le néant n’avait pas voulu détruire, et sa pensée sympathique arriva peut-être à l’âme inquiète qui errait autour de sa dépouille profanée.

Beaucoup moins poétique que le jeune lord, le docte Rumphius procédait à l’inventaire des bijoux, sans toutefois les détacher, car Evandale avait désiré qu’on n’enlevât pas à la momie cette frêle et dernière consolation ; ôter ses bijoux à une femme même morte, c’est la tuer une seconde fois ! quand tout à coup un rouleau de papyrus caché entre le flanc et le bras de la momie frappa les yeux du docteur.

« Ah ! dit-il, c’est sans doute l’exemplaire du rituel funéraire qu’on plaçait dans le dernier cercueil, écrit avec plus ou moins de soin selon la richesse et l’importance du personnage. »

Et il se mit à dérouler la bande fragile avec des précautions infinies. Dès que les premières lignes apparurent, Rumphius sembla surpris ; il ne reconnaissait pas les figures et les signes ordinaires du rituel : il chercha vainement, à la place consacrée, les vignettes représentant les funérailles et le convoi funèbre qui servent de frontispice à ce papyrus ; il ne trouva pas non plus la litanie des cent noms d’Osiris, ni le passeport de l’âme, ni la supplique aux dieux de l’Amenti. Des dessins d’une nature particulière annonçaient des scènes toutes différentes, se rattachant à la vie humaine, et non au voyage de l’ombre dans l’extra-monde. Des chapitres ou des alinéas semblaient indiqués par des caractères tracés en rouge, pour trancher sur le reste du texte écrit en noir, et fixer l’attention du lecteur aux endroits intéressants. Une inscription placée en tête paraissait contenir le titre de l’ouvrage et le nom du grammate qui l’avait écrit ou copié ; du moins, c’est ce que crut démêler à première vue la sagace intuition du docteur.

« Décidément, milord, nous avons volé le sieur Argyropoulos, dit Rumphius à Evandale, en lui faisant remarquer toutes les différences du papyrus et des rituels ordinaires. C’est la première fois que l’on trouve un manuscrit égyptien contenant autre chose que des formules hiératiques ! Oh ! je le déchiffrerai, dussé-je y perdre les yeux ! dût ma barbe non coupée faire trois fois le tour de mon bureau ! Oui, je t’arracherai ton secret, mystérieuse Égypte ; oui, je saurai ton histoire, belle morte, car ce papyrus serré sur ton cœur par ton bras charmant doit la contenir ! et je me couvrirai de gloire, et j’égalerai Champollion, et je ferai mourir Lepsius de jalousie ! »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le docteur et le lord retournèrent en Europe ; la momie, recouverte de toutes ses bandelettes et replacée dans ses trois cercueils, habite, dans le parc de Lord Evandale, au Lincolnshire, le sarcophage de basalte qu’il a fait venir à grands frais de Biban-el-Molouk et n’a pas donné au British Muséum. Quelquefois le lord s’accoude sur le sarcophage, paraît rêver profondément et soupire…

Après trois ans d’études acharnées, Rumphius est parvenu à déchiffrer le papyrus mystérieux, sauf quelques endroits altérés ou présentant des signes inconnus, et c’est sa traduction latine, tournée par nous en français, que vous allez lire sous ce nom : Le Roman de la momie.


fin du prologue.