Le Roman de la Rose/1537/Le Prologue
Il est ainsi que les choses dignes de memoire pour leur proffit & utilite soient a demeurer perpetuellement sans estre du tout assopies par trop longue saison & l’abilete de temps caduc et transitoire l’esguillon et stimulement de juste raison & non sunulee cause ma semont et enhorte comme tuteresse de tout bien et honneur a reintegrer et en son entier remettre le livre qui par long temps devant ceste moderne saison tant a este de tous gens d’esprit estime que bien la daigne chascun veoir et tenir au plus hault anglet de sa librairie pour les bonne sentences propos & ditz naturelz & moraulx qui de dans sont mis & inserez. C’est le plaisant livre du rommant de la rose, lequel fut poetiquement compose par deux nobles aucteurs digne de l’estimation de tout bon sens & louable sçavoir maistre Jehan de Meung et maistre Guillume de Lauris. Cestuy livre present a este au paravant par la faulte comme je croy des imprimeurs assez mal correct, ou par advanture de ceulx qui ont baille le double pour l’imprimer, car l’ung & l’autre peult estre cause de son incorrection. Pour laquelle chose restituer en meilleur estat & plus expediente forme pour l’intelligence des lecteurs et auditeurs non obstant la foiblesse du mien petit entendement & indignite de rural engin ay bien voulu relire ce presant livre des le commencement jusques a la fin, a laquelle chose faire fort laborieuse me suis employe & l’ay corrige aumoins mal que jay peu y adioustent les quottations des plus principaulx y notables & auctoritez venans a propos sans le mien voulentaire consentement come devez entendre.
Et pour autant qu’on pourroit dire comme ja plusieurs ont dict que ce livre parlant en vain de l’estat d’amours peult estre cause de tourner les entendemens en mal & les appliqer a chose dissolues a cause de la persuasible matiere de fol amour dedans tout au long contenue pour cause que fol appetit sensuel, ou sensualite nourrisse de tout mal & marasire de vertu est moteur dicelluy propos, tout honneur sauve & premis, je respons que l’intention de l’acteur n’est point simplement & de soy mesmes mal fondee ne mauvaise, car bien peut estre que ledit aucteur ne gettoit pas sceullement son penser et fantaisie sus le sens litteral, ains plus tost attiroit son esprit au sens alegoric & marol comme l’ung disant et entendant l’autre.
Je ne veulx pas ce que je dis affermer, mais il me semble qu’il peut ainsi avoir faict.
Et si celluy auctur na ainsi son sens reigie & n'est entre soubz la moralle couverture penetrant jusques a la moralle du nouveau sens misticque, toutesfois l’on le peult morallement exposer & en diverses sortes je dis doncques premierement que par la rose que tant est appettee de l’amant est entendu l’estat de sapience bien est injustement a la rose conferme pour les valeurs doulceurs et odeurs que en elle sont, laquelle moult est a avoir difficile pour les empeschemens entreposez, ausquelz arrester ne me veulx pour le present. Et en ceste maniere d’exposer sera la Rose figuree par la rose papalle, qui est de trois choses composee, c’est assavoir d’or, de musq, & de basme, car vraye sapience doit estre d’or signifiant l’honneur & reverence que noue devons a dieu le createur, de musq a cause de la fidelite & justice que devons avoir a nostre prochain, de basme quant a nous mesmes, entant que nous devons tenir noz ames cheres et precieuses comme le basme pur & cher sur toutes les choses du monde. Secondement on peult entendre par la rose l’estat de grace que semblablement est a avoir difficile non pas de la part de celluy qui la donne, car c’est dieu le tout puissant, mais de la partie du pecheur qui tousjours est empesche & eslongne du collateur d’icelle, ceste maniere de rose spirituelle tant bien spirant & refragant pouons aux roses figurer par la vertu desquelles retourna en sa premiere forme le grant apulee solon que sont escript au livre de l’asne d’ore quant il eut trouve le chapelet de fleurs de rosier pendant au sistre de Ceres deesse des bledz, car tout ansi que ledit apulee qui avoit este transmue en asne retrouva sa premiere figure d’homme sence & raisonnable, pareillement le pecheur humain faict & converty en beste brute par irraisonnable similitude reprent son estat premier d’innocence par la grace de dieu qui luy est conferee lors qu’il trouve le chappelet ou couronne de roses, c’est assavoir l’estra de penitence pendu au doulx sistre de Ceres, c’est la doulceur de la misericorde de divine. Tiercement nous pouons entendre par la rose la glorieuse vierge Marie pour ses bontez doulceurs & parfections de grace desquelles je me tais pour le present. Et sachez que ceste virginalle rose n’est aux hereticques facile d’avoir & n’y eust il seullement que malle bouche qui les empesche d’approcher de sa bonte, car ilz ont mal d’elle parle voulans maculer & denigrer son naturel honneur en disant qu’il ne la fault saluer & appeller mere de pitie et misericorde. C’est la blanche rose que nous trouverons en Hierico plantee, comme dit le saige quasi plantatio rose in hierico. Quartement nous pouons par la rose comprendre le souverain bien infiny & la gloire d’eternelle beatitude laquelle comme vrays amateurs de sa doulceur et amenite perpetuelle pourrons obtenir en evitant les vices qui nous empeschent : et ayant secours des vertus qui nous introduiront au verger d’infinie lyesse, jusques au rosier de tout bien & gloire qui est la beatificque vision de l’essence de dieu. Ce rosier peult estre figure nompas aux roses de pestum en ytalie qui florissent deux fois l’an, car c’est peu souvent, mais a la rose que presenta au saige roy Salomon la noble royne de Sabba ethiopienne, comme nous lisons et appert au livre de ses probleumes & des questions qu’elle luy demanda pour resprouver sa sapience, dont tant fut esmerveillee que son sens defailloit en elle, selon qu’il est escript au livre des roys. Elle print deux roses desquelles l’une venoit de l’arbre naturellement et l’autre procedoit par simulation : car elle l’avoit faicte sophisticquement & par art bien ressemblant a la rose naturelle tant estoit subtillement ouvree. Voy la dit elle deux roses devant vostre pacificque majeste presentes, dont l’une vrayement est naturelle mais l’autre non. Pourtant dictes moy sire qui est la naturelle rose monstrez la moy avecques le doy. Salomon ce voyant feit apporter aulcunes mouches a miel pensant & considerant par la science qu’il avoit de toutes choses naturelles que lesdictes mouches selon leur propriete yraient incontinent a la rose naturelle nonpas a la sophisticquee, car telz oyseletz celestes plaisans et mellificque desirent & appetent les doulces fleurs sur toutes choses. Parquoy il monstra a la royne la vraye rose la decernant de l’autre qui estoit faicte de senteurs contrefaisans nature. Celle rose naturelle peult donc signifier le bien infini & vraye gloire celeste qui point n’est sophisticque ne decepuable comme la gloire du monde present qui nous deçoit entant que nous cuydons qu’elle soit vraye, mais non est. Doncques qui ainsi vouldroit interpreter le Rommant de la rose, je dis qu’il y trouveroit grant bien proffit & utilite cachez soubz l’escorce du texte qui pas n’est a despriser, car il y a double gaing, recreation d’esprit & plaisir delectable quant au sens litteral, et utilite quant a l’intelligence moralle ; fables sont faictes et inventees pour les exposer au sen misticque, parquoy on ne les doit contenner. Si le grant aigle duquel parla Ezechiel quant il dit Aquila grandis magnarum allarum plena plumis & varietate, venit ad libanum et tulit medulam cedri, qui tant avoit estandu son volatif plumaige se fust seullement arreste sue l’escorce du cedre quant il volla au mont du liban point n’eust trouve la mouelle de l’arbre, mais s’en fust en vain retourne et eust perdu son vol. Semblablement si nous ne creusions plus avant que l’escorce du sens literal nous n’aurions que le plaisir des fables & histoires sans obtenir le singulier proffit de la mouelle neupmatique, c’est assavoir venant par l’inspiration du sainct esperit quant a l’intelligence moralle, qui ne penseroit sinon au sens literal, encores y a il grant proffit pour les doctrines et diverses sciences dedans contenues, car neantmoins que le principal soit ung train d’amours, touteffois il est tout confit de bons incidens qui dedans sont comprins & alleguez causans maintes bonnes disciplines. Les philosophes naturelz & moraux y peuvent apprendre, les theologiens, les astrologues, les geometriens, les archimistes faiseurs de mirouers, paintes & autres gens naiz soubz la constellation & influence des bons astres ayans leur aspect sur les ingenieux et autres qui desirent scavoir toutes manieres d'ars et sciences.