Le Roman d’un enfant/79
LXXIX
Juin rayonnait. C’était le soir, l’heure exquise du crépuscule. Dans le cabinet de mon frère, j’étais seul, depuis un long moment ; par la fenêtre, grande ouverte sur un ciel tout en or rose, on entendait les martinets pousser leurs cris aigus, en tourbillonnant par nuées au-dessus des vieux toits.
Personne ne me savait là, et jamais je ne m’étais senti plus isolé dans ce haut de maison, ni plus tenté d’inconnu…
Avec un battement de cœur, j’ouvris ce volume de Musset :
Don Paez !…
Les premières phrases rythmées, musicales, me furent comme chantées par une dangereuse voix d’or :
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Sourcils noirs, blanches mains, et, pour la petitesse
De ses pieds, elle était Andalouse et comtesse.
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Quand la nuit de printemps fut tout à fait venue, quand mes yeux, baissés bien près du volume, ne distinguèrent plus, des vers charmeurs, que de petites lignes grises rangées sur le blanc des pages, je sortis, seul par la ville.
Dans les rues presque désertes, et pas encore éclairées, des rangs de tilleuls ou d’acacias fleuris, faisaient l’ombre plus épaisse et embaumaient l’air. Ayant rabattu mon chapeau de feutre sur mes yeux, comme don Paez, je marchais d’un pas souple et léger, relevant la tête vers les balcons, et poursuivant je ne sais quels petits rêves enfantins de nuits d’Espagne, de sérénades andalouses…